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Dans S’entreprendre avec ses gènes. Enquête sur l’auto-génétisation, Pascal Ducournau nous fait découvrir l’univers de l’autotest génétique dont le développement soulève des enjeux socioanthropologiques importants. Des centaines de tests génétiques différents sont aujourd’hui commercialisés sur Internet, sans prescription médicale, par des dizaines d’entreprises proposant deux types d’offres : des tests génétiques relatifs à la santé, affichés comme permettant de découvrir certaines prédispositions génétiques au déclenchement de maladies ou au développement de certains comportements, et des tests génétiques dits « d’ancestralité », offrant aux individus de découvrir « leurs origines ». Au-delà des controverses liées à l’encadrement juridique de ces tests en accès libre et à la scientificité des données produites et transmises directement à l’utilisateur qui sont abordées dans l’ouvrage, Ducournau interroge l’originalité de ce mouvement d’auto-génétisation (par référence à la période de « génétisation » décrite il y a 30 ans par Abby Lippman) qui met en avant de « simples profanes » en quête d’informations, semblant s’autonomiser, se tenant à distance des institutions sanitaires traditionnelles auxquelles ils ne sont désormais plus obligés de faire appel pour obtenir des renseignements concernant leurs caractéristiques génétiques.

Alors que peu de données sont disponibles sur le sujet dans la littérature, l’enquête réalisée par Ducournau s’appuie sur un matériau varié composé d’une trentaine d’entretiens avec des personnes ayant acheté ces tests, de plusieurs entretiens avec des généticiens et d’observations effectuées sur les sites Internet des entreprises ainsi que sur des blogues et forums dédiés. L’auteur se base sur la variété du matériau recueilli pour contextualiser tout d’abord l’expérience de l’autotest en présentant notamment les entreprises concernées et le marketing « santéiste » qu’elles mobilisent pour convaincre les acheteurs potentiels. Dans les chapitres suivants sont exposés et discutés les motifs avancés par les utilisateurs pour recourir à ces tests génétiques ainsi que les manières dont ces « pratiquants de l’autotest » interprètent et accueillent les résultats.

Le recours aux « tests d’ancestralité » traités dans le chapitre deux relève d’une volonté de compléter ou de vérifier son arbre généalogique et plus généralement de rechercher son « origine ethnique et géographique » dans ses gènes. La découverte des résultats génère parfois un sentiment d’appartenance à un groupe présentant des caractéristiques génétiques similaires du point de vue des origines, sentiment d’appartenance qui peut se traduire par la constitution de véritables communautés virtuelles établies sur la base de blocs de gènes que ces individus auraient en commun, un Facebook de la génétique en quelque sorte, pour reprendre les mots d’une utilisatrice citée dans l’ouvrage. Ducournau en vient à faire l’analyse d’une génétisation de l’identité en ce sens que les marqueurs sociaux de l’identité semblent s’effacer derrière la génétique qui ferait désormais figure d’« instance de vérité sur les problématiques d’identité » (p. 134).

Dans le chapitre suivant sont abordés les autotests génétiques relatifs aux questions de santé. Chez les utilisateurs, les justifications du recours à ces tests sont diverses. De la volonté d’obtenir des prévisions sur leur santé future au souhait de vérifier qu’ils ne sont pas porteurs de gènes associés à une maladie héréditaire grave, en passant par le désir de participer à ce qui peut être perçu comme un mouvement de démocratisation de la santé, l’auteur fait la description d’utilisateurs qui cherchent à s’investir de manière active dans la gestion de leur santé. Il est à noter qu’il s’agit là d’un investissement pour sa santé démédicalisé dans le sens où ces individus contournent le corps médical et les institutions traditionnelles. Mobilisant les concepts développés par Michel Foucault, Ducournau se demande si ce mouvement d’autogénétisation s’inscrit dans le cadre d’une biopolitique alors même que les institutions en semblent absentes, tel un prolongement moderne de gouvernement de la vie qui conduirait à une responsabilisation accrue des individus. L’auteur défend l’idée selon laquelle la génétique serait entrée dans une nouvelle ère, post-biopolitique, qu’il qualifie de « bio-management » afin de mieux rendre compte des logiques contemporaines soutenant le développement de ces autotests génétiques.

Finalement, l’intérêt de cet ouvrage est double. Il permet tout d’abord d’apporter un éclairage nécessaire sur un objet émergent, l’autotest génétique, qui touche tout autant aux questions d’identité que de santé. Les chercheurs s’intéressant à ces problématiques trouveront dans cette enquête des données nouvelles permettant d’éclairer d’une perspective socioanthropologique le développement d’un tel service. Sur le plan théorique, l’un des apports essentiels de l’ouvrage réside dans la réflexion sur des problématiques biopolitiques : à l’aune des résultats de son enquête, Ducournau propose, avec le concept de « bio-management », une analyse originale des formes modernes de gouvernement de la vie. Cette proposition ne manquera pas de susciter un débat parmi les chercheurs qui étudient les logiques contemporaines d’administration de la santé des populations.