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La parution en septembre 2013 d’un ouvrage du constitutionnaliste de renom Henri Brun a été suivie d’une série d’événements qui ont mis les institutions démocratiques québécoises et canadiennes au centre de l’actualité. Le Québec sort alors d’un débat social sur la laïcité de l’État[1] qui a été suivi d’une campagne électorale pendant laquelle l’éventualité d’un référendum sur la souveraineté a pris une grande place dans le débat politique[2]. Sans oublier que, au moment où nous écrivons ces lignes, l’ex-lieutenante-gouverneure du Québec, Lise Thibault, subit un procès pour fraude et abus de confiance[3] en plus d’être poursuivie au civil[4]. Au Canada, les deux renvois de la Cour suprême sur la composition du plus haut tribunal au pays[5] et sur le Sénat[6] ont vu le gouvernement essuyer d’importants revers en ce qui concerne la réforme de certaines institutions centrales de l’État canadien. Si l’avis de la Cour sur le Sénat a été précédé par un scandale à propos des dépenses de certains sénateurs[7], celui sur la composition de la Cour a donné lieu à une attaque personnelle du premier ministre Stephen Harper à l’endroit de la juge en chef du Canada, Beverley McLachlin, événement sans précédent dans l’histoire du pays[8].

Dans le contexte où des institutions parmi les plus fondamentales de la fédération sont mises à mal, il est certes pertinent de revenir à la base pour comprendre leur assise et leur fonctionnement. Ces sujets – les droits et libertés de la personne, le peuple, la monarchie, le Sénat, la Cour suprême et l’indépendance judiciaire – font partie des thèmes abordés dans l’ouvrage que nous avons recensé.

Dès le prologue, le professeur Henri Brun mentionne deux objectifs : « faire comprendre l’État et son importance pour un peuple » et « faire la critique de l’état de certaines institutions de l’État ». Il précise aussi que l’auditoire cible de son livre est principalement les « jeunes, de la fin du collégial et du début de l’université ». Présentation, explication et critique de l’État et de ses principales institutions, dans un langage accessible, voilà ce à quoi le lecteur peut s’attendre.

Au premier chapitre, « L’État et la souveraineté », l’auteur fait, entre autres, l’historique de la naissance de l’État canadien, dont la souveraineté remonte à 1931 pour l’essentiel et formellement à 1982 (p. 4). Il affirme que « [l]e Canada est devenu un État par filiation juridique. Sa souveraineté lui a été concédée par l’État dont il est issu, la Grande-Bretagne » (p. 5). L’auteur voit dans l’abolition des appels au Conseil privé de Londres en 1949, événement qui constitue pourtant une étape essentielle vers la pleine souveraineté canadienne, un élément venant priver « les provinces d’un arbitrage neutre de l’entente de 1867 » (p. 6) et il appuie son raisonnement sur le fait que la Cour suprême a ensuite développé une jurisprudence très centralisatrice. Le professeur Henri Brun aborde aussi la question de l’accession du Québec au statut d’État et donc de la souveraineté de la province (p. 7 et 8). Il critique alors la Loi sur la clarté[9] et spécifie que ce sont le droit international et le renvoi de la Cour suprême sur la sécession[10] qui font réellement état des obligations que devrait remplir un Québec souhaitant accéder à la souveraineté (p. 9). Enfin, le territoire du Québec et du Canada ainsi que les pouvoirs d’un État sont également examinés dans ce chapitre.

Au deuxième chapitre, « La Constitution de l’État », l’auteur critique d’abord l’importance que prend le pouvoir judiciaire, au détriment du constituant, avec la tendance actuelle à créer des normes supralégislatives : « la constitutionnalisation de normes a pour effet de déplacer le pouvoir ultime de décider vers le judiciaire » (p. 24). Au sujet des constitutions québécoise et canadienne, il mentionne qu’elles sont « formées de plusieurs matériaux juridiques distincts » (p. 27). Il énumère ensuite une liste de lois britanniques, canadiennes et québécoises qui font partie des matériaux qui forment les constitutions étudiées (p. 28 et 29) et poursuit en indiquant que les autres matériaux de cet ordre sont de nature jurisprudentielle (p. 29) et conventionnelle (p. 31). Dans la seconde partie du chapitre, l’interprétation (p. 32), l’application (p. 35) et l’amendement (p. 38) de la Constitution sont abordés. Au sujet de l’amendement, l’auteur souligne que la Loi sur les vetos régionaux[11] et les lois provinciales forçant la tenue de référendums[12], quoiqu’elles soient « manifestement invalides », rendent la modification de la Constitution encore plus difficile (p. 40).

Au début du troisième chapitre « Le fédéralisme canadien », le professeur Henri Brun rappelle l’historique de ce fédéralisme. Il précise que, selon lui, le régime de la Loi constitutionnelle de 1867[13] reflétait bien l’esprit du fédéralisme puisque les trois composantes essentielles du principe fédératif étaient respectées, soit le partage de la fonction législative, la présence d’un « constituant distinct des parlements provinciaux et fédéraux » et un « arbitre indépendant des institutions provinciales et fédérales » (p. 47). L’auteur traite ensuite de l’interprétation (p. 49) et de l’application (p. 51) du fédéralisme canadien avant d’analyser le fédéralisme canadien contemporain (p. 55). Il commence cette analyse en affirmant que « [d]epuis les années 50 le régime fédératif canadien évolue dans un sens centralisateur », ce qui n’est certainement pas dans l’intérêt « d’un Québec culturellement distinct, foyer d’un des deux peuples de cette fédération binationale » (p. 55). Puis le professeur Brun y va d’une critique importante à l’endroit du pouvoir fédéral de dépenser en le qualifiant de « mécanisme formel qui contribue le plus concrètement à la perversion du fédéralisme canadien, qui contribue à le rendre de moins en moins conforme à ce qu’il devait être » (p. 56). L’immunité interjuridictionnelle (p. 56), les communications, le commerce, le droit criminel (p. 58) ainsi que l’urgence et l’intérêt national (p. 60) sont aussi au centre des critiques de l’auteur.

Dans son quatrième chapitre « Le Parlement et la souveraineté parlementaire », Henri Brun aborde le Parlement (p. 65), la souveraineté parlementaire (p. 66) et la composition du Parlement (p. 68). À propos de cette dernière, il souligne que la présence du gouvernement comme composante essentielle du Parlement « a pour mission de favoriser la collaboration entre l’assemblée élue et le Gouvernement au sein d’un même Parlement législateur, plutôt qu’une séparation entre les deux institutions susceptible de conduire au blocage de l’État » (p. 69).

Le cinquième chapitre, « L’Assemblée nationale, la Chambre des communes et le Sénat », s’inscrit en continuité avec le chapitre précédent. L’auteur y examine, en plus des trois chambres législatives mentionnées dans le titre (p. 73 et 83), le mode de scrutin et la carte électorale (p. 74), l’élection (p. 76) et le mandat et les immunités des députés (p. 80), ainsi que le fonctionnement de l’Assemblée et les privilèges parlementaires (p. 81). Concernant le Sénat, le professeur Brun le décrit comme un « anachronisme […] obsolète » sans « légitimité démocratique » ni « vocation contemporaine en tant qu’institution législative » (p. 84 et 85). Devant l’incapacité du fédéralisme canadien à se renouveler en tenant compte de sa réalité binationale, l’auteur ne voit, comme solution envisageable, que l’abolition de la Chambre haute (p. 85).

Le sixième chapitre, « Le Gouvernement et la primauté du droit », est consacré aux institutions comme le gouvernement lui-même, l’administration publique, le Conseil exécutif et le Cabinet (p. 89). La composition (p. 90), la formation (p. 92), l’organisation et le fonctionnement (p. 94) du gouvernement sont aussi traités pour enfin terminer par le principe de la primauté du droit (p. 96). Sur la formation du gouvernement, le professeur Henri Brun note que « [l]a désignation du premier ministre résulte de la convergence de trois volontés, celle d’un parti politique, celle du peuple et celle de l’assemblée législative » (p. 92). Il mentionne également que, malgré la puissance du gouvernement dans les systèmes québécois et canadien, la primauté du droit a pour effet de situer l’autorité de ce dernier derrière les lois du Parlement et l’interprétation du droit faite par les tribunaux (p. 96 et 97).

Au septième chapitre, « Le régime parlementaire », Henri Brun se penche sur l’origine et la définition du régime parlementaire (p. 103), les régimes parlementaires québécois et canadien (p. 105) et les instruments de collaboration Parlement-gouvernement (p. 107). Il définit le régime parlementaire comme « une organisation des fonctions législative et exécutive de l’État, fondée sur une collaboration constante » entre ces deux pouvoirs. Sur les moyens de contrainte réciproques qui leur appartiennent, l’auteur précise, à propos du principe de la responsabilité ministérielle et du pouvoir de dissolution du gouvernement, que « [c]es deux institutions sont par excellence l’incarnation du régime parlementaire » (p. 111). Quant à la question des lois sur les élections à date fixe en régime parlementaire, Henri Brun, qui doute de leur validité, croit qu’il est « nécessaire à l’intégrité du régime parlementaire qu’un gouvernement minoritaire dispose de l’arme [qu’est] la [menace de] dissolution » (p. 112) que ce type de loi a pour effet de lui retirer.

Le huitième chapitre, « Les tribunaux et l’indépendance judiciaire », aborde le troisième pouvoir. Dans celui-ci, l’organisation judiciaire intégrée (p. 118), les tribunaux du Québec (p. 119), les tribunaux fédéraux (p. 122) et l’indépendance judiciaire (p. 124) sont à l’étude. L’auteur voit, dans l’interprétation en dernière instance du partage des compétences par une cour créée par une loi du Parlement fédéral et dont les juges sont nommés par le gouvernement fédéral, une situation rendant « bien difficile de soutenir que la Cour suprême affiche les signes extérieurs de l’apparence de neutralité et d’impartialité qu’exige l’arbitre constitutionnel en contexte fédératif » (p. 119). Il ajoute que, « [m]algré le fédéralisme, malgré la souveraineté parlementaire, c’est [la Cour suprême] qui a le dernier mot » (p. 123).

Le neuvième chapitre, « Les droits linguistiques », explore la relation entre la Constitution formelle du Canada (p. 135), la constitution du Québec (p. 141), la constitution fédérale (p. 143) et les droits linguistiques. Sur le droit constitutionnel à l’instruction dans la langue de la minorité, le professeur Henri Brun voit, dans l’article 23 (3) de la Loi constitutionnelle de 1982[14] portant sur la présence d’un nombre suffisant d’enfants pour justifier l’enseignement de cette langue, l’imposition de « normes parfaitement symétriques, qui ignorent complètement que le Québec est le seul lieu en Amérique où existe une majorité de langue française et que cette majorité ne constitue en même temps qu’une infime minorité linguistique sur ce continent » (p. 140).

Dans le dixième chapitre, « Les chartes des droits », se trouvent des sections sur le chartisme (p. 147), la Charte québécoise[15] (p. 149), la Charte canadienne[16] (p. 151), la Déclaration canadienne[17] et la Loi canadienne des droits[18] (p. 154), en plus de celles qui portent sur l’interprétation (p. 155) et la limitation (p. 157) de ces droits. Au sujet de l’avènement de la Charte canadienne, l’auteur réitère que le coup de force de 1982, fait sans l’accord du Québec, a un effet centralisateur sur le fédéralisme canadien : « L’impact sur le fédéralisme est patent, spécialement pour le Québec : on passe, en matière de compétence provinciale, d’une souveraineté parlementaire provinciale à une suprématie judiciaire canadienne » (p. 151).

Dans une suite logique, au onzième chapitre, « Les droits de la personne », l’auteur s’intéresse aux droits individuels. Il y aborde alors, séparément, la plupart des droits que protègent les chartes. Ce chapitre constitue donc une courte synthèse de l’interprétation jurisprudentielle faite des différents droits en la matière. On y lit par exemple que la Cour suprême, après avoir développé une « jurisprudence libertaire » en matière de liberté de religion, « semble revenir en arrière », car elle paraît s’être rendu compte que son interprétation avait pour effet de « nier l’efficience de la règle générale en cause » (p. 167).

Le douzième et dernier chapitre, « État, institutions, fédéralisme, démocratie et droits », est l’occasion pour l’auteur de formuler quelques critiques et commentaires. Le fédéralisme canadien essuie cette première critique : « l’évolution contemporaine de la fédération canadienne démontre que l’équilibre entre ses deux peuples est rompu » (p. 179). Le professeur Henri Brun profite aussi de ce dernier chapitre pour plaider en faveur de « l’usage plus fréquent des référendums » et mettre en garde la population contre « [u]n financement public trop généreux des partis politiques ou un mode de scrutin proportionnel » (p. 180).

Après la lecture de son ouvrage, nous considérons que les objectifs du professeur Henri Brun sont atteints. En ce qui concerne son premier objectif, soit faire comprendre l’État et son importance pour un peuple, la description détaillée des institutions de l’État, de leur utilité concrète dans notre société démocratique, sans oublier leur historique exhaustif, permet assurément cette compréhension. Quant à son second objectif, c’est-à-dire faire la critique de l’état du fédéralisme canadien, les réflexions du professeur Henri Brun suscitent un questionnement certain à propos de nos institutions les plus fondamentales. Il rappelle souvent que le Québec n’a jamais donné son consentement à la Loi constitutionnelle de 1982, que la Cour suprême a une forte propension à la centralisation et que le pouvoir glisse lentement des mains du peuple et de ses représentants vers les mains de juges qui sont nommés par l’exécutif.

Le troisième chapitre, qui porte sur le fédéralisme, est probablement celui où l’on sent l’auteur le plus critique. Il y mentionne pourtant que ses remarques n’ont « pas pour objet le fédéralisme ; [mais qu’elles visent] le cas d’un fédéralisme qui refuse obstinément de tenir compte de son caractère binational » (p. 62), point de vue que nous partageons. Nous avons cependant une opinion différente quant aux bénéfices potentiels relativement à l’adoption de la représentation proportionnelle comme mode de scrutin (p. 75) et à l’opportunité de réformer le Sénat (p. 85). Force est toutefois de constater que les arguments du professeur Henri Brun, que nous soyons d’accord avec ceux-ci ou non, sont fort bien défendus et documentés.

En ce sens, nous sommes d’avis que pour le débutant, celui qui souhaite être initié à la chose publique, cet ouvrage constitue un tour d’horizon complet, accessible et très détaillé du portrait constitutionnel québécois et canadien. Pour le juriste ou le politologue, il peut certainement servir de rappel des sources classiques du droit constitutionnel canadien et de synthèse de l’état des institutions québécoises et canadiennes, outre qu’il peut amener à connaître un point de vue différent sur certaines d’entre elles.

On affirme parfois que le droit est un exercice de concision. Il est aisé d’imaginer cependant la difficulté de l’exercice, même pour un expert comme le professeur Henri Brun, de faire tenir autant de sujets complexes dans moins de 200 pages. Il s’acquitte néanmoins de ce travail avec brio.