Corps de l’article

Si la critique littéraire occidentale a souvent fait appel dans les années quatre-vingts à la psychanalyse pour comprendre l’oeuvre occidentale, et à l’anthropologie pour comprendre l’oeuvre « orientale » – particulièrement religieuse pour ce qui est du monde indien – c’est qu’elle se sentait en reste par rapport à la voix littéraire. Le texte, étranger surtout, continue à résister, et le discours culturaliste développé récemment dans les universités n’est sans doute qu’une manière de dire le malaise de la critique littéraire eurocentrée. La frustration demeure car la lettre, c’est-à-dire la singularité textuelle, échappe. Quant à la critique littéraire indienne, elle se confond, dans son état aujourd’hui le plus fécond, avec l’historiographie de la question coloniale (S. Kaviraj, S. Chandra, D. Chakrabarty)[1].

Quelle est la voix qui nous parle dans la littérature hindie et comment pouvons-nous l’entendre ? Je prendrai ici un exemple choisi pour son caractère ostensiblement littéraire, plus encore que pour la récente sacralisation de son auteur, Nirmal Verma, ou les polémiques auxquelles son oeuvre a donné lieu en Inde. Avant d’être élevé au statut d’écrivain, voire de penseur national, N. Verma, dont la prose poétique a toujours été favorablement saluée, a en effet été critiqué pour son plagiat des thématiques et structures romanesques occidentales, particulièrement avant 2000[2].

La voix du roman : Un bonheur en lambeaux[3]

Je m’en souviendrai, se dit-il, je l’écrirai dans mon journal : « Bitti étendait la lessive, dans la chambre il y avait une pénombre d’un jaune indécis. Dairy était assis, appuyé au mur, il regardait Bitti, dehors. Et moi… »

Il était allongé sur son matelas. Que de fois n’avait-il pas joué ce jeu avec lui-même – comme s’il regardait le monde de l’extérieur, le soir, le plafond, Bitti et Dairy, comme s’il ne les connaissait pas. C’est la première fois qu’il les voit. Le maître de dessin disait en classe – regardez, ça, c’est une pomme. Cette pomme est posée sur la table. Regardez-la bien. Regardez-la bien, de tous vos yeux, bien en face – un regard vide, acéré comme une aiguille, transperçait la pomme. Celle-ci commençait tout doucement à se désagréger dans l’air, s’évanouissait, et puis, et puis, tout à coup, il réalisait : la pomme est là, sur la table, telle qu’en elle-même ; simplement il s’est détaché, séparé de la pièce, des autres écoliers, de la table et des chaises – et pour la première fois il regarde la pomme d’un regard neuf. Nue, pleine et entière, complète, d’une telle complétude qu’il en est comme épouvanté, pas même vraiment épouvanté : simplement une inquiétante étrangeté se saisit de lui, comme si quelqu’un lui avait bandé les yeux. « Monsieur le Maître, aurait-il voulu dire, ce que vous voulez nous faire voir, c’est bien ça ? ».

Ça. Quelle chose ? De quelle nature ?

Cette soirée, cette terrasse de Bitti, les vêtements claquant au vent, cette pénombre, ce miroitement liquide de la fièvre qui grimpait, dans laquelle il s’abîmait.

Verma 2000a : 23-24

Quel est ce « ça » dont le petit garçon apprenti voyant demande confirmation au maître, quel est ce regard auquel il s’essaie là et qui va devenir pour lui le prérequis de la juste lecture du monde, et partant, de son écriture ? Lecture et écriture du monde : si nous l’interprétons, ce monde, comme objectif (ce dont il semble être question : la pomme, et les autres personnes et objets, dans l’encadré du flash back sur la leçon de choses), nous occidentalisons la représentation du « monde » en introduisant une opposition dedans/dehors, sujet/objet[4], que justement le regard regardant défait, et qui est démentie par toute la suite du texte. Ça : si nous l’interprétons comme le ça qui n’est pas le moi ni son surmoi, nous occidentalisons, encore une fois, la représentation de la personne dont l’auteur a par ailleurs toujours nié la partition interne autant que sa partition d’avec les autres personnes et composantes du « monde extérieur ». Quant à cette « inquiétante étrangeté », c’est cette fois la traduction qui délibérément occidentalise « l’étonnement/sidération comme étrange », dans une inversion des choses puisqu’ici le déjà vu est revu comme jamais vu. La traduction vise à orienter le lecteur vers ce point où s’articulent la représentation du sujet conscient et de l’inconscient du sujet, ce point crucial qui détermine la loi de l’écriture chez N. Verma – une réécriture hésitante de l’épouvante[5] devant ce qui est vu à neuf, toujours déjà vu mais jamais vu ; comme, ailleurs, à l’inverse, devant ce qui, une fois vu et remémoré, en appelle dans l’acte de mémoire à la mémoire d’avant la mémoire, au commencement d’avant le commencement, avec ces souvenirs qui, à force d’être revécus, projettent le sujet dans l’espace égarant, la « nuit primordiale » du « commencement d’avant le commencement » (Verma 2003 [1974] : 51).

Cette petite séquence où le jeune garçon, Munnu, développe une « seconde vue »[6] propre à saisir l’ipséité des choses et des êtres, peut trouver une justification narrative par la montée de la fièvre récurrente dans le roman, comme ailleurs par l’ébriété[7], et aussi par la double vie que constitue le jeu théâtral[8]. Elle entre donc dans un schéma matriciel, d’autant plus qu’elle est allégorique de l’acte d’écriture, puisqu’il s’agit du cahier donné par la mère morte pour qu’il écrive ce qu’il voit, averti que ce qu’il voit n’est pas toujours le vrai/le réel[9]. Tout y tourne autour de la transformation qu’il faut opérer pour bien voir, voir les choses dans leur vérité. Il faut se détacher au point d’être coupé de toutes les contingences – chaises, tables, autres écoliers – au point que l’objet regardé se dissolve dans le vide. Mais cette dissolution est présentée en hindi comme celle du sujet qui regarde : le pronom renvoyant à la pomme pourrait renvoyer au garçon[10], ambiguïté favorisée par la ponctuation du passage, où les tirets n’introduisant pas de pause démarcative nette remplacent souvent les points. Quant au regard, support de cette conversion de la vision, il est « droit », « acéré » et « vide » en même temps, ne pouvant que rappeler l’attention flottante, générant simultanément le flou (là encore surmarqué par les procédures stylistiques d’approximation comme le suffixe – et les comparaisons modalisées, « comme si, on aurait dit ») et le cisellement de l’objet isolé. Attention flottante ou darshan, mot indien pour la vision, la voie, la philosophie, la contemplation religieuse ? Il est aussi, ce regard, assorti d’un passage à l’imparfait détemporalisé (tronqué de la copule qui spécifie le temps en hindi), temps-aspect de l’anti-saillance, ou mode épistémique de l’habitude arrachée à toute spécificité temporelle. Modalité du non fini, cette conjugaison est chez N. Verma, morphologiquement et philosophiquement celle de l’in-fini.

La séquence qui donne son titre au roman, Un bonheur en lambeaux (2000a), résume toutes ces particularités formelles et sémantiques autour d’une question, qui reste sans réponse, celle de la réincarnation. Il s’agit, encore, d’un souvenir, la fête foraine d’Allahabad, où les deux enfants se retrouvent suspendus dans la nuit, invisibles et oubliés, au sommet de la grande roue que le forain a arrêtée sans les voir. Juste avant, Bitti avait posé la question du bonheur à la devineresse de l’attraction voisine, et la réponse avait été donnée par la mise en spectacle du dépouillement d’un nain, dont la bise du dehors et le souffle du ventilateur réduisent en haillons tous les vêtements jusqu’à ce qu’il n’ait plus qu’un lambeau de tissu sur le dos. Suspendus dans le ciel glacé, « transis dans la nuit l’un de l’autre », les deux enfants sont décrits comme dans un intermonde qui n’est ni en haut ni en bas, ni le jour ni la nuit, coupés du monde entier, au-dessus des lumières de la ville et des maisons « où ils avaient un jour habité, bien avant, dans une autre vie » (Verma 2000a : 124). C’est dans ces conditions que Munnu demande à Bitti si elle croit à la réincarnation, et qu’elle lui répond de façon ambiguë que même dans leur vie présente, il arrive qu’on se quitte soi-même pour devenir un autre.

Comment une personne pouvait-elle se quitter pour devenir quelqu’un d’autre, se demandait-il avec perplexité. Mais cette nuit-là, du haut du ciel et de la nuit, tout lui semblait vrai, impossible mais vrai, comme un jeu sous les arbres par une nuit de pleine lune, où ce qui se voit n’existe pas, ce qui existe en réalité ne se voit pas…

— Tu as vu le nain ? dit-elle avec lenteur.

— Oui, pourquoi ?

— C’est ça que je voudrais devenir.

Il se mit à rire, un peu effrayé.

— Tu seras vêtue de haillons ?

Bitti se tourna vers lui.

— Ce n’étaient pas des haillons, c’était le bonheur.

Sa voix était si légère qu’elle lui semblait dans la nuit comme un pétale tombé d’un rêve, qui se serait doucement posé sur sa main, frémissant dans l’ombre pâle des étoiles – l’invitant à se pencher vers un lieu où toutes ces années s’envolaient comme des fragments inutiles…

Verma 2000a : 125

Si l’image du dénuement, poussé jusqu’au dénudement, est présentée comme le bonheur, on peut lire la séquence (le roman ?) comme la banale allégorie du renoncement en tant que forme de vie survalorisée, d’autant plus que Bitti n’a qu’un poster dans sa petite chambre, celui de Mère Teresa, et que son amant Dairy a tout quitté pour rejoindre un temps les activistes qui se battaient pour les paysans pauvres du Bihar. Le dernier roman de N. Verma porte d’ailleurs un titre, Antim Aranya (La forêt ultime, 2000c), qui, dans sa sanskritisation, fait allusion à l’espace ascétique de l’ascète quand il dénoue ses liens avec l’espace social. Cependant, si on lit ce questionnement en entendant les procédures d’indétermination stylistiques, on est amené à le voir comme les méandres d’un cheminement, pour Munnu, vers cet « impossible mais vrai » où le « je » est un autre, où les apparences s’estompent pour faire place au réel (celui, dit le texte, qui ne se voit pas) et où il lui est possible de voir en surplomb sa vie passée et présente (dernier paragraphe). Les conditions posées par le texte pour parvenir à cette vision passent par la mise en suspens (lieu atopique défini comme ni en haut ni en bas, ni jour ni nuit), le détachement du reste du monde (« ils étaient coupés du monde »), qui autorise une mise en jeu du familier, au sens littéral du faire comme si (on ne l’avait jamais vu), pour y voir le jamais encore vu, l’autre absolu, l’impossible, le vrai.

Quel est alors le « je » ici à l’oeuvre, support de la vision « vraie », un « je » émergé dans et par le travail d’écriture vers la fin du roman, car ce roman, écrit à la troisième personne, sauf dialogues et journal intime, comporte quelques séquences narratives à la première personne, et une à la seconde personne, en un « il » qui devient donc, par l’écriture de ce qu’il voit, le « je » de l’écrivain[11] ?

Un moi incertain : une société sans individu, privée donc du sens de l’histoire ?

De la genèse du « moi » indien, la psychologie sociale donne une explication qui se distingue des commentaires de l’anthropologie du rite sans la contredire. Selon les psychanalystes Erik Erikson (1969) et Richard Lannoy (1971), la genèse du sujet se fait en Inde traditionnelle dans un environnement hyper protégé où l’enfant n’est pas poussé à adopter des conduites d’autonomie et de responsabilité ; un environnement où il n’est pas confronté à une figure d’identification paternelle nettement définie, mais plutôt à une pluralité de pôles masculins – généralement moins valorisés que le pôle maternel – où la distinction entre intérieur et extérieur, c’est-à-dire la constitution du moi en tant que sujet coupé de ses objets, n’est jamais pleinement activée. Le rôle de l’objet restant joué par la mère pendant très longtemps, de nombreuses fonctions du moi sont donc transférées à la mère, puis aux institutions sociales (caste, clan, etc.), qui définissent l’individu avec des règles minutieuses, des rites, des tabous, où toutes les relations sont codées et où chaque détail est pris en charge dans un ensemble cadenassé. D’où l’inaptitude de l’ego adulte à se constituer en tant que « sujet séparé » – responsable, autonome, critique. Par contre, l’aspiration à la fusion dans le grand tout, propre à cet état de narcissisme primaire, est socialement encouragée, voire encodée dans le schème du renoncement.

Pour les anthropologues, la société ancienne hindoue suppose un paradoxe – celui qui quitte l’espace social, le renonçant, est l’incarnation de son aspiration centrale. Car il vise à accomplir une libération (moksa) qui est aussi au centre du système social : les positions de chacun et les devoirs qui en découlent (dharma) sont entièrement justifiés par l’organisation des grands buts de l’homme (purusârtha) dont la libération est le plus élevé des quatre, surplombant les trois autres (kâma le désir, en particulier érotique, artha la prospérité matérielle, dharma le devoir rituel). Ce paradoxe, bien vu par Dumont (1979 [1966]), a été interprété par Madeleine Biardeau comme la clef même de l’hindouisme, le sage renonçant ou sadhou étant seul capable de concevoir et de dire le vrai, le réel, car il a « tué en lui toute trace d’ego empirique » (Biardeau 1975 : 143)[12]. Le privilège qu’on peut accorder à la figure du renonçant dès l’hindouisme classique a en outre été survalorisé par la grande poussée médiévale de la religion de l’amour mystique, la bhakti, qui non seulement conteste l’orthodoxie brahmanique et le système des castes[13] mais propose au dévot, le bhakta, un modèle de participation à l’absolu par détachement des contingences sociales et transformation de son moi en celui de la divinité d’élection ou en le fondant au principe cosmique[14].

Ni Erikson ni Lannoy ne portent de jugement négatif sur ce narcissisme primaire prolongé, qui trouve sa caution dans les religions populaires dérivées de la bhakti. Mais un psychanalyste comme Sudhir Kakar (spécialisé dans la clientèle urbaine et fortunée), auteur, entre autres, en 1978 d’une étude de l’enfance et de la société indienne, porte sur ces comportements un jugement très sévère, allant jusqu’à parler de « sous-développement du moi ». Et jusqu’à ajouter, du moins dans le compte rendu que fait Naipaul d’un entretien avec lui en 1975 : cette structure du moi, dans un monde qui change, est

[U]n luxe dangereux. Ce qui serait dans une autre société considéré comme tendance névrotique, la propension à la passivité et au détachement, est une attitude valorisée dans la société traditionnelle indienne et contribue à la déresponsabilisation et à la léthargie générales.

Naipaul 1989 [1976] : 69-71

Naipaul critique de façon très acerbe ce qu’il interprète comme un déni de réalité, responsable de la « maladie sociale indienne », une léthargie et une acceptation passive de l’injustice, un repli obsessionnel sur la méditation et le renoncement au moi, qui se cristallise à ses yeux dans un « défaut de vision » corollaire du « sous-développement du moi ». Après An Area of Darkness (Naipaul 1964) à la fin de la période Nehru, le second livre de Naipaul sur l’Inde, A Wounded Civilization (1976), après l’état d’urgence imposé par madame Gandhi, dénonce sur tout un chapitre un « défaut de vision », qui empêche d’accéder au regard critique, à la notion d’individu responsable, au sens de l’histoire, lequel serait remplacé en Inde par le sens du sacré, comme celui de la responsabilité l’est par le sens de la hiérarchie, le tout confluant dans la manie de la célébration et la transformation en symbole et formules vides de tout ce qui relève de l’action concrète.

Bien avant sa rencontre avec le psychanalyste Kakar, Naipaul (1964 : 56) dénonce la confusion entre monde intérieur et extérieur, à l’origine du repli sur soi et de la confusion de valeurs qui fait qu’en Inde on ne voit pas la réalité extérieure. On ne voit pas la misère et la saleté, le sordide – par exemple les centaines de silhouettes accroupies en train de déféquer le long des rails, ou dans des endroits publics, célèbre passage de l’ouvrage, repris d’ailleurs par Kristeva (1980) dans son Essai sur l’abjection. Les images de la misère ne peuvent pas être insupportables parce que « ça n’existe pas », continue Naipaul, frappé par la capacité des Indiens « de caste » à scotomiser ces images, à en dénier l’existence, et de tous les Indiens en général à les voir sans les voir.

Analysant le regard de Gandhi qui, lui, voit ces choses et les met au centre de son discours, avec le service social et la dignité du travail, notamment celui du vidangeur, alors que le travail physique est traditionnellement méprisé (autre signe de déni de la réalité concrète), Naipaul y voit un regard typiquement colonial et occidental : si Gandhi peut voir, c’est parce que son détour par l’Angleterre et l’Afrique du Sud lui ont appris le regard critique, et qu’il revient en Inde en étranger, avec la distance critique de l’extérieur.

Par ailleurs, la tentation de l’isolation (voir le chapitre « Every man is an island »), et du retrait – légitimée par les grands textes de la culture classique, y compris par la philosophie de l’action « désintéressée » que popularise la Gita[15] – est pour Naipaul un corrélat de la « mentalité médiévale » : tout est

[P]erçu comme une continuité, dans une conception de l’Inde comme totalité homogène, les faits historiques susceptibles d’altérer cette vision étant supprimés, le sens de l’histoire ne pouvant donc pas se développer.

Naipaul 1989 [1964] : 144

La notion de responsabilité individuelle, centrale pour une démocratie réelle, est vouée à l’inexistence par la vitalité du sentiment de caste, de pureté, de groupe, qui sous tend la constitution du sujet indien en non-individu.

Un je/moi solidaire du « self », un self solidaire de l’autre et des objets

On pourrait voir les romans de N. Verma comme de parfaits exemples de ce sous-développement du moi, avec leurs personnages systématiquement non adultes, enfants, adolescents ou vieillards, et leur labilité généralisée. Les essais de l’écrivain cependant – dont un recueil Bhârat aur Yûrop (1991), L’Inde et l’Europe, a été traduit en anglais (2000b) – donnent une autre explication de cette indétermination[16].

Nombre des essais de N. Verma reviennent sur la distinction classique entre le moi et le « soi » – distinction qui a donné lieu aux radicalisations bien connues et à juste titre soulignées par Naipaul, sur la dénégation du moi au principe du détachement, du retrait, de la dévalorisation des accomplissements dans le monde, de la passion du spirituel, etc. N. Verma, qui conserve une certaine opposition radicale entre « je » à l’occidentale et « je » indien, n’épouse pas pour autant les simplifications ordinaires et ne condamne pas tout simplement le « je ». Ce qu’il en dénonce, c’est la forme étroite, qu’il assimile à la conception occidentale du sujet synonyme à ses yeux d’individu. Pour lui en effet, comme pour la tradition hindoue la plus classique, dont Hulin (1978) dégage les diverses spéculations sur la notion de moi, le « je » est à la fois le moi (aham : ego), dont dérive le terme ahamkâr, « orgueil », « vanité », et le soi (âtman), sa forme élargie : âtman, un autre nom de l’absolu, à côté de brahman (nom neutre et sans accent), dans la tradition, n’est donc pas en opposition avec aham, mais en est une extension. Comment ? La forme aham du moi s’élargit en âtman, dit N. Verma, au point de

[C]omprendre sur le même plan la nature, les animaux, les êtres humains, les arbres et les rivières, l’histoire et la société. Cette forme supérieure du moi qu’est l’âtman exclut l’opposition duelle parce qu’elle procède du principe suprême qui fonde l’univers, englobant donc en un tout le monde phénoménal immanent et la transcendance ou absolu et faisant l’autre consubstantiel au moi[17].

Verma 1995 : 74

L’univers de l’ego (aham), insiste l’auteur à plusieurs reprises, est celui de l’individu, vyakti, terme qui pour lui relève des unités segmentées et qu’il associe au mot ikâî (unité) en tant que partie coupée des autres et du tout[18]. Quant à l’univers des relations entre les formes élargies du « je » qu’est l’âtman, c’est celui de l’humain, manusya, terme qui en hindi comme en sanskrit dérive de Manu, l’homme qui fonde la société en en édictant la loi. Être humain, chez N. Verma comme dans la culture traditionnelle, correspond donc à être en termes d’équivalence et de connexion[19] avec chaque composante de l’univers qui du coup passe du statut d’unité discrète à celui d’appartenance à un tout indivis, ce tout n’admettant pas de centre hiérarchisant. C’est aussi ne pas être mentalement cloisonné en strates distinctes, comme celle du ça, du moi et du surmoi (id, ego, super-ego), mais garder coprésents esprit, âme et corps de façon indivise en l’homme lui-même, microcosme de la création.

Il y a donc au principe de l’opposition qu’est amené à faire N. Verma entre sociétés individualistes (occidentales) et société indienne (ou, dit-il, « traditionnelle »), une différence dans ce qui fonde la manière de voir (le moi, clivé ou intégré, de l’Occident, ou le aham/âtman indivis), mais cette différence elle-même se traduit dans un registre qui exclut pour lui l’opposition (entre aham et âtman). Alors qu’en choisissant de définir le « je » par sa forme restreinte (moi) l’occidental se contraint à l’opposition[20], l’indien traditionnel n’a pas à combattre son ego : il a simplement à passer sans heurt de sa forme réduite à sa forme élargie, si l’on peut dire.

Dès lors qu’on quitte l’univers égocentré ou dominé par les catégories de la conscience historique et de la raison objective, dit N. Verma,

[O]n a soudain l’impression de sortir du monde des unités discrètes et d’aborder celui des relations. Toutes les créatures, tous les vivants, y sont tissés l’un à l’autre et comme enchevêtrés, dans la réciprocité de l’interdépendance, et ce, non seulement des créatures douées de souffle vital, mais aussi bien de celles qui, vues de l’extérieur, ont l’air inanimé. Dans ce monde de l’interrelation, les objets sont liés aux hommes, l’homme à l’arbre, l’arbre à l’animal, l’animal à la forêt, et la forêt au ciel, à la pluie, à l’air. Une création vivante, animée, qui respire et palpite à chaque seconde, une création intégrale qui tire sa complétude d’elle-même, qui contient en elle l’homme, mais, et c’est capital, où l’homme n’est pas le centre de la création, supérieur à tout et mesure de tout. Il n’existe qu’en tant que relationnel, lié à tous les autres créés, et dans sa relationalité, il cesse d’être une unité isolée, un individu tel que nous l’avons jusqu’à présent conçu. Au contraire, il acquiert sa complétude exactement comme les autres vivants dans leur relationalité ; et, de même que l’homme (manusya) n’est pas le support de la création, de même le support de l’homme n’est pas l’individu (vyakti).

Verma 1995 : 25-26

De cela découle aussi une grande différence entre les manières de concevoir l’humanisme, selon qu’il procède des droits de l’individu ou de l’interrelation de l’être humain (manusya) à l’ensemble de son habitat, naturel et sacré autant qu’humain et animal[21].

Le détachement : coupure ou non séparation ?

Si le je-vyakti (l’individu) n’est pas valorisé dans ce type de société, ce n’est que dans une vision réductrice du je, vision elle-même issue de la superposition des traductions coloniales de termes comme aham et âtman, vyakti ou manusya[22]. La traduction en termes d’opposition duelle transforme la voie de âtman en fuite dans le retrait et passivité du désengagement, associations ordinaires de la « spiritualité » indienne.

Mais si on adopte la vision « indienne » de l’humain rendu à la ductilité générale, non hiérarchisée, de l’univers, au-delà des limitations de l’individu, alors le détachement – et sa figure exemplaire qu’est le renonçant – n’est un symbole de fuite dans le spirituel que partiellement. De même, l’opposition qu’on fait spontanément en Occident entre détachement (coupé du monde) et interrelation relève largement d’un effet de traduction : il est clair que dans l’extrait supra la personne est coupée du monde, et en même temps et à travers cette séparation même, en empathie avec les objets du monde – comme l’est le dévot dans la religion dévotionnelle, à la fois détaché et « non-separate ». Dans ses essais, N. Verma emploie deux mots pour caractériser le mode de perception du « détaché »[23] : les adjectifs nirvaiyaktik et tatasth et les noms correspondants nirvaiyaktitva et tatasthatâ. Le premier mot est dérivé par préfixation négative de vyakti, individu : le « désindividué » est donc celui qui a dépassé les limitations, sociales ou psychologiques, de l’ego (aham) et le centrage sur le sujet personnel en tant qu’unité discrète, dépassé aussi la notion même de limite distinctive dans la perception du monde. Parvenir à la « désindividuation » revient donc à participer de cet âtman diffus qui constitue l’univers en un tout indivis : un tout, ou une complétude (sampûrn), dont les éléments n’existent que dans leur interconnexion dynamique et qui se caractérise par sa ductilité et non par sa capacité à articuler des composants et des plans hiérarchisés. Le second mot, tatasthtâ, souvent traduit par « indifférence, impartialité », dérive du mot qui signifie « berge, rive, plage » (tat) : être « indifférent » veut dire être sur le bord, sur la ligne de séparation entre terre et mer, sur la limite qui divise deux espaces, et donc n’être ni ici ni là, être à la fois ici et là, au-delà ou en deçà de la division. Ce en quoi le détachement s’avère synonyme de non séparation, terme récurrent dans les diverses traditions mystiques, de la bhakti au soufisme. Le sadhou enfin, traduit par « renonçant », est étymologiquement celui qui s’accomplit et se parfait, sur la même base que les Siddha, les accomplis, ou la sâdhnâ, les pratiques de perfectionnement de soi du dévot (ascèse, adoration, effort soutenu en vue d’une réalisation : aucune traduction n’en rend vraiment compte). Le regard demandé dans la leçon de voir est un regard sîdhî, de la même base morphologique (direct, droit), mais aussi chargé de toutes les connotations de base. C’est ce regard qui ouvre sur la vision, darshan, laquelle est aussi voie philosophique, contemplation mystique et partage du caractère divin de la divinité contemplée. Et le yogi, le modèle du renonçant (Shiva étant le yogi suprême), c’est le praticien de yuj, base verbale qui signifie « unir, joindre ».

La culture comme empathie et non comme (auto) représentation objectivée et historicisée : une autre manière d’habiter temps et espace

Dans cet espace d’interrelationalité où rien n’est un centre organisateur et où le mouvement n’est pas linéaire, ce qu’on voit ne s’inscrit ni dans un cadre objectivé qui le démarque du je regardant, ni dans une temporalité téléonomique organisée à partir d’un commencement. N. Verma oppose à ce titre ce qu’il considère comme la philosophie occidentale (l’idéalisme classique) et ce qu’il appelle la vision traditionnelle. La première voit le corps comme une fenêtre, cadre grâce auquel l’âme peut voir le monde connaissable ; à l’inverse, dans la vision indienne :

La fenêtre est le monde comme elle est aussi l’âme, dont le corps ne se distingue pas. Et donc, quand je regarde par la fenêtre le même paysage inchangé d’arbres, de rivières, d’animaux que mes ancêtres ont vu des siècles avant moi, je ne suis pas un simple spectateur d’un « environnement », je suis dans et non à l’extérieur de ce que je vois, j’en fais partie, j’en suis indifférencié, et ce sentiment d’empathie me fait un avec le temps et avec le monde. Il y a une relation interne qui m’unit à tous les composants comme elle unit les composants entre eux, et cette unité spirituelle (ekâtmâ) entre celui qui regarde (drastâ) et le regardé (drishya) est un plus sûr garant de vitalité et de sympathie ou d’empathie (âtmîyatâ) que la fragmentation en segments distincts imposée par la vision occidentale entre homme et paysage[24].

Verma 1995 : 72

Avec la colonisation, le cadre d’une fenêtre est venu s’interposer entre moi et le monde, m’imposer la séparation d’avec le passé et l’univers :

Mais un moment est venu pour l’Indien – il y a deux siècles – où l’Inde a été exposée à l’Occident, avec la domination anglaise, qui a commencé à interférer sur notre mode de vie. Ce fut un moment d’une importance cruciale pour l’histoire de l’Inde, où le cours naturel et inconscient de notre vie se vit imposer une définition sur des critères historiques. La conséquence la plus dramatique de la colonisation ne fut pas tant dans notre esclavage économique et politique que dans l’historicisation de notre conscience qui pour la première fois se trouvait confrontée au tribunal du passé, du présent et de l’avenir […]. Ce processus de distorsion qui affecte l’intimité de la conscience indienne a récemment pris des proportions effrayantes du fait du développement aveugle du progrès industriel. La classe industrielle qui le contrôle en effet n’a cure de protéger un mode de vie si peu en accord avec les ambitions du progrès et de l’expansion commerciale. Là est la raison principale du malaise dans la civilisation dans l’Inde moderne : alors que nous avons conservé nos mythes, les rites et les croyances propres aux rythmes quotidiens de la vie traditionnelle, nous ne sommes pas parvenus à conserver une relation vivante et dynamique avec ce tissu, et ce qui en reste dans notre ère industrielle est de plus en plus flou, déformé, perverti.

Verma 1995 : 145 et sqq.[25]

Il est ainsi venu transformer en une autoreprésentation objectivée le sentiment diffus et plus ou moins inconscient d’appartenance à une culture, diffus et non articulé (non dicible) mais néanmoins identifiable comme mon « identité » (Verma 1995 : 70). Mon identité, là où (littéralement en hindi) je me reconnais et on me reconnaît (pahacân), c’est ce lien d’indivision avec mon habitat, dont la traduction par « environnement », même si on l’étend au sacré, en déforme le sens en faisant de l’individu un centre qui arbitre le monde.

La conception traditionnelle indienne va ainsi à l’encontre des cadres spatiotemporels supposés nécessaires à la narration comme au jugement, car elle met en question la notion même de catégorie, de limite distinctive et de frontière, thème qui revient avec insistance dans l’ensemble de l’oeuvre « philosophique » de Verma, notamment dans l’essai sur le temps et la création qui ouvre le recueil de 1995. Si la colonisation est pour lui la rupture suprême et unique, c’est qu’elle a substitué à un sentiment diffus d’appartenance empathique à la civilisation indienne une conception objective, historique, fondée sur des catégories spatiotemporelles objectivées. Elle a transformé cet être avec dans l’indivision de l’âme (ekâtmâ) en un mode de connaissance formaté sur la maîtrise du monde extérieur et non sur l’humble participation commune de toutes les composantes du monde, tout en gardant le même mot, sanskriti « civilisation, culture ». Sanskriti – comme sanskrit qui désigne la langue (de la base verbale « faire » KR, préfixé de sam-, ensemble, avec) – renvoie aux perfectionnements de soi. Pour la langue, c’est ce qui est bien fait, qui tient bien ensemble ; pour l’ethos, c’est ce qui fait de moi un manushya. Sanskriti ne correspond donc pas à un corpus passé, monumental ou immatériel, sur lequel se fonder et comprendre son histoire : le passé y est contemporain du présent et du futur.

Les sociétés spontanément traditionnelles n’ont nul besoin du passé. Mon sentiment d’appartenance à la culture indienne ne réside pas dans le simple fait d’appartenir à un segment de l’espace habitable qu’on appelle Inde mais aussi de vivre dans un temps tout englobant qui m’est intégralement contemporain. Ce que j’héritais était précisément cela que j’habitais : les images dont se souvient tout Indien pour trouver un sens à sa vie sont toujours celles de son habitat présent[26].

Verma 1995 : 70

Nirmal Verma revient sur l’inaptitude à séparer le passé du présent et du futur, trait typique de ce que d’aucuns considèrent comme conscience mythique, dans un passage consacré à la relation entre temps, mythe et réalité (1995 : 186-195). Il y critique la vision d’un temps vectorisé du passé vers le futur qui valorise le changement (nommé progrès), pour lui opposer un processus naturel, sans commencement ni fin, qu’il compare à une roue au mouvement infini. L’intrication du passé et du futur dans un présent sans fin, représentation qui est aussi celle de Gandhi, ne signifie pas que les catégories temporelles distinctives n’existent pas, mais qu’elles ne se distribuent pas sur un axe allant d’un commencement à une fin : leur mouvement se situe dans une fluidité globale, mouvement (gati) qu’on pourrait voir aussi bien comme une pause et où il n’y a plus de différence entre mobilité et immobilité. La roue qui le symbolise (et a la même étymologie que le rouet de Gandhi) est fixe dans son moyeu et bouge dans sa circonférence. Loin d’être un rêve, un jeu, ou l’apanage des populations préhistoriques, cette conscience du temps – celle-là même de la nature – caractérise toute l’humanité, passée et présente, dit N. Verma, mais a été largement effacé et refoulée par la conscience du temps historique. Refoulée mais non annihilée, elle reste enfouie dans l’intimité du moi, ou du ça, comme une mémoire évoquant le subconscient freudien[27], où la mémoire proustienne qui condense dans le présent éternel du temps retrouvé le flot des événements passés. Car c’est l’art qui dans les sociétés sans mythes remplit plus ou moins le rôle du mythe dans les sociétés traditionnelles.

Vus à cette lumière, les particularités stylistiques des romans de N. Verma, dépourvus de tous les mots savants des essais, dont je viens de commenter quelques-uns, prennent un autre sens : l’effilochement de l’intrigue, sans véritable commencement ni fin, comme le suremploi des imparfaits détemporalisés sont en rapport avec une perception du temps particulière. La création par les descriptions de ce « flou impressionniste » dont l’auteur a été loué ou blâmé vise aussi à mettre le lecteur dans cette attention flottante où s’élabore le voir vrai. En privilégiant les personnages qui représentent l’envers de l’acteur responsable et adulte, en organisant la progression narrative par vagues d’affects plutôt que par enchaînement de péripéties, sa petite musique donne une voix littéraire à ce qu’Ashis Nandy (1980) a appelé « l’esprit non colonisé ». Cet esprit refuse la vision du monde centré sur la supériorité du masculin sur le féminin, de l’adulte sur l’enfant, du rationnel sur l’affectif, de l’homme sur la nature ; s’il est aujourd’hui dominé par l’esprit colonisé (qui a le point de vue inverse en ces domaines, la culture occidentale y restant un centre organisateur), il n’a pas disparu. L’art moderne pour N. Verma, comme l’Indien moderne, est irrémédiablement divisé, portant en lui le douloureux conflit entre son appartenance traditionnelle à sa culture traditionnelle et sa « modernité » de colonisé puis de postcolonisé, une quasi schizophrénie dont N. Verma voit une image emblématique dans le Bharat Bhavan de Bhopal, musée qui met face à face l’art tribal et l’art avant-gardiste indiens. L’écriture romanesque, faisant de l’exploration de la mémoire une entreprise, non pas à remonter le temps, mais à rejoindre la conscience du temps absolu, est une manière de résorber cette schize, comme le montre la scène de la mort du petit chien Guinny, extraite de l’autre grand roman de N. Verma, Le toit de tôle rouge :

Et cette voix troublante, qui venait du tunnel, où se mêlaient menace, insistance, séduction, et quelque chose que je ne reconnus pas alors, mais que j’identifiai des années plus tard en fouillant dans mes souvenirs – une compassion sans limite, inhumaine, qui n’est ni de l’apitoiement ni de la douleur – qui ne tient à rien ni à personne, qui est quelque part entre mourir et tuer, une tempête de sable qui se lève, qui s’arrête...

[…] Je revois encore la scène, je peux m’en souvenir, me la répéter. Guinny était descendue jusqu’aux rails et s’était arrêtée, les pattes comme paralysées... Elle leva la tête en direction du tunnel, d’où venait cette voix qui l’attirait irrésistiblement – Guinny, Guinny, Guinny ! Elle était dans un état second, fascinée par la gueule obscure du tunnel, remuant les oreilles, fouettant les rails de la queue... Qui était-ce ? Qui pouvait bien l’appeler de l’autre côté du tunnel ?

Et moi j’étais debout, incapable de bouger, hypnotisée, vide, comme si cette voix était un appel du destin qui liait mes jambes aux pattes de Guinny. Et ni mes jambes ni ses pattes ne pouvaient bouger d’un millimètre. Puis il me sembla que quelqu’un criait, un hurlement monté des entrailles de l’être... Et je réalisai avec stupeur que ce cri, c’était le mien, que j’entendais de l’extérieur, comme s’il se déchirait lui-même. Bien qu’à présent il n’y eût plus aucun bruit, rien que l’éclat du soleil, qui illuminait jusqu’aux sommets lointains, et le silence, ce silence infini du ciel dans la montagne, rien que l’éclair du train, surgi du tunnel dans un fracas assourdissant, le grondement des roues, la locomotive qui crachait son épaisse fumée, comme si le tunnel avait vomi de son sein un serpent géant qui sifflait. Puis le train disparut de l’autre côté de la montagne dans un éclair aveuglant... Ne laissant rien derrière lui, juste un mouvement immobile, où il n’y a ni temps, ni mort, ni nuit, ni jour, juste une vie qui court entre les rails, une boule de laine, l’éclat d’une demie lune au vent, tachée de sang, qui n’est pas un souvenir, le souvenir d’avant qu’on se souvienne, et qui est devenu pour moi le rêve d’une nuit ancienne, un rêve auquel je revenais souvent, dans lequel je m’installais, attendais : la gueule béante du tunnel, d’abord la fumée, puis le bruit des roues, puis cet appel troublant de derrière les buissons, Guinny, Guinny... qui se changeait lentement en un chuchotement mourant.

Verma 2003 [1974] : 50-51

Cette scène, où s’élabore la réécriture d’un évènement traumatique, donne bien à entendre le travail d’écriture comme une mise en mots de cette mémoire d’avant le temps orienté, et s’entend particulièrement dans la réécriture des événements traumatiques, comme la mort de la petite chienne Guinny. Le présent d’éternité (et non narratif) y alterne avec l’imparfait détemporalisé pour amener l’adolescente à cette nuit essentielle, première, nuit dans laquelle le personnage de ce roman à la troisième personne se découvre « je », tout en s’absorbant dans un au-delà, ou en deçà, du moi désubjectivé.