Corps de l’article

Lors d’une conversation téléphonique avec Mike Peterkin et Aimee Powell (cris)[1], tous les deux employés à la commercialisation auprès de la chaîne Aboriginal Peoples Television Network (APTN), Peterkin disait : « les annonceurs achètent du nombre ». Les coûts se déterminent « par milliers », c’est-à-dire par milliers de personnes constituant le public de la chaîne, d’après les taux d’écoute. « Et si vous n’avez pas le nombre, ils n’achèteront pas [de temps publicitaire sur la chaîne] ». Ici, les variations des taux d’écoute sont déterminantes pour les annonceurs, qui décideront s’ils consacrent leurs budgets publicitaires à une chaîne plutôt qu’à une autre, et ce, à n’importe quel moment. Mais les cadres commerciaux d’APTN sont confrontés à bien d’autres défis qu’au seul problème d’accroître les revenus publicitaires de la chaîne. Les théories et les méthodes des entreprises de mesure des taux d’écoute (des médias audiovisuels), ainsi que les entreprises privées envisagent les publics selon une perspective de « masse ». En plus de distinguer certains publics et leurs comportements de visionnement correspondants au sein de la population dans son ensemble, ces entreprises de mesure des taux d’écoute émettent également des généralités au sujet des publics télévisuels. Elles considèrent les téléspectateurs comme des entités numériques, en les prenant implicitement comme des individus faisant des choix personnels, plutôt que comme construits par des processus culturels.

Le concours « Démasquez nos téléspectateurs/Nos téléspectateurs démasqués » d’APTN a déconstruit cette perspective méthodologique et théorique des entreprises de mesure des taux d’écoute et de l’industrie des médias en présentant des masques autochtones comme s’ils figuraient les peuples autochtones du Canada, à la fois pour signifier leur différence et pour remettre en question la notion même de public autochtone en tant que masse sans visage et indifférenciée. Le concours présentait l’idée d’un « nouveau public » (Mayhew 1997), en fonction de lignes sémantiques différentes qui contredisaient la notion de public de masse, en présentant différents phénotypes de téléspectateurs derrière les masques, et en y associant un étiquetage verbal et une information statistique différents. Pendant plusieurs années, APTN a utilisé ces masques dans un concours publicitaire pour mettre le doigt sur les stéréotypes accolés aux peuples indigènes/autochtones du Canada afin de faire réfléchir l’industrie télévisuelle canadienne sur ses téléspectateurs. Cet article[2] se fonde sur l’argument que ce concours a permis à APTN de jouer un rôle dans la deep democracy, selon l’expression de l’anthropologue Arjun Appadurai, soit la « démocratie en profondeur » qui s’efforce d’introduire ou de revivifier des principes démocratiques de manière à « évoquer les racines, l’ancrage, l’intimité, la proximité et la localisation » (Appadurai 2002 : 45)[3]. De telles pratiques, ainsi que les organisations qui en découlent, à l’instar d’APTN, constituent une extension des cultures des peuples autochtones (Hasteinsson 2012). Ce concours peut donc être vu comme un exemple de pratique, par APTN, de la démocratie en profondeur, qui consiste dans ce cas à conceptualiser les publics comme des « publics élargis », ce qui peut être considéré comme une façon de reconnaître « tout le spectre de la parole, de l’action et de la pensée relatives aux médias, ou qui sont orientées vers les médias » (Couldry 2005 : 196). Ce concours a également souligné l’argument indigène/autochtone voulant qu’il soit plus important – pour les gens qui veulent remettre en question ou changer les présupposés et paradigmes – de s’interroger sur qui sont les personnes qui constituent les publics plutôt que sur qui sont celles qui ont l’occasion de s’exprimer (Spivak 1990 : 59-60).

APTN et la démocratie en profondeur

Le lancement national de la chaîne Aboriginal Peoples Television Network en septembre 1999 a permis aux peuples autochtones du Canada de disposer de leur propre chaîne de télévision nationale, qui visait à partager les cultures et les langues autochtones avec les autres Canadiens non autochtones (Roth 2005). Elle visait également, ainsi que l’affirmait le directeur exécutif d’APTN, Jean LaRose, à « servir de pont culturel pour la compréhension entre les communautés autochtones et non autochtones » (LaRose 2006 : n.p.). Ayant pour mission de montrer la diversité des Autochtones du Canada, APTN s’efforce de représenter les nombreuses Premières nations, les Métis et les Inuit. Outre cet éventail considérable de groupes culturels et linguistiques, la chaîne essaie également de toucher des publics qui sont encore plus différenciés par le sexe, l’âge et le statut économique (Bredin 2010). Aussi, afin d’avoir une programmation abordant des sujets pertinents pour cet immense ensemble démographique autochtone, APTN achète et produit des films au contenu autochtone à partir d’une grande diversité de sources. Du fait de cette particularité, Roth affirme qu’APTN ouvre « des perspectives novatrices qui remettent implicitement en question celles qui sont présentées sur d’autres chaînes de télévision canadiennes » (Roth 2005 : 215). Cette innovation commence par le simple fait que, dorénavant, les peuples autochtones diffusent leurs propres histoires et leurs propres préoccupations, dans leurs propres langues et leurs propres images, dans un paysage médiatique canadien que les colonisateurs dominent depuis l’avènement des médias de masse.

Bien que la chaîne APTN soit retransmise par le biais des bouquets de base de la télévision par câble, générant des revenus d’abonnement de la part de plus de dix millions de ménages en 2010[4], elle vend également du temps publicitaire pour accroître ses revenus. Selon le bilan financier de 2006, les revenus publicitaires de la chaîne se montaient à 1,5 millions de dollars canadiens. Les cadres de la chaîne, ceux de la comptabilité autant que ceux de la publicité, ont déclaré qu’APTN devait vendre du temps publicitaire pour pouvoir remplir son mandat. Il n’a cependant pas été facile pour APTN de vendre du temps d’antenne, malgré son audience nationale. Selon ses cadres, le fait que les entreprises soient réticentes à y faire de la publicité tient à plusieurs facteurs. Au nombre de ceux-ci : le fait qu’APTN soit une chaîne spécialisée, qu’elle n’ait pas un bassin d’auditeurs adéquat et que les émissions diffusées dans des langues parlées par des populations relativement peu nombreuses aient une attractivité limitée. Cet article explore une autre raison de l’inertie des ventes publicitaires d’APTN, en examinant le concours « Démasquez nos téléspectateurs/Nos téléspectateurs démasqués », qui cible essentiellement la communauté des publicitaires, mais auquel d’autres groupes ont inévitablement été exposés. Ce concours constitue un exemple de la manière dont la démocratie en profondeur se présente au sein d’APTN : il est conçu de sorte à revivifier les principes démocratiques évoquant la diversité des racines autochtones, l’intimité des habitudes et des émotions ainsi que l’enracinement dans le lieu, tout en s’éloignant des politiques de propagande du paradigme de la culture de masse des publics de l’industrie télévisuelle du courant dominant.

L’anthropologue Arjun Appadurai a affirmé que de nouvelles formes politiques, apparues au cours des dernières décennies, ont sapé les formes colonialistes de gouvernement. Il a soutenu que ces nouvelles formes de pouvoir et de savoir-faire organisées sur le plan global ont redéfini les relations entre des lieux de plus en plus indépendants et les citoyens à l’intérieur de leurs frontières. Cela, affirmait Appadurai, a incité les localités les plus faibles et les plus pauvres à « rechercher de nouvelles manières de revendiquer un espace et une voix » (Appadurai 2002 : 24 ; voir aussi 2006). Selon celui-ci, le second de ces changements tient au rôle superflu des États-nations néolibéraux, les gouvernements ayant délégué des parties importantes de la gouvernance à des organisations non gouvernementales (ONG) et à des mouvements citoyens (Appadurai 2002 : 24). Enfin, le dernier changement est l’accroissement du pouvoir des ONG depuis la fin des années 1940, et l’augmentation correspondante des revendications sur le plan des droits humains, qui ont « conféré un puissant élan aux revendications démocratiques d’acteurs non étatiques à travers le monde » (ibid. : 25). Ces tendances ont, depuis les années 1970, mis en actes et vivifié certaines valeurs démocratiques au sein des États-nations néolibéraux, comme le Canada, et ont saisi l’avantage « de la rapidité des communications et du mouvement général des marchés mondiaux pour contraindre les gouvernements nationaux à reconnaître les principes démocratiques universels au sein de leur propre juridiction » (ibid. : 45). Portés par ce changement, les peuples indigènes ou autochtones ont eu de plus en plus accès aux technologies des médias et, en même temps, ont bénéficié de l’attention des chercheurs dans ce domaine, qui ont mis en lumière les principes démocratiques de leurs pratiques. Alia (1999, 2010), Daley et James (2004), Ginsburg (1995, 2000, 2002), Hafsteinsson et Bredin (2010), Marcus (1996), Petrey (2011), Philipsen et Markussen (1995), Prins (2002), Valaskakis (1992), Wilson et Stewart (2008), entre autres, ont mis en évidence que les peuples autochtones utilisent dorénavant les nouvelles technologies de l’information pour susciter des changements politiques, sociaux et culturels, en prenant l’initiative de se représenter eux-mêmes et d’aborder des questions comme celle de la démocratie en profondeur.

Appadurai plaidait que nous devons rechercher les principes démocratiques dans les valeurs et les stratégies autant des individus que des groupes, en prenant pour exemple Alliance, une organisation de Mumbai (Bombay), en Inde, qui agit pour les pauvres. L’organisme éduque les pauvres au sujet de leur propre situation, dans le but d’améliorer leur vie, leur environnement et, par conséquent, la vie des autres groupes de gens de Mumbai. Alliance est un organisme possédant des caractéristiques propres et dont les racines plongent dans la vie sociale et culturelle des gens qui le constituent. Sa structure organisationnelle, la manière dont agissent ses membres et la manière dont ils se connectent au monde au-delà de leur propre localité se définissent par leurs expériences vécues. Cela signifie qu’ils se « vouent à des méthodes d’organisation, de mobilisation, d’enseignement et d’apprentissage qui se basent sur ce que les personnes pauvres savent et comprennent déjà, car personne ne sait mieux comment survivre dans la pauvreté que les pauvres eux-mêmes » (Appadurai 2002 : 28[5]). Dans cette approche, la démocratie n’est pas quelque chose qui reste à découvrir, ni un objet possédant quelque chose de permanent ou d’intrinsèque (Saward 2003 : 22). La démocratie est plutôt un champ narratif (visuel et verbal) en émergence et, ainsi que le suggère l’idée de récit, les conceptions de la démocratie sont imparfaites et restent ouvertes (Saward 2003 : 32-33).

Dénombrement de la masse indifférenciée

Brigitte Olsen a avancé que le fait de qualifier certains groupes de minorités les rend numériquement inférieurs et leur donne le sentiment d’avoir un pouvoir réduit ou de bénéficier de peu de possibilités d’en obtenir (Olsen 2006). Les peuples autochtones du Canada ont été soumis, dans l’histoire tout comme aujourd’hui, à des critères de dénombrement par le biais du gouvernement fédéral, des institutions de bien-être social, des médias de masse et du grand public. Le critère du dénombrement se base sur ce qui est généralement perçu comme le résultat positif du nombre d’électeurs (Appadurai 1996 : 131) ; il est conçu, en fait, comme un système représentatif sur le plan démocratique, comme un ensemble de mécanismes justes et équitables ouvert à la large participation de tous (Lipschutz 2005 : 3). Cependant, ces exercices statistiques ont rendu les peuples autochtones invisibles et sous-représentés dans d’innombrables systèmes publics, y compris dans la politique et la télédiffusion. Dean Neu et Richard Therrien ont montré, par exemple, que le dénombrement a servi d’outil colonialiste au Canada, dans le but de contrôler, gouverner et assimiler les peuples autochtones à la culture des colons. Le pouvoir du dénombrement a été utilisé pour rationaliser et justifier un processus dans lequel les peuples autochtones ont progressivement été privés de leurs terres et du contrôle de leurs ressources, et dépouillés de leurs structures sociétales, de leurs institutions, de leurs cultures et de leurs langues (Neu et Therrien 2003).

Selon Karen Buzzard, les chaînes de télévision, les entreprises de mesure des taux d’écoute et les entreprises privées considèrent traditionnellement le public de la télévision comme une masse indifférenciée plutôt que comme un large spectre de gens (Buzzard 2002). L’emploi du terme « masse » échappe à toute définition précise, mais lorsqu’on l’emploie en conjonction avec les médias ou la culture, ou lorsqu’on l’associe à la consommation ou à la production, il intègre des significations associées aux grandes dimensions ou quantités. Raymond Williams a avancé que le terme « masse » fait fusionner quatre idées en une : tout d’abord, le grand nombre touché (la majorité des gens) ; deuxièmement, le mode de communication adopté (radio, télévision, film, imprimé) ; troisièmement, la présupposition du goût du public ou du consommateur, que l’on tient pour vulgaire ou ordinaire ; quatrièmement, la relation qui en résulte, qui aliène ou détache les gens des valeurs et du monde réels (Williams 1975). Selon de nombreux Autochtones interrogés au cours de l’enquête de terrain, l’illusion de l’existence d’une masse sert les objectifs de la politique officielle d’assimilation du gouvernement canadien. Cette politique faisait des peuples autochtones une masse critique qui n’avait pas réalisé qu’elle avait perdu ses terres, ses formes d’organisation sociale, ses langues et ses cultures au profit des Européens ! Par conséquent, les cultures, les sociétés et les langues autochtones étaient en voie de disparition et ils devaient admettre ce « fait » ; pour leur propre bien, il fallait qu’ils s’assimilent. En d’autres termes, l’idée même de public de masse est un « mécanisme d’exclusion » qui dissimule son particularisme derrières les idées universelles de « la masse » (Mouffe 2005 : 13).

Ces dernières années, des anthropologues et d’autres chercheurs en sciences sociales et en Cultural studies ont critiqué le fait que l’on conçoive le « public » en tant qu’entité unique et indifférenciée, masse mesurable attendant qu’on l’étudie. Au contraire, la relation que les individus vivent avec les médias s’avère beaucoup plus complexe que ne l’impliquent certaines théories précédentes (Moores 1993 ; Crawford et Hafsteinsson 1996 ; Bird 2003 ; Harindranath 2009). Malgré ces remises en question radicales de l’étude des publics (voir Morley 2000 ; Gauntlett 2005), l’industrie médiatique ainsi que les chaînes de télévision et les entreprises de mesure des taux d’écoute se fient toujours à la conception traditionnelle des publics et aux effets des médias sur ceux-ci (Dornfeld 1998 ; Tinic 2005).

Le concours « Démasquez nos téléspectateurs/Nos téléspectateurs démasqués » d’APTN a directement mis en évidence les insuffisances des entreprises de mesure des auditoires. Elles ne font aucune différence, dans leurs sondages, entre les peuples autochtones et non autochtones. Durant la période de cette étude, il y avait au Canada deux compagnies de mesure des taux d’écoute principales : Nielsen Media Research Canada et le Bureau of Broadcasting Measurement (BBM). Propriété d’agences de télévision et de publicité, BBM est un organisme à but non lucratif d’information sur la télévision, la radio et la consommation au service de chaînes de télévision et d’agences publicitaires depuis 1944. Créée en 1923, Nielsen Media Research Canada est de son côté une filiale de l’entreprise privée Nielsen Media Research, qui opère actuellement dans 38 pays. Nielsen fournit des informations sur les publics et les consommateurs à des clients très variés, y compris les stations de radio et de télévision, les agences et les planificateurs stratégiques du domaine de la publicité, les compagnies de disques, les éditeurs, les studios de cinéma, les distributeurs, les concepteurs d’expositions et les entreprises en ligne. En prenant des échantillons de population, les deux entreprises fournissent de l’information au sujet des publics des télévisions nationales et régionales, ainsi que sur des marchés locaux comme ceux de Vancouver, Calgary, Toronto et Montréal. Nielsen Media Research Canada recueille des données au moyen d’un service de mesure électronique du nom de « Peoples Meter », un appareil électronique inséré dans des postes de télévision individuels ; ils ne tiennent pas de comptabilité journalière parallèlement à ce système de comptage électronique. Cependant, BBM Canada évalue les marchés plus petits au moyen d’une comptabilisation quotidienne. En septembre 2006, Nielsen Media Research ne comptabilisait plus les taux d’écoute télévisuelle au Canada. Par contre, BBM et Nielsen Media Research recueillent toutes deux les taux d’écoute sur le plan national et dans des marchés locaux étendus au moyen de compteurs électroniques. En dépit de la similitude de leur nom, Nielsen Media Research ne contrôle ni ne possède BBM Nielsen Media Research, cette dernière étant une organisation distincte avec sa propre direction et ses propres opérations d’échantillonnage.

Au cours de l’enquête de terrain préalable à cet article, il n’a pas été possible d’obtenir une entrevue auprès de BBM Canada pour parler de ses opérations et de son approche des peuples autochtones[6]. Cependant, Nielsen Media a transmis mes interrogations à Paul Robinson, directeur du marketing et des communications, qui y a répondu par écrit. Ce dernier expliquait que Nielsen Media utilisait un « échantillon cible national » de 3 054 ménages et qu’il enregistrait en général un taux de réponse de 50 % de l’échantillon initial. Selon lui, les principales difficultés que présente la recherche sur les publics au Canada sont les fuseaux horaires multiples, le grand nombre de réseaux et de chaînes de télévision, les nombreux types d’équipement électronique des télévisions, les remplacements par les simulcast[7] américains et la faible taille de la zone mesurée (de nombreux segments de population étant éloignés et isolés). Bien que Robinson n’ait pas mentionné les différences au sein de la population et/ou les contraintes culturelles telles que la langue dans sa réponse initiale, il a souligné, lors de communications subséquentes, la tendance, au sein de l’industrie de mesure des taux d’écoute, à classer les recherches sur les « minorités » dans une seule catégorie. À l’entendre, cela se pratiquait, bien que les habitudes des téléspectateurs au sein des différentes cultures puissent être variées et mutuellement exclusives selon la langue. Il affirmait que :

Regrouper les habitudes des téléspectateurs sino-canadiens parlant le mandarin avec celles des gens qui parlent italien à la maison, cela ne risque pas d’être très instructif […]. [Utiliser la langue] comme marqueur d’unité ethnoculturelle pour les publics autochtones, et comme méthode de constitution d’un groupe assez important pour atteindre le seuil de l’échantillon requis pour mesurer distinctement ce groupe au sein d’un média de masse est problématique, car il n’y a pas de langue commune.

Paul Robinson, 8 mars 2006[8]

Bien que Nielsen Media Research fasse de la recherche sur les publics au Canada, cette entreprise – à l’instar d’autres entreprises de mesure des taux d’écoute – n’a actuellement aucun projet de recherche sur les consommateurs qui se focalise spécifiquement sur les téléspectateurs minoritaires. Au sujet de cette absence d’activité, Robinson répond :

Nielsen Media Research Canada n’inclut pas le Yukon, les Territoires du Nord-Ouest, le Labrador et les réserves indiennes. Pour les régions éloignées du Canada (qui ne sont pas des réserves), il y a deux raisons : l’accessibilité et, enfin, le coût. Les contrats de recherche avec l’industrie publicitaire télévisée excluent les régions éloignées de l’échantillon parce que le coût du recrutement de répondants dans ces régions est trop élevé et que les marchés sont eux-mêmes trop petits pour attirer nos clients qui font de la publicité dans les médias de masse. Ces coûts interviendraient lors du dénombrement, du recrutement et de l’entretien des employés dans ces territoires, et ces coûts seraient répercutés sur l’industrie de la télévision. Par exemple, de nombreuses régions éloignées ont de très faible densité de population et n’ont pas de routes, ou n’ont que des voies forestières ou minières que nos sondeurs devraient parcourir pour s’assurer qu’il n’y a pas de maisons. Il faut se souvenir que dans une zone d’échantillon, on ne peut pas simplement sélectionner une zone ou une communauté qu’on connaît et y aller, parce que cela rendrait l’échantillon moins aléatoire. La zone doit être choisie au hasard puis recensée – elle doit être parcourue et explorée physiquement pour s’assurer qu’elle correspond à la carte de l’échantillon. Aussi, dans ces situations, il faut traverser une immense région dans un terrain difficile, et le sondeur n’aura peut-être même pas d’endroit où se loger quand il s’y trouvera. Le coût et le temps nécessaires pour les régions éloignées seraient énormes, et il se pourrait même qu’on n’y découvre aucun nouveau ménage à ajouter au cadre, encore moins à l’échantillon. Ce serait une dépense gigantesque sans retour concret sur investissement pour les publicitaires et les diffuseurs, qui sont en fin de compte ceux qui paieraient pour cela.

Paul Robinson, 8 mars 2006[9]

Les entreprises de mesure des auditoires excluent les régions difficiles d’accès de leurs échantillons, car cela serait trop coûteux. De ce point de vue, les Autochtones et les autres personnes vivant dans ces régions ne sont pas « attractifs » pour les annonceurs, et les méthodes usuelles de mesure des taux d’écoute ne les incluent pas nécessairement. Par contre, les Autochtones qui vivent dans les régions qu’évaluent ces entreprises ont autant de chances que n’importe qui d’être inclus dans les échantillons et de voir évaluer leurs habitudes de téléspectateurs, sans être nécessairement identifiés comme Autochtones. Bien que les publics d’APTN ne proviennent pas exclusivement des régions ou des réserves auxquelles Robinson faisait allusion, le bassin du public de la chaîne est associé à celles-ci plutôt qu’à d’autres régions, plus densément peuplées, du Canada. C’est pourquoi les publics d’APTN peuvent paraître moins « attractifs » pour les annonceurs et les diverses agences. Mais même si les entreprises de mesure des auditoires peuvent faire preuve d’un certain intérêt pour les gens qui vivent dans ces régions et/ou qui s’identifient eux-mêmes comme autochtones, il ne s’ensuit pas pour autant qu’il leur soit facile d’obtenir les informations qu’elles désirent.

Le concours « Démasquez nos téléspectateurs »

Le concours « Démasquez nos téléspectateurs/Nos téléspectateurs démasqués » a été conçu et ciblé pour informer et renseigner la communauté des médias et plus spécifiquement les annonceurs publicitaires de la télévision au sujet des publics d’APTN. Les images et les slogans publicitaires employés ici ont été surtout utilisés sur des sites Internet, mais également dans d’autres contextes, comme dans les rues de Toronto, ce qui les a exposés à un plus grand bassin de spectateurs que la seule communauté des médias. Le concours a été publicisé sur Internet par l’intermédiaire de sites tels que Media in Canada[10] et dans la presse imprimée, dans des revues professionnelles tels que Strategy Magazine et Marketing Magazine. D’après des entrevues avec des cadres commerciaux autochtones du domaine de la télévision, le concours ciblait plus particulièrement une communauté d’environ 200 à 300 agents publicitaires à travers tout le Canada, dans des régions métropolitaines telles que Vancouver, Winnipeg, Ottawa, Montréal et Toronto. Ce groupe était « à 99,9 % non autochtone », selon l’une des personnes interrogées, et représentait des milliards de dollars dans le domaine de la publicité télévisée. Selon Mike Peterkin, directeur du secteur du développement d’APTN, le principe de base était que « personne ne sait rien des Autochtones » – et il faisait lui-même partie de cette catégorie avant de se joindre à l’équipe des cadres commerciaux d’APTN.

En 2006, 2007 et 2008, l’annonce du concours sur le site Internet comprenait une image d’ouverture portant le slogan « Démasquez nos téléspectateurs/Nos téléspectateurs démasqués », la liste des prix à gagner ainsi que de l’information sur la participation au concours. Les participants pouvaient s’inscrire au concours chaque jour et gagner quotidiennement des prix de 100 $. En plus de la description générale du concours lui-même, les participants pouvaient accéder à une liste de « Questions et réponses » au sujet de la chaîne et d’autres informations « rapides » au sujet de ses publics et de sa philosophie. Ce document d’information soulignait son mandat, à savoir, servir la diversité au sein des communautés autochtones et canadiennes. Par exemple, en 2008, une présentation factuelle mentionnait qu’APTN diffuse 85 % de contenu canadien en provenance de toutes les régions du Canada et qu’elle touche, en une seule chaîne nationale, davantage de groupes linguistiques que toute autre chaîne de télévision dans le pays.

Le concours abordait également certains mythes que peut entretenir la communauté des médias au sujet des publics d’APTN. Ces mythes sont énumérés dans un document intitulé « Sharing Our Stories with All Canadians » (Partager nos histoires avec tous les Canadiens), que l’on pouvait consulter sur le site Internet du concours[11], mythes tels que : « APTN n’attire pas un public important » ; « le public d’APTN est tellement réduit qu’il ne peut pas générer de taux d’écoute significatifs » ; « les taux d’écoute d’APTN ne représentent que le public autochtone » ; « les seuls téléspectateurs qui restent fidèles à APTN sont les peuples autochtones » ; et « les peuples autochtones représentent une niche de consommation réduite avec un faible pouvoir d’achat ». Ces mythes étaient ensuite confrontés aux informations statistiques obtenues auprès de BBM, l’agence de mesure de l’auditoire de la chaîne.

En septembre 2008, Mango Moose Media, une « agence de publicité-guérilla » basée à Toronto, a été partie prenante de la campagne « Démasquez nos téléspectateurs/Nos téléspectateurs démasqués » et l’a intégrée à ses publics potentiels. Pour évoquer cette campagne, le site Internet de Mango Moose Media déclare :

La chaîne de télévision des peuples autochtones retrouve ses racines : l’Aboriginal Peoples Television Network (APTN) et Mango Moose Media ont frappé un grand coup auprès de plus de 40 agences publicitaires en une semaine en conduisant avec classe deux Mini Coopers “habillées” pour l’occasion. Une équipe de quatre représentants portant des masques traditionnels autochtones a contribué à attirer l’attention sur cette chaîne à la programmation multiculturelle.

Mango Moose Media 2008

Des masques. Les gens… cultivés regardent APTN

Le concept du visage s’inscrit dans les systèmes culturels de différentes sociétés (voir Moore 1988), de même que les masques faciaux. Mais ces masques ont été recueillis et exposés en tant que marqueurs identitaires dans les musées et utilisés comme matériau de recherche sur l’identité (voir Tooker 1968 ; Synnott 1989). Des masques faciaux tels que ceux-ci sont en général perçus par les chercheurs comme « une technique de transformation de l’identité », du fait soit de la modification de la représentation, soit d’une extinction temporaire de l’identité. Pollock (1995) soutenait, par exemple, que les masques opèrent sur les manières particulières par lesquelles l’identité, ou la personnalité, s’expriment dans une culture donnée. Les masques dissimulent ou modifient ces signes d’identité qu’exprime l’acteur de manière conventionnelle, et sont porteurs de nouvelles valeurs qui « représentent la personne transformée ou une identité entièrement nouvelle. […] [L]es masques produisent un effet particulier en modifiant ces signes conventionnels, en nombre limité, de l’identité » (Pollock 1995 : 584).

© Ian McCausland, 2006, http://www.ian.ca
© Ian McCausland, 2006, http://www.ian.ca
© Ian McCausland, 2006, http://www.ian.ca

-> Voir la liste des figures

Les masques employés dans le concours « Démasquez nos téléspectateurs/Nos téléspectateurs démasqués » étaient représentatifs de l’identité publique des peuples autochtones en tant que masse indifférenciée, selon les personnes interrogées. L’objectif du concours était de révéler (démasquer) les téléspectateurs d’APTN et de montrer plus en profondeur quelles étaient les personnes constituant le public et, en particulier, le public autochtone. Deux niveaux de différenciation supplémentaires, au moins, entrent en jeu dans le fait de masquer et de démasquer, outre la composition des images. D’un côté, les masques utilisés viennent de trois régions géographiques différentes du Canada : la côte Ouest, le Nord et l’Est. Mais chacune de ces régions abrite différentes nations et différentes traditions relatives aux masques. Ces signes culturels spécifiques étaient liés au but ultime du concours, qui était de modifier l’identité publique des peuples autochtones aux yeux des non-Autochtones de la communauté des médias. Ici, les masques ont accru la diversification de la catégorie de l’indigénéité au sens large, et miné la notion communément admise voulant que les publics de masse soient tous les mêmes. En enlevant les masques des téléspectateurs d’APTN, et en montrant qui se cachait derrière en exprimant des émotions familières (un sourire, par exemple), les images publicitaires permettaient aux spectateurs de percevoir les niveaux multiples des identités et l’intimité à l’arrière-plan de chacune de ces images. Les identités n’étaient pas nécessairement « autochtones » au sens stéréotypé du terme, mais elles révélaient plutôt les possibilités de phénotypes multiples, à la fois autochtones et non autochtones.

Dans l’une des images, nous lisons que les publics d’APTN sont « cultivés » (cultured)[12]. Ce terme évoquant la « culture » pèse lourdement en contexte autochtone, car il renvoie aux stéréotypes des « sauvages » qui devaient être scolarisés et assimilés au courant dominant (Miller 1996). De même que les Autochtones, au niveau individuel, ont rejeté ces politiques paternalistes qui prenaient la forme d’une assimilation massive, les images employées dans ce concours suggèrent l’importance d’accepter leur point de vue quant aux termes « culture » et « cultivé ». C’est-à-dire que les Autochtones, en tant qu’individus et en tant que groupes, sont « tout aussi cultivés » que les autres publics médiatiques en tant que consommateurs de films hollywoodiens, de musique contemporaine, de casino et d’informations[13]. En ce sens, il serait erroné de concevoir ces images comme des exemples du « spectre de la tradition », comme une preuve de la nécessité impérieuse de se moderniser qui hante les peuples indigènes à travers le monde (Garcia 2005 : 143). Il serait tout aussi erroné de les comprendre comme des exemples de « mémoires-écrans » des peuples autochtones qui seraient déployées dans une tentative de « récupérer […] des récits et des histoires collectives » (Ginsburg 2002 : 40). Ces masques ne sont ni des « fantômes » du passé, ni des moyens de récupération car, au contraire, ils exposent une culture vivante qui trouve ses origines dans « “l’étrange proximité” des rencontres coloniales » (Ivison 2002 : 26), évoquant – en faisant irruption dans l’espace représentationnel – une vision différente du monde, de la terre, de l’organisation sociale, des pratiques culturelles et des individus. Les masques nous obligent à voir que les constructions théoriques au sujet de la « masse » en tant que foule « sans visage » trouvent leurs origines dans les cultures (Schiller 1978). Contrairement à l’expérience des Autochtones au niveau individuel, l’idée de « masse » est née de la même perspective théorique occidentale qui les a soumis à l’assimilation institutionnalisée.

La différence entre l’idéal de « démocratie en profondeur » d’APTN et la manière dont les entreprises de mesure des taux d’écoute se représentent les publics de la chaîne et l’importance de leur nombre est encore accentuée par Lise Lareau, présidente de la Guilde canadienne des médias (GCM), et Greg Taylor, ancien journaliste d’APTN et lui aussi membre de la GCM. En 2004, Lareau et Taylor avaient soumis au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) un rapport décrivant les idéaux, les réalisations et la vision d’avenir du réseau d’information d’APTN et de son département des affaires courantes. Ce rapport fut soumis au CRTC pour appuyer la candidature d’APTN au renouvellement de sa licence. Dans un chapitre sur les publics des émissions d’information d’APTN, Lareau et Taylor déclaraient :

Si, dans une communauté de 120 ménages, dix d’entre eux regardent à présent les informations sur APTN, cela signifie que toute une communauté dispose d’un noyau de gens connectés d’une nouvelle manière à la communauté autochtone élargie. Et si la même chose se reproduit dans 100 ou 200 communautés depuis qu’APTN est en ondes, c’est un signe de succès bien plus certain qu’une augmentation de 1000 ou 2000 téléspectateurs à Toronto ou à Regina. Si vous voulez examiner les chiffres, alors ce que vous devriez examiner, c’est le nombre de communautés qui ont dorénavant accès à la diffusion d’informations indépendantes par un média de masse grâce à l’arrivée d’APTN.

Lareau et Taylor 2005 : 15-16

La race. Les gens qui ont voyagé… regardent APTN

Une autre image est utilisée dans le concours « Démasquez nos téléspectateurs/Nos téléspectateurs démasqués » pour venir à l’appui de l’affirmation que les publics d’APTN « ont voyagé ». Le concept de race est sous-entendu dans cette affirmation, bien qu’il puisse n’y avoir à première vue que peu ou pas de lien. La connexion entre la supériorité raciale et le voyage est bien attestée dans l’histoire coloniale ; dans cette tradition, la race des « maîtres » blancs qui résidait en Europe a conquis d’autres races dans le monde entier. Les peuples autochtones, à l’instar d’autres groupes indigènes, sont toujours représentés comme des victimes des voyages des Blancs, représentation qui se laisse le mieux percevoir dans les images des peuples autochtones vivant dans les nombreuses réserves du Canada (dont le nombre avoisine les 3 000). Thomas Biolsi a avancé que la politique officielle de séparation géographique des peuples autochtones en Amérique du Nord a à la fois créé et entretenu l’idée que les peuples autochtones constituaient un problème racial, conception qui a influencé l’approche générale de leur gouvernance. Cette « technologie raciale » a enlevé les peuples autochtones à leurs terres et les a assignés à résidence dans des réserves (Biolsi 1995, 2004). Les membres du public d’APTN qui vivent dans des réserves sont « invisibles », non recensés et non comptabilisés par les agences de mesure des auditoires, ainsi que nous l’avons vu, et représentent un maillon faible en termes démocratiques. Tout comme les autorités de Mumbai n’ont qu’une vague idée du nombre d’habitants des bidonvilles et aucune idée de qui sont leurs habitants, de la manière dont ils vivent et se définissent eux-mêmes (voir Appadurai 2002 : 35), ceux qui cherchent à compiler des statistiques au sujet des publics autochtones d’APTN à des fins commerciales, publicitaires et de programmation sont confrontés à de semblables inconnues. Disposer de quelques connaissances sur les publics d’APTN serait « un puissant outil pour la pratique de la démocratie » (Appadurai 2002 : 36).

L’idée de personnes se dissimulant derrière les masques fait écho à une préoccupation du Centre de recherche-action sur les relations raciales (CRARR) de Montréal, qui a adressé une lettre de soutien à APTN au CRTC en 1998. Le CRARR évoquait spécifiquement la question de la race dans le domaine publicitaire, et affirmait que les publicités télévisées ne représentent pas les réalités multiculturelles et multiraciales de la société canadienne. En outre, disait-il, les annonces télévisées reflètent les structures de l’industrie qui pourraient devenir des barrières infranchissables pour les opérations d’APTN et qui mettraient les producteurs autochtones indépendants dans l’impossibilité de générer des revenus publicitaires. D’un côté, les principaux annonceurs « pourraient être réticents à inclure des acteurs et des mannequins autochtones dans les publicités ordinaires pour le public général » (CRARR 1998 : n.p.) ; et d’un autre côté, ces mêmes publicitaires ne conçoivent pas les individus autochtones comme des consommateurs de premier plan. Le CRARR insistait pour que le CRTC aborde ce problème bien connu de pair avec un autre, celui de « la résistance institutionnalisée [dans le marché fortement concurrentiel de la télédiffusion] à la diversité raciale et ethnoculturelle en matière d’emploi, de programmation et d’autres niveaux d’opération » (ibid.).

Les phénotypes derrières les masques n’étaient pas exclusivement autochtones, comme nous l’avons mentionné plus haut ; ils étaient, plutôt, représentatifs des bassins de téléspectateurs – indigènes autant que non indigènes – ce qui, visuellement, ne correspond pas nécessairement au phénotype autochtone et/ou blanc. Un Métis à APTN a déclaré que l’une des conceptions les plus erronées au sujet des peuples autochtones était qu’ils constituaient une « race » de gens. Il disait : « Si vous ne ressemblez pas à un Indien, vous n’êtes pas un Indien. Ou bien il faut que vous ayez une certaine apparence pour être un Autochtone ». Il concluait en disant : « Nous [les Métis] ne sommes pas une race de gens mais […] une nation de gens » (Greg Taylor, communication personnelle, 9 septembre 2005).

Conclusion

Au sein du mouvement mondial d’élargissement des marchés médiatiques, les peuples autochtones du monde entier ont de plus en plus accès aux nouvelles technologies de l’information. Les médias autochtones participent au nouvel ordre médiatique international et rivalisent pour s’y faire une place, négociant avec les nations coloniales et exprimant leurs préoccupations à l’aide des nouvelles technologies. Les médias autochtones sont considérés comme « une nouvelle dynamique » des mouvements sociaux et peuvent être perçus comme des voix critiquant les « déficits démocratiques » des médias du courant dominant (Carroll et Hackett 2006 : 83), qui contribuent à entretenir, au niveau mondial, le sentiment de l’importance des pratiques démocratiques (Ginsburg 2000 : 46). APTN n’opère pas en fonction d’un modèle de télédiffusion « sans voix » qui diffuserait ses messages indifféremment à des publics autochtones et non autochtones en tant que catégorie unique et indifférenciée, mais a plutôt reconnu et valorisé les différences entre ses publics cibles, qui sont des individus autochtones et non autochtones. La conception de la diversité des publics d’APTN sert une fonction démocratique qui démasque la complexité de ce qui fait « l’indigénéité », le « contenu autochtone » et « les publics » au Canada. APTN semble croire que concevoir ainsi ses publics sert une fonction démocratique plus profonde, au-delà du simple fait de générer des revenus publicitaires. La différence entre les intentions démocratiques d’APTN et les objectifs des entreprises de mesure des cotes d’écoutes, ainsi que la manière dont elles conceptualisent leur audience et l’importance de celle-ci en termes de nombre ont également été explorées. Bien qu’APTN use de moyens conventionnels pour accroître ses revenus publicitaires et sa part sur le marché de la publicité, cela ne signifie pas nécessairement que ses intentions s’arrêtent là. Pour une chaîne qui travaille consciemment sur les racines autochtones, l’intimité des habitudes et des émotions, et le local, il paraît nécessaire de recourir à des mesures plus profondes pour accomplir la tâche qu’elle s’est donnée, servir de « pont culturel pour la compréhension » (LaRose 2006 ; Hafsteinsson 2012). En examinant le concours « Démasquez nos téléspectateurs/Nos téléspectateurs démasqués », nous avons vu comment les peuples autochtones utilisent les pratiques télévisuelles comme des outils pour soutenir les cultures indigènes (Bredin 2004 ; Hafsteinsson et Bredin 2010). Un tel soutien repose sur des questions de diversité plutôt que sur un ensemble unique de valeurs et de normes inscrits dans la notion de public de masse.