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Dans le système hexagonal français, l’axe Rhin-Rhône qui va de la Bourgogne à l’Alsace et à Bâle, constitue un espace périphérique. Dans un contexte européen, cet axe pourrait constituer l’échelon transversal reliant les deux grands axes nord-sud qui structurent l’Europe occidentale. La France étant ce qu’elle est, on ne s’étonnera pas du manque d’équipements structurants sur cet axe qui devrait être valorisé mais qui ne part ni ne vient de Paris : une autoroute peu fréquentée, un projet de TGV encore incertain, un canal à grand gabarit longtemps programmé, mais qui ne sera jamais creusé. Pourtant, le cadre ainsi tracé ne manque pas de solides atouts dans le secteur industriel : la chimie baloise, le fief automobile de Peugeot autour de Sochaux, Alsthom à Belfort ou le Commissariat à l’Energie Atomique en Bourgogne. S’y ajoutent des activités traditionnelles comme l’agro-alimentaire bourguignon ou des reconversions comme celle de l’horlogerie comtoise vers la micromécanique. Mais en dépit de l’organisation de ces multiples activités sur un axe géographique bien défini, il n’existe aucune synergie entre les diverses cellules ou pôles d’activités recensés par Raymond Woessner.

Ce constat va à l’encontre des propos généralement tenus tant par les géographes que par les économistes et les planificateurs qui sont sensibles à cet alignement de cellules actives. Il mérite donc quelque attention, d’autant qu’il repose sur une méthodologie novatrice qui devrait faire école tant elle dépasse son objet premier. L’étude des activités par branches et par unités spatiales est en effet précédée par une triple présentation des paradigmes de l’organisation industrielle, des acteurs et des enjeux spatiaux. Les unités spatiales sont elles-mêmes passées au crible d’une analyse multicritère qui permet d’opérer la distinction entre la région baloise qui se spécialise moins dans les fonctions de production que dans un rôle directionnel de portée globale, les régions comtoises héritées du fordisme dont elles conservent l’organisation spatiale et les agrégats d’activités peu ou pas hiérarchisées de la Bourgogne. Dans cet ensemble complexe, seule la région baloise (Regio basiliensis suisse mais débordant sur l’Alsace et le Pays de Bade) est réellement autonome. Ailleurs, c’est-à-dire en France, les centre directionnels ont progressivement gagné Paris, de sorte qu’on ne trouve sur place que des structures d’exécution ou des PMI réduites au rôle de sous-traitants. L’opposition entre une France centralisatrice et une Suisse championne du régionalisme n’est pourtant pas aussi simple qu’il y paraît et l’auteur, jouant sur des critères tant quantifiables que subjectifs, montre qu’il existe une dynamique rhénane partagée de longue date entre la Suisse et le Sud de l’Alsace, mais qui tend à agréger les régions proches de la Franche-Comté sans entraîner la Bourgogne. L’auteur souscrit donc aux thèses wéberiennes sur l’éthique protestante, mais son argumentation dépasse la simple adhésion et introduit à une méthode permettant de distinguer les régions d’initiatives des régions simplement passives qui, comme la Bourgogne, se contentent d’exploiter (ou de laisser exploiter) les atouts inhérents à leur position de carrefour. Au lecteur ou au chercheur de reprendre un schéma applicable à bien d’autres régions d’Europe ou de tout autre continent.