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Spécialiste du patrimoine architectural, Lucie K. Morisset nous convie dans cet ouvrage à penser l’histoire par le patrimoine a contrario de Pierre Nora qui l’envisageait par la mémoire. Cela l’amène à développer le concept de « régimes d’authenticité », en référence au concept de « régimes d’historicité » de François Hartog, comme balise de la mémoire patrimoniale. Elle cherche ainsi à mettre en lumière le fait qu’il existe des mémoires patrimoniales propres à chaque région du monde et qu’il est donc impossible d’avoir une seule et même conception de ce qu’est le patrimoine. Elle le démontrera d’ailleurs parfaitement en présentant la spécificité de la Loi relative à la conservation des monuments et des objets d’art ayant un intérêt historique ou artistique, du Québec, en comparaison avec la loi française.

Selon l’auteure, la notion de mémoire patrimoniale sous-tend que le patrimoine nous renseigne plus sur ceux qui l’ont patrimonialisé que sur lui-même, sachant que l’oeuvre est produite en vertu de configurations culturelles, politiques et sociales et donc de régimes d’authenticité particuliers. Morisset prend le parti de considérer le patrimoine comme un palimpseste révélant les différentes couches du passé qu’elle analyse une à une. Ainsi, elle tente de comprendre l’histoire à travers l’étude du patrimoine et plus précisément à travers l’étude d’un objet patrimonial tel que le monument ou la relique. Si les réflexions que l’auteure avance dans une première partie sont plus qu’intéressantes, elles auraient cependant mérité d’être exprimées plus simplement afin de rendre la lecture plus fluide et ainsi faciliter la compréhension de ces concepts en vue du cas d’étude présenté en deuxième partie.

À travers l’histoire de la première Commission des monuments historiques (1922-1929), Lucie K. Morisset montre dans une deuxième partie comment cet organisme est passé d’une volonté de patrimonialiser pour l’Autre (dans ce cas, le touriste américain) à une volonté de patrimonialiser pour consacrer un temps passé (ici, la relique). L’analyse de cette évolution apporte un éclairage fort pertinent sur le message qu’a voulu livrer l’organisme sur ce que doit être le patrimoine québécois. On comprend alors comment la Commission est passée d’un patrimoine conservé à un patrimoine restitué pour répondre à une aspiration des Canadiens français. La loi appliquée par la commission passe ainsi d’un patrimoine de démonstration ou de « re-présentation » à un patrimoine de « re-constitution ». Le lecteur découvrira, au fil des pages, tous les paradigmes qui ont accompagné l’attention portée au patrimoine québécois avec l’apparition de cette première Commission des monuments historiques.

L’ouvrage présente une recherche iconographique et archivistique dont on doit féliciter l’auteure car cette recherche enrichit grandement l’analyse. Les bas de vignettes qui accompagnent les illustrations se révèlent d’excellents outils de synthèse des idées développées dans le texte. Il faut toutefois apporter un petit bémol quant à la mise en page, qui rend parfois la lecture difficile et révèle quelques maladresses. Cela étant dit, l’essai de Lucie K. Morisset intéressera tout amateur et spécialiste du patrimoine québécois, qui appréciera le regard novateur de cette chercheure sur les relations qui lient étroitement histoire, mémoire et patrimoine.