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La ville de Québec aura 400 ans en 2008. En Amérique du Nord, ceci la place parmi les aînées. Ailleurs, en Europe par exemple, elle compterait parmi les jeunes adultes. On s’inquiète quelquefois du caractère passéiste du qualificatif de vieille capitale accolé à Québec. Cette étiquette ne désigne pas l’âge de la ville en tant que tel, mais plutôt ses rôles historiques comme capitale de la Nouvelle-France, du Bas-Canada et, pendant une courte période, du Canada. Mais, par-delà l’âge de la ville, il y a celui des personnes qui l’habitent. À cette enseigne, l’âge médian des habitants de Québec est l’un des plus élevé parmi les principales villes canadiennes, davantage en raison du poids des personnes ayant de 50 à 65 ans que du poids de celles ayant plus de 65 ans. Pour le moment, il s’agit d’une ville dont la population est mature plutôt que vieille (Villeneuve, 2003). En fait, en ce qui concerne l’âge de la ville et non celui de sa population, il est même possible d’affirmer, que depuis la Révolution tranquille, Québec a rajeuni et fait maintenant figure de nouvelle capitale.

Cette image de nouvelle capitale exsude la modernité. Certains pays, le Brésil par exemple, ont voulu s’inscrire dans la modernité en se donnant des capitales toutes neuves. D’autres, et c’est le cas du Québec, l’ont fait en rasant des morceaux de quartiers pour implanter le béton gris des édifices gouvernementaux au centre de leur capitale et en favorisant l’étalement urbain au moyen des autoroutes. Si bien qu’à Québec, la tradition et la modernité cohabitent de deux façons dans l’espace : d’abord, au coeur de la haute ville où les édifices, maintenant quadragénaires, qui ont marqué la croissance rapide de l’État longent la ville patrimoniale ; ensuite, dans la bicéphalité Québec–Sainte-Foy où cette dernière possède tous les attributs de la modernité urbaine de la deuxième moitié du XXe siècle : par exemple, un campus universitaire suréquipé en terrains de stationnement, de vastes centres commerciaux, des rues résidentielles sans trottoir ; mais aussi des entreprises de haute technologie, une population très scolarisée et un engouement pour le sport. Le centre de la région métropolitaine de Québec ne se limite plus à la colline parlementaire ou au Vieux-Québec. Il est maintenant constitué de l’axe Québec–Sainte-Foy.

Dans l’agglomération de Québec, la centralité serait donc linéaire. La phrase suivante de Marcel Bélanger (1996 : 164) au sujet du Québec pourrait très bien s’appliquer à l’agglomération de Québec : « Entre sa centralité latente et ses fragilités linéaires, le Québec d’aujourd’hui découvre la raison d’une identité et les termes d’un équilibre ». Nous le constatons régulièrement au Centre de recherche en aménagement et développement (CRAD), l’axe Québec–Sainte-Foy structure maintenant l’espace métropolitain plus que ne le fait le centre historique. Par exemple, les comportements de mobilité des individus sont plus influencés par la distance de leur lieu de résidence à cet axe que par sa distance au coeur historique (Vandersmissen et al., 2003 et 2004). Cette centralité axiale qui met en tension tradition et modernité peut être pensée comme une forme spatiale qui contribue à façonner la culture régionale. Québec a souvent été vue comme un lieu de continuité sur un continent qui survalorise l’éphémère (Villeneuve, 1981). Pour cette raison, il s’agit d’un remarquable laboratoire où peuvent être testées les hypothèses venant d’ailleurs, de l’Amérique anglo-saxonne ou de l’Europe. Petite région métropolitaine nordique, très homogène au plan ethno-culturel, ses spécificités incitent à se demander si elle se comporte comme les autres villes nord-américaines. Après quatre siècles d’Amérique, peut-on dire, comme le font les touristes qui y perçoivent une fragrance un peu française, qu’elle reste proche de l’Europe ? Les praticiens de la recherche urbaine qui travaillent sur Québec peuvent difficilement éluder ces questions qui portent sur la part du spécifique et la part du général dans la géographie urbaine de Québec. Du moins, on les retrouve souvent en filigrane dans les travaux menés au CRAD. Pour les chercheurs de ce centre, Québec est une région-test où sont mises à l’épreuve d’un réel un peu différent, théories et hypothèses qui circulent dans la littérature internationale en études urbaines. Trois exemples de cette démarche sont présentés ici.

Villeneuve, Jodoin et Thériault analysent les comportements électoraux récents des habitants de Québec. Une hypothèse qui gagne actuellement en crédibilité, à la suite d’un certain nombre d’études menées surtout aux États-Unis et en Angleterre, suggère qu’au sein des régions métropolitaines, les banlieusards votent de plus en plus à droite tandis que les résidents des quartiers centraux votent de plus en plus à gauche. Au cours des dernières années, des partis et des candidats réputés de droite ont été élus dans la région de Québec. La presse a fait grand état de cette montée conservatrice sans toujours tenir compte de la forte différenciation spatiale des suffrages à l’intérieur de la région. Une analyse menée à l’échelle très fine des sections de vote montre effectivement que ce sont les banlieues qui ont appuyé des partis réputés de droite, alors que les quartiers centraux, dont le poids dans l’ensemble métropolitain est cependant assez faible, ont continué à appuyer des partis réputés de gauche. L’hypothèse qui nous vient du monde anglo-saxon semble donc tenir à Québec. Il y a cependant tout un pan du réel, cette fois spécifique à la région, qui devrait être étudié plus à fond car il reste que le conservatisme des banlieues de Québec semble plus marqué que celui des banlieues de Montréal. Pourquoi ? Les campagnes autour de Québec ont souvent fait preuve de conservatisme et de populisme de droite au cours de leur histoire. Or dans la région de Québec, la continuité culturelle entre les campagnes et les banlieues serait forte en raison d’une mobilité résidentielle considérable entre ces deux milieux. Serions-nous en face d’un type de comportement électoral qui se diffuse de la campagne vers la banlieue ?

Biba, Villeneuve, Thériault et Des Rosiers explorent les rapports entre les formes commerciales et les déplacements de consommation des habitants de l’agglomération de Québec. Ils s’interrogent, selon le mot de Bélanger, sur la fragilité linéaire des rues commerciales : sont-elles capables de résister à la concurrence des magasins-entrepôts et de leurs regroupements en mégacentres ? Les rues commerciales de l’agglomération, du moins celles situées dans les quartiers centraux et dans les noyaux villageois maintenant enveloppés par le tissu périurbain, jouent un rôle considérable dans l’animation urbaine et la vitalité des quartiers. À l’opposé, les grandes concentrations commerciales, symboles de modernité, localisées près des autoroutes périurbaines, semblent offrir aux ménages l’efficacité dans la consommation. Mais le font-elles véritablement lorsque sont comptabilisés les coûts sociaux et environnementaux associés à ces pratiques commerciales ? Ces questions peuvent être posées au sujet de toutes les régions métropolitaines nord-américaines. Biba et al. les explorent à l’aide d’un ensemble de données finement spatialisées. Si Québec présente un caractère spécifique en ce qui concerne les comportements de consommation, celui-ci résiderait dans l’opposition plus accentuée qu’ailleurs entre les rues commerciales des quartiers anciens, dont certaines restent très animées, et les grandes surfaces du tissu périurbain, où la concentration économique et géographique des activités de consommation est plus grande à Québec que dans les autres villes du Québec. Cet écartèlement est sans doute à mettre au compte de la rapidité de la périurbanisation de Québec entre 1960 et 1980, alors même que des opérations importantes de revitalisation commençaient à toucher certains quartiers centraux. Ces tendances divergentes se déroulaient alors dans un cadre municipal fragmenté, où la ville centrale résistait à la montée en puissance des villes de banlieue. L’unification municipale du début des années 2000 au sein d’une ville de Québec élargie infléchira-t-elle ces tendances en permettant une gestion territoriale mieux coordonnée des activités commerciales ? Il s’agit là d’une histoire à suivre.

Vincens, Vandersmissen et Thériault analysent certaines conséquences d’une des dimensions de la modernité urbanistique de Québec, soit la construction, entre 1960 et 1980, d’un réseau autoroutier très élaboré qui a profondément restructuré l’accessibilité aux ressources urbaines dans la région. Les zones périurbaines desservies par ce réseau sont devenues très accessibles… aux seuls automobilistes. Les autorités régionales ont tenté de corriger cette situation par la mise en service de lignes d’autobus express et d’un Métrobus à compter du milieu des années 1980. Ces nouveaux services n’ont fait que ralentir l’augmentation de la part des déplacements quotidiens faits en voiture. La décentralisation des activités due à la plus grande accessibilité des zones périurbaines pénalise les groupes sociaux, les femmes par exemple, qui ont moins accès à l’automobile. Vandersmissen et al. étudient les changements dans les rapports entre l’accessibilité géographique aux emplois et la mobilité professionnelle des femmes. Leur analyse montre l’existence de liens, si ténus soient-ils, entre l’accessibilité et la mobilité géographique, d’une part, et la mobilité professionnelle des femmes, d’autre part. En cela, Québec n’est pas différente des autres agglomérations urbaines nord-américaines. Sa spécificité viendrait peut-être de l’importance de ses secteurs public et parapublic au sein desquels la ségrégation professionnelle entre femmes et hommes est un peu moins grande que dans le secteur privé. Présentement, Québec se situe au-dessus de la moyenne des régions métropolitaines canadiennes pour ce qui est de la part des déplacements effectués en automobile. L’augmentation de la congestion routière et du prix de l’essence est-elle en train de créer un nouveau contexte capable de modifier cette situation ? Il s’agit ici aussi d’une histoire à suivre.

En somme, ces trois études soulignent des aspects contemporains de la géographie urbaine de Québec au moment où la ville s’apprête à fêter son 400e anniversaire. Il faut souhaiter que la recherche urbaine sur Québec puisse continuer à déchiffrer la part des apports vernaculaires et la part des effets plus universels dans l’évolution de la ville au cours du prochain siècle. Une recherche capable de procéder à ce déchiffrage devrait fournir des connaissances utiles à la formulation de politiques urbaines adaptées à la situation de Québec.