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Le voici donc, ce dernier morceau de la « trilogie » annoncée par son auteur lui-même il y a quelques années déjà. Le professeur Jacques Deslauriers nous a en effet donné, depuis 2004, trois ouvrages de doctrine touchant autant de sujets d’importance en droit privé : le premier porte sur la faillite et l’insolvabilité[1], le second sur la vente, le louage et le contrat d’entreprise ou de service[2] et le dernier-né se consacre à l’étude du droit des sûretés réelles au Québec[3].

Matière qu’il enseigne depuis plus de 30 ans à l’Université Laval, l’oeuvre du professeur Deslauriers est celle d’un pédagogue ayant été le témoin, voire parfois l’acteur, de l’évolution du droit des sûretés au Québec, depuis le Code civil du Bas Canada jusqu’au Code civil du Québec[4]. Dix-huit ans s’étaient écoulés depuis la parution, en 1990, de son Précis de droit des sûretés[5]. C’était pour mieux nous revenir avec un livre aux ambitions plus larges, car c’est plutôt d’un véritable traité qu’il s’agit désormais.

Ouvrage de droit positif de facture classique, éprouvé au fil du temps comme outil didactique auprès de ses étudiants, le traité du professeur Deslauriers s’adresse tout autant aux praticiens qu’aux magistrats.

Le plan suit essentiellement les divisions du livre sixième du Code civil du Québec, qui sont enrichies çà et là de certains ajouts permettant d’en compléter le tableau. Mais avant de plonger dans cette étude plus fidèle au Code civil actuel, le livre s’ouvre par une introduction générale dont l’objectif est de retracer l’historique du système des sûretés, de l’Antiquité à nos jours, en passant par l’époque médiévale et le droit français. De plus, cette introduction pose les jalons de tout régime de sûretés, en présentant les concepts fondamentaux, dont cette idée de rupture avec le principe de l’égalité des créanciers, qui en fait un régime exorbitant du droit commun.

Dans la matière étudiée, le professeur Deslauriers a choisi de n’y pas traiter explicitement et systématiquement des « sûretés-propriété » que sont la vente à tempérament, la vente à réméré, le crédit-bail et le bail à long terme ; tout au plus aborde-t-il la fiducie-sûreté en fin de parcours. Bien sûr, la matière est abondante et il faut parfois en sacrifier certains pans. Cependant, la raison qui semble invoquée par le professeur Deslauriers pour ce faire peut surprendre : « les réserves de propriété ne sont pas considérées par la Cour suprême comme des sûretés, les sûretés supposant qu’un créancier détient une priorité ou une sûreté sur des biens appartenant à son débiteur[6] ». Pourtant, nous pourrions soutenir, avec égards, que l’analyse de la Cour suprême du Canada diffère si la situation se présente après le 1er juin 2001[7], à la lumière des modifications apportées à la définition de l’expression « créancier garanti » de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité[8], qui fait des vendeurs à tempérament, à réméré et du fiduciaire d’une fiducie-sûreté, des créanciers garantis aux termes de cette loi, le législateur fédéral codifiant, assez ironiquement de surcroît, une certaine forme de « présomption d’hypothèque[9] ». Quoi qu’il en soit, le professeur Deslauriers ne s’aventure pas dans le débat ayant entouré le rejet de cette approche téléologique que l’Office de révision du Code civil[10] avait fait sienne et que le Code civil du Québec n’a pas retenue. Et pourtant, ce débat revient ponctuellement hanter les tribunaux, depuis l’adoption du nouveau Code civil.

Le professeur Deslauriers ne traite pas non plus des sûretés personnelles, voire autonomes, si ce n’est qu’occasionnellement, par exemple lorsqu’il discute des cautionnements d’exécution dans le domaine de la construction[11].

Toutefois, la matière abordée ne se limite pas qu’à l’étude des sûretés réelles du Code civil du Québec, loin s’en faut. Ainsi, tout un chapitre est consacré à la garantie bancaire de l’article 427 de la Loi sur les banques[12], ce qui ne fait habituellement pas l’objet d’ouvrages consacrés au droit des sûretés[13].

L’une des grandes qualités du travail du professeur Deslauriers réside dans sa démonstration continue, tout au long de son texte, des liens inextricables qui existent entre le droit des sûretés et le droit de la faillite et de l’insolvabilité. De leur création à leur mise en oeuvre jusqu’à leur extinction, les sûretés sont pénétrées par les règles du droit de l’insolvabilité, et l’auteur, compétent dans les deux domaines, nous fait profiter de sa double expertise. Ce faisant, il vient combler une lacune, car la plupart des autres ouvrages consacrés au sujet, néanmoins de bonne facture, ne se préoccupent pas de cet aspect pourtant non négligeable. Nous aimerions cependant que le professeur Deslauriers, dans une prochaine édition, aille encore plus loin dans cette direction, car il ne discute pas de l’incidence de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies[14] sur le droit des sûretés, non négligeable elle aussi.

De façon générale, le professeur Deslauriers évite de prendre position sur les sujets controversés, bien qu’il les signale immanquablement. Par exemple, il est difficile de savoir où il loge sur la question de la « dématérialisation » du gage : on pourrait croire qu’il soit en faveur de l’approche restrictive[15] mais, à certains endroits, il cite avec approbation des décisions allant en sens contraire[16]. De plus, les développements entourant l’adoption récente de la Loi sur le transfert de valeurs mobilières et l’obtention de titres intermédiés[17] sont absents de son oeuvre, peut-être en raison de la date de tombée qui lui fut imposée avant d’aller sous presse.

Le titre viii de cet ouvrage reste cependant celui que nous préférons. Le consacrant au financement et aux sûretés en faveur de créanciers multiples, le professeur Deslauriers y va d’un exposé intéressant qui fait un bon tour d’horizon, d’un point de vue tant historique que critique. Toute la structure entourant l’hypothèque consentie en faveur du fondé de pouvoir des créanciers de l’article 2692 du Code civil y est disséquée et les suggestions de réformes y sont nombreuses.

Le traité se termine par une conclusion aussi brève qu’étonnante, dont le dernier paragraphe mérite d’être reproduit :

1963. Les sommes impliquées et l’ingénierie financière de ces financements échappent de plus en plus aux institutions locales, pour se retrouver à New York et à Londres. Notre système ne peut se permettre de ne pas suivre la tendance législative des juridictions d’origine ou d’ingénierie financière des capitaux, sans répercussion négative sur la capacité des entreprises québécoises d’obtenir les fonds nécessaires à leur croissance[18].

Faisant très certainement écho à ses critiques relatives aux structures de financement impliquant plusieurs créanciers qui prévalent à l’heure actuelle sous l’empire du Code civil, ce commentaire se veut nécessairement plus large, dans le contexte de la conclusion générale de son ouvrage. S’il a peut-être raison d’émettre un tel commentaire, le professeur Deslauriers conclut néanmoins par une question épineuse : pourrait-elle faire l’objet d’un prochain texte ? C’est, en tout cas, de cette manière que nous l’avons reçue et nous espérons qu’il y donnera suite.

En terminant, il faut saluer la contribution significative du professeur Deslauriers, fidèle observateur qui rend aux juges, aux universitaires et aux praticiens tout leur tribut. Tout en illustrant le droit civil actuel dans un esprit de continuité avec l’ancien Code, ce traité sur le droit des sûretés réelles au Québec ne manquera pas de faire oeuvre utile.