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Notre expérience comme avocates et conseillères syndicales nous a permis de constater que l’encadrement juridique des obligations des employeurs au regard de la santé mentale au travail est soit insuffisant, soit inadapté à cette problématique lorsqu’il est question de l’aborder dans une optique de prévention.

Notre article veut illustrer ce constat, à l’aide d’exemples tirés de deux sphères d’encadrement juridique : le droit à l’égalité et la protection contre le harcèlement psychologique. Dans ces deux sphères, une approche systémique ou organisationnelle permettrait d’envisager des solutions plus proactives, mais les tribunaux peinent à épouser une telle conception du droit. Nous ne visons pas à présenter ci-dessous les résultats des nombreuses recherches sur la santé mentale au travail : nous nous limiterons plutôt à discuter des lacunes du droit que nous avons relevées à cet égard et à proposer un autre regard sur les obligations des employeurs.

1 La problématique

Les problèmes de santé mentale sont à la fois causes et conséquences de contraintes organisationnelles importantes, tant du point de vue de la gestion que du point de vue du personnel. En effet, ils peuvent être liés à de l’absentéisme, à des obstacles à l’intégration et au maintien en emploi, à l’absentéisme et au présentéisme, à des conflits interpersonnels, à une diminution de productivité, bref, à un ensemble de difficultés qui entraînent des coûts humains et économiques.

Une des particularités de cette source de problèmes est que la santé mentale est associée à des tabous, à des stigmates et à des discriminations[1] insidieuses, bien qu’il soit estimé qu’à tout moment environ 20 p. 100 de la population adulte souffre d’un problème de santé mentale[2].

Les problèmes de santé mentale au travail constituent actuellement l’une des plus importantes causes d’absence au travail, et ce phénomène a connu une croissance marquée au cours des dernières années[3]. Ce sont également des problèmes caractérisés par de plus longues périodes d’absence et de hauts taux de rechute.

Les recherches récentes mettent en évidence à quel point des facteurs liés au travail jouent un rôle primordial comme déterminants de l’absence du travail dans les cas de problèmes de santé psychologique. Par exemple, St-Arnaud et autres ont publié les résultats d’une recherche réalisée auprès de salariés des secteurs public et parapublic québécois qui ont connu un épisode d’absence en raison d’un problème de santé mentale : les répondants ont indiqué s’être absentés en raison de facteurs liés au travail dans plus de 90 p. 100 des cas[4].

L’organisation déficiente du travail et les milieux de travail malsains peuvent entraîner des problèmes de santé mentale tels que l’épuisement professionnel, la dépression ou les troubles d’adaptation et aussi provoquer des situations de harcèlement causant des atteintes psychologiques à l’intégrité des individus aux prises avec ces comportements néfastes.

Selon une vaste étude menée sur l’ensemble de la population active québécoise[5], 36,5 p. 100 des victimes de harcèlement psychologique souffrent de détresse psychologique comparativement à 14,6 p. 100 chez les travailleurs non victimes de harcèlement. Pour le harcèlement sexuel, ce taux grimpe à 46,3 p. 100, d’où l’importance de s’en préoccuper et de mettre en place des mesures efficaces de prévention.

En raison de la mondialisation et de la culture de la performance, les organisations se sont déresponsabilisées relativement au bien-être des travailleurs, se bornant souvent à offrir une protection d’assurance invalidité qui permet de placer les victimes sur la voie d’évitement en les excluant du milieu de travail. Cette façon de gérer les problèmes de santé mentale nuit évidemment à une remise en question de l’organisation du travail. Personne ne s’attaque donc à la surcharge quantitative et qualitative de travail, et il en résulte une augmentation du niveau de stress qui favorise le développement de comportements visés par la notion de harcèlement psychologique[6].

Selon Caron[7], les pressions constantes liées à la production et au rendement augmentent de façon significative le niveau de stress vécu par les employés au quotidien, ce qui les porte à négliger tout l’aspect humain des relations de travail nécessaire au bon fonctionnement d’une entreprise et au maintien d’un climat professionnel sain.

La précarisation et l’insécurité d’emploi sont aussi des facteurs organisationnels favorisant le harcèlement et l’apparition de problèmes de santé mentale. Selon Vézina et Dussault, la « peur de perdre son emploi peut générer un contexte de lutte pour la survie où tous les coups bas sont permis et où le chacun pour soi fait partie des nouvelles règles du jeu[8] ». La flexibilité réclamée des salariés peut sembler comporter de nombreux avantages du point de vue de la gestion organisationnelle. Toutefois, les coûts indirects que l’insécurité et la précarisation impliquent ne sont généralement pas pris en compte dans l’équation, notamment les impacts sur le climat de travail et sur la santé psychologique des travailleurs.

Plusieurs études ont permis de bien documenter l’effet des contraintes psychosociales de travail sur la prévalence et l’incidence des problèmes de santé mentale[9]. L’une des sources fréquemment mise en évidence est liée aux problèmes de rôles et de tâches dans une organisation. Le manque de reconnaissance, l’absence de latitude décisionnelle, les tensions au travail et le faible soutien social sont des contraintes organisationnelles qui entraînent le développement de problèmes de santé mentale.

Le travail d’équipe, s’il est mal géré ou mal encadré, peut aussi être la cause du développement de comportements harcelants. Selon Leymann, des conflits naissent, car « le groupe ne peut tolérer d’aucun de ses membres un comportement déviant des normes collectives. Toute déviation est alors punie soit par la coercition, soit par l’exclusion, et le déviant devient le bouc émissaire du groupe[10]. » Ainsi, le style de gestion de l’entreprise peut également devenir source de conflits. Le laisser-faire entraînera la détérioration du climat de travail : les désaccords, les disputes, les discordes ne sont jamais réglés, et cela peut avoir pour effet de créer un climat propice au harcèlement psychologique. La gestion autoritaire, c’est-à-dire lorsque l’employeur s’intéresse plutôt à la performance et à la production sans tenir compte des travailleurs, aura un effet semblable. Ces styles de gestion peuvent avoir des conséquences lourdes sur le milieu de travail.

De même, la banalisation des comportements irrespectueux peut être la cause du harcèlement psychologique. Dans leur étude, Vézina et Dussault traitent d’un phénomène de tolérance aux cas d’incivilité dans bon nombre d’organisations[11]. Le laisser-faire des gestionnaires à l’égard de ces comportements ouvre la porte à des agissements encore plus nocifs pouvant aller jusqu’au harcèlement psychologique. Caron est d’avis que les salariés sont rendus au point de tolérer l’intolérable[12].

Des valeurs organisationnelles malsaines peuvent donc influer sur le développement de problématiques liées au harcèlement psychologique. De même, certaines pratiques de gestion et des modes d’organisation du travail peuvent entraîner une augmentation des problèmes de santé mentale. La compétition excessive, les pratiques de gestion injuste et inéquitable ainsi que l’obligation pour les travailleurs de se conformer complètement aux normes et aux valeurs de l’entreprise provoquera des risques accrus pour ceux qui ne s’y conformeront pas parfaitement.

En dernier lieu, il faut souligner que, en matière d’absentéisme, les pratiques de gestion les plus courantes se penchent sur les lacunes, les faiblesses et les problèmes individuels des salariés qui s’absentent et dont le retour au travail est envisagé. Toutefois, cette approche individuelle est insuffisante pour assurer une réintégration harmonieuse et le maintien en emploi : l’amélioration des conditions de travail au moment du retour au travail est un déterminant majeur d’une réintégration réussie, du maintien en emploi et d’un état de santé psychologique favorable à plus long terme[13]. L’efficacité d’une démarche de réinsertion en emploi dépendra d’une analyse fouillée des occasions et des obstacles liés au retour au travail à différents niveaux : de la situation de travail de l’individu jusqu’à l’organisation globale du travail.

Selon St-Arnaud et autres, les interventions individuelles (programme d’aide aux employés, formation sur la gestion du stress, etc.) sont insuffisantes pour agir sur un problème d’ordre collectif[14]. L’analyse de l’organisation du travail et l’intervention à ce niveau sont plus efficaces parce qu’elles ont pour objet de diminuer l’impact des contraintes psychosociales et agissent à la source sur les facteurs de risques liés à la santé mentale au travail.

2 Les obligations de l’employeur et les moyens de les mettre en oeuvre

Malheureusement, notre expérience nous permet d’affirmer que rares sont les employeurs qui reconnaissent que l’organisation du travail peut avoir un lien avec la santé mentale de leurs travailleurs ou avec le harcèlement psychologique. Les stratégies d’intervention habituelles servent avant tout à améliorer la capacité des travailleurs à s’adapter au milieu, ou encore à les en exclure. Les entreprises ont tendance à ne pas agir en amont sur leurs pratiques de gestion ou l’organisation du travail à l’origine des problèmes[15].

Même en milieu syndiqué, l’organisation du travail demeure la vache sacrée du droit de gérance de l’employeur : aussi est-il difficile pour les organisations syndicales d’amener l’employeur à jeter un coup d’oeil dans une perspective de changement, dans le but d’épouser une approche préventive en matière de santé mentale au travail.

Un des moyens d’intervention des syndicats qui souhaitent pousser l’employeur dans cette direction est l’arbitrage des griefs lorsque les salariés subissent un préjudice en rapport avec leur état de santé. Malheureusement, et c’est ce que nous souhaitons mettre en lumière ici, les tribunaux sont très réticents à imposer des obligations aux employeurs à cet égard, malgré le fait que le droit devrait leur permettre une intervention plus proactive.

Nous présentons, dans un premier temps, un rendez-vous manqué en matière de respect des droits fondamentaux. En effet, nous sommes d’avis qu’une approche proactive et systémique qui a été privilégiée dans le cas de la discrimination dans l’accès à l’emploi pour les femmes n’a pas eu d’écho dans le cas du maintien en emploi pour les personnes atteintes de troubles psychologiques. Nous plaidons en faveur d’un nouveau regard sur le droit à l’égalité dans cette sphère.

Dans un deuxième temps, nous illustrons d’abord notre propos, voulant que des méthodes de gestion inappropriées règnent en milieu de travail et que le recours à l’arbitrage soit inefficace pour y mettre fin, à l’aide de l’exemple de la gestion de l’absentéisme chez les personnes aux prises avec une dépendance à l’alcool ou aux drogues. Ensuite, nous abordons succinctement en quoi les dispositions législatives relatives au harcèlement psychologique n’ont pas été utiles, jusqu’à maintenant, pour promouvoir une véritable approche préventive.

Nous explorons, dans un troisième et dernier temps, des pistes qui pourraient permettre d’envisager un travail de prévention plus proactif, avec la participation des représentants des salariés le cas échéant, encadré par la Loi sur la santé et la sécurité du travail (LSST)[16].

2.1 Le droit à l’égalité et l’obligation d’accommodement

Se pencher sur la santé mentale au travail implique de traiter du droit à l’égalité. En effet, le droit québécois reconnaît qu’un problème de santé mentale est habituellement un handicap[17] au sens de la Charte des droits et libertés de la personne[18] et, à ce titre, la personne affectée d’une telle condition bénéficie de la protection contre la discrimination, y compris la discrimination systémique.

Le droit à l’égalité ne se résume pas à un droit individuel isolé de son contexte plus global. Il doit être envisagé dans sa perspective collective et systémique[19]. C’est ce qu’a confirmé la Cour suprême du Canada dans l’affaire Meiorin[20], lorsqu’elle a rompu avec son approche plus traditionnelle qui consistait à examiner le droit à l’égalité de façon formelle sans égard à l’objectif d’atteindre une égalité réelle pour les personnes faisant partie d’un groupe protégé par les lois sur les droits de la personne.

L’exigence de disponibilité est la norme qui pose le plus problème dans le cas des personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale. L’exigence de disponibilité, ou l’exigence de fournir une prestation de travail dite « normale », appliquée de la même façon à tous, provoque une inégalité si une personne est incapable de répondre à l’exigence en raison de son handicap ou de son état de santé. D’où l’obligation de remettre en question la nécessité de l’exigence, ou encore la capacité de l’entreprise ou du milieu de travail à fonctionner autrement pour adapter l’exigence à la capacité des personnes.

Certains ont fait valoir que les personnes qui vivaient une situation de discrimination étaient obligées de demander un accommodement pour voir leur droit à l’égalité respecté, et que cela plaçait un lourd fardeau sur leurs épaules. Était-il normal de laisser aux personnes lésées le soin de revendiquer leur droit alors qu’il appartient à la société dans son ensemble d’assurer que les modes d’organisation sociale ne sont pas discriminatoires ?

La Cour suprême a donc choisi de reformuler la notion d’obligation d’accommodement en imposant aux employeurs de tenir compte du droit à l’égalité dans la formulation même des exigences d’emploi, des normes ou des façons de faire :

Les employeurs qui conçoivent des normes pour le milieu de travail doivent être conscients des différences entre les personnes et des différences qui caractérisent des groupes de personnes. Ils doivent intégrer des notions d’égalité dans les normes du milieu de travail. En adoptant des lois sur les droits de la personne et en prévoyant leur application au milieu de travail, les législatures ont décidé que les normes régissant l’exécution du travail devraient tenir compte de tous les membres de la société, dans la mesure où il est raisonnablement possible de le faire. Les cours de justice et les tribunaux administratifs doivent avoir cela à l’esprit lorsqu’ils sont saisis d’une demande dans laquelle l’existence de discrimination liée à l’emploi est alléguée. La norme qui fait inutilement abstraction des différences entre les personnes va à l’encontre des interdictions contenues dans les diverses lois sur les droits de la personne et doit être remplacée. La norme elle-même doit permettre de tenir compte de la situation de chacun, lorsqu’il est raisonnablement possible de le faire. Il se peut que la norme qui permet un tel accommodement ne soit que légèrement différente de la norme existante, mais il reste qu’elle constitue une norme différente[21].

Expliquant la méthode d’analyse de la portée de l’obligation d’accommodement, la Cour suprême écrit, toujours dans l’arrêt Meiorin :

Cette méthode est fondée sur la nécessité d’établir des normes qui composent avec l’apport potentiel de tous les employés dans la mesure où cela peut être fait sans que l’employeur subisse une contrainte excessive. Il est évident que des normes peuvent léser les membres d’un groupe particulier. Mais, comme le juge Wilson l’a fait remarquer dans Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Human Rights Commission), [1990] 2 R.C.S. 489, 518, « [s]’il est possible de trouver une solution raisonnable qui évite d’imposer une règle donnée aux membres d’un groupe, cette règle ne sera pas considérée comme [une exigence professionnelle justifiée (EPJ)] ». Il s’ensuit que la règle ou la norme jugée raisonnablement nécessaire doit composer avec les différences individuelles dans la mesure où cela ne cause aucune contrainte excessive. À moins qu’aucun accommodement ne soit possible sans imposer une contrainte excessive, la norme telle qu’elle existe n’est pas une EPJ, et la preuve prima facie de l’existence de discrimination n’est pas réfutée[22].

Quant à la notion de contrainte excessive, la Cour suprême ajoute que l’emploi de l’adjectif « excessive » suppose qu’une certaine contrainte est acceptable ; seule la contrainte véritablement « excessive » constitue la limite à l’obligation d’accommoder[23].

Dans cet arrêt, la Cour suprême a donc voulu imposer une obligation proactive aux employeurs, en se détachant de la dimension proprement individuelle du droit à l’égalité. En effet, une obligation proactive de repenser les normes et exigences d’emploi donne une dimension collective au droit à l’égalité en exigeant une forme de prévention des atteintes, ainsi qu’une réparation qui s’appliquera à l’ensemble des personnes susceptibles d’être lésées.

Enfin, il appartient à l’employeur, en défense, de faire la preuve d’une contrainte excessive, en tenant compte de facteurs comme les coûts associés à l’accommodement recherché, l’interchangeabilité des effectifs et la taille de l’entreprise, l’atteinte aux droits des autres employés ainsi que la sécurité pour le personnel et le public, l’ampleur du risque et l’identité de ceux qui le supportent.

2.1.1 L’approche systémique boudée

L’approche systémique et proactive, qui aurait permis d’imposer aux employeurs des démarches préventives en milieu de travail, n’a pas trouvé écho dans la jurisprudence subséquente, notamment dans les cas d’absentéisme en raison de troubles de santé mentale[24].

À titre d’exemple, dans les affaires CUSM[25] et Hydro-Québec[26], la Cour suprême a avalisé le point de vue de l’employeur voulant que, en soi, tolérer un absentéisme élevé de la part d’un employé peut constituer une contrainte excessive, et ce, sans une véritable démonstration des pressions sur le milieu de travail et des coûts engendrés par les absences.

Dans l’affaire CUSM, la salariée est une secrétaire médicale qui occupe un poste à temps plein lorsqu’elle quitte le travail en raison d’une dépression majeure. Elle tente à quelques reprises un retour progressif au travail, sans succès. Après deux années d’absence ponctuées de présence intermittente, les médecins évaluent au début de l’été qu’elle sera en mesure de reprendre le travail à l’automne. Entretemps, la salariée est victime d’un accident d’automobile, de sorte qu’elle ne peut reprendre le travail au moment convenu : elle doit attendre de se faire confirmer la date d’une chirurgie à l’épaule. Quelques mois plus tard, l’employeur la congédie en « fermant son dossier » en application d’une clause de la convention collective qui prévoit qu’en cas d’absence pour maladie la personne salariée perd son ancienneté et son emploi après le 36e mois d’absence.

La Cour suprême décide qu’une telle clause ne peut être appliquée automatiquement, compte tenu de l’obligation d’accommodement qui incombe à l’employeur et qui commande une évaluation individuelle de la situation de la salariée. Toutefois, les juges majoritaires s’écartent complètement de la jurisprudence antérieure sur les critères permettant d’apprécier la contrainte excessive que subirait l’employeur du fait de l’accommodement, et font porter le fardeau sur la salariée. Celle-ci devra faire la preuve qu’elle peut reprendre le travail dans un délai raisonnable : « L’obligation d’accommodement n’est ni absolue ni illimitée. L’employée doit faire sa part dans la recherche d’un compromis raisonnable. Si l’accommodement prévu par la convention collective en l’espèce lui paraissait insuffisant et qu’elle estimait être en mesure de reprendre le travail dans un délai raisonnable, elle devait fournir à l’arbitre des éléments permettant à celui-ci de conclure en sa faveur[27]. »

Il était évidemment impossible pour la salariée de faire cette preuve, puisqu’elle n’était pas en mesure de connaître la date à laquelle elle serait opérée. Par ailleurs, les médecins avaient considéré que son état de santé psychologique n’était plus un obstacle à son retour au travail. Cependant, les tribunaux appelés à se pencher sur cette affaire ont tenu compte manifestement de ses absences liées à des problèmes de santé mentale pour lui refuser la réintégration en emploi. En effet, ce n’était pas l’absence due à la blessure à l’épaule que l’employeur ne souhaitait pas accommoder, mais bien l’absentéisme imprévisible lié à sa santé psychologique.

Un an plus tard, la Cour suprême rend sa décision dans l’affaire Hydro-Québec. Il s’agit une fois encore d’un cas d’absentéisme lié à la santé psychologique de l’employée. La plaignante, qui conteste son congédiement, est commis aux ventes. Elle souffre d’un trouble de la personnalité mixte avec des traits de caractère limite (borderline). Pendant les années qui ont précédé son congédiement, elle s’est absentée du travail durant de longues périodes et à de nombreuses reprises. L’arbitre saisi de son grief a estimé que cette mesure avait été imposée à la plaignante à cause de son incapacité actuelle et future de fournir une prestation de travail régulière et qu’aucun accommodement n’était possible ; toutefois, l’arbitre a rendu cette décision sans appliquer les critères habituels pour évaluer la contrainte excessive. En révision judiciaire, la Cour supérieure a maintenu la sentence[28], mais la Cour d’appel a infirmé cette décision[29].

La Cour d’appel, à notre avis, a correctement suivi les enseignements de la Cour suprême dans l’affaire Meiorin, en imposant une obligation proactive à l’employeur. Ainsi, selon la Cour d’appel, l’employeur avait certes fait preuve de beaucoup de patience et de tolérance envers la plaignante, car il avait tenté à quelques reprises de l’affecter à des tâches différentes, dans le but évident qu’elle s’adapte à sa situation. Cependant, selon la Cour d’appel, l’employeur n’avait pas prouvé qu’avant de congédier la plaignante il avait envisagé toutes les mesures d’accommodement raisonnablement possibles.

L’arbitre avait fait une analyse incomplète des expertises présentées en preuve pour ne retenir que les éléments défavorables à la plaignante. Or, les experts s’entendaient pour dire que celle-ci ne présentait aucune pathologie psychiatrique justifiant une incapacité totale de travailler. Toujours selon la Cour d’appel, bien que les pronostics médicaux aient été réservés quant à sa capacité future de fournir une prestation soutenue de travail, les difficultés de la salariée étaient largement tributaires du fait qu’un conflit de travail perdurait au sein de son équipe et que l’employeur n’avait pas entrepris de le régler. Or, les médecins étaient d’avis que le règlement de ce conflit améliorerait grandement les chances de la plaignante de pouvoir fournir une prestation régulière de travail.

Enfin, fait important à noter, les médecins suggéraient un retour progressif au travail ou un horaire particulier à temps partiel. Hydro-Québec refusait cet accommodement au motif qu’il n’existait pas de statut d’employé à temps partiel. La Cour d’appel a donc précisé que l’obligation d’accommodement imposait à l’employeur d’être « proactif » et innovateur, de faire des gestes concrets d’accommodement. La limite à cette obligation nécessite de démontrer que ses tentatives sont vaines et que toute autre solution, qui doit être précisée, lui imposerait un fardeau excessif. Il ne s’agit pas d’affirmer qu’il n’y a pas d’autres solutions : encore faut-il en faire la démonstration.

Cette approche de la Cour d’appel est celle qui est nécessaire à une véritable démarche préventive qui implique aussi la prise en considération des facteurs de risques liés à une rechute ou à un conflit dans le milieu de travail.

Or, la Cour suprême, saisie de l’appel de cette excellente décision, a plutôt choisi d’adopter une vision beaucoup plus réductrice de l’obligation d’accommodement, déresponsabilisant l’employeur quant aux problèmes de santé mentale exacerbés par un milieu de travail conflictuel.

La Cour suprême a ainsi considéré que la simple tolérance des absences et les tentatives de déplacer l’employée, somme toute limitées, suffisaient : contrairement à sa décision dans l’affaire Meiorin, la Cour suprême a jugé que l’employeur n’avait pas l’obligation de modifier l’organisation du travail pour tenir compte des caractéristiques personnelles de l’employée : c’était plutôt à celle-ci de s’adapter au milieu de travail, même malsain.

Dans les décisions CUSM et Hydro-Québec, l’absentéisme est vu de façon unidimensionnelle comme un manquement à l’obligation de fournir une prestation dite « normale » de travail. La Cour suprême a alors dévié de l’approche systémique ayant pour objet de comprendre l’impact de la norme de travail, conçue pour les personnes ayant de pleines capacités, sur les personnes souffrant de troubles psychologiques. Également dans ces deux affaires, la Cour suprême a fait défaut de tenir compte de l’impact des contraintes liées à l’organisation du travail sur la santé mentale de l’individu. Au surplus, elle a opéré en quelque sorte un renversement du fardeau de la preuve, obligeant les salariées à faire la démonstration de leur capacité de fournir une prestation de travail dite « normale » dans un avenir prévisible.

Suivant ces précédents, la jurisprudence arbitrale a adopté, dans la majorité des cas[30], un raisonnement mécanique voulant que, par la démonstration d’un absentéisme chronique pendant une certaine période, il sera possible de justifier un congédiement dès que l’employeur aura « toléré » des retours au travail infructueux ou aura tenté sans succès de replacer l’employé dans un autre poste. Par contre, lorsque l’employeur n’a fourni aucun effort particulier ou a refusé toute mesure d’accommodement, la jurisprudence arbitrale penche davantage vers l’annulation du congédiement pour absentéisme dû à la maladie[31].

Certaines décisions arbitrales ont appliqué le raisonnement de la Cour suprême dans l’affaire Hydro-Québec à d’autres situations de limitations fonctionnelles, affirmant dorénavant qu’un employeur n’a pas à modifier les conditions de travail d’un salarié pour l’accommoder, étant donné que l’obligation de l’employeur cesse là où les obligations fondamentales rattachées à la relation de travail ne peuvent plus être remplies par l’employé dans un avenir prévisible. Cette tendance jurisprudentielle se contente des efforts de l’employeur de trouver un poste (déjà existant) pour l’employé à accommoder[32].

Les tribunaux ont donc abdiqué leur rôle, tel qu’il a été défini dans l’arrêt Meiorin, et sont revenus à un paradigme voulant que la personne handicapée doive s’adapter au milieu, à l’organisation du travail et aux conditions d’emploi, et non le contraire.

Nous souhaitons vivement que l’approche proactive et collective revienne à l’avant-plan, de manière à répondre à ce que la recherche désigne comme facteurs de risques en matière de santé mentale au travail. Cette dimension systémique du droit à l’égalité[33] doit prévaloir pour les personnes atteintes de limitations fonctionnelles d’ordre tant physique que psychologique.

2.1.2 L’exigence de livrer une prestation de travail dite « normale »

L’idée qu’une personne aux prises avec un problème de santé mentale soit obligée de démontrer sa capacité à offrir une prestation de travail « normale » nous apparaît très problématique du point de vue du droit à l’égalité.

L’absentéisme lié à la maladie mentale n’est pas non plus étranger au fait que, dans la majorité des cas, il est plus facile pour les gestionnaires de retirer du milieu la personne atteinte que d’entreprendre une intervention pour corriger le milieu de travail ou réorganiser le travail. Cela est paradoxal, puisque, dans certains cas, l’intervention dans une situation de conflit ou d’incapacité psychologique partielle d’un employé sera de renvoyer l’employé à la maison, avec des prestations d’assurance salaire. L’employeur laisse souvent la personne aux prises avec le problème entreprendre sa propre démarche thérapeutique, individuelle, sans soutien ni participation en vue de la réintégration et du maintien en emploi. Par la suite, en raison de ses stratégies de gestion de l’absentéisme pour diminuer les coûts de l’assurance salaire (parfois à titre personnel), l’employeur cherchera à évincer de façon permanente la personne absente.

Évidemment, nous ne parlons pas ici de maintenir en emploi des personnes totalement incapables de fournir quelque prestation de travail que ce soit. Ces personnes ne revendiquent évidemment pas le droit au travail. Nous parlons plutôt de celles qui sont soit temporairement incapables de fournir la prestation de travail attendue de leur part, soit partiellement incapables de livrer la prestation exigée, ou encore capables puis incapables par intermittence. Or, très souvent, comme nous l’avons vu en introduction, leur incapacité est due en tout ou en partie à des facteurs liés au travail.

Lorsque ces personnes revendiquent le retour ou le maintien en emploi, l’employeur leur oppose leur incapacité à offrir « leur prestation de travail » ou une « prestation de travail normale ».

Toutefois, qu’est-ce qu’une prestation de travail « normale » ? S’agit-il d’une prestation à temps plein, régulière, douze mois par année, selon un horaire de jour ? Est-ce plutôt la prestation, quelle qu’elle soit, irrégulière, à n’importe quelle heure, sur appel, selon le bon vouloir d’un employeur ?

À noter que l’exigence de livrer une prestation de travail n’est pas absolue. Elle dépend des circonstances, des différentes conditions de travail, y compris les jours fériés, les congés mobiles, les congés de maladie, les vacances, les périodes de libération syndicale et ainsi de suite. La plupart du temps, la prestation de travail varie selon les besoins de l’entreprise : horaires de quarts de travail, travail sur appel, heures supplémentaires, etc. La flexibilité de l’organisation du travail dépend de la nature de la tâche et de la possibilité que le travail soit effectué par autrui. Malheureusement, depuis les affaires CUSM et Hydro-Québec, les tribunaux présument que le seul fait de tolérer des absences constitue une contrainte excessive qui dégage l’employeur de ses obligations. Or, de simples adaptations à l’organisation du travail peuvent parfois être suffisantes pour qu’il n’y ait que peu ou pas d’inconvénients.

Par ailleurs, l’économie actuelle s’accommode trop bien d’emplois irréguliers, atypiques, à temps partiel et précaires, sans que personne soulève que ces modes d’organisation du travail posent problème au regard de caractéristiques fondamentales du contrat de travail. Il est paradoxal que les personnes salariées soient considérées comme ayant une obligation de fournir une prestation régulière, continue et sans interruption, mais que les employeurs n’aient pas de semblable obligation de stabiliser la relation d’emploi qu’ils peuvent entretenir avec les personnes à statut précaire, d’autant plus que l’instabilité est un facteur de risque reconnu en matière de santé mentale :

Le travail est l’un des aspects les plus fondamentaux de la vie d’une personne, un moyen de subvenir à ses besoins financiers et, ce qui est tout aussi important, de jouer un rôle utile dans la société. L’emploi est une composante essentielle du sens de l’identité d’une personne, de sa valorisation et de son bien-être sur le plan émotionnel. C’est pourquoi, les conditions dans lesquelles une personne travaille sont très importantes pour ce qui est de façonner l’ensemble des aspects psychologiques, émotionnels et physiques de sa dignité et du respect qu’elle a d’elle-même[34].

La perte de son emploi, pour des raisons liées à sa santé psychologique ou à son incapacité à fournir une prestation de travail dite « normale », influe sur la dignité de la personne, sur son sens de l’identité et sur la valorisation qu’elle peut avoir à jouer un rôle utile dans la société. C’est pourquoi l’atteinte au droit à l’égalité dans le contexte du travail devrait être évaluée en fonction de critères qui permettent la remise en question de l’organisation du travail et des pratiques de gestion. Nous nous devons d’évaluer le milieu de travail conçu sur la base du modèle de la personne « normale » au regard d’une obligation d’accommodement proactive, épousant une approche préventive des problèmes de santé mentale en fonction des facteurs de risque mis en évidence.

Il est vrai qu’il peut être difficile pour les gestionnaires et les collègues de composer avec les personnes qui ont des troubles de santé mentale. Cependant, en l’absence de dangers pour la sécurité physique ou psychologique des autres membres d’une équipe de travail, il est du devoir de tout un et chacun, à notre avis, d’agir en vue du maintien en emploi plutôt que de l’exclusion.

2.1.3 Les « ententes de dernière chance »

Nous souhaitons soulever une problématique liée à des pratiques de gestion mal adaptées à la situation des salariés aux prises avec des troubles de santé mentale, en particulier une dépendance à l’alcool ou aux drogues. Il s’agit de la prise en charge disciplinaire des comportements liés à la dépendance, que ce soit le présentéisme[35] ou l’absentéisme de l’employé.

Traditionnellement, les employeurs sanctionnaient par des mesures disciplinaires les comportements indésirables liés à la consommation de drogues ou d’alcool[36]. Il y a alors une gradation des sanctions, allant de la réprimande jusqu’au congédiement. Dans certains cas, l’employeur propose ou impose à l’employé une « entente de dernière chance[37] » qui inclut une clause de congédiement automatique en cas de récidive. Cela permet dès lors à l’employeur de mieux camper sa prérogative de congédier le salarié fautif, et de limiter le pouvoir de l’arbitre en cas de contestation[38].

Tranquillement, les tribunaux ont constaté dans les cas d’absentéisme que, si les absences étaient dues à des facteurs indépendants de la volonté du salarié, il fallait plutôt parler de mesure administrative ; toutefois, la qualification de la mesure d’administrative n’est pas forcément accompagnée d’un regard nouveau sur les obligations de l’employeur à l’égard de la situation de handicap physique ou psychologique du salarié[39].

Plus récemment, la jurisprudence arbitrale a reconnu que les difficultés au travail associées à des problèmes de santé mentale, d’alcoolisme ou de toxicomanie ne pouvaient pas être étudiées de la même manière que les problèmes comportementaux d’ordre général. Le congédiement d’une personne dans cette situation, en raison, par exemple, de son absentéisme ou de sa consommation de drogues ou d’alcool, est une mesure qui est discriminatoire et qui commande donc une obligation d’accommodement jusqu’à contrainte excessive.

De façon majoritaire, la jurisprudence arbitrale évalue maintenant, même en présence d’une entente de dernière chance conclue avec le salarié et son syndicat, si l’employeur a rempli ses obligations envers le salarié avant de procéder à la rupture du lien d’emploi[40]. Dans ces cas toutefois, il conviendra de tenir compte de cette entente de dernière chance dans l’évaluation des efforts d’accommodement consentis par l’employeur. À notre avis, cette approche est la bonne, mais elle n’évacue pas les difficultés d’application.

La possibilité que l’entente de dernière chance soit inapplicable dans les faits, conjuguée au flottement jurisprudentiel[41] entourant la compétence de l’arbitre pour évaluer la mesure prise par l’employeur en l’absence d’obligation d’accommodement, rend l’intervention et la représentation difficiles pour le syndicat et nuit à toute démarche de prévention.

Certains employeurs ne reconnaissent pas leur obligation d’accommodement à l’endroit du salarié ; parfois, c’est parce que ce dernier refuse de dévoiler ou de reconnaître lui-même sa dépendance ou son trouble psychique. D’autres fois, l’employeur ne connaît tout simplement pas l’état du droit. Dans ces situations, il arrive que le travail de représentation syndicale nécessite de proposer la signature d’une entente de dernière chance pour permettre d’annuler un congédiement et de convaincre la personne salariée de requérir des soins. Toutefois, si l’employé ne respecte pas ses engagements, l’employeur s’attend alors du syndicat qu’il ne conteste pas la mesure qui s’ensuivra. Cependant, cela n’est pas toujours possible, car les contours de l’obligation d’accommodement ne peuvent pas être définis à l’avance, sans même connaître le pronostic de retour au travail et la contrainte que cela posera à l’employeur au terme de la démarche. En raison de son devoir de représentation, le syndicat pourra rarement refuser de contester par grief un congédiement subséquent.

Dans d’autres situations, l’initiative de l’entente de dernière chance provient de l’employeur qui menace le salarié de congédiement à défaut d’un tel accord ; dans ces cas, le texte est habituellement rédigé pour ne laisser aucune marge de manoeuvre au syndicat en cas de manquement de la part de l’employé. Sa capacité de représentation est alors très limitée.

Quoique dans certains cas l’entente de dernière chance serve des objectifs légitimes de réadaptation, elle est souvent mal utilisée ou appliquée et, en ce sens, ne permet pas d’éviter des litiges[42]. Lorsque ceux-ci surviennent, malheureusement, cette façon de gérer les conséquences liées aux problèmes du salarié est avalisée par les tribunaux, étant donné l’état du droit sur cette question. Ainsi, le tribunal pose un regard individualisé sur la santé mentale du salarié et juge de sa capacité de « se prendre en mains » indépendamment des facteurs contextuels liés au milieu de travail. Sont évacués également les efforts de prévention que les parties devraient faire en favorisant la réadaptation au travail.

Bien que chaque cas soit un cas d’espèce, nous croyons que, pour être susceptible d’être efficace, l’entente de dernière chance devrait être façonnée de manière à reconnaître des obligations à l’employé, mais aussi à l’employeur, dans une perspective de prévention des rechutes et non sous une forme disciplinaire. Les parties devraient prévoir un terme raisonnable au-delà duquel elles devront réévaluer la situation, et non s’en tenir à un texte d’une durée indéfinie. Cette entente devrait s’inscrire dans un cadre respectant les droits fondamentaux, par exemple en limitant les atteintes à la vie privée tel que le dépistage aléatoire. Dans un même ordre d’idées, elle devrait demeurer souple et ne pas contenir de sanction automatique, ce qui contreviendrait au droit à l’égalité. Enfin, la démarche devrait tenir compte du fait que les rechutes sont non seulement fréquentes, mais presque inévitables dans le processus thérapeutique des cas de dépendance. Il ne faut donc pas y voir un manque de volonté ou une absence de responsabilisation de la part du salarié. Dans plusieurs cas, la démarche de réhabilitation nécessitera aussi un regard sur les facteurs de stress dans le milieu de travail.

2.2 Les dispositions en matière de harcèlement psychologique

La Loi sur les normes du travail[43] impose à l’employeur de prévenir le harcèlement psychologique dans le milieu de travail et, lorsqu’il se manifeste, de le faire cesser : « L’employeur doit prendre les moyens raisonnables pour prévenir le harcèlement psychologique et, lorsqu’une telle conduite est portée à sa connaissance, pour la faire cesser[44]. »

Comment cette obligation de prévenir a-t-elle été mise en oeuvre ? Nous n’avons pu répertorier aucune décision où l’on tentait d’obtenir d’un tribunal qu’il ordonne à l’employeur de prendre des moyens de prévention par un recours indépendant d’une plainte d’une personne victime de harcèlement. Or, si une victime se plaint et qu’une situation de harcèlement est constatée, c’est manifestement qu’il y a eu défaut de prévenir ou que les mesures de prévention ont échoué.

Nous sommes d’avis qu’un processus de plainte lancé par une victime n’est pas approprié pour mettre en oeuvre une obligation de prévention proactive. Certes, l’obligation est clairement énoncée, il est possible d’affirmer que l’employeur doit être proactif et non seulement réactif[45], quoique l’obligation soit une obligation de moyen. Certaines décisions arbitrales vont en ce sens. Par exemple, un employeur ne peut se contenter d’attendre le dépôt de plaintes avant d’agir dans un milieu de travail « pollué » ; l’employeur ne saurait se retrancher derrière l’adoption d’une politique et d’une procédure pour se défendre de n’être pas intervenu pour prévenir et faire cesser le harcèlement[46]. L’existence d’une politique pour contrer le harcèlement n’est donc pas suffisante pour conclure que l’employeur s’est acquitté de ses obligations[47].

Toutefois, un examen plus attentif de la jurisprudence arbitrale nous convainc que les dispositions adoptées pour contrer le harcèlement psychologique au travail ratent leur cible. Il ne faut pas perdre de vue que, au moment de leur adoption, le législateur visait à ce que les milieux de travail soient assainis par un examen critique de l’organisation du travail et de l’exercice du droit de gérance, devant un phénomène alors qualifié de systémique : « Les règles actuelles du marché du travail, qu’il s’agisse des exigences accrues de flexibilité, de productivité ou encore du recours de plus en plus grand aux emplois atypiques, contribuent à accroître la vulnérabilité des travailleuses et des travailleurs et favorisent l’occurrence d’incidents de harcèlement psychologique[48]. »

Une étude fouillée réalisée par la professeure Cox appuie notre constat[49]. Les décideurs posent un regard sévère sur les personnes qui portent plainte et ils jugent du caractère « normal » ou non de leur personnalité et en fonction de la présence d’une pathologie d’ordre psychologique. Cette tendance a pour effet d’écarter l’analyse sociale et organisationnelle des milieux de travail et fait porter le blâme aux plaignants pour les dysfonctions constatées. Un mécanisme fréquent pour ce faire est le recours à l’idée que l’individu qui se plaint se pose en victime afin de se déresponsabiliser. Certains déduisent alors que la perception de cette personne n’est pas celle d’une « victime raisonnable » au sens de l’examen objectif/subjectif que requiert la jurisprudence[50]. La tendance est donc d’analyser la personnalité des personnes en cause plutôt que les lacunes dans la gestion organisationnelle qui ont permis aux conflits de naître et d’empoisonner le milieu de travail. Nous avons pu observer cette tendance dans plusieurs décisions, notamment celles qui sont répertoriées dans l’étude mentionnée plus haut[51]. Nous partageons donc l’avis de Me Cox lorsqu’elle note ce qui suit :

Ainsi, les responsabilités de l’employeur en matière d’organisation du travail sont éclipsées au profit d’un discours qui souligne le refus des personnes qui portent plainte d’intérioriser les normes sociales de leur milieu de travail et de s’y conformer. Tel qu’appliqué par plusieurs arbitres, le droit semble refuser de reconnaître des droits aux personnes contestataires ou qui dénoncent les comportements de leurs supérieurs et de leurs collègues vécus comme étant des conduites vexatoires, les considérant comme des personnes qui « posent problème »[52].

Une des difficultés pouvant expliquer ce constat est le fait que le processus de débat contradictoire qu’impose le recours de la Loi sur les normes du travail ne permet pas aisément de mettre en lumière les contraintes organisationnelles et les lacunes de gestion qui ont pu mener à la situation dont une personne se plaindra éventuellement. De plus, pour qu’une personne porte plainte dans un tel contexte, il est probable qu’elle a des caractéristiques qui la place en dehors de la norme attendue : soit une fragilité particulière, soit des traits de personnalité la poussant à faire valoir ses droits.

Dans cette dynamique, le devoir de représentation syndicale à l’endroit du salarié plaignant pris individuellement ne favorise pas non plus un regard plus global et collectif sur la situation problématique.

Au surplus, la jurisprudence a campé de façon très étroite le regard possible sur l’exercice des pouvoirs de gestion de l’employeur. La Commission des relations du travail résume ainsi l’état du droit sur cette question :

Cela dit, le présent dossier évolue principalement au carrefour des droits de direction et il implique une employée gestionnaire et sa patronne, propriétaire de l’entreprise. Sur la question des droits de direction, la jurisprudence s’est déjà prononcée sur quelques balises.

Ainsi, l’employeur possède une discrétion étendue sur la direction et le contrôle du personnel. Par ailleurs, l’exercice normal du droit de direction implique inévitablement du stress et des désagréments pour les salariés. L’exercice discrétionnaire du droit de direction de l’employeur ne peut constituer un abus que s’il est exercé de manière arbitraire, déraisonnable ou discriminatoire. De plus, cet abus ne peut constituer du harcèlement psychologique que s’il satisfait aux éléments essentiels de l’article 81.18 LNT. À titre d’exemples issus de la jurisprudence, voici des gestes qui relèvent du droit de direction : établir et faire respecter les procédures et les procédés de travail ainsi que les règles et les usages du milieu de travail, contrôler et évaluer le rendement, contrôler la qualité du travail accompli et la présence au travail, aider les employés en difficulté, les soumettre à une surveillance étroite, imposer des mesures disciplinaires pour un motif valable et obliger à satisfaire à des exigences propres à la nature des fonctions[53].

Selon nous, cet énoncé fait en sorte d’évacuer le nécessaire examen des conditions de travail et des pratiques de gestion en rapport avec un climat de travail malsain ou une organisation du travail déficiente ; or, comme nous l’avons souligné plus haut, il ne saurait être question de faire abstraction de ces facteurs de risques lorsqu’on tente d’éliminer à la source les éléments susceptibles d’engendrer des problèmes de santé mentale. Ces éléments ne sont pas étrangers au développement de situations de harcèlement psychologique. Les auteurs Vézina et Dussault abondent d’ailleurs dans ce sens :

Même s’il est nécessaire, d’un point de vue juridique, que les mesures portent sur la protection individuelle des victimes, on ne peut penser endiguer ce fléau en ne s’appuyant que sur une approche centrée sur l’individu. Aussi, au-delà d’une approche « bourreau-victime » à courte vue, la prévention du harcèlement psychologique au travail passe-t-elle par l’analyse et l’élimination des facteurs organisationnels et des éléments culturels qui sont propices à l’émergence de comportements violents entre membres d’une même organisation de travail[54].

Ces auteurs rapportent dans leur article que les facteurs organisationnels propices au harcèlement psychologique sont largement documentés dans la littérature : intensification du travail, distanciation ou inertie de la direction, précarisation du lien d’emploi ; parmi les facteurs culturels, ils indiquent la banalisation ou la négation du harcèlement, la tolérance aux situations d’incivilité, l’iniquité ou l’injustice.

En conclusion sur cet aspect, nous réitérons les propos de la professeure Cox :

Rappelons que la législation portant sur le harcèlement psychologique était censée réglementer des milieux de travail pour les rendre plus sains, plus sécuritaires au plan de la santé mentale des salariés. Nous avons vu que, dans une certaine mesure, le langage psychologique est employé d’abord pour réglementer les personnes qui portent plainte, afin de considérer le caractère « normal » ou non de leur personnalité, de déterminer si elles souffrent d’une maladie mentale, ou encore si elles ont mauvais caractère. Nous y voyons un détournement de l’objectif initial de la législation vers un appel à l’ordre, à l’intériorisation d’un meilleur contrôle social par des plaignants — certes, parfois difficiles — qui résistent, volontairement ou non, à l’exercice du droit de gérance, à la subordination inhérente au contrat de travail et aux impératifs du productivisme[55].

Nos préoccupations trouvent écho également dans l’étude menée par Leclerc qui conclut en ces termes :

La tendance actuelle dans plusieurs organisations est de se doter de politiques et de mécanismes d’accueil et de traitement des plaintes fondés sur des services professionnels de médiation et de soutien psychologique ainsi que sur des procédures officielles d’enquête […].

Sans nier l’utilité des formes d’intervention qui se développent actuellement dans les entreprises, il importe de reconnaître les limites des interventions à saveur essentiellement psychologique et juridique qui sont souvent privilégiées. D’une part, elles risquent d’occulter les dimensions collectives et organisationnelles de la question en faisant porter sur les individus dits « fragiles » ou « malveillants » tout le poids des problèmes de violence psychologique en milieu de travail. D’autre part, ces approches peuvent contribuer à soustraire la question du harcèlement des échanges et des discussions qui doivent se faire dans les milieux de travail et dans les milieux syndicaux. Tout en reconnaissant l’importance d’analyser les dynamiques psychologiques et interpersonnelles en cause dans la problématique du harcèlement et tout en souhaitant que des mesures légales soient prises pour condamner l’inadmissible, il faut promouvoir d’autres voies de solution[56].

3 Une mise en oeuvre plus efficace de l’obligation de prévention

Nous avons illustré jusqu’ici, à l’aide de deux sphères du droit du travail où se présentent des problèmes liés à la santé mentale, à quel point le droit a tendance à individualiser les problématiques. Les tribunaux n’adoptent pas un regard critique relativement aux pratiques de gestion, mais ils ont plutôt tendance à responsabiliser la personne salariée quant aux problèmes qu’elle vit : en matière de droit à l’égalité, celle-ci devra démontrer sa capacité de revenir au travail et d’offrir une prestation de travail dite « normale » dans un avenir rapproché. En matière de toxicomanie ou d’alcoolisme, celle-ci devra se prendre en charge sous la menace du congédiement. Au regard du harcèlement psychologique, le plaignant devra démontrer une parfaite santé mentale et une belle personnalité pour que le tribunal reconnaisse une conduite vexatoire à son endroit.

Comment alors espérer faire évoluer le droit vers une approche mieux adaptée, suivant la littérature qui met en évidence plusieurs facteurs de risques organisationnels à la source de divers problèmes de santé mentale ?

Serait-il possible de s’inspirer des mécanismes issus de la LSST ? À notre avis, le grand principe sur lequel repose cette loi devrait trouver application en matière de santé psychologique, soit l’élimination à la source des dangers pour la santé, la sécurité et l’intégrité physique des travailleurs, par une approche concertée. La LSST prévoit des mécanismes de prévention jugés efficaces par l’ensemble de la communauté travaillant en matière de santé et de sécurité du travail : le programme de prévention, le programme de santé, le représentant à la prévention ainsi que la formation d’un comité de santé et de sécurité.

Ces mesures ne sont pas obligatoires pour l’ensemble des milieux de travail, le gouvernement en ayant promulgué l’application seulement à certaines catégories d’établissements inclus dans les trois premiers groupes prioritaires[57] définis dans la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST). Actuellement, l’ensemble des mécanismes de prévention est d’application obligatoire dans les groupes prioritaires 1 et 2, tandis que seul le programme de prévention (y compris le programme de santé) est obligatoire dans le groupe prioritaire 3. Outre l’administration publique, ces secteurs sont les plus à risques en matière de santé physiologique et sont à forte prédominance masculine. Aussi ne faut-il pas se surprendre que la santé mentale n’ait pas été une priorité chez les groupes prioritaires.

En l’absence de dispositions spécifiques dans la LSST en ce qui concerne la prévention de la santé psychologique, ce n’est que depuis la décision Marché Bel-Air[58] en 2000 qu’il est reconnu que la LSST sert aussi à protéger la santé mentale des travailleurs. Dans cette décision, la Commission des lésions professionnelles a conclu que la travailleuse était justifiée d’exercer un droit de refus[59], car l’attitude de son employeur portait atteinte à son intégrité psychologique :

La Commission des lésions professionnelles est d’avis qu’à la lecture conjuguée des dispositions de la loi, les dangers pour la santé mentale peuvent permettre l’exercice d’un droit de refus.

Dans un premier temps, la LSST est une loi à caractère social qui a pour objet l’élimination à la source même des dangers pour la santé, la sécurité et l’intégrité physique des travailleurs (article 2 de la LSST). Sur cet aspect, dans l’affaire Bell Canada c. Commission de la santé et de la sécurité du travail du Québec, [1988] 1 R.C.S. 749, le juge Beetz de la Cour suprême précisait que, « à sa face même, la Loi vise principalement les conditions de travail, les relations de travail et la gestion de l’entreprise. »

Cette interprétation libérale de la loi permet d’inclure les conditions de travail et les relations de travail qui peuvent constituer un danger, et ce, sans égard à la finalité ou aux conséquences même du danger. En l’espèce, la travailleuse évoque que ses conditions de travail se sont détériorées depuis l’arrivée du directeur général à un point tel qu’elle craint pour sa santé mentale[60].

C’est par l’entremise de l’article 51 de la LSST, où se trouvent les obligations générales des employeurs, qu’il serait possible de promouvoir des actions de prévention des problèmes de santé mentale au travail, dans une perspective organisationnelle plus globale. En effet, les paragraphes 3 et 5 de cet article prévoient ceci :

L’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour protéger la santé et assurer la sécurité et l’intégrité physique du travailleur. Il doit notamment :

[…]

3° s’assurer que l’organisation du travail et les méthodes et techniques utilisées pour l’accomplir sont sécuritaires et ne portent pas atteinte à la santé du travailleur […] ;

[…]

5° utiliser les méthodes et techniques visant à identifier, contrôler et éliminer les risques pouvant affecter la santé et la sécurité du travailleur.

Le paragraphe 3 fait référence précisément à l’organisation du travail, afin que les méthodes et les techniques utilisées soient sécuritaires et ne portent pas atteinte à la santé et à la sécurité des travailleurs. Quant au paragraphe 5, il a pour objet d’obliger à repérer, à contrôler et à éliminer les risques pouvant nuire à la santé des travailleurs. À cet égard, il est donc du ressort de l’inspecteur de non seulement vérifier si l’employeur s’est donné une politique permettant de dénoncer le harcèlement accompagné d’une procédure de traitement des plaintes, mais aussi de vérifier s’il n’y a pas dans l’organisation du travail des risques psychosociaux pouvant entraîner des comportements qui correspondent à du harcèlement psychologique ou tout autre problème de santé mentale chez les travailleurs.

L’article 51 de la LSST accorde à l’inspecteur le pouvoir d’intervenir afin qu’il s’assure que l’employeur remplit ses obligations en ce qui a trait à son obligation d’assurer la protection de la santé mentale des travailleurs. Il pourra aussi produire en vertu de l’article 182 de la LSST, des avis de correction s’il constate que l’employeur ne remplit pas ses obligations.

Dans un article publié par Lippel, Vézina et Cox[61], il est fait référence à une intervention d’une inspectrice dans un entrepôt. L’inspectrice avait été appelée à intervenir dans ce milieu de travail en raison d’un fort taux de troubles musculo-squelettiques retrouvés chez les travailleurs. Lors de son enquête, elle a été à même de constater que le travail, outre qu’il comportait des contraintes physiques importantes, se faisait selon le système vocal de préparation de commandes (voice picking), à savoir un système de préparation de commandes assisté par ordinateur, ce qui nécessite que les travailleurs portent un casque d’écoute afin de recevoir leurs instructions de travail. Outre les instructions, les travailleurs sont aussi informés de leur taux de rendement à différents moments. Il y a donc une interaction constante par l’entremise du casque d’écoute, interaction qui s’accompagne de l’impossibilité pour le travailleur soit d’interagir avec des collègues, soit de modifier la façon de faire le travail[62].

L’inspectrice a pu constater, lors de ses entrevues, que certains travailleurs présentaient de la détresse psychologique, qu’ils avaient des comportements agressifs ou dépressifs. Après s’être documentée sur cette méthode de travail et avoir obtenu des renseignements auprès d’experts, elle a conclu que ce système de travail constituait un risque pour la santé mentale des travailleurs en fonction de la littérature scientifique.

En s’appuyant sur l’alinéa 3 de l’article 51 de la LSST, l’inspectrice a ordonné à l’employeur de réviser l’utilisation qu’il faisait du système vocal de préparation de commandes afin de s’assurer que la santé mentale des travailleurs était protégée. Les modifications devaient permettre aux travailleurs des pauses et une certaine latitude dans la façon de faire le travail. En vertu du 5e alinéa, elle a ordonné à l’employeur d’implanter un mécanisme afin de repérer les facteurs de risques psychosociaux de façon à protéger la santé mentale des travailleurs.

Voilà un exemple d’intervention efficace de la part de l’inspectrice de la CSST dans l’organisation du travail afin de contrer les risques psychosociaux pouvant entraîner des problèmes de santé mentale chez les travailleurs.

Lippel, Vézina et Cox poursuivent leur propos par un compte rendu d’entrevues avec des représentants syndicaux qui reprochent aux inspecteurs de la CSST de se limiter dans leur travail à vérifier si l’employeur a adopté une politique en vue de contrer le harcèlement psychologique dans les milieux de travail. Pour eux, les inspecteurs mettent trop l’accent sur les procédés et ne s’intéressent pas assez aux causes spécifiques reliées aux plaintes.

Finalement, pour Lippel, Vézina et Cox, les nouvelles formes de technologies prévues pour augmenter la productivité peuvent causer des dangers à la santé mentale des travailleurs. Les tâches doivent être adaptées aux personnes pour limiter le travail monotone et les cadences imposées ainsi que pour réduire les effets de ces risques sur la santé tant physique que mentale.

À l’heure actuelle, la législation québécoise permet la mise en évidence des risques psychosociaux et l’intervention des inspecteurs de la CSST ; il est donc possible d’envisager une approche systémique, comme le souligne la professeure Laflamme :

Tout comme la gestion des risques en santé et sécurité du travail qui s’avère systématique et fondée sur les faits, la gestion des problèmes de stress au travail débute par l’identification des problèmes et de leurs conséquences pour ensuite tenter de réduire les risques à la source, et finalement évaluer les actions afin de déterminer leur impact sur les risques[63]. Il est donc possible de s’inspirer des mécanismes d’action qui ont fait leur preuve en matière de risques physiques et de les adapter à la gestion des risques psychosociaux en milieu de travail. Cette approche systémique est celle proposée par plusieurs grands organismes internationaux et supranationaux[64].

Cependant, bien que le régime québécois comporte déjà des outils qui pourraient être adaptés à la prévention des risques pour la santé mentale, ce travail n’est pas réalisé en pratique. Ainsi, la professeure Laflamme plaide pour une stratégie nationale qui inclurait une redéfinition plus explicite du rôle de ces mécanismes dans l’étude des facteurs de risques psychosociaux et les changements nécessaires à l’organisation du travail dans une perspective de prévention. Elle conclut ainsi :

Dans cette perspective, l’élaboration d’une stratégie nationale relative à la santé mentale au travail s’avère primordiale. Notre législation en matière de santé et de sécurité au travail pourrait fournir un levier important en cette matière. L’efficacité de cette stratégie nécessite cependant d’élargir la portée de cette législation, de renforcer les mécanismes de prévention (programmes de prévention, comités de santé et de sécurité du travail, associations sectorielles paritaires) et de promouvoir la formation et l’information de toutes les parties concernées[65].

Un objectif à envisager dans le contexte d’une telle stratégie serait de faire le pont entre les différentes sources d’obligations pour l’employeur et de droits corollaires pour les salariés : droit à l’égalité et accommodement, prévention du harcèlement psychologique, mise en évidence et élimination à la source des facteurs de risques pour la santé mentale au travail. À cet égard, l’article de la professeure Laflamme est fort instructif quant à l’expérience européenne, laquelle est porteuse de solutions.

Des modifications au régime de santé et de sécurité du travail sont attendues depuis longtemps pour la protection tant physique que psychologique des travailleurs. Dans l’intervalle toutefois, un travail peut être fait avec les comités de santé et de sécurité déjà en place dans les milieux de travail, et ce, pour promouvoir une approche de prévention systémique et proactive.

Conclusion

Boudée par le droit du travail au Québec, qui envisage encore les problèmes de santé mentale d’un point de vue individuel désincarné du contexte organisationnel, l’approche préventive systémique est pourtant celle qu’il faut suivre pour endiguer la problématique. Compte tenu des coûts humains et socioéconomiques associés à la santé psychologique au travail, il devient urgent que les acteurs prennent ce virage. Une intervention législative serait souhaitable, dans l’optique d’une réforme de la LSST, pour imposer la mise en place des mécanismes de concertation requis pour ce faire.

Dans l’intervalle, pour permettre une intervention dans les milieux où les besoins sont les plus criants, nous souhaitons que les tribunaux prendront acte de l’échec d’une approche réactive pour assainir les milieux de travail et sauront développer une jurisprudence mieux adaptée à la nature systémique du problème.