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Depuis le début du XXIe siècle se profile un phénomène nouveau : le vieillissement de la population séropositive. Cela est dû à trois facteurs : l’avancée en âge des personnes atteintes grâce aux trithérapies ; le ralentissement de la transmission du virus chez les moins de 50 ans ; la faible augmentation de la contamination chez les plus de 50 ans. Le sociodémographe Maks Banens et ses six collègues (un sociologue, deux psychologues et trois anthropologues) contribuent à un objet de recherche peu étudié. Vieillir avec le VIH est organisé en dix chapitres qui laissent transparaître un travail d’équipe, bien que la disparition de Rommel Mendès-Leite (1958-2016), coordinateur initial de la recherche (voir Mendès-Leite 2016), ait perturbé l’aboutissement de ce projet scientifique. Ce rapport de recherche est destiné au commanditaire de l’enquête, le Comité de coordination régional de lutte contre le VIH (COREVIH) de Lyon–Vallée du Rhône, mais aussi plus largement aux professionnels de la santé et aux accompagnants des personnes séropositives vieillissantes.

Les chercheurs interrogent le vécu de la maladie lors du vieillissement par le biais des relations familiales et professionnelles, des traitements et des effets sur le corps, de la sécurité financière et du vécu intime de la maladie. Pour répondre à ces questionnements, une méthodologie sociologique a été employée dans la région lyonnaise (France) : 127 personnes ont répondu à un questionnaire (dont 80 étaient des individus de plus de 50 ans) et 45 entretiens ont été menés avec des personnes atteintes du VIH (13 femmes et 32 hommes). Il est intéressant de noter la relative jeunesse des enquêtés séniors. Puisque le VIH induirait un vieillissement prématuré chez l’individu de 10 à 15 années par rapport à la population générale (p. 133), les « séniors » ciblés dans cette recherche ont 50 ans et plus.

L’analyse repose sur une catégorisation en sous-populations d’enquête selon des facteurs sociodémographiques. Les possibilités de traitement des données étaient nombreuses. On notera que les résultats de l’enquête ont conduit à privilégier des pistes explicatives reposant principalement sur le sexe — binarité femme/homme sans considération du genre — et l’orientation sexuelle des individus enquêtés. Cette lecture analytique tend à mettre parfois en retrait l’hétérogénéité socioéconomique au sein de ces catégories, et conduit même à délaisser très largement les aspects de l’ancienneté du diagnostic et du moment de la vie auquel celui-ci est survenu.

L’accompagnement des individus vieillissant avec le VIH est étudié à travers le prisme des relations familiales (chap. 5). D’autres types de sociabilité ne sont pas pris en compte (amis, voisinage), et l’intervention de professionnels du soin et de l’accompagnement à domicile non plus. Les séniors (ici malades) sont finalement considérés dans cette enquête comme des « individus à risque de désocialisation », approche qui soulève des questions dans le champ des études sur le vieillissement (ageing studies).

En matière de relations professionnelles (chap. 6), les personnes séropositives ont souvent fait le choix de cacher leur maladie et les effets des traitements, car elles estimaient que l’annonce aurait des conséquences néfastes sur le maintien dans l’emploi et les relations de travail. Cet aspect renvoie aux représentations sociales négatives du VIH, notamment à des pratiques sexuelles et aux déviances. Des individus contaminés tardivement n’ont pas eu ce genre de questions à se poser, car la fin de carrière approchait.

Enfin, quelques analyses (chap. 8 et 9) du vécu, notamment corporel, de la maladie sont proposées. Le corps douloureux renvoie au fait que les médicaments qui permettent de vivre avec le VIH peuvent impliquer d’autres pathologies ; le corps monstrueux est lié à l’effet secondaire de la lipodystrophie ; et le corps vieilli peut brouiller les pistes de ce qui relève de la maladie et du vieillissement (p. 124-129). Il serait intéressant d’approfondir le lien entre les vécus de la maladie d’une part et l’ancienneté du diagnostic et le moment de la vie auquel a eu lieu cette annonce d’autre part, sans limiter ces analyses aux seules femmes.

Pour les recherches anthropologiques, il aurait été intéressant que les auteurs s’appuient plus largement sur les études en sciences humaines et sociales sur la vieillesse et le vieillissement et sur les travaux relatifs aux vécus des maladies chroniques. La logique explicative de cette étude laisse de la place pour d’autres recherches qui s’intéresseraient au vécu du vieillissement avec le VIH dans une approche compréhensive (herméneutique), à la façon des travaux précédents des auteurs (voir Mendès-Leite et Banens 2006). Simultanément, il s’agit de reconnaître que ce travail est une recherche appliquée, adressée aux acteurs de l’accompagnement des personnes vivant avec le VIH. Avec cette enquête sociodémographique, les auteurs tentent de dessiner les contours de ce phénomène nouveau et destinent leurs résultats à la communauté scientifique (connaissance), au grand public (reconnaissance) et aux politiques publiques (action).