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Faute d’un succinct « Que sais-je? » portant sur l’ethnomusicologie, ce Précis d’ethnomusicologie vient combler certains manques dans la littérature francophone en présentant les grandes lignes de cette discipline qui chevauche musique et sciences sociales. La rédaction de ce condensé a été entreprise par Simha Arom (éminent ethnomusicologue) et Frank Alvarez-Péreyre (linguiste travaillant également dans le domaine de l’ethnomusicologie). Un tel ouvrage laisse les intéressés espérer un compte rendu de l’ethnomusicologie et de son évolution récente.

Mais, tout d’abord, à qui s’adresse ce précis en réalité? À l’amateur de musiques du monde, tel que clamé au dos du livre? On ne parle que très peu de musique en tant que telle dans cet abrégé qui s’intéresse clairement à l’étude de la musique. Ce livre, accessible et recourant peu au jargon musical, risque néanmoins de laisser l’amateur de musique du monde sur sa faim, cet ouvrage demeurant essentiellement théorique. Le Précis semble plutôt s’adresser à l’étudiant désireux de savoir en quoi consistent l’ethnomusicologie et le métier qui lui est associé.

Ainsi, la première partie de l’ouvrage constitue une synthèse efficace de l’ethnomusicologie en soi : son histoire, son caractère multidisciplinaire, ses Écoles et ses courants y sont présentés. La deuxième partie porte quant à elle sur le métier d’ethnomusicologue, les démarches de ce dernier et ses outils ; de bonnes suggestions et mises en garde concernant le travail de recherche (notamment sur le terrain) sont insérées dans cette section. Une troisième partie examine certaines relations existant entre l’ethnomusicologie et la musicologie historique ; Arom et Alvarez-Péreyre y soulignent entre autres l’impact positif des recherches ethnomusi-cologiques sur la compréhension de la musique occidentale. Cette dernière partie semble plus accessoire. Le choix des thèmes qui y sont traités est parfois intrigant (à titre d’exemple, les parallèles établis entre certaines pratiques musicales actuelles en Afrique et d’autres existant en Europe au Moyen-Âge) ; la pertinence de tels sujets dans le cadre d’un précis paraît discutable.

Fort malheureusement, une importante portion de ce qu’est devenue l’ethnomusicologie est négligée dans cet ouvrage. Les auteurs substituent fréquemment au terme « ethnomusicologie » l’expression « étude des musiques traditionnelles ». La discipline, telle que la dépeingnent Arom et Alvarez-Péreyre, apparaît souvent comme une ethnomusicologie d’urgence, préoccupée de la sauvegarde de musiques traditionnelles menaçant de s’éteindre. Or, depuis quelques décennies déjà – soit une période considérable, vu la courte existence de la discipline – nombre de chercheurs se concentrent sur des traditions récentes ou encore, en devenir. World beat, musique urbaine et pratiques résultant de l’immigration sont donc autant de cultures musicales laissées de côté par Arom et Alvarez-Péreyre. L’étude de ces musiques en ethnomusicologie n’est mentionnée que brièvement à la fin de certains chapitres. Il en va de même, forcément, pour les problématiques reliées à ces pratiques musicales, ainsi que pour les approches, méthodologies et outils adoptés par les ethnomusicologues qui se penchent sur ces musiques. Ce Précis d’ethnomusicologie témoigne donc de la division (d’ailleurs mentionnée par les auteurs eux-mêmes, p. 45) qui existe entre les ethnomusicologues étudiant des patrimoines traditionnels et ceux qui prennent en compte les pratiques nouvelles.

Cependant, les auteurs font des efforts louables dans le but de dépasser d’autres clivages, notamment celui qui expose une ethnomusicologie se penchant principalement sur les faits extrinsèques à la musique et une autre s’intéressant plus exclusivement à l’objet musical. Mais, encore une fois, l’approche privilégiée par Arom et Alvarez-Péreyre dans leurs recherches détermine en trop grande partie le contenu de leur livre, rendant ce dernier moins complet et sa portée plus limitée. La partie sur le métier d’ethnomusicologue, en particulier, témoigne de ce problème : par exemple, une seule méthode d’analyse – issue de la linguistique… – est présentée. De manière générale, l’importance accordée à l’influence de la linguistique sur l’ethnomusicologie paraît exagérée par rapport à l’attention portée à des disciplines (telle l’anthropologie) qui ont davantage marqué son développement.

Ce Précis d’ethnomusicologie laisse donc entrevoir les différents visages de l’ethnomusicologie ; cependant, les auteurs ne s’attachent à présenter que la facette correspondant à l’approche qu’ils ont adoptée dans leurs propres recherches. Cet ouvrage succinct et clair peut s’avérer utile, notamment dans le cadre de cours d’introduction à l’ethnomusicologie où il peut servir de manuel esquissant l’histoire de la discipline – mais, alors, tout un pan de l’évolution de l’ethnomusicologie resterait à couvrir.