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Le présent ouvrage contient 25 essais qui proposent de doter le Québec de sa propre constitution. Pour reprendre les mots du professeur Daniel Turp, cet ouvrage rassemble 24 textes « déjà publiés sur le thème de Constitution québécoise entre 1995 et 2012 ainsi qu’un nouvel essai-synthèse contenant un nouveau plaidoyer en faveur de l’adoption d’une Constitution québécoise » (p. 631). Ces textes prennent des formes très diverses : projet de loi, avant-projet de loi, article de périodique, article de journal, article tiré d’un ouvrage collectif, publication d’un livre, mémoire présenté à une commission, rapport produit par un parti politique et allocution lors d’un colloque. Le professeur Turp n’a pas hésité à utiliser toutes les plateformes s’offrant à lui pour promouvoir l’idéal qu’il défend. D’ailleurs, dans la préface signée par Pauline Marois, alors première ministre du Québec, celle-ci écrit en parlant de l’auteur que « son combat qui vise à doter le Québec de sa propre loi fondamentale est au coeur de sa vie universitaire, politique et militante » (p. vii).

En plus des essais où l’auteur expose son argumentation en faveur de l’adoption d’une constitution québécoise, plusieurs exemples de textes de cet ordre sont également reproduits dans l’ouvrage, ce qui permet au lecteur non seulement de se faire une opinion sur l’opportunité de l’établissement d’un texte constitutionnel québécois, mais également de voir ce à quoi pourrait ressembler le texte écrit d’une constitution du Québec.

Dans un premier temps, nous traiterons des 24 textes qui ont déjà tous connu une vie universitaire ou politique pendant la période 1995-2012. Puis, dans un second temps, nous explorerons plus en profondeur le 25e texte, rédigé précisément pour être publié dans ce livre.

La pertinence des 24 premiers essais

Bien que les 24 premiers textes de cet ouvrage aient déjà tous paru avant d’être publiés dans celui-ci, il était certainement opportun de les réunir sous une seule et même couverture. Ainsi, ils forment un corpus très complet de l’ensemble des écrits du professeur Turp, expert de la question, sur la Constitution du Québec. La publication de cet ouvrage facilite aussi l’effort de recherche de celui qui souhaite en connaître davantage sur la Constitution québécoise, outre qu’elle permet l’accès à des écrits qui aujourd’hui sont probablement très difficiles à obtenir, tels que les notes d’allocutions prononcées par l’auteur. Rassemblés pour la première fois dans un même volume, ces essais forment un véritable recueil des arguments du professeur Turp en faveur de l’établissement d’une constitution pour l’État du Québec.

Au nombre des arguments publiés dans ces différents essais, se trouvent notamment ceux qui portent sur la protection de la langue française :

Parmi les raisons qui militent en faveur de [l’adoption d’une constitution québécoise], l’on doit compter l’idée d’assurer une protection meilleure aux droits linguistiques de la Charte de la langue française, qui n’ont jamais été suffisamment protégés contre les modifications susceptibles de réduire leur importance et leur portée (p. 121).

[Une constitution du Québec] rappellerait que la langue française se voit conférer une importance fondamentale au Québec et qu’elle est l’assise sur laquelle est fondé notre devenir collectif (p. 350).

L’auteur donne également plusieurs arguments en faveur de l’établissement d’une constitution québécoise en raison des bienfaits qu’une loi fondamentale et son processus d’élaboration pourraient apporter au peuple du Québec :

Le projet de Constitution du Québec répond au besoin exprimé par les Québécois et les Québécoises de consolider leur identité nationale (p. 364).

Un débat autour d’une Constitution pour le Québec pourrait réconcilier les Québécois et les Québécoises avec la chose constitutionnelle si l’on réussit à donner au Québec une authentique constitution, la constitution de son choix (p. 106).

Je propose d’adopter une constitution qui soit vraiment le miroir de la société québécoise, qui en décrive les valeurs et les institutions et qui organise la vie publique autour d’un texte fondateur (p. 243).

Enfin, l’auteur, souverainiste convaincu, croit aussi qu’une constitution du Québec pourrait provoquer une montée du nationalisme québécois en mettant en évidence les points de dissension entre Québec et Ottawa :

C’est dans une telle loi fondamentale que pourrait être réaffirmé, avec solennité et fermeté, le droit à l’autodétermination du Québec que les gouvernements et le Parlement du Canada pourraient vouloir neutraliser en faisant appel à la Loi sur la clarté. Cette loi fédérale est incompatible avec le droit du Québec à disposer de lui-même et une loi fondamentale du Québec serait le véhicule approprié pour clairement donner primauté au droit collectif fondamental de la nation québécoise de décider de son propre avenir (p. 163 et 164).

[Un projet de constitution du Québec] permettra non seulement de rassembler dans un texte unique les dispositions des lois fondamentales québécoises existantes, mais également d’y enchâsser des dispositions fondées sur des revendications constitutionnelles du Québec avant de formuler de nouvelles revendications (p. 346).

[L’adoption d’une constitution québécoise] est susceptible d’engendrer un affrontement entre deux ordres constitutionnels et [de] contribuer à la démonstration que seule l’indépendance constitutionnelle permettrait au Québec de véritablement exprimer son identité constitutionnelle (p. 525).

Dans un même ordre d’idées, l’auteur souligne dans plusieurs de ses essais « la frustration des Québécoises et des Québécois […] née de l’incapacité de modifier la Constitution du Canada dans le sens des revendications du Québec et le refus de satisfaire des attentes constitutionnelles qui illustrent les vues fort divergentes sur l’application du principe fédératif canadien » (p. 314)[1].

Ainsi, pour l’ensemble de ces raisons, l’auteur milite en faveur de l’établissement d’une constitution du Québec. C’est également ce souhait qui est exprimé et détaillé dans son 25e et dernier texte, celui qui constitue l’élément inédit de cet ouvrage.

Un nouvel essai sur le droit et l’importance pour le Québec de se donner une Constitution

Dans ce dernier essai, l’auteur aborde en premier lieu le droit du Québec « de se doter de sa propre loi fondamentale » (p. 542). Il mentionne que, « [d]ans le contexte d’un État fédératif, le texte de la constitution […] peut également octroyer un pouvoir constituant dérivé aux États fédérés permettant à ceux-ci de se doter de leur propre constitution » (p. 543) et que l’article 45 de la Loi constitutionnelle de 1982[2] accorde ce pouvoir aux provinces d’adopter une constitution formelle (p. 549). L’auteur précise par ailleurs que, tant que le Québec n’adopte pas de constitution formelle, la constitution matérielle de la province se compose notamment de « multiples “lois ordinaires”, mais aussi également de lois qui ont été tantôt présentées comme fondamentales et d’autres comme quasi constitutionnelles » (p. 560).

En second lieu, le professeur Turp traite de « l’importance pour le Québec d’adopter une première constitution formelle » (p. 560). Fidèle aux arguments qu’il a défendus précédemment dans ses écrits, il précise que deux causes principales le mènent à la conclusion selon laquelle il est important pour le Québec d’entamer un processus menant à l’adoption d’une constitution : « Elles tiennent d’abord de la nécessité de donner au Québec une identité constitutionnelle et ensuite du devoir de mettre fin à l’impasse constitutionnelle » (p. 560). Quant au contenu de cette nouvelle constitution, l’auteur propose certains changements de fond par rapport à l’ordre actuel des choses. Par exemple, il revendique une compétence exclusive en matière de perception des taxes et des impôts (p. 574). Il prévoit aussi un article pour régir « la question fort complexe des rapports entre le droit international et le droit québécois » (p. 575).

L’auteur indique en guise de conclusion qu’il termine la rédaction de cet essai le 17 avril 2013, jour du 31e anniversaire de la proclamation de la Loi constitutionnelle de 1982. Pour boucler la boucle, il affirme que la « démarche constituante permettrait aussi à la Nation du Québec de définir la voie qu’il privilégie pour mettre fin à l’impasse constitutionnelle et vivre dans un État de droit constitutionnel librement consenti » (p. 590).

Enfin, l’annexe 1 contient un nouveau projet de Constitution de la nation et de l’État du Québec (p. 591) et l’annexe 2, un projet de résolution pour instaurer une modification de la Constitution du Canada (p. 601). À ce sujet, l’auteur mentionne ceci : « J’ai fait le choix de rédiger le texte d’une loi fondamentale d’un État fédéré québécois et de forme républicaine, mais qui comporte une disposition relative à la transition constitutionnelle vers un État québécois souverain et indépendant » (p. 570). C’est la raison pour laquelle l’auteur y joint un projet de résolution pour modifier la Constitution du Canada de manière à « assurer une coexistence harmonieuse » (p. 570) entre les deux constitutions. Le projet de constitution québécoise, d’une dizaine de pages, compte 33 articles, dont 4 dispositions transitoires et finales. Parmi les articles qui susciteront sans doute beaucoup d’intérêt, signalons par exemple, l’article 2, qui institue une nationalité québécoise, l’article 7, qui interdit le pouvoir de dépenser du fédéral, et l’article 23, qui donne au Québec le pouvoir de nomination de ses juges.

Conclusion

Depuis la publication de son ouvrage, le professeur Turp poursuit ses interventions en faveur de l’instauration d’une constitution québécoise. Il y a quelque temps, il invitait d’ailleurs le premier ministre Philippe Couillard à « envisager de doter l’État du Québec d’une constitution interne[3] ». À une époque où ces enjeux sont mis aux oubliettes en attendant que le fruit constitutionnel canadien mûrisse, il fait bon lire un auteur écrire avec autant de ferveur qu’il est possible de « susciter […] l’intérêt et l’enthousiasme des Québécoises et des Québécois » et de leur redonner « le goût de la constitution » (p. 243). Le professeur Turp écrivait d’ailleurs en 2005, dans un essai qui a été repris dans son ouvrage : « Constitution. Le mot doit retrouver ses lettres de noblesses au Québec. La délibération constitutionnelle doit devenir un grand moment dans la vie démocratique du peuple du Québec » (p. 244). Il est difficile de ne pas partager ce souhait.