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Cet ouvrage est issu de la conférence « Audiovisual Media and Identity in Southeastern Europe – Exploring New Approaches to Southeastern European Society and Culture », organisée par la Martin-Luther-University (Allemagne), qui s’est déroulée du 8 au 10 avril 2010. Il interroge la réalité et l’emploi des médias audiovisuels en Europe du Sud-Est au travers d’une méthodologie interdisciplinaire. Ainsi, Eckehard Pistrick, post-doctorant en ethnomusicologie et associé au CREM (Centre de recherche en ethnomusicologie), Nicola Scaldaferri, chercheur en ethnomusicologie à l’Université de Milan et à la fois fondateur et directeur du LEAV (Laboratorio di Ethnomusicologia e Anthropologia Visuale) et Gretel Schwörer, professeur en ethnomusicologie à la Martin-Luther-University, marquent de leur spécialisation cet ouvrage. Son premier aspect concerne les chercheurs universitaires et porte sur l’utilisation des médias audiovisuels au sein de leur champ d’études. Un second observe l’emploi des médias audiovisuels à travers la construction des appartenances et des identités dans les communautés de l’Europe du Sud-Est, notamment par l’étude de cas grecs, bulgares, romains, serbes, albains et slovènes. Les directeurs de l’ouvrage ont tenu à cibler cette région du monde reconnue par l’Europe de l’Ouest pour l’usage politisé qui est fait des médias audiovisuels et oraux (chants traditionnels, lamentations) au sein des programmes politiques, culturels et raciaux. L’image de l’Europe du Sud-Est a été particulièrement marquée par les éléments sociohistoriques des dernières décennies. Les médias ont subi de profonds changements, en raison notamment de leur instrumentalisation durant l’occupation des régimes socialistes et postsocialistes. L’utilisation singulière de la photographie et de l’enregistrement sonore fait l’objet d’une attention particulière par les auteurs.

Audiovisual Media and Identity Issues in Southeastern Europe, qui rassemble au total vingt chercheurs, professeurs ou professionnels en anthropologie sociale, ethnomusicologie, musicologie, photographie et communication, propose une approche nouvelle des médias grâce à une double perspective : celle des chercheurs du milieu détenant une « insider view » avec des chercheurs extérieurs apportant leur « outsider view ». Cette combinaison de chercheurs issus de l’Europe du Sud-Est (Hofman, Karamanic, Panopoulos, Rombou-Levidi, Toncheva) et de l’Europe de l’Ouest (Anagnostopoulos, Bonini Baraldi, Defrance, de Rapper, Durand, Ferrarini, Hemming, Livni, Marchetti, Milic, Pistrick, Maria Pusceddu, Scaldaferri, Schwörer, Suber) permet à la population locale d’exprimer son point de vue.

Pistrick s’intéresse pour sa part à l’évolution de l’utilisation des médias dans les communautés, qui passent d’un statut d’outil importé au statut d’outil de découverte, d’autoreprésentation et d’autopromotion. Scaldaferri y développe quant à lui sa pensée selon laquelle les médias, toujours subjectifs, permettent de fortes interactions, des implications émotionnelles et deviennent ainsi des outils pouvant façonner et transformer les objectifs de recherche.

La première partie aborde l’utilisation et l’apport des médias au sein de la recherche universitaire. La ligne directrice des auteurs conduit à un argumentaire double sur l’emploi des médias audiovisuels. D’une part, les médias contraignent les participants, leur impose une forme, des outils jusque-là inconnus, et déséquilibre l’univers culturel par la production de représentations exotisées et reproductibles. D’autre part, les auteurs soulignent l’apport des médias dans la revendication et la sauvegarde de l’héritage culturel, pouvant même faire profiter le développement touristique de la région. Ils abondent alors tous dans le sens d’une collaboration entre chercheurs et participants, permettant à une relation égalitaire et équitable de s’instaurer.

Dans la seconde partie de ce volume, l’Europe du Sud-Est est présentée comme un laboratoire de recherche où les chercheurs étudient la réalité des médias audiovisuels à l’intérieur du processus identitaire au niveau individuel, local et national. Les auteurs démontrent ici que l’utilisation des médias a parfois des conséquences sur les populations locales qui constituent le sujet de ces photographies ou vidéos. S’apparentant à une perspective anthropométrique, les médias employés par des touristes ou des étrangers participent à une représentation biaisée de ces populations, souvent teintée d’un goût pour l’exotisme et le primitif. Il est aussi souligné que lorsqu’ils sont gérés par les populations locales, les médias audiovisuels permettent une affirmation identitaire relevant un passé ou un présent significatif ancré dans une autoreprésentation. Parfois, cette lutte se joue entre les civils et les institutions gouvernementales au sein d’un même pays, qui tous offrent une vision particulière de l’histoire et de la mémoire des individus représentés.

Toujours présentées à travers l’oeil du chercheur-auteur, ces expériences de terrain amènent à de nouvelles connaissances sur les médias audiovisuels en Europe du Sud-Est. Elles interpellent tant le lecteur néophyte que le chercheur avéré dans un domaine connexe. Dans un langage universitaire accessible, les auteurs ont su conduire une recherche riche et savamment présentée. Ce livre constitue ainsi un ouvrage pertinent et empreint d’un désir de justesse à l’endroit de ses collaborateurs et interlocuteurs. Audiovisual Media and Identity Issues in Southeastern Europe est donc basé sur cette coopération entre chercheurs d’origines différentes ou entre chercheurs et participants et, comme le rappelle Nela Milic : « Quand les gens construisent et co-construisent activement leur propre réalité sociale, de multiples perspectives du monde émergent : il n’existe pas de vérité unique » (p. 323).