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Dans son livre tiré de son mémoire de maîtrise, Mathieu Pontbriand propose une analyse de la pensée politique de Lomer Gouin, premier ministre du Québec entre 1905 et 1920. D’entrée de jeu, l’auteur souligne judicieusement la méconnaissance qui entoure la carrière de cet homme d’État, qui a pourtant dirigé le Québec pendant 15 ans, et dont il propose de définir la pensée politique. Pontbriand souligne en outre que son étude n’est pas une biographie de Gouin (p. 7). Le chercheur défend la thèse que Lomer Gouin appartenait au courant modéré du libéralisme, caractérisé par la défense des libertés individuelles, l’égalité des droits, la souveraineté populaire et la non-intervention de l’État (p. 7-8). Pour ce faire, Pontbriand étudie l’idéologie et le discours du premier ministre à travers une analyse des débats politiques et ses prises de position de la fin du XIXe siècle à 1920.

L’ouvrage est articulé en trois chapitres. Le premier chapitre propose une analyse de la pensée de Gouin avant 1900. Pontbriand s’attarde cependant trop longuement à la description des débats et des joutes politiques de l’époque, diluant ainsi ses propos. Une investigation plus poussée des relations que le jeune Gouin entretenait avec des libéraux influents, tels que son beau-père Honoré Mercier, aurait assurément enrichi sa démonstration. Somme toute, ce premier chapitre nous en apprend peu sur la pensée de Gouin si ce n’est que celui-ci était un homme loyal envers ses chefs et qu’il appuya la création du ministère de l’Instruction publique en 1898.

Les deuxième et troisième chapitres offrent davantage de profondeur dans l’analyse de la pensée de Gouin. Pontbriand délaisse les querelles politiques pour se concentrer sur les réalisations ou les prises de position de son protagoniste au moment où celui-ci devient premier ministre du Québec. Le second chapitre aborde ainsi l’importance des concepts de propriété et de liberté de marché dans la pensée du politicien. C’est par la lorgnette de ces concepts qu’il faut comprendre l’opposition du premier ministre aux monopoles privés et sa défense de l’exploitation des ressources naturelles de l’Ungava. Au troisième chapitre, Pontbriand se penche sur la notion d’individu dans la pensée de Gouin. C’est à travers ce concept que ses politiques en faveur de l’amélioration des conditions ouvrières et de l’instruction publique doivent, selon l’auteur, être abordées. À cet égard, Gouin aurait limité son action en matière de réforme scolaire afin de préserver la bonne entente avec l’Église (p. 120). Dans ce passage important, Pontbriand insiste trop sur le conservatisme clérical pour justifier l’intervention limitée de Gouin en éducation. La frilosité du premier ministre à accroître l’intervention de l’État et son admiration pour les initiatives privées du modèle scolaire allemand sont des pistes explicatives négligées par l’auteur. La fin du troisième chapitre (p. 115 à 119) sur la pensée du politicien en matière d’urbanité est particulièrement intéressante. Ce passage ouvre en effet de nouvelles perspectives d’analyse quant à la conceptualisation des rapports entre les villes et la ruralité au début du XXe siècle. Nous semblons ainsi percevoir une conception métropolitaine, voire suprarégionale, de certaines problématiques sociales et sanitaires.

Dans sa conclusion, Pontbriand revient à la propriété et à l’individu comme fondements de la pensée libérale de Gouin. L’auteur tente de mettre en lumière le libéralisme modéré de Gouin en s’appuyant sur les trois principaux axes de ses politiques publiques, soit le développement des ressources naturelles et du territoire québécois, l’amélioration du système d’éducation et l’intervention de l’État dans les questions sociales et ouvrières (p. 124). La thèse de la modération politique de Gouin semble juste. Néanmoins, il faudra d’autres études sur le libéralisme, le conservatisme et la pensée politique des hommes politiques québécois au tournant du XXe siècle pour bien mettre en perspective la modération de l’ancien premier ministre.

L’ouvrage de Pontbriand souffre de lacunes importantes. D’abord, l’auteur semble avoir ignoré certaines études marquantes de l’histoire des idéologies du Québec, au premier rang desquelles l’on compte celles de Fernand Dumont (1974) et de Fernande Roy (1993)[1]. Par ailleurs, le chercheur s’appuie beaucoup trop sur l’historien ultranationaliste Robert Rumilly, dont les recherches datent des années 1940. L’approche de l’auteur pose aussi problème. En écartant tout aspect biographique, Pontbriand s’est privé d’une analyse du discours plus privé de Gouin. Il est ainsi impossible de savoir si son milieu d’origine ou sa relation avec son beau-père, le premier ministre Honoré Mercier, ont pu avoir une influence sur la construction de sa pensée politique, ses prises de position et ses réalisations. Enfin, nous comprenons mal la mise à l’écart de certaines archives comme le Fonds Lomer Gouin de Bibliothèque et Archives Canada (R7648-0-6-F). Quoi qu’il en soit, l’apport principal de cet ouvrage est de lever le voile sur la pensée politique d’un homme d’État méconnu et de mieux comprendre les différentes tendances du libéralisme québécois du début du XXe siècle.