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L’Asie-Pacifique, en tant que nouveau centre de gravité de l’économie mondiale, représente un puissant pôle d’importation de ressources minières. La région renferme aussi quelques géants miniers comme l’Australie, la Chine et l’Inde. Jusqu’à une période récente, l’Asie du Sud-Est n’a pas été considérée comme une grande zone de production minière, à l’exception notable de la Malaisie, longtemps premier producteur mondial d’étain. C’est le mérite d’Éric Mottet, de Frédéric Lasserre et de Barthélémy Courmont d’avoir mis au jour la montée en puissance de la production minière dans les territoires de certains pays (Indonésie, Laos, Vietnam, Birmanie, Cambodge), véritables « nouveaux fronts pionniers en ressources minérales » (p. 21). Publié dans « Asies contemporaines », cet ouvrage de 266 pages confirme le dynamisme de cette collection dirigée par Frédéric Lasserre.

Les sources et données sont, de l’avis des auteurs eux-mêmes, « imprécises et manipulées » (p. 2). De même, ceux-ci constatent qu’il « faut faire preuve d’humilité : nous ne savons presque rien des petites et moyennes entreprises menant des activités extractives dans les pays d’Asie du Sud-Est » (p. 39). Ces limites sont en partie compensées par le travail de terrain des auteurs, tous fins connaisseurs de l’Asie du Sud-Est ; c’est tout particulièrement le cas d’Éric Mottet, auteur d’une thèse de doctorat sur la géopolitique des ressources naturelles au Laos, soutenue en 2014 à l’Université Laval, et principal contributeur de cet ouvrage collectif.

La perspective est résolument géopolitique : elle définit les enjeux des ressources minières en termes d’intégration nationale, de conflits avec les minorités ethniques locales, ou de souveraineté nationale. Mais elle comporte également des analyses de type géoéconomique, social ou juridique (cf. les codes miniers). Les illustrations cartographiques s’avèrent de bonne qualité, mais factuelles et descriptives, sans tentative de modélisation ni d’approche systémique.

Dans le cadre d’un plan clair et didactique, l’ouvrage s’ouvre, à la manière d’un manuel, sur un chapitre méthodologique court mais opportun justifiant « en quoi les ressources minières sont géopolitiques ». Après un portrait géoéconomique et géopolitique de l’industrie minière en Asie du Sud-Est, les auteurs ont choisi de concentrer leur analyse sur un nombre limité de pays : l’Indonésie, le Laos et le Vietnam. En revanche, le propos est émaillé de quelques études de cas très fouillées (or et cuivre à Grasberg, en Indonésie ; or, argent, cuivre à Phu Kham et Sepon, au Laos ; bauxite dans les Hauts Plateaux centraux du Vietnam). Les auteurs y excellent en donnant à voir, à échelle fine, les enjeux environnementaux, sociétaux et parfois interethniques de mines – certaines de grande taille – qui peuvent se présenter comme de véritables caricatures en matière de développement.

Dans un souci louable d’objectivité, les auteurs concluent que la question des retombées économiques du secteur minier sur les communautés locales fait débat. En revanche, ils s’accordent à reconnaître la gravité de ses impacts environnementaux et sanitaires. De fait, l’ouvrage s’inscrit autant dans le champ de la géopolitique que dans celui du développement durable.

Même si elle obéit parfois à des logiques de développement endogène, cette « ruée minière » n’est nullement étrangère à l’« appétit féroce chinois » (p. 31). À côté de la domination historique des multinationales anglo-saxonnes ou parfois d’entreprises nationales, on retrouve en effet de plus en plus souvent la Chine comme importateur de produits miniers ou investisseur dans des mines d’Asie du Sud-Est. À ce titre, cet ouvrage s’inscrit pleinement dans le contexte du « super-cycle des matières premières » amorcé au début des années 2000 par l’émergence accélérée de la Chine. De fait, nombre de pays s’efforcent de résister à la pression chinoise, notamment à travers l’élaboration de codes miniers. La fin récente du super-cycle consécutif au ralentissement de la croissance chinoise contribue à les y aider, mais pèse négativement sur la demande et, donc, compromet la viabilité d’un certain nombre de mines d’Asie du Sud-Est.

Au total, un ouvrage à trois voix bien structuré, précis et vivant sur un sujet jusqu’alors peu connu, mais aux multiples enjeux à toutes les échelles.