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Les historiennes et les historiens de profession sont-ils bien placés pour interpréter ce phénomène inquiétant de la baisse tendancielle des inscriptions dans les programmes universitaires de premier cycle en histoire ? C’est la question que je me suis posée au moment d’entreprendre la présente réflexion. Car, pour moi, il n’existe pas de domaines du savoir aussi passionnants que l’histoire et il n’y a guère d’exercice intellectuel plus nécessaire que cette patiente méditation sur le parcours des communautés humaines. Plus qu’un loisir intellectuel sophistiqué, plus qu’un réservoir de « culture générale », la science historique et son travail exigeant d’interprétation fondé sur la preuve me semblent particulièrement à même de générer du sens et de former ces « têtes bien faites » qu’affectionnait Montaigne en son temps, et dont notre monde contemporain a encore grand besoin. De l’intérêt et de la pertinence sociale du savoir historique donc, je ne doute nullement. Quant à savoir pourquoi, au sortir du cégep, trop peu d’étudiantes et d’étudiants partagent cet enthousiasme, voilà qui me semble plus mystérieux.

Parce que l’interprétation du déclin des statistiques d’inscriptions n’a rien de simple, je me dois de féliciter mes collègues François-Olivier Dorais et Martin Pâquet d’avoir placé cet exercice sous le signe de la collaboration interuniversitaire. De telles occasions de réflexion collégiale sur l’enseignement, au sein de notre discipline, sont plutôt rares ; nos dynamiques institutionnelles et, en particulier, nos méthodes de financement nous incitent plutôt à penser les enjeux de recrutement plus localement. On compare ainsi nos « parts de marché » dans un certain esprit de rivalité. Or, les données statistiques le prouvent, la baisse décennale des effectifs dans les programmes d’histoire est un phénomène qui dépasse de loin nos réalités régionales et même nationales. Il s’agit d’un problème à grande échelle devant lequel, forcément, l’on se sent bien humble lorsque vient le moment d’en identifier avec précision les causes. Pour cette raison, mon propos sera davantage ici formulé sous forme d’hypothèses que de conclusions définitives.

Les pistes d’interprétation que l’on peut emprunter pour tenter d’élucider la baisse des effectifs au baccalauréat en histoire sont multiples. Nous pouvons, bien sûr, nous interroger sur la façon dont l’histoire, comme domaine d’études, est présentée en amont de l’entrée à l’université, soit dans les cours enseignés au primaire, au secondaire et au cégep, soit dans les bureaux des conseillères et conseillers en orientation. Des facteurs en apparence plus évanescents jouent aussi sur l’attractivité de ces formations : pensons au régime d’historicité dans lequel nous baignons et qui tend à disqualifier l’histoire comme un savoir pertinent pour construire l’avenir. En raison du format court privilégié dans le cadre de ce dossier thématique, je voudrais mettre l’accent sur une dimension particulière du problème qui me semble fondamentale pour expliquer la désaffection à l’égard des programmes d’histoire, soit l’hégémonie de la culture professionnalisante au sein de nos universités. De manière complémentaire et plus succincte, j’invoquerai en dernière partie de cet article deux autres aspects qu’il conviendrait, à mon sens, d’étudier plus en profondeur dans la suite de cette réflexion.

Une culture universitaire de plus en plus professionnalisante

Le marché des études universitaires a été marqué, ces dernières années, par une diversification de l’offre des programmes proposés aux étudiantes et étudiants, mais, surtout, par l’orientation nettement plus pratique que l’on a eu tendance à donner à la fois aux nouvelles formations développées et aux anciens programmes à l’occasion de leurs révisions périodiques.

S’il y a belle lurette que l’on invoque la « crise des humanités » pour expliquer la difficulté d’enseigner l’histoire dans nos sociétés contemporaines[1], cette crise semble désormais sous stéroïdes, pour dire les choses de façon imagée. Tout récemment, l’actualité nous a rappelé cette réalité de manière crue à l’occasion des efforts de révision des politiques d’immigration par le gouvernement caquiste[2]. Pour mémoire, rappelons qu’en novembre 2019, le ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration du Québec, Simon Jolin-Barrette, avait voulu sabrer dans le Programme de l’expérience québécoise, cette politique s’adressant aux personnes résidentes temporaires et pouvant faciliter leur accès à l’immigration. Parmi elles, plusieurs étudiantes et étudiants étrangers ayant obtenu au Québec un diplôme reconnu espéraient se prévaloir de cette passerelle. Devant le tollé d’insatisfactions provoqué par l’annonce de cette réforme, le gouvernement a dû reculer et retourner à sa table de travail, mais non sans que sa conception des filières de formation universitaire ait été exposée au grand jour. Ainsi, le pouvoir public ne fait plus de cachette et ne s’embourbe plus dans la rhétorique : il existe bel et bien une hiérarchie des domaines d’études, au bas de laquelle figurent les sciences humaines (qui sont inférieures aux sciences domestiques, comme nous avons pu le constater[3] !). Dernières de classe, celles-ci sont jugées non essentielles au développement de notre société.

Qu’une telle conception de l’éducation circule dans les cercles du pouvoir ne surprend guère les observatrices et observateurs du système scolaire. Qu’elle soit cependant en décalage profond avec les approches récentes dans le domaine de la gestion des ressources humaines, cela est peut-être une information plus nouvelle. Plusieurs intervenants de ces secteurs reconnaissent candidement, en effet, ce qu’il y a d’illusoire à prédire les besoins du marché du travail dans 20 ans et même dans 10 ans, tant ceux-ci évoluent à grande vitesse[4]. Selon cette logique, outiller des jeunes en savoirs techniques vite dépassés est non seulement un pari risqué, mais une démarche carrément irresponsable à l’endroit des nouvelles générations. Du strict point de vue de l’employabilité – dont on sait qu’elle n’est pas la seule finalité de l’éducation –, il serait donc devenu plus stratégique de former des esprits cultivés, ouverts et polyvalents ; de diplômer des individus ayant des compétences en matière de recherche et de communication orale et écrite, comme nous le faisons dans nos programmes de baccalauréat en histoire.

Je m’amuserai ici, pour soutenir mon propos, à citer la très sérieuse RBC (Banque royale du Canada), qu’on ne peut soupçonner de « pelleter des nuages ». Le rapport final d’une recherche pancanadienne commanditée par cette institution, déposé en 2018 sous le titre Humains recherchés, invite les employeuses et employeurs à revoir profondément leur façon de recruter de la main-d’oeuvre. Ces derniers, lit-on dans le document, « devront commencer à valoriser les compétences et les aptitudes de base[5] ».

Parmi les dix conclusions générales de cette analyse portant sur la « révolution des aptitudes », j’en citerai trois qui indiquent assez bien l’esprit général :

2. Une évaluation de 20 000 aptitudes, menée à l’échelle de 300 emplois et des 2,4 millions de nouveaux postes attendus, a démontré une demande croissante d’aptitudes fondamentales comme l’esprit critique, la coordination, la perspicacité sociale, l’écoute active et la résolution de problèmes complexes. […]

9. Les compétences comme la sensibilité aux autres cultures, la langue et l’adaptabilité, ou « savoir-être », seront recherchées.

10. Le discernement et les aptitudes pour la prise de décision seront des qualités très importantes pour occuper pratiquement tous ces nouveaux postes[6].

Ce document semble avoir échappé à la vigilance de François Legault et de son gouvernement ainsi qu’à celle des autres contempteurs des humanités qui considèrent ces savoirs désuets dans notre monde moderne. Il est regrettable que de telles études, même lorsqu’elles sont signées par des agents économiques crédibles comme la RBC, aient malheureusement peu de poids face aux croyances puissantes dans les pouvoirs quasi magiques des diplômes aux appellations professionnalisantes et appliquées. S’il n’est pas démontré, à ma connaissance, qu’un baccalauréat en administration, en communication et marketing, en journalisme, ou même en droit, mène à moyen terme à des carrières plus satisfaisantes ainsi qu’à de meilleures conditions de travail, la seule évocation de ces filières professionnalisantes a quelque chose de rassurant sur l’actuel marché des parchemins[7].

Considérée sous cet angle, l’histoire, il faut le reconnaître, est placée devant un défi de « mise en marché »[8]. La discipline a un problème d’image auprès des jeunes, certes, mais aussi des parents, des employeuses et employeurs et de la classe politique. Et c’est assurément sur ce plan qu’il faudra concentrer davantage nos efforts au cours des prochaines années. On peut se demander, au passage, si le processus même du choix d’une filière d’études n’a pas considérablement changé dans les dernières années et si les parents n’y sont pas beaucoup plus engagés qu’ils ne l’étaient, naguère encore. La publicité institutionnelle récente, en tout cas, les cible clairement, et quiconque a occupé des responsabilités administratives dans les programmes de premier cycle sait qu’ils se présentent en grand nombre lors des « journées portes ouvertes » des institutions universitaires. Plus que leurs enfants, ils sont d’ailleurs enclins à poser la fameuse question des débouchés : « Qu’est-ce qu’on peut faire avec un baccalauréat en histoire[9] ? » Ces parents, qui sont souvent aussi les principaux bailleurs de fonds des projets d’études, sont désormais eux-mêmes plus scolarisés. Plusieurs d’entre eux, sans doute, ont expérimenté en cours de route les rigueurs du marché de l’emploi, même avec un diplôme universitaire en poche. Alors qu’ils se seraient réjouis, il y a quelques années encore, à la seule idée que leur progéniture entre à l’université, peu importe le programme, ils semblent aujourd’hui plus perméables au discours ambiant qui valorise les savoirs pratiques[10].

Ce grand virage professionnalisant a d’autres incidences sur la discipline historique que la seule baisse du nombre d’inscriptions dans les programmes de baccalauréat. Sans trop m’éloigner de la question principale, je voudrais souligner au passage combien l’histoire, comme discipline de « service » pour d’autres programmes – j’utilise ici à dessein les guillemets – semble aussi en mauvaise posture, ce qui fragilise indirectement nos programmes en raison du mode de financement par effectifs qui prévaut[11]. En donnant au gré des réformes une tournure pratique aux différents baccalauréats, en multipliant les activités de mise en situation assorties de stages – tout cela avec les meilleures intentions du monde –, on devait aussi, pour faire de la place, retirer des cours aux contenus jugés désormais trop théoriques et fondamentaux, souvent des cours extradisciplinaires.

Ce faisant, malgré une promotion bruyante de la part de nos institutions en faveur de l’interdisciplinarité, nous assistons depuis quelques années à un véritable processus inverse, soit à une profonde disciplinarisation des programmes d’études de premier cycle. Certains d’entre eux sont devenus totalement verrouillés à force d’être repliés sur eux-mêmes. J’en ai fait le constat récemment lors d’un examen de la structure des programmes de baccalauréat en sciences humaines à l’Université de Sherbrooke. Désormais, très peu de parcours de premier cycle offrent à leurs effectifs étudiants la possibilité d’explorer d’autres univers disciplinaires. Accompagné par une foi radicale dans la supériorité des méthodes de pédagogie active, le virage professionnalisant semble avoir eu pour effet d’extirper de ces programmes ce qu’il leur restait de l’esprit des « arts libéraux ». On se retrouve ainsi avec un baccalauréat en psychologie ainsi qu’un baccalauréat en études littéraires et culturelles qui offrent un maximum de trois cours « au choix » dans d’autres domaines et la possibilité de n’en faire aucun. La nouvelle mouture du baccalauréat en service social n’offre, pour sa part, plus aucun cours au choix. Dans certains cas, les exigences des ordres professionnels semblent avoir pesé lourd dans ce type d’orientation. Quoi qu’il en soit, ce virage a d’importantes incidences sur la bonne santé des départements d’histoire, désormais privés de ces apports d’effectifs externes. Mais, plus grave encore, le recul de la multidisciplinarité dans les formations dispensées a un impact sur les jeunes que l’on forme dans ces goulots très étroits et qui devront, néanmoins, affronter un monde complexe.

Ainsi, non seulement plusieurs formations professionnelles n’offrent pas, dans leur parcours obligé, des cours d’histoire de leur discipline – histoire du travail social, histoire de la psychologie, histoire de la médecine, par exemple – dispensé par une historienne ou un historien de formation, mais ces programmes ne permettent pas non plus à leurs étudiantes et étudiants d’élargir beaucoup leurs horizons en tant que futurs professionnels, praticiens et citoyens[12]. Si les historiennes et historiens doivent mener la bataille de l’histoire, ils devraient aussi, je le pense, mener la bataille de l’interdisciplinarité en proposant de nouveaux maillages avec des programmes qui, on peut l’imaginer, se retrouveront un jour un peu étouffés dans leur tricot trop serré et autoréférentiel.

Comme annoncé, j’évoquerai maintenant deux autres facteurs explicatifs à ce problème de la baisse des inscriptions dans les programmes de premier cycle en histoire. Il s’agit ici, je le répète, de pistes de réflexion qu’il conviendrait d’explorer davantage.

La réticence des filles à s’inscrire en histoire

Le fait qu’il y ait davantage d’hommes que de femmes à s’inscrire au baccalauréat en histoire n’est pas un phénomène nouveau de la dernière décennie[13]. On peut néanmoins se demander pourquoi ces proportions restent aussi stables et ne tendent pas vers la parité. Le « marché » des filles reste à prendre, si on veut parler en ces termes. À l’échelle du Québec, l’histoire attire moins les étudiantes que les étudiants, et pourtant, celles-ci sont plus nombreuses à s’inscrire dans un programme de baccalauréat universitaire – à hauteur de 57,7 % – et plus nombreuses encore à choisir les sciences humaines – 65,9 % (voir Tableau 1)[14]. Comment expliquer que l’histoire ne les rejoigne pas davantage ? Meilleures que les garçons sur le plan académique, les filles ont certes une plus grande facilité à être admises dans des programmes contingentés comme le droit, les communications ou la psychologie. Mais il y a lieu de penser que la socialisation différenciée des filles, qui les incite vraisemblablement encore à se projeter plus tôt dans l’avenir que les garçons, les entraîne, pour cette raison, à jouer de prudence en choisissant des parcours de savoir qui offrent – en apparence – une meilleure convertibilité sur le marché de l’emploi. L’histoire, qui souffre comme on l’a vu d’un problème d’image, serait-elle associée davantage par les filles au monde du divertissement, du jeu vidéo et des séries télévisées ? La discipline serait, selon cette perception, une option peu sérieuse et porteuse d’avenir… Ajoutons à ces facteurs l’attrait encore très grand des domaines associés au « care » auprès des clientèles féminines. Enfin, des étudiantes avec qui j’ai discuté informellement me suggèrent aussi cette piste : l’histoire, telle qu’enseignée au secondaire et au cégep, demeure très associée à la guerre et au militaire, domaines qui continuent de moins intéresser les filles de nos jours. Il est difficile de trancher de manière définitive sur ces questions, mais une chose est sûre : nous devons, collectivement, nous interroger sur les fondements de cette sous-représentation durable des femmes dans nos effectifs.

Le divorce entre l’enseignement universitaire et les carrières d’enseignement

Enfin, le dernier facteur que j’aborderai ici brièvement est celui du divorce malheureux entre le baccalauréat en histoire et les carrières d’enseignement au secondaire. On ne doit certes pas exagérer l’importance de ce facteur, puisqu’on sait que la baisse des effectifs existe dans les programmes de premier cycle en histoire ailleurs qu’au Québec, dans des provinces et des États où la formation des maîtres est structurée différemment. Néanmoins, je pense qu’un meilleur accès à l’enseignement secondaire serait une source d’attractivité plus forte pour nos programmes, car il ouvrirait des perspectives de carrières intéressantes aux futurs diplômés. Qui sait si, par effet de contagion, un enseignement offert par des maîtres ayant une formation plus approfondie en histoire pourrait aussi avoir un effet à la hausse sur le recrutement universitaire ?

Tableau 1

Taux de féminisation des effectifs de certains domaines selon le cycle d’études, 2015

Taux de féminisation des effectifs de certains domaines selon le cycle d’études, 2015
Source : Québec, Banque de données des statistiques officielles sur le Québec. Données traitées par le Centre interuniversitaire de recherche sur la science et la technologie (CIRST)

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Après plus de 25 ans d’un baccalauréat en enseignement au secondaire qui a non seulement fait disparaître l’histoire sous le vocable plus général d’ « univers social », mais qui a surtout privilégié une scolarité allégée dans les matières de base au profit de la pédagogie, nous avons plus ou moins baissé les bras devant ce modèle de formation des maîtres devenu notre nouvelle réalité. Cependant, les conséquences demeurent lourdes et l’école québécoise continue de se priver, année après année, de ces ressources humaines de grande valeur que sont les bachelières et bacheliers spécialisés dans des matières comme l’histoire, la géographie, les sciences, etc. Les quelques passerelles bancales – les maîtrises qualifiantes – aménagées plus récemment ne changent rien au fond de l’affaire, selon ma lecture de la situation. L’Institut d’histoire de l’Amérique française (IHAF) a réactivé récemment ce dossier par des lettres aux médias[15] et une pétition[16]. Des commentateurs de la scène éducative plaident pour le même changement[17]. Je considère que cette question devrait figurer en priorité de nos efforts collectifs, surtout à l’heure où l’on s’inquiète de la pénurie d’enseignantes et d’enseignants.

Conclusion

S’il est un peu décourageant de voir dans quel sens et avec quelle force souffle le vent, nous sommes bien placés, nous, historiennes et historiens, pour savoir que rien n’est fixe et que le vent peut aussi changer de direction. Les débats entre enseignements pratiques et enseignements fondamentaux ne datent pas d’hier ; ils traversent toute l’histoire de l’éducation. Longtemps d’ailleurs, le modèle des humanités classiques a été considéré comme supérieur aux formations pratiques et la promotion d’un savoir désintéressé plutôt qu’utilitariste était de bon ton[18]. J’ai la naïveté de penser qu’on peut difficilement pousser encore plus loin la disciplinarisation et la professionnalisation de nos filières d’enseignement universitaire de premier cycle. Ne cesse-t-on pas de répéter que les problèmes sociaux et les défis auxquels nous serons amenés à faire face au cours des prochaines décennies – crise environnementale, pluralisation de nos sociétés, foisonnement des vérités alternatives, développement de l’intelligence artificielle – sont complexes et demandent une profondeur de vue, un esprit critique et de la polyvalence ?

C’est donc à un véritable chantier de revalorisation de leur filière de formation auquel les historiennes et historiens universitaires sont conviés. Et cela ne va pas sans un certain effort de réflexion introspective. Car s’il y a bel et bien un problème d’image, il nous revient aussi d’y faire face. On pointe souvent du doigt la faible visibilité médiatique des historiennes et historiens, mais la question de la spécialisation très fine de nos créneaux de recherche et d’enseignement demanderait à elle seule qu’on s’y attarde aussi. Elle semble contribuer de manière importante à l’élargissement du fossé qui sépare trop souvent les spécialistes universitaires des publics élargis, privant les premiers d’une plus profonde inscription dans les débats de leur temps. L’inflation des exigences en matière de production scientifique laisse peu de temps aux universitaires pour d’autres types d’intervention. La revalorisation de la culture générale, pour laquelle je plaide dans cet essai, doit aussi prévaloir au sein même du champ de la pratique historienne et venir compenser cette tendance systémique à la surspécialisation. Cela implique aussi que la profession doit réfléchir au type de réalisations professionnelles qu’elle valorise auprès de ses membres. À côté des articles scientifiques évalués par les pairs, les oeuvres de synthèse, les essais et autres efforts de « transfert des connaissances » ne devraient plus être relégués, comme ils le sont encore, au bas des curriculum vitae universitaires.

Voilà, manifestement, beaucoup de pain sur la planche… Mais la cause vaut la peine. Ainsi, contre l’obsolescence programmée de certaines formations trop étroitement associées à des tâches et fonctions particulières, unissons nos efforts pour une nécessaire revalorisation de l’histoire.