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Cet ouvrage volumineux réunit une vingtaine de contributions émanant de chercheurs et d’acteurs politiques ou institutionnels à la pointe de la réflexion et de l’action relatives au débat public sur de grands projets d’aménagements ayant de fortes incidences sur les territoires et leur environnement. Issues d’un programme de recherche associant des chercheurs québécois et français, et plus précisément d’un séminaire tenu en septembre 2002 à Montréal, ces contributions partent de l’expérience du BAPE (Bureau d’audiences publiques sur l’environnement) mis en place au Québec en 1978 et de la CNDP (Commission nationale de débat public), créée postérieurement en France (1995). C’est à partir de ces deux organismes que sont discutés par les différents auteurs l’enjeu de l’engagement de la société civile dans la définition de projets de grande envergure, les apprentissages, notamment collectifs, qui peuvent en résulter tant pour les promoteurs que pour les citoyens, et les évolutions que peuvent imprimer à ces dispositifs, aussi bien québécois que français, les changements politiques et économiques, en particulier le rapport entre les autorités centrales et les autorités locales, mais aussi celui du secteur économique et de la société en général.

L’ouvrage, très riche, fait l’objet d’une structuration appropriée qui en aide la lecture, et facilite la mise en relation, sinon par les auteurs, du moins par le lecteur lui-même, des expériences et réflexions québécoises et françaises. Car si des ponts, voire des influences peuvent être notées, des différences importantes sont perceptibles et implicitement présentes de par l’appartenance continentale et la tradition politique. Cinq parties permettent ainsi de comprendre comment s’est institutionnalisé le débat public, comment les acteurs s’y sont engagés, les apprentissages collectifs qui s’y sont formés, la relation entre débat public et médiation, et les problèmes et les limites du débat public institutionnalisé. Bien que non limité à ce type d’infrastructures, le transport d’énergie, à travers Hydro-Québec et la ligne à très haute tension Boutre-Carros (sécurisation de la desserte de Nice) constituent fréquemment l’exemple de grands projets soumis à audience ou mis en débat public.

Plutôt que d’apporter des réponses à une série de questions importantes concernant la participation du public aux décisions sur les grands projets, l’ouvrage présente une somme de réflexions dans l’ensemble convergentes. On note en premier lieu comment, dans le débat sur les projets, le développement durable tend à se substituer aux seules considérations environnementales. Les analyses des différents auteurs mettent aussi en lumière l’instabilité ou la fragilité de notions telles que celle d’intérêt général dont la rationalité formelle est opposée, d’une part, à la légitimité d’entités, territoriales ou communautaires, concurrentes des États, mais aussi, d’autre part, aux exigences d’une rentabilité économique (l’exportation d’électricité par exemple) qui supplantent les critères sociaux ou environnementaux. Elles font également apparaître la difficulté de ces structures de débat à cerner ou à atteindre leurs publics, leur propension à se focaliser sur la procédure du débat plutôt que sur le contenu du projet, leur plus grande aptitude à assurer la gestion des conflits qu’à élargir la démocratisation de la décision.

Si des pistes sont indiquées pour faire évoluer des dispositifs parfois éprouvés, mais sans cesse mis au défi d’enjeux nouveaux, elles sont avancées avec circonspection et contrebalancées par des interrogations prudentes sur les effets qui en résulteraient.