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Introduction

Pour toute collectivité territoriale, la confection d’une vision globale selon un horizon temporel donné s’inscrit telle une première étape incontournable du processus de planification. Il en est ainsi depuis toujours afin d’offrir de la perspective aux travaux des pragmatiques bâtisseurs de cités à fortifier, de vallées à irriguer, de fleuves à endiguer, d’aires portuaires à rendre accessibles, etc. Le recul global préalable à chaque ouvrage permet de générer une réflexion sur la situation observée, les finalités poursuivies par les travaux envisagés, ainsi que les options qui s’offrent aux concepteurs et opérateurs en apprentissage de nouveaux savoir-faire. Des modèles idéaux, souvent grandioses et quelquefois utopiques, furent proposés par les visionnaires d’un monde meilleur. L’histoire nous a légué à cet effet de magnifiques fresques, de La République de Platon à la Cité-jardin d’Ebenezer Howard (1898), en passant par la Nova Atlantis de Bacon (1627), la New Harmony de Owen (1813) et autres phalanstères de Fourier (1829). Si ces représentations souvent cartographiées de collectivités déduites de valeurs et de finalités n’étaient pas toujours parfaitement applicables dans la réalité, elles furent très inspirantes pour orienter le savoir-faire des architectes, ingénieurs et constructeurs de grands travaux (Creach, 1983 ; Mattelart, 1994). En témoignent, partout dans le monde, les vestiges patrimoniaux hérités de toutes les grandes périodes historiques de l’humanité. En contexte contemporain, le visionnement influence l’aménagement, la gouvernance et le développement des territoires en inspirant les planificateurs.

À partir du XXe siècle, l’élaboration de la vision territoriale est devenue plus pragmatique, plus empirique et ainsi davantage concernée par la procédure formelle pouvant rendre la planification territoriale encore plus opérationnelle (Friedmann et Weaver, 1979). La cité industrielle de Garnier (1917), l’observatoire territorial de Geddes (1925), la décentralisation régionale d’Odum et Moore (1938), la culture des cités de Mumford (1938) illustrent parfaitement ce virage, qui a lancé et soutenu le mouvement contemporain d’élaboration concrète de visions territoriales globales préalables aux opérations. Avec la création de l’American Regional Planning Association, en 1927, la discipline de la planification urbaine et régionale émergea dans cet esprit procédural avec le désir d’utiliser systématiquement la méthode scientifique (Friedmann, 1987).

Au Québec, la création d’une vision territoriale avant la lettre prend ses racines dans la cartographie de Samuel de Champlain, qui lança la mise en place d’un réseau de comptoirs pour explorer et exploiter une immense superficie nord-américaine. Le quadrillage de l’espace en seigneuries, la canalisation du fleuve Saint-Laurent, l’ouverture de l’Abitibi, le harnachement du lac-Saint-Jean, les travaux de la rivière Manicouagan, etc. furent précédés de visions globales opérationnelles. Au cours des années 1960, les réflexions du Bureau d’aménagement de l’Est du Québec (BAEQ) ont marqué les esprits de l’époque avec une vision qui a conduit à des propositions d’actions radicales et vigoureuses pour l’avenir de ce territoire. Cela a inspiré les missions de planification régionale effectuées par l’Office de planification et de développement du Québec (OPDQ), au tournant de la décennie 1970. Les visions préalables aux plans furent particulièrement bien documentées, les auteurs ayant scruté attentivement de nombreux aspects avec beaucoup de perspectives (Simard, 1979).

Par la suite, le visionnement territorial fut allégé dans les opérations de planification afin de donner plus d’attention au cadre stratégique et aux actions (Proulx, 1996). On l’a constaté dans les schémas régionaux (1976-79), dans ceux des municipalités régionales de comtés (MRC) (1982-87) et aussi dans les conférences socioéconomiques régionales (1983-91), chacune débouchant sur un sommet décisionnel. Le cadre stratégique s’imposa encore davantage dans la procédure avec la planification stratégique très largement préconisée à partir de 1992, tandis que les actions des plans territoriaux bénificièrent de plus en plus d’attention sous l’angle du montage de la faisabilité multicritères (Proulx, 2008).

En réalité, d’une manière générale, l’établissement d’une vision globale fut une démarche régressive au fil de l’évolution récente de la planification territoriale, au Québec, sans être abandonné néanmoins. La mise en place des centres locaux de développement (CLD) à partir de 1998 a accentué la concentration des ressources planificatrices vers l’élaboration de stratégies et la préparation de décisions. En éliminant largement la société civile de la concertation régionale, les nouvelles conférences régionales des élus (CRE) de 2003 ont vu leur globalité de vision territoriale s’affaiblir encore. Démantelées en 2014, les CRE n’ont été remplacées par aucun mécanisme intersectoriel et interterritorial pour saisir leur région comme un tout global. Du côté des CLD, la priorité actuelle n’est pas à l’élaboration d’une vision non plus, mais bien à la pertinente faisabilité des initiatives et des actions. Bref, au Québec, le problème de la vision territoriale globale pour alimenter les planificateurs à l’oeuvre sur les territoires se posent maintenant entièrement.

Théorie de la planification

L’objet principal de la planification concerne la liaison vertueuse entre la connaissance cumulée sur le sujet à planifier et les actions qui doivent y être exercées. Selon Friedmann (1987 ; 1992), trois grandes formes de planification territoriale sont présentes et définies dans la littérature scientifique sur le sujet. Une planification de nature radicale offre d’abord ses méthodes vigoureuses de rupture et de changements majeurs par rapport à l’ordre existant, lorsque devenu inapproprié pour l’évolution collective désirée. À l’opposé, la planification allocative propose des procédures pour bien ordonnancer la répartition des ressources disponibles selon des objectifs de bon fonctionnement. Et entre ces deux missions concurrentes disposées à chaque extrémité d’un continuum, se positionnent les variantes de la forme de planification innovatrice. Pour cette innovation, on recherche un bon équilibre entre ordre et désordre afin de fertiliser les nouvelles actions structurantes ni trop radicales, ni trop conservatrices. Les diverses procédures offertes de planification territoriale tentent de s’inscrire dans ces formes.

Pour l’éclairage de l’action avec la connaissance disponible, on distingue généralement quatre grandes dimensions qui procèdent par la planification (Camhis, 1979 ; Friedmann, 1987). Il s’agit de la vision globale, du cadre stratégique, de la faisabilité décisionnelle et de l’interaction entre les parties prenantes du plan. Chaque catégorie de procédure de planification proposée dans la littérature s’avère dominée à un certain degré, sans exclusivité, par l’une de ces dimensions du modèle global d’analyse.

Nous les avons avons schématisées à la figure 1, inspirée de Proulx (1996). D’abord, la vision s’avère très présente en planification rationnelle globale. Ensuite, la proposition d’un cadre, ou encadrement, devient la raison d’être de la planification stratégique. La faisabilité décisionnelle, quant à elle, se positionne au coeur de la planification de l’action dite par petits pas progressifs. Finalement, en matière de procédure, la communication / information entre les acteurs s’inscrit comme l’essence de la planification interactive.

Figure 1

Modèle d’analyse de la planification territoriale

Modèle d’analyse de la planification territoriale
Conception : Département de géographie de l’Université Laval, 2016. Source : Proulx, 1996

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Bénéficiant de nombreuses qualités, la planification rationnelle globale fut largement utilisée par le urban and regional planning, notamment au cours des décennies 1950 et 1960 (Camhis, 1979). Les observateurs sur le terrain ont alors constaté que les divers planificateurs territorialisés exercent par pièces détachées. Ils procèdent généralement par petits pas progressifs afin d’allouer les ressources disponibles en fonction des résultats obtenus par l’action précédente. Pour améliorer ces divers processus éclatés, incrémentiels, relativement myopes et souvent conservateurs, plusieurs procédures furent proposées. De fait, un large consensus fut établi parmi les théoriciens de la planification à propos d’une démarche globale, en continuelle rotation, capable d’interpeller les divers éléments associés à chacune des quatre dimensions classiques précitées, décrites de manière opératoire dans la littérature.

Pour alimenter et stimuler ce processus continu et circulaire « interaction – vision – cadre – faisabilité décisionnelle » sur un territoire, la planification dispose, en principe, de mesures incitatives (fiscalité, subventions, etc.), indicatives (directives, orientations, etc.) et coercitives (lois, règles, etc.). La politique territoriale utilise évidemment ces moyens, en créant généralement un mécanisme pour alimenter, enrichir et souvent même lancer l’interaction entre les parties prenantes. En ce sens, la prospective territoriale propose à la planification une démarche articulée. Notre questionnement de recherche concerne le rôle et la capacité de la prospective pour résoudre le problème de l’affaiblissement de la vision en planification territoriale, au Québec.

Prospective territoriale

Comme contribution à la gouverne publique, la prospective a connu son âge d’or pendant les décennies 1960-70. Inspirée par les fururologues tels qu’Alvin Toffler (1928-2016), elle a alors bénéficié de nouvelles méthodes grâce à la démarche scientifique proposée notamment par la revue Prospective créée en 1957 par Gaston Berger (1896-1960). Elle fut largement adoptée comme pratique réflexive (Jantsch, 1969). Des résultats fort intéressants ont rapidement illustré sa pertinence sociale en France (DATAR, 1971) et au Québec, notamment avec l’ouvrage de Julien et al. (1977). Elle fut ensuite délaissée comme étapes essentielles de la planification québécoise, qui s’est avérée fort difficile à exercer à l’échelle nationale (Parenteau, 1970). À l’échelle territoriale, la planification a offert des projections pertinentes et relativement engageantes (Simard, 1979). La prospective revient en force aux États-Unis et ailleurs au cours de la décennie 2000, notamment avec les exercices France 2020 et France 2040. Elle s’inscrit tel un véritable moteur de la planification territoriale.

La prospective a pour objet de projeter des images diversifiées et contrastées de l’avenir afin que les décideurs puissent choisir celle sur laquelle ils désirent oeuvrer pour sa réalisation concrète. Selon de Jouvenel (1993), demain s’avère moins à découvrir qu’à inventer, par l’action volontairement orientée. Cela offre à la prospective une dimension plus politique que simplement technique, comme la prévision. De cette approche générale dérive la prospective territoriale pour constuire l’avenir (de Courson, 1999). À cet effet, la prospective territoriale s’inscrit tel un outil mobilisateur pour la réflexion collective conduisant les divers stratèges et acteurs vers un projet global pour un territoire commun afin de faciliter les convergences et les synergies (Loinger, 1996). L’élaboration de scénarios contrastés entre des extrêmes opposés est la méthode la plus courante. À titre d’exemples (figure 2), la catastrophe et la forte expansion sont des scénarios extrêmes, alors que les affaires courantes et le nouveau projet de collectivité représentent généralement des positions modérées.

Figure 2

Types de scénarios contrastés d’avenir territorial

Types de scénarios contrastés d’avenir territorial
Conception : Département de géographie de l’Université Laval, 2016. Source : Proulx, 1996

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En ce sens, la prospective éclaire, pondère et compare les options à offrir aux décideurs en explorant des scénarios territoriaux mis en relation, bien sûr, avec les différentes échelles de l’environnement global en mouvement, sinon en turbulence. Selon la DATAR (2002), « la particularité de la prospective territoriale tient à la pluralité des acteurs en scène, à la diversité des points de vue ainsi qu’à la multiplicité des niveaux et des compétences en interaction ». Particularité, certes, qui n’est aucunement simple à actualiser, en représentant néanmoins une véritable force collective qui devient la grande richesse de la prospective comme outil pour relever les enjeux territoriaux émergents et significatifs pour l’avenir. Elle identifie ainsi les ressources et les ressorts du territoire, forge une représentation collective et fait exprimer des intentions, des volontés, des engagements. Du coup, l’exercice de prospective devient un instrument de responsabilisation du territoire face à son destin à mieux maîtriser. Bref, il s’agit d’un état d’esprit des lieux, tourné vers l’appropriation systématique et vigoureuse de l’avenir.

Un tel exercice de prospective territoriale nécessite de penser autrement, c’est-à-dire de rompre avec les certitudes et questionner de front les vérités actuelles véhiculées à propos du territoire sous expérimentation. Ce qui n’est pas banal du tout. Les réticences à cet effet sont généralement nombreuses face à la perte déstabilisante des repères confortables pour les acteurs. La finalité de la démarche collective n’est pas le consensus, mais l’expression libre des idées, ainsi que la confrontation fertile des points de vue. Véritable opération de démocratie participative, la prospective appliquée sur un territoire enrichit la gouvernance aiguillée vers la construction de l’avenir communautaire.

Notre hypothèse générale avance que la prospective peut permettre à un territoire en difficulté de dessiner et de proposer de nouvelles voies d’avenir. Elle a été vérifiée au sein de la région du Saguenay–Lac-Saint-Jean (SLSJ), Québec.

Saguenay—Lac-Saint-Jean

Creusée jadis par le passage d’un glacier, la vallée du SLSJ est située entre le 48e et le 53e degrés de latitude nord du Québec. Elle est en fait une dépression du Bouclier canadien située au coeur de la Boréalie. Débordant cette vallée, les 96 000 km2 du territoire SLSJ (tableau 1) renferment aujourd’hui une population de 265 000 habitants.

Selon sa géographie, son climat et ses composantes naturelles, cette région représente en réalité une oasis nordique (figure 3) sise dans le Moyen Nord québécois.

Cette exception de la nature renferme de très bonnes terres agricoles qui lui ont permis de lancer la colonisation agroforestière au milieu du XIXe siècle et de développer par la suite une industrie agroalimentaire. Cette vallée SLSJ possède une forêt méridionale et mixte qui se renouvelle bien.

Or, la ressource principale de cette région concerne son vaste bassin hydrographique, qui bénéficie de deux qualités exceptionnelles, soit un fort dénivelé et une généreuse pluviosité annuelle. Signalons à cet effet que la superficie du SLSJ est composée de 10 % d’eau, tandis que tout le Québec renferme près de 3 % des réserves mondiales d’eau douce. La production hydroélectrique rendue possible par le harnachement de rivières du vaste bassin versant du SLSJ a initialement lancé l’industrialisation, qu’elle a ensuite largement soutenue, notamment avec la fonte d’aluminium primaire, la production de pâtes, cartons et papiers, ainsi que le sciage de bois d’oeuvre. L’industrie touristique et la villégiature ont occasionné la mise en valeur de ces sites naturels et des plans d’eau.

Tableau 1

Cycles de l’économie du Saguenay—Lac-Saint-Jean

Cycles de l’économie du Saguenay—Lac-Saint-Jean
Conception : Proulx, 2016

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Figure 3

Région du Saguenay et du Lac-Saint-Jean, Québec

Région du Saguenay et du Lac-Saint-Jean, Québec
Conception : Département de géographie de l’Université Laval, 2016. Source : Roch, 2004

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L’analyse de la trajectoire socioéconomique du SLSJ nous permet de considérer plusieurs grands cycles dans son évolution historique (Girard et Perron, 1995). C’est-à-dire qu’au fil du temps, l’économie territoriale a traversé plusieurs phases dans la structuration de son économie et de sa société, que nous avons modélisées (Proulx, 2007). Selon les données analysées, s’affirme un véritable contre-cycle économique déstrucurant, depuis le début des années 1980 (tableau 1). Tout le tissu industriel régional semble subir une profonde mutation.

En réalité, depuis plus de trois décennies déjà, le Saguenay–Lac-Saint-Jean traverse une phase historique de déclin relatif (Proulx, 2004), illustré par de nombreux indicateurs tels que l’emploi ; le niveau décroissant de l’investissement ; le recul démographique ; la stagnation du revenu moyen des ménages malgré l’arrivée massive des femmes au travail ; l’exode relativement massif des jeunes ; le faible renouvellement des processus de démocratie représentative et participative ; la hausse du nombre de démunis et la faiblesse de l’entrepreneuriat. À titre d’indicateur probant, l’économie régionale a vu le taux de son emploi industriel s’accroître de 51 % de 1961 à 1981 alors que, depuis cette date charnière, il régresse lentement, mais de manière significative (Proulx, 2007). De fait, entre 1981 et 2006, le secteur de l’aluminium a éliminé des milliers de postes de travail, soit plus de 40 % de ses emplois directs. Le secteur des pâtes, cartons et papiers, quant à lui, a soustrait autour de 30 % de sa main d’oeuvre. Si le marché est évoqué comme raison principale, il demeure que les limites des ressources à extraire et, surtout, l’utilisation intensive de technologies représentent les principaux facteurs du déclin de l’emploi industriel.

En réaction à cette mutation, la stratégie régionale officielle pour contrer les effets économiques négatifs cible avec pertinence la transformation supplémentaire des matières premières avant livraison. Or, les résultats réels atteints sont nettement insuffisants pour compenser les lourdes pertes d’emplois dans les secteurs économiques traditionnels (Larouche, 2012). Tant et si bien qu’en matière d’emplois, l’évolution de l’économie régionale illustre clairement un décrochage à partir de 2007. Véritable moteur de l’économie du Québec pendant ses quatre décennies glorieuses (tableau 1), l’économie régionale se voit maintenant à la remorque de la croissance de l’emploi au Québec.

En effet, la crise dans le secteur forestier s’est aggravée considérablement, avec la fermeture définitive d’une papetière, d’une cartonnerie, de deux usines de panneaux agglomérés et de quelques scieries. Aussi, l’achat de la compagnie Alcan par le géant Rio Tinto, en 2007, associée avec la crise financière de 2008 et la conséquente récession économique mondiale, a provoqué une accélération de la rationalisation des opérations et ainsi la perte de quelques 3015 postes de travail (- 50 %) dans l’industrie régionale de l’aluminium. Deux usines de transformation de ce métal ont aussi fermé leurs portes. En bref, dans la trajectoire économique régionale, la mutation industrielle en accélération actuelle illustre de plus en plus un scénario catastrophique (figure 2).

Visionnaires

Au SLSJ, la vision globale s’avère bien ancrée dans l’histoire du territoire. Une véritable image forte fut d’abord transmise par les Amérindiens aux explorateurs européens du XVIIe siècle sous la représentation d’un royaume intérieur encastré entre le massif du Labrador, les montagnes Laurentides, le Bouclier canadien et le fleuve Saint-Laurent (Tremblay, 2005). Signifiant le « pays d’où l’eau jaillit », Saguenay représentait à cette époque une immense contrée riche en ressources diverses. Cette vision d’un royaume est devenue mythique.

Les explorateurs et les coureurs des bois sont alors venus vérifier le contenu de cette image évocatrice d’un pays fabuleux accessible par les nombreux cours d’eau, y compris la rivière Saguenay. Ils y ont tracé la « route des fourrures » pour en extraire l’une des richesses rapidement exploitable. Le poste de traite de Chicoutimi fut mis en place dès 1671. Il a servi d’avant-poste de pénétration nordique, de lieu de culte et de commerce, ainsi que de place de transbordement de marchandises pendant plus de 150 ans. Dans ce royaume saguenéen, 21 pionniers colonisateurs sont par la suite – en 1838 – venus pour réaliser de très grandes ambitions. Avec des idéaux certes envoûtants, le mode de colonisation préconisé pour l’appropriation des ressources agricoles et forestières fut rapidement adapté, de manière pragmatique, à la réalité du marché.

La vision mythique du territoire Saguenay fut ensuite fertilisée par l’idéalisme des acteurs industriels du début du XXe siècle. Ayant à l’esprit l’objectif bien ciblé de créer au Saguenay une zone industrielle à l’image de celles qui émergeaient à cette époque dans le Midwest américain, les entrepreneurs visionnaires, intrépides mais tout de même pragmatiques, tels Julien-Édouard-Alfred Dubuc, Joseph-Dominique Guay et Damase Jalbert, furent alors désignés au Québec comme des « Américains du Saguenay » (Bouchard, 1977). Un peu plus tard, le magnat américain du tabac, James Buchanan Dukes, a aussi projeté une vision grandiose qu’il a appliquée concrètement en harnachant le lac Piékouagami (Saint-Jean) au prix de nombreuses difficultés techniques, sociales et politiques. Ce furent les compagnies Price et, surtout, Alcoa qui profitèrent par la suite de l’hydroélectricité ainsi produite. Visionnaire, l’entreprise devenue Alcan fut dotée d’un véritable schéma bien structuré pour établir, en deux phases distinctes, le complexe industriel et la ville d’Arvida, au Saguenay.

À l’échelle du SLSJ, fut par la suite créé, dès 1947, le conseil régional de développement (CRD) afin d’alimenter collectivement une vision territoriale globale (Gauthier, 1968). Ce qui fut inévitablement difficile, puisque les acteurs étaient relativement nombreux, repliés par municipalités locales, par groupes d’intérêt et par secteurs d’activités (Robert, 1969). Selon le doyen Friedmann (1992), ces divers acteurs à mobiliser par la vision territoriale sont classifiables en fonction de quatre grandes sphères distinctes (figure 4) qu’il est nécessaire de respecter dans le processus de participation à la planification territoriale.

Figure 4

Les acteurs de la planification territoriale

Les acteurs de la planification territoriale
Conception : Département de géographie de l’Université Laval, 2016. Source : Proulx, 1996

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Institutionnalisée par Québec à partir des années 1960, pour l’administration publique, la région SLSJ a bénéficié de divers exercices de planification (Proulx, 2005). Une première mobilisation planificatrice nommée « enquête – participation » (1963-68) a pris la forme d’une vaste consultation de la population pour faire émerger des propositions. Au tournant des années 1970, une importante « mission de planification » fut exercée par la nouvelle antenne régionale de l’OPDQ. Au cours de cette décennie 1970, par ailleurs, cet OPDQ a réalisé au SLSJ (et ailleurs au Québec) de très nombreuses études. L’implantation d’une vision régionale globale a alors atteint son apogée. Par la suite, cette vision régionale SLSJ bénéficia aussi de contributions considérables au fil des différentes étapes de planification qui convergèrent vers la tenue d’un sommet socioéconomique, en 1984. Lors du deuxième sommet régional, en 1991, le SLSJ se donna comme vision une véritable ambition communautaire en regard d‘une « région laboratoire de développement durable ». Ce projet de collectivité n’a cependant pas produit beaucoup d’actions vraiment structurantes pour la région.

Depuis cette période, dans cette région, la planification globale est demeurée un exercice incomplet. Elle s’est limitée essentiellement à effectuer régulièrement des synthèses, certes pertinentes, à partir des multiples plans disjoints, de nature sectorielle, territoriale ou corporatiste, qui possèdent soit un caractère stratégique, soit un rôle dans l’établissement de la faisabilité d’initiatives et d’actions à proposer à la réalisaton (figure 5).

Figure 5

Planification dominante au SLSJ pendant les décennies 1990 et 2000

Planification dominante au SLSJ pendant les décennies 1990 et 2000
Conception : Département de géographie de l’Université Laval, 2016. Source : Proulx, 1996

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Dans ce contexte de faiblesse procédurale affaiblissant la globalité de représentation du SLSJ et sa capacité de synergie, nous avons expérimenté la prospective territoriale de 2003 à 2009 afin de repositionner la planification au centre du modèle d’analyse (figure 1) en lui offrant davantage de vision, d’interaction de qualité et, ainsi, de capacité d’innovation.

Procédure de visionnement 2025

Le Centre de recherche sur le développement territorial (CRDT) de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC) a réalisé, entre 2003 et 2009, une démarche collective de prospective afin d’alimenter le processus d’élaboration d’une vision, d’abord pour le territoire de rayonnement véritable de la Ville de Saguenay, soit l’historique « pays de Saguenay », et ensuite pour la plus limitée région administrative du Saguenay–Lac-Saint-Jean.

Selon la procédure de planification adoptée, quelques objectifs furent préalablement fixés lors du démarrage du processus interactif, soit :

  • un retour général sur les mythes fondateurs de la collectivité ;

  • une provocation relativement brusque des élites territoriales ;

  • une interrogation des acteurs de la scène intellectuelle et artistique ;

  • un appel élargi et encadré aux idées et options pour l’action et l’intervention.

La démarche de prospective territoriale fut en réalité mise en oeuvre par l’entremise de deux principaux mécanismes complémentaires. Il fallait d’abord effectuer des lectures attentives et documentées de la situation territoriale réelle autour de grands thèmes ou enjeux collectifs (culture, forêt, aluminium, gouvernance, aménagement, petites et moyennes entreprises [PME], etc.) sur un horizon 2025. Divers documents bien articulés furent confectionnés et diffusés à cet effet par l’entremise de différents médias tels que le bulletin électronique régional (lbr 02), la revue Organisations et Territoires, la presse écrite et électronique du SLSJ et aussi les formats classiques de notes et cahiers universitaires. En outre, et non le moindre de ces canaux de diffusion, fut mis en place un portail électronique (www.uqac.ca/vision2025) avec ses contenus, capsules et hyperliens pour collecter, traiter et diffuser de l’information pertinente. Des branchements et partenariats furent établis avec d’autres portails, notamment celui de l’Atlas électronique du SLSJ. Les scripts, analystes et cartographes ont été utiles pour élaborer cette information géographique. Signalons que plusieurs professeurs et chercheurs des universités québécoises ainsi que de nombreux étudiants diplômés de l’UQAC furent mis à contribution comme experts.

D’une manière générale, sur chaque grand enjeu traité, on cherchait à faire ressortir des caractéristiques de nature sociale, culturelle, institutionnelle et évidemment économique qui s’inscrivent dans le territoire investigué. Un attention particulière a été apportée à la recherche de données sur une longue période. Il fut en conséquence possible de confectionner une douzaine de scénarios tendanciels concernant les réserves de resources naturelles, la démographie, l’emploi industriel, l’entrepreneuriat, l’investissement, etc. Ces grandes tendances projetées illustrent largement, pour le SLSJ, des trajectoires lourdes vers le lent déclin territorial (Proulx, 2007).

En second lieu, furent organisés diverses activités d’interaction dans le style forum et séminaire afin de placer les acteurs en état d’interaction, d’échange d’information, de confrontation d’idées, de partage de points de vue. Les grands thèmes régionaux furent mis de l’avant pour la mobilisation. Mais des enjeux plus ciblés ont permis de rassembler les gens en cercles plus restreints, plus intenses et plus fertiles. Il est à noter que plus de 2000 acteurs locaux et régionaux, dont 200 experts reconnus, furent interpellés par ces modalités institutionnelles de participation à l’exercice de prospective territoriale. De fait, ont été pilotés méthodiquement de multiples petits cercles de réflexion collective (figure 6), composés généralement de cinq à huit experts, bien ciblés sur des enjeux à relever en deux étapes distinctes mais interreliées, soit le diagnostic (forces, faiblesses, menaces, containtes, occasions) et les options faisables pour des solutions. Au sein de ces cercles, étaient méthodiquement recherchés le choc des idées et la confrontation de points de vue. Les solutions faisables furent reprises par des acteurs et promoteurs.

Figure 6

Cercles de réflexion collective sur des enjeux territoriaux

Cercles de réflexion collective sur des enjeux territoriaux
Conception : Département de géographie de l’Université Laval, 2016. Source : Proulx, 1996

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À partir de ces solutions et des scénarios tendanciels élaborés, s’est évidemment posée la question de savoir comment la région SLSJ pourrait rompre avec ce déclin territorial largement causé par les effets de la mutation industrielle en cours. Afin d’y répondre, l’exercice de prospective territoriale a proposé au SLSJ des scénarios de rupture générale pouvant casser globalement le contre-cycle actuel par l’entremise d’actions vigoureuses capables d’ouvrir la voie à un nouveau grand cycle (tableau 1). Huit de ces scénarios furent retenus par les experts après une lecture attentive de leur faisabilité technique, économique, financière, environnementale, sociale et administrative. À cet effet, au-delà de la considération des moyens accessibles, une attention particulière fut portée aux divers besoins de la collectivité, aux actions structurantes possibles, aux extrants anticipés et aux intrants nécessaires. Le tout fut mesuré et vérifié méthodiquement afin de rationaliser la comparaison et la sélection.

Parmi les huit scénarios analysés, quatre sont apparus particulièrement prometteurs dans le cadre d’un nouveau projet pour la collectivité régionale SLSJ. Nous en ferons une description rapide.

Scénarios de rupture

Le premier scénario de rupture concerne la structuration en aval des filières régionales de production pour transformer les matières premières extraites dans un esprit de valeur ajoutée avant expédition. Déjà ancienne, cette voie concernée par l’évolution de la structure économique représente la principale stratégie régionale adoptée actuellement par le SLSJ. Dès le début du XXe siècle, un décret du gouvernement fédéral a permis la fabrication du papier, notamment dans cette région, en interdisant l’exportation de matières brutes, soit la pulpe et la pâte de bois. L’industrie agroalimentaire s’est aussi développée jadis grâce à des facteurs favorables liés à la masse critique du marché régional protégé par la distance, au leadership coopératif et à la petite taille des fabriques de l’époque. La transformation du bois résineux et du bois feuillu a aussi obtenu des usines de fabrication. En outre, quelques fabriques de meubles, de vêtements, d’outils ont été actives pendant les décennies d’après-guerre 1939-45. Actuellement, ce scénario privilégié, dit de transformation, permet d’envisager une explosion manufacturière grâce à la spécialisation régionale désignée Vallée de l’aluminium.

Le deuxième scénario de rupture dans la trajectoire contre-cyclique territoriale actuelle s’ancre sur la vocation nordique de cette région qu’il serait pertinent d’assumer pleinement par une stratégie appropriée. Cette vocation concernerait bien sûr les activités économiques localisées sur ce vaste espace dans les secteurs minier, énergétique, maritime, forestier, etc., en mettant en valeur leurs spécificités, notamment l’agriculture et le récréotourisme.

Depuis la fin du nomadisme autochtone, le mode d’occupation territoriale s’est transformé, au Nord, grâce à la mise en place d’infrastructures de transport et de communication ainsi que des équipements d’éducation et de santé aux effets polarisateurs en des lieux précis. Le territoire est devenu ponctiforme. Un semis de collectivité autochtones et allochtones structurent désormais le vaste espace, illustrant chacune une trajectoire différenciée, généralement dépendante de l’exploitation des ressources. Dans les années 2000, le nouveau cycle d’immobilisations nordiques a illutré clairement ses nouvelles particularités en regard de ce mode d’occupation territoriale (Proulx, 2014). Aucun nouvel établissement humain fixe n’est prévu dans cette périphérie. Avec son carrefour multimodal de transport et sa masse économique, le SLSJ s’inscrit par contre comme le principal pôle du Nord.

Pour saisir et maîtriser cette nouvelle géographie économique, nul doute qu’un véritable concept d’aménagement nordique serait utile pour l’ensemble des collectivités sises dans cette zone. Ce concept pourrait inclure, bien sûr, la localisation des bassins et gisements de ressources, des sites naturels exceptionnels et des zones protégées, mais aussi les corridors de pénétration, les couronnes transversales actuelles et éventuelles, les principaux carrefours et relais, ainsi que les avant-postes de pénétration. Un tel concept d’aménagement nordique devrait éventuellement permettre d’optimiser non seulement la création de richesses nordiques, mais aussi sa nécessaire rétention supplémentaire au Nord, dans un esprit d’occupation territoriale.

Cela nous conduit au troisième scénario, lequel concerne la production d’énergie renouvelable, notamment par les petites centrales. Le potentiel territorial s’avère bel et bien présent, tant au niveau des multiples petites sources disponibles ici et là qu’à celui des marchés qui s’affirment. La vaste périphérie nordique incluant le SLSJ est fin prête pour l’impératif virage vers les énergies renouvelables. En effet, la biomasse, l’éolien, le solaire, l’économie d’énergie, la géothermie, l’hydroélectricité offrent de nombreuses opportunités en ces lieux. La base technique en matière d’expertise, de services professionnels et de recherche et développement est déjà bien présente, notamment dans les avant-postes nordiques dotés de services d’éducation supérieure et de recherche. En réalité, le SLSJ s’avère déjà un réel carrefour de l’énergie renouvelable du Nord. Reste à se positionner encore davantage dans un contexte mondial où cet enjeu se situe au centre des préoccupations stratégiques et bientôt au coeur du développement.

Nul doute à cet effet que le SLSJ a tout intérêt à se doter d’un concept ciblant l’exploitation intégrée des réserves énergétiques en constant renouvellement, incluant leur utilisation mercantile près des lieux de production. Puisque Hydro-Québec se spécialise dans la grande production, les petites centrales représentent un champ économique à occuper par les collectivités territoriales de la périphérie nordique du Québec. En ce sens, la création récente de la Société communautaire de l’énergie renouvelable représente un potentiel formidable dont le SLSJ pourrait étudier la faisabilité d’expansion.

Le quatrième scénario pour structurer le nouveau projet de collectivité territoriale SLSJ concerne le domaine des services spécialisés du secteur tertiaire supérieur. Ce domaine constitue déjà un moteur économique régional remarquable, avec un ensemble d’activités dans la santé, l’éducation supérieure, la comptabilité, l’architecture, l’ingéniérie, le droit, l’arpentage, l’administration, les technologies d’information, etc. Sa force motrice réside bien sûr dans la masse salariale qu’il met en circulation et les emplois qu’il crée, mais aussi et surtout dans les autres activités induites par ces services spécialisés, notamment dans le vaste secteur de la construction. En outre – et ce n’est pas le moindre aspect – le tertiaire supérieur dispersé un peu partout au SLSJ, quoique largement concentré dans le pôle principal qu’est Saguenay, compose la majeure partie de ce qu’il est désormais convenu d’appeler le capital de créativité, que Florida (2005) propose comme le vecteur de l’économie contemporaine. En ce sens de créativité, les synergies potentielles autour d’enjeux collectifs représentent la base incontournable d’un système territorialisé de soutien à l’nnovation dans le tertiaire supérieur.

Signalons à cet effet que l’innovation s’inscrit actuellement comme une stratégie territoriale universelle pour stimuler la dynamique sociale, culturelle et économique. En ce sens, un concept intégrateur des scénarios d’avenir du SLSJ devient à notre sens impératif comme projet de collectivité. Nous avons, à cet effet, proposé un mécanisme institutionnel sous la forme d’un forum permanent pour étudier en continu les enjeux territoriaux qui se multiplient rapidement à la faveur du rythme trépidant de l’environnement mondial. D’autres analystes ont proposé leurs intéressantes formules (Crevier, 2009), notamment une table Innovation SLSJ pour asseoir ensemble les principaux acteurs concernés par cet enjeu. Depuis le démantèlement de l’historique CRD devenu CRE en 2003, la réflexion sur la stratégie territoriale SLSJ a été confiée à la Conférence administrative régionale (CAR) qui devient ainsi incontournable. Il faut souligner aussi la présence de l’agence de Développement économique du Canada pour les régions du Québec (DEC) qui constitue un acteur régional majeur.

Leçons tirées de l’exercice

De nombreuses leçons peuvent être tirées d’un tel exercice de vision territoriale. La première concerne la bonification substantielle de l’exercice de planification territoriale par l’entremise de la prospective qui, telle qu’expérimentée au SLSJ, permet d’ouvrir de nouvelles avenues pour l’avenir régional. Notre hypothèse fut ainsi vérifiée positivement.

La mobilisation élargie et renouvelée des acteurs et experts constitue un succès qui s’explique par les tactiques mises en oeuvre à cet effet. On sait que les acteurs territorialisés sont généralement repliés sur leur organisation, dans un sens de défense de leurs intérêts et de leur mission. Il s’agissait de créer une atmosphère non concurrentielle, de décristalliser leur position corporatiste et de les placer en réel état de choc des idées, de partage de points de vue et de circulation de l’information. Le tableau 2 permet d’illustrer le positif et le négatif des principaux attributs isolés de l’expérimentation de ce processus collectif de création d’une vision sur le territoire SLSJ.

Ces forces et faiblesses documentées sont certes difficiles à mesurer précisément. Au fil de l’exercice, nous avons constaté leur évolution en fonction de quelques dimensions principales (figure 7) qui nous permettent une modélisation générale. L’interaction et le temps représentent un important axe d’analyse. L’élaboration collective d’une vision régionale s’inscrit comme un processus progressif et cognitif.

Tableau 2

Caractéristiques du processus collectif de création d’une vision

Caractéristiques du processus collectif de création d’une vision
Conception : Proulx, 2016

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Figure 7

Équilibre cognitif et visionnaire sur le territoire du SLSJ

Équilibre cognitif et visionnaire sur le territoire du SLSJ
Conception : Département de géographie de l’Université Laval, 2016. Source : Alvergne, 2008; Proulx, 2008; Haugton et al., 2010

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Deux autres composantes principales de notre modélisation résident dans le couple stabilité / instabilité institutionnelle qui se sont inscrites, de fait, dans la turbulence et la maturité présentes sur le territoire lors de l’exercice de création d’une vision collective. Sur cet axe horizontal, l’équilibre de l’exercice doit être recherché entre deux conditions essentielles pour fertiliser la vision collective en élaboration, soit le choc des idées, mais dans la convivialité et la bonne entente. Aussi, nous avons isolé deux essentielles conditions, opposées mais complémentaires : l’urgence d’action qui incite à la mobilisation et le recul réflexif qui alimente la capacité de vision territoriale.

Conclusion

L’exercice de confection d’une vision collective pour le territoire SLSJ s’inscrit parfaitement dans l’universel renouveau actuel de la planification territoriale. Après trois décennies de forte fragmentation des exercices planificateurs par pièces détachées de nature sectorielles, locales et corporatives, la planification désire renouer avec la globalité du processus planificateur (Alvergne, 2008 ; Proulx, 2008 ; Haugton et al., 2010).

Ne sont aucunement délaissés les deux importants volets concernés par le cadre stratégique et la faisabilité décisionnelle des actions (figure 8). Loin s’en faut. Il s’agit plutôt de réintroduire, à part entière, les volets associés à la vision globale et aussi à l’interaction de qualité au sein d’un processus continu et circulaire de planification territoriale (figure 7). Selon cette approche renouvelée, le plan territorial émerge de l’interaction pour induire collectivement des actions faisables et encadrées en visualisant globalement les défis d’avenir à relever de manière responsable.

Figure 8

Processus expérimenté de planification territoriale

Processus expérimenté de planification territoriale
Conception : Département de géographie de l’Université Laval, 2016. Source : Proulx, 1996

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Telle qu’expérimentée au SLSJ, l’élaboration d’une vision territoriale globale apparaît ainsi tout à fait appropriée pour toute région qui cherche une voie de sortie d’un contre-cycle structurel de son économie. L’exercice permet bien sûr d’effectuer des constats analysés avec de la perspective reliée à des finalités et des grands objectifs. Grâce à la prospective, la vision offre par ailleurs la possibilité de définir des scénarios pour l’avenir afin de miser sur les atouts territoriaux disponibles, dans un sens de mise en oeuvre d’options novatrices pour diversifier la collectivité territoriale vers de nouveaux cycles structurels. De l’expérimentation de la vision 2025 effectuée au Saguenay–Lac-Saint-Jean exposée et analysée dans ce texte, nous avançons que que les exercices de planification territoriale au Québec et ailleurs devraient bonifier la dimension concernée dans la vision par un exercice articulé de prospective.

Terminons notre conclusion en soulignant la pertinence de la médiation des acteurs dans tout processus de prospective collective et d’élaboration d’une vision pour un territoire donné. La littérature s’avère très explicite à cet effet. Au Québec, nous avons déjà constaté la nécessité de la médiation, tout en tentant d’en isoler le fonctionnement réel au sein de divers territoires tels que Laval, Sherbrooke, Rimouski et Saint-Hyacinthe, qui ont aussi exercé une démarche d’apprentisssage collectif en quête d’actions novatrices et structurantes (Proulx, 2012). Pour visionner l’avenir et générer des changements collectifs, un territoire nécessite impérativement une médiation forte et continue des divers experts (figure 6). En réalité, cette médiation doit même être sans fin puisque les territoires nécessitent de s’intégrer continuellement dans un monde en changement constant. Dans la diversité des multiples acteurs et la variété des intérêts défendus sur les territoires, la médiation indépendante et autonome de la vision globale par la mobilisation représente un objet incontournable de la politique publique.