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Selon la Cour suprême du Canada, « [l]a Constitution d’un pays est l’expression de la volonté du peuple d’être gouverné conformément à certains principes considérés comme fondamentaux et à certaines prescriptions qui restreignent les pouvoirs du corps législatif et du gouvernement[1] ». Issue du processus confédératif, la constitution canadienne exprime une entente entre ses membres constitutifs qui est non seulement reflétée dans l’organisation structurelle du pouvoir, mais est aussi basée sur des principes et prescriptions qui rassemblent ces membres au sein d’une même communauté politique. Établis par les élites politiques, ces principes représentent ce qu’Arendt Lijphart appelle le « consensus minimum » nécessaire pour que les membres se rassemblent sous un même régime politique de façon pacifique[2]. Cet architecte de la théorie de l’accommodement des élites politiques souligne que ces derniers participent à légitimer un régime politique par le biais de récits qui font adhérer les membres à une communauté politique partagée. Comme le rappelle Peter Russell, la légitimité des récits de fondation ne dépend pas de leur exactitude historique, mais de leur capacité d’établir des principes qui unissent les membres sous un même régime politique[3].

Dans l’affaire Caron-Boutet en 2015, la Cour suprême du Canada a réitéré que « les droits linguistiques constituent un point important » dans les pourparlers qui ont mené à la Confédération en 1867[4]. La décision Caron-Boutet souligne que les droits linguistiques ont continué à revêtir une grande importance dans le projet confédératif, notamment lors des négociations menant à l’annexion des territoires qui deviendront éventuellement la Saskatchewan et l’Alberta. Alors que les droits linguistiques étaient au coeur du discours des élites politiques de l’époque, les jugements majoritaire et minoritaire arrivent à des conclusions différentes sur l’effet de ceux-ci. Dans leur jugement majoritaire, les juges Cromwell, Gascon, Karakatsanis, McLachlin, Moldaver et Rosthein soutiennent que la promesse des droits linguistiques ne bénéficie d’aucun statut constitutionnel. Selon l’opinion dissidente des juges Abella, Wagner et Côté, cette promesse jouit d’un statut constitutionnel qui reflète l’« importance extrême » que la population des territoires de l’époque attribuait aux droits linguistiques[5]. Étant donné ces interprétations divergentes, comment déterminer la place que la promesse de droits linguistiques occupe au sein du pacte confédératif ?

Pour nous aider à répondre à cette question, il est utile de faire la distinction entre la dimension descriptive et normative du pacte. Comme l’explique Sébastien Grammond, la première sert à décrire les étapes qui ont mené à la création d’un régime politique, tandis que la deuxième se sert des moments de fondation pour légitimer ce régime[6]. Au-delà de leur caractère descriptif, les récits de fondation contribuent à produire des références identitaires, voire un consensus minimum, qui incitent les membres à adhérer au nouveau régime. Par conséquent, l’envergure et le sens du pacte confédératif évoluent avec l’adhésion de nouveaux membres – un constat reflété dans les événements qui mènent à l’expansion de l’État canadien ainsi que dans les récits de fondation.

Dans ce texte, nous soutenons que les droits linguistiques s’inscrivent comme fondement normatif du pacte confédératif – nonobstant leur statut constitutionnel. Dans la première partie, nous nous appuyons sur les preuves présentées par les appelants dans l’affaire Caron-Boutet pour retracer les négociations entre les représentants des territoires et du gouvernement canadien lors de l’expansion de l’État canadien vers l’Ouest. En mettant l’accent sur la place des droits linguistiques au sein de ces négociations, nous démontrons que la promesse de droits linguistiques fait partie du consensus minimum qui mène à l’expansion pacifique de l’État canadien vers l’Ouest et s’inscrit ainsi comme fondement normatif du pacte confédératif dans l’ensemble des territoires où se situent aujourd’hui l’Alberta et la Saskatchewan.

Dans la deuxième partie, nous explorons ce qui advient de la promesse de droits linguistiques dans les années qui suivent la Confédération à partir d’une analyse qualitative du discours de leaders francophones. Nous limitons notre analyse à la province de la Saskatchewan où la promesse de droits linguistiques demeure au coeur des revendications juridiques et politiques malgré l’imposition d’un régime anglo-dominant[7]. Dans la troisième partie, nous analysons l’écart entre les jugements majoritaire et minoritaire dans l’affaire Caron-Boutet à la lumière des interprétations du pacte confédératif présentées en première et deuxième parties. Nous constatons que le récit politique et juridique majoritaire tel qu’exprimé dans l’arrêt Caron-Boutet demeure ancré dans la perspective anglo-dominante du pacte confédératif.

Pour souligner le rôle des élites politiques dans l’établissement du compromis qui mène à l’expansion du Canada vers l’Ouest et pour rappeler le contexte d’instabilité politique dans le cadre duquel se conclut le pacte confédératif canadien, nous situons notre analyse dans le cadre théorique de l’accommodement des élites. Comme le soutient Donald Smiley, la création d’une nationalité politique canadienne par le biais du processus de la Confédération est en grande partie une réponse aux circonstances économiques, politiques et sociales de l’époque[8]. Les visées expansionnistes des États-Unis créent un sentiment d’urgence auprès de l’élite politique de l’Amérique du Nord britannique d’établir un régime politique fort et stable[9]. À la suite de négociations à Québec et à Charlottetown, les principaux architectes de la Confédération canadienne – George-Étienne Cartier, John A. Macdonald, Alexander Tilloch Galt, George Brown, William McDougall et Oliver Mowat – acceptent de s’unir sous un régime politique commun. Ils s’engagent à « résoudre les difficultés actuelles » et à « assurer la coopération extérieure qui sera nécessaire pour permettre à toute l’Amérique du Nord de s’unir dans un même parlement général[10] ». Les recherches effectuées dans le cadre de la cause Caron-Boutet offrent un portrait plus complet de l’entente qui mène à cette union en introduisant des preuves qui mettent en lumière une perspective jusqu’alors marginalisée du récit de fondation, soit celle de l’élite francophone de l’Ouest de l’époque.

Selon Neal McLeod, le discours minoritaire se voit marginalisé, de façons conscientes et inconscientes, par des individus qui n’ont pas intérêt à remettre en question les pratiques de la majorité anglo-dominante. Dans son « paradigme de l’expérience vécue », McLeod propose d’inverser les critères de légitimité d’interprétation de façon à mettre en valeur le contexte historique, politique, économique et social dans lequel se situe la minorité[11]. Ce texte met en lumière la perspective minoritaire de l’élite francophone pour mieux comprendre le rôle que joue la promesse de droits linguistiques au sein du pacte confédératif.

Les droits linguistiques comme promesse constitutive du mouvement d’expansion vers l’Ouest

Dans sa quête d’expansion territoriale, le Canada cherche à annexer la Terre de Rupert et le Territoire du Nord-Ouest, alors sous le contrôle de la Compagnie de la Baie d’Hudson[12]. Afin de prendre le contrôle administratif de ces territoires, le Parlement du Canada demande à la Reine d’Angleterre « d’unir la Terre de Rupert et le Territoire du Nord-Ouest au Dominion » et s’engage à faire respecter les « droits acquis » des personnes qui y sont installées dans l’Adresse de 1867[13]. Les démarches pour annexer ces territoires s’effectuent sans la consultation de la population locale qui se mobilise en guise de protestation. Sous le leadership de Louis Riel, un gouvernement provisoire est établi dans la colonie de la Rivière-Rouge, le centre économique et politique des prairies[14].

Le gouvernement provisoire identifie les conditions auxquelles la population accepterait de se joindre au Canada. Ces conditions incluent une reconnaissance explicite de leurs droits linguistiques avant l’entrée des territoires dans la Confédération canadienne. Dans une liste de droits envoyée à des représentants du gouvernement canadien en novembre 1869, la population locale réclame le bilinguisme législatif et la nomination de juges bilingues[15]. Le gouvernement canadien, qui désire assurer la stabilité politique dans la région, envoie des représentants pour répondre aux demandes du gouvernement provisoire.

Devant une foule rassemblée au Fort Garry, le centre administratif de la région qui avait été pris par Riel et ses compagnons, le commissaire spécial du Canada, Donald Smith, confirme que le bilinguisme législatif serait maintenu et protégé au sein d’un Canada uni[16]. Il rassure la population assemblée que la demande de bilinguisme législatif « est tellement évidente qu’il ne fait aucun doute qu’on y pourvoira[17] ». Ce discours fait écho dans les échanges entre les hauts fonctionnaires canadiens. Par exemple, le secrétaire d’État aux affaires provinciales du Canada confirme dans une lettre adressée au lieutenant-gouverneur des territoires que les droits civils et religieux des habitants ainsi que les conventions qui leur avaient été accordés par la Compagnie de la Baie d’Hudson seraient protégés après l’annexion des territoires[18].

Comme le rappelle Lijphart, la stabilité politique exige un consensus minimum entre les élites pour faire adhérer la population au régime politique. Dans le contexte de l’époque, les élites politiques du gouvernement canadien reconnaissaient le besoin d’établir un certain consensus pour garder la paix dans les territoires[19]. Les représentants du gouvernement canadien cherchent à apaiser les craintes des habitants et à assurer la stabilité politique de la région en promettant de protéger leurs droits au sein d’un Canada uni. L’article 23 de la Loi de 1870 sur le Manitoba, qui admet le Manitoba à titre de province du Canada, établit une exigence de bilinguisme législatif et judiciaire en plus de répondre à plusieurs des autres demandes du gouvernement provisoire.

Presque aussitôt faites, ces promesses sont délaissées par le gouvernement canadien – un fait confirmé par la Cour suprême du Canada en 2013 : « Ces promesses avaient pour but d’assurer aux Métis et à leurs descendants une place permanente dans la nouvelle province. Malheureusement, les Métis n’ont pas vu leurs attentes devenir réalité et ils se sont dispersés devant la colonisation massive qui a marqué les décennies suivantes[20]. » Plutôt que de laisser aux habitants le soin de se gouverner conformément à ce qui avait été convenu entre les élites politiques, le gouvernement canadien expédie plus de 1200 soldats à la Rivière-Rouge en 1870. Ceux-ci menacent de capturer Riel et ses partisans qui prennent la fuite[21]. Une lettre écrite par le premier ministre Macdonald en 1869 suggère que cette marginalisation à la Rivière-Rouge était désirée : « D’ici une autre année, les résidents actuels seront tous submergés par l’afflux massif d’étrangers, qui arriveront avec l’idée de devenir des colons vaillants et paisibles[22]. »

La vie sociale, politique et économique des habitants de la Rivière-Rouge a été profondément marquée par l’imposition du pouvoir de l’État canadien par la voie militaire et l’arrivée de colons. C’était notamment le cas pour plusieurs Métis qui quittent la Rivière-Rouge pour s’établir le long de la rivière Saskatchewan Sud où ils revendiquent la protection des droits – en particulier territoriaux, mais aussi linguistiques – auprès du gouvernement canadien. Alors que Riel voyait les Canadiens français et les Métis comme membres d’une même famille, des divisions plus prononcées se manifestent durant cette période. Certains francophones participent au mouvement de résistance mené par l’élite politique métisse – composée à la fois de Métis francophones et anglophones. D’autres se rapprochent du clergé et des francophones qui oeuvrent au sein du gouvernement territorial et fédéral[23]. La division est particulièrement visible lorsque le mouvement de résistance s’intensifie dans les colonies de la rivière Saskatchewan Sud sous la direction de Riel en 1885.

Le mouvement de résistance vise la protection de leur mode de vie. À cette fin, les Métis de la région de St-Laurent/Batoche envoient une lettre au lieutenant-gouverneur qui revendique, entre autres, des droits territoriaux, des écoles, la nomination de juges francophones et une représentation métisse au sein du gouvernement territorial[24]. Comme à la Rivière-Rouge, le gouvernement canadien répond éventuellement à ces revendications par la voie militaire. Les forces canadiennes en sortent gagnantes sur le champ de bataille à Batoche. Face à cette défaite, Riel se rend aux autorités canadiennes et est trouvé coupable de haute trahison – un crime pour lequel il est pendu en 1885.

La condamnation de Riel et la caractérisation des gestes de ses partisans comme une « rébellion » participent à un discours qui tient pour acquises la légitimité de l’État canadien et, de ce fait, la légitimité de l’imposition de son pouvoir sur les territoires à l’ouest de l’Ontario[25]. En revanche, Riel se voyait comme partisan d’un mouvement de « résistance » contre un État non légitime. Il rappelle que « [l]orsque la Puissance inaugura la constitution de la province du Manitoba, au lieu de laisser le champ libre à tout le monde, et surtout à ceux avec qui elle avait traité, elle émit des mandats d’arrêt contre eux, elle les calomnia, maltraita le peuple auquel elle avait juré la paix et persécuta ses chefs[26] ». Pour Riel, la légitimité de l’État repose sur le respect des promesses constitutives du consensus qui a mené à l’intégration du Manitoba à la Confédération canadienne. L’entrée pacifique du Manitoba dans la Confédération était conditionnelle non seulement sur le respect des droits contenus dans la Loi de 1870 sur le Manitoba, mais le respect des promesses qui s’appliquaient sur l’ensemble du Nord-Ouest.

Comme le rappelle Edmund Aunger, le gouvernement provisoire de Riel était considéré comme représentatif de l’ensemble de la population métisse et francophone des territoires[27]. D’ailleurs, la troisième liste de droits était expressément établie au nom du « peuple de la Terre de Rupert et du Nord-Ouest[28] ». Plusieurs des habitants des territoires étaient liés à la colonie de la Rivière-Rouge par des réseaux de parenté qui s’étendaient le long des routes du commerce des fourrures[29]. Les preuves soumises par les appelants dans l’affaire Caron-Boutet démontrent que des représentants de la colonie et des paroisses à l’ouest de la Rivière-Rouge ont pris part aux discussions du gouvernement provisoire[30]. Ils participent en particulier à la « grande convention » de janvier 1869 à la Rivière-Rouge où ils discutent du choix d’entrer dans la Confédération à titre de province[31].

Par le biais de listes de droits et de nombreuses pétitions, Riel et ses partisans réclamaient le respect des promesses de protéger les pratiques religieuses, linguistiques, politiques et économiques sur l’ensemble du Nord-Ouest. Préoccupé par la stabilité politique nécessaire pour l’expansion de son pouvoir vers l’Ouest, le gouvernement canadien s’intéressait surtout aux effets plutôt qu’au contenu de ces promesses. Selon Riel, le gouvernement canadien s’installa au Nord-Ouest au mépris de ses engagements[32]. À la Rivière-Rouge, comme dans les colonies de la rivière Saskatchewan-Sud, le gouvernement canadien s’oppose « au droit des gens » et gouverne « d’une manière despotique »[33].

Les promesses de droits ont permis au Parlement à admettre le Manitoba à titre de nouvelle province avec la Loi de 1870 sur le Manitoba et à annexer le reste des terres qui faisait partie du Territoire du Nord-Ouest et de la Terre de Rupert, qui deviendront les Territoires du Nord-Ouest, par le Décret en conseil sur la Terre de Rupert et le Territoire du Nord-Ouest. Malgré ces promesses, le gouvernement canadien prend le contrôle du Manitoba par la voie militaire, et adopte des politiques dans les Territoires du Nord-Ouest qui contreviennent aux droits négociés avec l’élite politique des territoires sous l’égide d’une « politique nationale » qui vise l’achèvement du chemin de fer et l’intensification de la colonisation de l’Ouest[34]. Ceci est évident lorsque le premier ministre Alexander Mackenzie sépare les gouvernements du Manitoba et des Territoires du Nord-Ouest en 1875 et fait proclamer l’année suivante l’Acte des Territoires du Nord-Ouest qui ne contient aucune protection du français[35].

Dans son dernier mémoire rédigé avant sa mort en 1885, Riel écrit que « [l]e gouvernement d’Ottawa avait fait avec moi, en 1870, un traité dont il n’avait pas encore observé une seule clause[36] ». Il déplore que les négociations aient été conclues pour « surprendre leur bonne foi, d’entrer ainsi paisiblement dans leurs pays[37] ». Alors que le gouvernement canadien n’a pas respecté les promesses faites auprès de l’élite politique des territoires, les preuves présentées par les appelants dans l’affaire Caron-Boutet démontrent que la promesse de droits linguistiques s’inscrit comme fondement normatif du pacte confédératif. Comme l’explique Grammond, la dimension normative de la théorie du pacte repose sur l’intuition morale des parties contractantes que les normes exprimées par le pacte persisteront[38]. Qu’advient-il de la promesse de droits linguistiques ?

La dualité linguistique : une promesse non oubliée

L’engagement de l’élite politique (anglo-dominante) canadienne pour faire respecter les droits linguistiques diminue avec le changement des rapports de force entre la minorité francophone et la majorité anglophone des territoires. Selon Wilfrid Denis, la diminution du poids démographique et économique des francophones entraîne l’imposition de « l’anglo-dominance » par le biais de l’élite politique anglophone à Ottawa et dans les territoires[39]. Le sénateur Marc Girard, ancien premier ministre du Manitoba et ancien ministre conseiller des Territoires du Nord-Ouest, est parmi ceux qui dénoncent les visées anglo-dominantes de l’élite politique canadienne. Il propose avec succès l’adoption de l’article 110 de l’Acte des Territoires du Nord-Ouest en 1877 qui permet l’utilisation du français et de l’anglais dans les débats de l’Assemblée et devant les tribunaux[40]. Or, le député fédéral Dalton McCarthy dépose un projet de loi en 1890 qui propose de supprimer les protections linguistiques reconnues par l’article 110. Selon la Cour suprême du Canada, c’est « la première étape d’un processus qui visait ultimement l’élimination de la langue française[41] ».

Dans la cause Caron-Boutet, les appelants soutiennent que les gestes de l’élite politique canadienne, puis territoriale, qui visent l’élimination du français vont à l’encontre des promesses qui ont été faites pour convaincre l’élite politique métisse et francophone des Territoires du Nord-Ouest de se joindre à la Confédération canadienne. Selon l’organisme porte-parole des francophones de la Saskatchewan, l’Assemblée communautaire fransaskoise, le fait que les gouvernements et les parlementaires n’aient pas respecté le compromis politique entourant cette adhésion ne veut pas dire qu’il n’y avait pas eu de compromis ou que ce compromis ne doit pas être respecté aujourd’hui[42]. Cette perspective fait écho dans le mémoire soumis à la Cour par Pierre Boutet : « Loin de démontrer l’absence de promesse, le fait que, dans les décennies qui ont suivi, les politiciens des provinces des Prairies ont cherché à instaurer l’unilinguisme constitue tout simplement une violation de la promesse[43]. »

Dans la discussion qui suit, nous mettons en évidence comment des leaders francophones perçoivent la promesse de droits linguistiques au coeur du pacte confédératif dans les années qui suivent l’expansion du Canada vers l’Ouest. Notre analyse se limite aux leaders francophones de la Saskatchewan, qui prendront le nom de « Fransaskois » dans les années 1970[44]. À partir du paradigme de « l’expérience vécue », nous constatons que les leaders de cette communauté évoquent les promesses du pacte confédératif dans leurs revendications politiques et juridiques pour des droits linguistiques.

Alors que la mobilisation politique des francophones débute avant la création de la Saskatchewan en 1905, nous pouvons retracer l’émergence d’un projet politique chez les francophones de cette province au début du vingtième siècle[45]. Ce projet se distingue notamment de celui des Métis, qui sont de plus en plus marginalisés. Plus immédiatement préoccupés par la dépossession de leurs terres, les Métis s’organisent davantage par le biais d’associations communautaires locales[46]. Pour leur part, les leaders francophones – qui étaient notamment liés au clergé – sont plutôt inquiets de l’imposition de l’anglo-dominance sur une population francophone de plus en plus éparpillée. Ils convoquent une réunion au Lac-aux-Canards en 1912 où des délégués créent un organisme provincial pour protéger la langue française et la foi catholique[47]. Le discours des participants à ce rassemblement renvoie aux droits linguistiques comme fondement normatif du pacte confédératif. L’intervention de Louis Schmidt, un contemporain de Louis Riel, illustre la continuité entre les préoccupations des intervenants et les luttes qui avaient été menées lors de la création du Manitoba :

Vous vous dites patriotes [] et cependant on supprime le français dans vos écoles, on ne vous laisse que quelques minutes par jour, c’est tout juste et on vous y laisse dire vos prières, et qu’est-ce que vous faites pour empêcher tout ça ? Rien. Rien que des discours une fois tous les deux ans. Eh bien, dans mon temps, ça ne se serait pas passé comme cela ! Avec Louis Riel, nous nous sommes battus contre les Anglais pour des questions qui n’étaient pas aussi importantes et je regrette de ne pas avoir 20 ans de moins et de me trouver encore dans le même groupe dont je faisais partie en 1885. S’il le fallait, nous n’hésiterions pas à reprendre nos fusils pour maintenir dans nos écoles l’enseignement de notre langue[48].

Particulièrement soucieux de la présence de plus en plus importante de l’anglais sur le territoire – notamment en raison des politiques provinciales en matière d’éducation –, les Fransaskois revendiquent le droit à l’éducation en français et entreprennent des démarches pour offrir un curriculum en français[49].

Le gouvernement provincial répond avec une multiplication des lois anglo-dominantes – notamment dans le domaine de l’éducation. Selon Denis, le statut du français est particulièrement inquiétant en 1931 lorsque le gouvernement fait de l’anglais la seule langue d’instruction dans la province[50]. Par le biais de diverses associations d’éducateurs et de parents francophones, des leaders fransaskois tentent de faire vivre la langue française en Saskatchewan en revendiquant, entre autres, des changements au School Act, la nomination d’inspecteurs bilingues et l’élaboration d’un curriculum français[51].

Dans plusieurs de leurs revendications, ces derniers font référence aux promesses de droits linguistiques qui découlent du pacte confédératif. Dans un mémoire présenté à la Commission royale sur le bilinguisme et biculturalisme en 1964, l’organisme porte-parole de la communauté fait appel au fondement moral du pacte de la Confédération :

Ce que nous voulons simplement, mais fermement, c’est de n’être pas considéré en Saskatchewan comme un groupe parmi la multitude de groupes ethniques de l’Ouest canadien, mais comme les membres de cette nation canadienne-française qui a conclu le pacte confédératif de 1867 avec les membres de la nation canadienne-anglaise, pacte destiné à bâtir l’unité nationale dans la diversité et non dans l’uniformité ethnique[52].

Le discours qui émane des leaders de la communauté révèle la présence continue de la promesse de droits linguistiques comme élément constitutif du pacte confédératif. L’insistance sur cette promesse représente d’ailleurs l’une des caractéristiques essentielles qui distinguent les revendications de leaders francophones de celles des communautés ukrainiennes, polonaises et autres, qui cherchent pour leur part à s’intégrer à la société dominante. Seuls les leaders francophones affirment qu’ils comptent au nombre des membres constitutifs du pacte confédératif canadien. En 1977, ils soutiennent avoir « contribué de façon inestimable à préserver le lien confédératif du Canada[53] ».

Devant l’absence de volonté politique de la part des gouvernements fédéral et provincial de faire respecter la dualité linguistique en Saskatchewan, les leaders fransaskois se tournent vers les tribunaux. En 1988, la Cour Suprême du Canada est appelée à trancher sur le bilinguisme législatif de la province dans l’arrêt Mercure. Lors de sa comparution devant la Cour provinciale de la Saskatchewan pour une contravention pour excès de vitesse, le Père Mercure demande que son plaidoyer soit inscrit en français, que son procès soit tenu en français et que les lois pertinentes à sa contravention lui soient fournies en français. Il fonde ces requêtes sur l’article 110 de l’Acte des Territoires du Nord-Ouest qui garantissait le statut officiel de la langue française dans l’Assemblée législative et dans les cours de justice depuis 1877. Selon l’accusé Mercure, cette disposition linguistique était toujours en vigueur. Elle n’aurait pas été abolie en 1905 lors de la création des provinces de la Saskatchewan et de l’Alberta, puisque l’article 16 des deux lois constitutives – la Loi sur la Saskatchewan et la Loi sur l’Alberta – prévoit le maintien des lois qui s’appliquaient auparavant sur ces territoires. L’article 16 précise cependant qu’il est de la compétence du Parlement du Canada ou de l’Assemblée législative de la Saskatchewan d’abroger, de modifier, de supprimer ou de révoquer ces lois[54].

Dans l’arrêt Mercure, la Cour suprême du Canada donne raison au Père Mercure – l’article 110 était toujours en vigueur, car il n’avait pas été clairement abrogé par l’adoption de la Loi sur la Saskatchewan. Par conséquent, les lois de la province devaient être adoptées, imprimées et publiées en français et en anglais. C’était là une « victoire » pour la communauté fransaskoise qui voyait sa vision du pacte confédératif légitimé par la Cour[55]. Or, l’opinion majoritaire de la Cour a également conclu que l’application de l’Acte des Territoires du Nord-Ouest en Saskatchewan ne faisait pas l’objet de protection constitutionnelle étant donné que la Loi sur la Saskatchewan prévoyait que le législateur avait compétence pour abroger les lois des territoires qui avaient été incorporées au cadre législatif de la province. Contrairement à la Loi de 1870 sur le Manitoba qui prévoyait expressément la protection des droits linguistiques dans le texte, aucune disposition de la sorte était incluse dans la Loi sur la Saskatchewan. L’Assemblée législative de la Saskatchewan pouvait donc unilatéralement abroger l’article 110[56].

L’organisme porte-parole des Fransaskois présente plutôt au gouvernement provincial une solution politique : il propose des amendements pour garantir des droits aux francophones au sein de l’Assemblée législative, ainsi qu’un projet pour traduire les lois de la province en français[57]. Selon lui, ces dispositions donneraient suite aux droits reconnus avant la création de la province. Nonobstant les efforts des leaders fransaskois pour faire valoir le statut constitutionnel du français en Saskatchewan, le gouvernement provincial choisit d’abolir tous les droits reconnus par l’article 110 avec l’adoption de la Loi 2 – chose qui devait se faire, ironiquement, par l’adoption d’une loi bilingue. La décision du gouvernement provincial s’inscrit dans la logique anglo-dominante de l’élite politique anglophone qui règne dans la région depuis la fin du dix-neuvième siècle[58]. Alors qu’elle demeure non tenue, le discours juridique et politique des leaders fransaskois démontre que la promesse de droits linguistiques n’a jamais été oubliée.

L’affaire Caron-Boutet

Malgré l’absence d’un engagement de la part de l’élite politique provinciale envers la dualité linguistique, les Fransaskois continuent de revendiquer le respect des droits linguistiques qui sont, d’après eux, constitutifs du pacte confédératif. C’est cet engagement qui les mène à se joindre à leur voisin albertain dans l’affaire Caron-Boutet. Comme dans le cas Mercure, cette cause porte sur des accusations d’infractions routières prévues dans la Traffic Safety Act de l’Alberta et le Use of Highway and Rules of the Road Regulation, édictés en anglais seulement. Contrairement à la stratégie légale déployée avec Mercure, qui reposait sur l’article 110 de l’Acte des Territoires du Nord-Ouest, les appelants tentent de démontrer que la constitutionnalité du bilinguisme législatif comme promesse constitutive émane de l’Adresse de 1867. Annexée au Décret de 1870 qui transfert la Terre de Rupert et le Territoire du Nord-Ouest au Canada, l’Adresse de 1867 stipule que le Parlement s’engage à respecter les « droits acquis » ou « droits légaux » dans les Territoires de l’Ouest[59]. Les appelants soutiennent que le bilinguisme législatif fait partie de ces droits acquis et jouit par conséquent d’une protection constitutionnelle. Dans un jugement divisé 6-3, la Cour suprême du Canada rejette cette thèse.

L’opinion de la majorité soutient que les preuves textuelles et contextuelles ne démontrent pas que le bilinguisme des lois était une garantie constitutionnelle. Sans « mention expresse du bilinguisme législatif », la majorité constate que la promesse de « droits acquis » dans l’Adresse de 1867 ne visait pas les droits linguistiques. Alors que la majorité reconnaît le besoin d’une interprétation large et généreuse des droits linguistiques, elle conclut que cela ne peut « avoir préséance sur le texte écrit de la Constitution[60] ».

Dans son mémoire relatif à l’appel, l’organisme porte-parole des Fransaskois rappelle le besoin d’éviter une analyse textuelle étroite de l’Adresse de 1867 et demande plutôt à la Cour de tenir compte du contexte global des négociations[61]. Selon celui-ci, « il est impossible de croire que les représentants francophones et anglophones auraient accepté que la majorité des territoires annexés n’auraient aucune protection constitutionnelle des droits linguistiques[62] ». Pour appuyer cet argument, l’organisme souligne les nombreuses promesses faites par les représentants de la Couronne et du gouvernement canadien à cet égard[63]. Le Commissaire aux langues officielles est d’accord que les résidents des territoires n’auraient pas accepté d’adhérer au nouveau régime sans ces promesses. Selon lui : « La preuve démontre que […] le Canada avait l’obligation d’agir honorablement pour donner plein effet à cette promesse et qu’il ne pouvait donc pas renier à cette promesse en donnant, aux nouvelles provinces nommées à partir des territoires, le pouvoir d’abroger ces droits linguistiques[64]. »

Ces propos résonnent dans le jugement dissident qui va au-delà de la lettre du texte et interprète celui-ci à la lumière des négociations de l’époque. Les juges Abella (de l’Ontario), Wagner (du Québec) et Côté (du Québec) concluent plutôt que le bilinguisme législatif dans l’ensemble des territoires est garanti par l’Adresse de 1867. Ils soutiennent que les preuves historiques démontrent que les élites politiques canadiennes ont donné l’assurance que le bilinguisme législatif serait respecté après l’annexion. Ils constatent que : « Il est inconcevable que la population de la région […] ait consenti au transfert des territoires sans obtenir la promesse que ses droits linguistiques — auxquels, selon la preuve, elle accordait une importance extrême —, seraient résolument protégés[65]. » L’interprétation de la minorité suggère que le bilinguisme législatif reflétait non seulement les pratiques linguistiques de l’époque, mais était au coeur de l’entente sur laquelle était fondée l’intégration des territoires à la Confédération.

De récents travaux académiques ont contribué à remettre en question l’interprétation dominante du transfert des territoires par lequel se concrétise le projet expansionniste du Canada vers l’Ouest[66]. En fondant leurs analyses sur la perspective des leaders métis de l’époque, ces recherches contestent notamment la légitimité de la souveraineté impériale au sein des territoires et expliquent les pratiques de gouvernance des habitants de l’époque. Comme le constate Edmund Aunger, les parlementaires canadiens « ignoraient complètement » qu’il existait des institutions politiques et juridiques dans les territoires[67]. Cette méconnaissance se manifeste notamment par la nomination d’officiers – presque tous anglophones unilingues et protestants originaires de l’Est – pour gouverner les territoires. Pourtant, la population locale jouissait déjà de formes de gouvernance. On n’y retrouvait pas les mêmes institutions politiques et juridiques qu’en Ontario ou au Québec, mais les pratiques dans les territoires constituaient tout de même des formes de gouvernance[68].

Les pratiques de gouvernance métisses étaient ancrées dans des principes de liberté, de famille, de démocratie et de primauté du droit qui étaient répandues non seulement à la Rivière-Rouge, mais dans les communautés à l’ouest du Manitoba[69]. Dans leurs travaux sur l’ethnogenèse du peuple métis, Jennifer Brown, Jacqueline Peterson, Heather Devine, Carolyn Podruchny, Brenda Macdougall et Nicole St-Onge démontrent que les Métis étaient liés par des réseaux de parenté qui s’étendaient le long des routes du commerce des fourrures[70]. De plus, les recherches de Nicholas Vrooman et Michel Hogue confirment la complexité des liens de parenté transfrontaliers des communautés métisses et autochtones[71]. Dans leur décision dissidente, les juges insistent sur le fait que les preuves historiques révèlent que, tout au long des négociations qui mènent à l’annexion du Manitoba, les représentants de la population francophone et anglophone délibèrent « dans l’intérêt de l’ensemble des territoires[72] ». Ils précisent que « [c]eci est tout à fait logique étant donné la force des liens familiaux et économiques qui unissent la communauté métisse de cette vaste région[73] ».

Étant donné l’expérience vécue des Métis et les pratiques de l’époque, il semble peu probable que l’élite politique des territoires ait envisagé que la promesse de droits linguistiques s’appliquerait uniquement au territoire défini par le Parlement canadien dans la Loi de 1870 sur le Manitoba. De même, les pratiques du gouvernement canadien de l’époque suggèrent qu’il concevait les territoires comme un ensemble même après l’adoption de la Loi de 1870 sur le Manitoba[74]. Par exemple, le pouvoir exécutif pour les Territoires du Nord-Ouest était confié au lieutenant-gouverneur bilingue du Manitoba et le pouvoir judiciaire était partagé par un conseil consultatif composé principalement de législateurs de l’Assemblée bilingue du Manitoba[75]. D’ailleurs, le français et l’anglais étaient employés sur l’ensemble de ces terres, notamment dans les tribunaux puisque plusieurs des juges parlaient le français et les lois étaient rédigées dans les deux langues[76].

Les preuves mises de l’avant dans la cause Caron-Boutet appuient le récit selon lequel l’élite politique canadienne promet de protéger le bilinguisme législatif et judiciaire dans un Canada uni afin de convaincre les habitants de l’Ouest d’adhérer à la Confédération canadienne. Or, les juges demeurent divisés quant au poids relatif à attribuer au contexte des négociations ayant conduit à l’adhésion de ce qui deviendra la Saskatchewan et l’Alberta vis-à-vis du texte. La majorité des juges conclut que l’élite politique canadienne « savait comment garantir des droits linguistiques et c’est ce qu’[elle] a fait dans la Loi constitutionnelle de 1867 et la Loi de 1870 sur le Manitoba[77] ». Ces deux lois font mention expresse du bilinguisme législatif, contrairement au Décret de 1870 et à l’Adresse de 1867 qui lui est annexée. Selon le jugement majoritaire, le bilinguisme législatif ne constituait pas un élément essentiel du Décret de 1870. En revanche, les juges dissidents étaient d’avis que le bilinguisme législatif constituait un élément essentiel des négociations visant l’intégration de l’ensemble des territoires en 1870, puisqu’il aurait été inscrit au nombre des « droits acquis » reconnus dans l’Adresse de 1867.

En donnant préséance aux textes et, en particulier, aux textes adoptés par l’élite politique canadienne de l’époque, l’analyse juridique donne légitimité au discours majoritaire. Elisenda Casanas Adam et François Rocher expliquent que, lorsque la légitimité des institutions politiques est remise en question, les tribunaux ont tendance à privilégier le statu quo et à favoriser la continuité du système politique[78]. Selon eux, les tribunaux contribuent à renforcer les conditions d’acceptabilité qui permettent de maintenir la dominance qu’exerce la majorité vis-à-vis des minorités nationales plutôt que de dépolitiser les conflits entre ces groupes. Le jugement Caron-Boutet participe à cette tendance par le refus de remettre en question la conception dominante et majoritaire du compromis confédératif. Le récit d’un pacte fondé sur la promesse de droits linguistiques, qui est repris par l’opinion dissidente dans l’arrêt Caron-Boutet et exprimé dans le discours des leaders francophones depuis la Confédération, demeure minoritaire.

Les récits de fondation de la minorité demeurent minoritaires

L’examen du processus ayant mené à la Confédération canadienne confirme la présence d’une promesse de droits linguistiques au sein des négociations entre les élites politiques de l’époque. Alors que des éléments du compromis sont décrits dans certains textes qui émanent des négociations, les preuves historiques démontrent que le compromis va au-delà de la lettre de ces textes. Les échanges entre les représentants des territoires et du gouvernement canadien révèlent que la promesse de droits linguistiques est utilisée pour assurer la stabilité politique nécessaire à l’expansion territoriale du Canada. En tenant compte du contexte historique particulier dans lequel ces acteurs interagissent, notre analyse suggère que la promesse de droits linguistiques s’inscrit comme un référent identitaire qui permet aux élites de convaincre la population d’adhérer au régime politique canadien – et ce, peu importe la force constitutionnelle de cette promesse.

Cette dernière figure non seulement dans les négociations entre les élites politiques lors des moments constitutifs de la Confédération, mais demeure présente dans le discours des francophones de l’Ouest. Dans le contexte saskatchewanais, cette promesse est évoquée dans les revendications politiques et se trouve au coeur de la vision du pacte confédératif mise de l’avant auprès des instances judiciaires. Malgré leurs efforts, les Fransaskois – comme les autres francophones de l’Ouest – n’ont pas (encore) réussi à faire reconnaître les droits linguistiques comme promesse constitutive du pacte confédératif. Néanmoins, les recherches effectuées dans le contexte de la cause Caron-Boutet ont contribué à mettre en évidence leur interprétation du pacte confédératif. Comme le note le Président de l’Association canadienne-française de l’Alberta, « l’histoire de nos ancêtres ne demeure plus dans l’ombre, mais elle est sur la place publique. On ne peut plus renier les intentions et le désir de nos ancêtres[79] ».

Dans la vision du pacte confédératif qui rayonne dans le discours des leaders fransaskois, Riel et ses partisans font partie de ces ancêtres. Or, comme le rappelle Gratien Allaire, la francophonie dans l’Ouest n’a pas toujours fait preuve d’ouverture envers les Métis[80]. Autrefois réunies par des pratiques culturelles et des expériences communes sur un même territoire, les francophones et Métis se dotent de projets politiques propres au tournant du dix-neuvième siècle. Encore aujourd’hui, les relations entre ces communautés sont marquées par des blessures profondes qui découlent, entre autres, de l’abandon des Métis par les francophones dans les années qui suivent l’imposition du pouvoir canadien dans l’Ouest[81]. Le discours du pacte confédératif des leaders fransaskois passe cette réalité largement sous silence. Dans ce sens, elle participe à son tour à la marginalisation d’une perspective minoritaire du pacte confédératif, soit celle des Métis. Peter Dorrington et Dominique Sarny soulignent l’importance de « canaliser [la tension entre ces groupes] pour qu’elle devienne non pas un obstacle, mais plutôt le point de départ d’un processus dynamique capable de générer de nouveaux liens, voire une nouvelle relation[82] ». Cette relation, selon eux, ne peut se développer sans un dialogue qui vise la compréhension de l’autre et le respect des réalités qui sont propres à chaque communauté.

La cause Caron-Boutet offre un portrait plus nuancé – quoiqu’incomplet – du compromis politique au coeur du pacte confédératif[83]. Les preuves mises de l’avant dans cette cause permettent aux décideurs juridiques et politiques de mieux comprendre la perspective minoritaire francophone de l’histoire qui a mené à l’expansion du Canada vers l’Ouest et du rôle des droits linguistiques dans cette entreprise. Notre examen du contexte des négociations du pacte confédératif confirme l’importance des droits linguistiques. Alors que ces droits s’inscrivent comme fondement normatif du pacte confédératif, ils sont largement absents dans les récits qui privilégient le discours majoritaire aux dépens de l’expérience vécue minoritaire. Alors que les récits de fondation sont fondés dans le discours anglo-dominant, la promesse de droits linguistiques demeure non oubliée dans la vision du pacte confédératif de la minorité francophone.