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Angelo Turco, professeur de géographie à l’Université de l’Aquila, durement éprouvée lors du dernier tremblement de terre, nous offre un remarquable ouvrage sur la coopération transfrontalière en Afrique occidentale. Dans une longue et belle introduction de nature épistémologique, à travers une critique des global narratives au croisement de la conservation de l’environnement et du développement local, Turco nous invite à une réflexion nourrie dans laquelle il fait preuve d’une maîtrise de pensée absolument remarquable. Qu’est-ce à dire ? Qu’il a trouvé un équilibre enviable entre l’analyse des faits, leur interprétation à la lumière d’une problématique toujours explicitée et des théories disponibles. À cela s’ajoute une écriture qui sait rendre compte avec élégance et sûreté des résultats d’enquêtes.

La richesse des deux autres parties ne le cède en rien à l’introduction. En effet, les développements sur mythos et techne, sur la construction symbolique du territoire et sur les ethno-connaissances sont d’un intérêt majeur parce qu’on connaît mal, en général, cet aspect des choses. On appréciera l’effort de Turco qui a tenté de jeter un pont entre les architectures du connaître et celles de l’agir, et particulièrement de l’agir territorial, en recourant à des penseurs comme Frege, Wittgenstein et Ricoeur. Dans l’analyse qu’il fait du terme maninka, namu, la coutume, Turco note la coïncidence avec le terme grec nomos, la loi. Les deux termes acquièrent leur plein sens régulateur en rapport avec le territoire. Les tentatives de Turco pour établir des correspondances entre sémantique occidentale et sémantique africaine doivent être saluées car trop souvent les auteurs renoncent à prendre des risques au détour desquels, pourtant, des trouvailles sont possibles, comme le prouve l’auteur dans ce cas. Les chapitres consacrés aux structures de légitimité dans la territorialisation Malinké du Haut Niger guinéen nous permettent de découvrir la hiérarchie comme principe d’organisation et l’homologie comme principe de multistabilité structurale. Le namu dont j’ai déjà parlé est en somme le territoire légitime comme emblème de vérité. Le trait distinctif de la territorialité basique subsaharienne est l’ensemble, robuste et articulé, de relations que le village développe avec le territoire alentour et l’ensemble des autres villages.

La seconde partie du livre comprend une série de chapitres qui portent sur la gouvernance de l’environnement et sur la coopération transfrontalière. Elle n’est pas moins intéressante, mais plus pratique, et elle pourra rendre d’éminents services à ceux qui travaillent dans le terrain sur les problèmes d’acteurs et de conflits, sur le développement local et durable. Le chapitre sur les Peuls, la nébuleuse Peul comme dit l’auteur, est particulièrement intéressant. On ajoutera, ce qui ne gâte rien, que les modèles graphiques et les schémas sont très clairs et, partant, très efficaces.

On souhaiterait davantage d’ouvrages de ce type, qui mêlent avec bonheur théorie et pratique, dans la géographie internationale. Ce livre mériterait de nombreux lecteurs, malheureusement l’italien n’est pas assez répandu pour cela. Souhaitons alors qu’un éditeur francophone ou anglophone s’y intéresse, car il le mérite.