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Introduction

Le déclin des villes est devenu manifestement un objet de recherche prisé et d’actualité, compte tenu de l’intérêt que la recherche lui a consacré. Comme en témoigne la littérature abondante produite au cours des années 1960 et 1970, le thème de la décroissance démographique des centres-villes est relativement ancien en Europe occidentale et aux États-Unis (Mumford, 1970 ; Aydalot, 1987). Il trouve son origine dans les processus de désindustrialisation et de périurbanisation aux États-Unis et dans les pays de l’Europe de l’Ouest (Fol et Cunningham-Sabot, 2010). Certains auteurs montrent les liens entre le déclin des villes et la suburbanisation (Jackson, 1985 ; Fishman, 1987 ; Downs, 1999) tandis que d’autres analysent l’effet de la désindustrialisation sur la perte de poids et la régression de certains centres urbains dans les anciennes régions industrielles d’Europe (Bradbury et al., 1982 ; Friedrichs, 1993). Par conséquent, le déclin urbain a fait l’objet d’interprétations multiples : pour certains, il est l’aboutissement d’un processus incontestable d’évolution des villes, démarré par des agents économiques (Fol et Cunningham-Sabot, 2010) ; pour d’autres, il résulte du processus de périurbanisation gênant le développement des centres urbains. Par ailleurs, certaines recherches mettent en avant le facteur démographique, insistant sur le desserrement inéluctable des centres urbains (Miot, 2016). Autant dire d’emblée que la décroissance urbaine est un phénomène inséparable de l’histoire des villes (Beauregard, 2003) qui a été mis en relation avec différents processus explicatifs propres à chacune d’elles.

Si l’urbanisation constitue une dynamique globale, perçue par son résultat visible, la périurbanisation est un processus actif et territorialisé de déstructuration/restructuration du milieu rural, de création et de renforcement du tissu urbain (Belguidoum, 2019). Vu le rôle important qu’elle joue actuellement dans les processus d’urbanisation, la périurbanisation est « une introduction d’éléments urbains dans le milieu rural, à la différence des banlieues qui appartiennent structurellement à la ville et qui contribuent à former cet ensemble que l’on désigne généralement par le terme d’agglomération, le périurbain » (Dézert et al., 1991). La périurbanisation tient alors une place particulière dans l’émergence de la décroissance démographique des villes ; elle apparaît problématique et paradoxale parce que la ville centre décroît et perd de son attractivité. Elle se traduit par une perte d’attractivité résidentielle de la ville centre puisque le développement périurbain se réalise au détriment des villes centres (Couch et al., 2005). Dès lors, décroissance démographique et périurbanisation paraissent deux processus inséparables et décrivent une réorganisation des espaces urbains.

Le thème de la décroissance urbaine est tout à fait nouveau en Algérie, car il s’agit d’un processus récent (Safar-Zitoun, 2002 et 2014 ; Trache, 2010 ; Bakour et Baouni, 2015 ; Fenchouch et Tamine, 2019). La décroissance des quartiers centraux est ainsi décrite comme étant la résultante d’un double processus : leur tertiairisation progressive et le redéploiement de l’habitat, essentiellement engagé par les pouvoirs publics, autour de la ville d’abord et en milieu périurbain ensuite. Cette décroissance se caractérise donc par un aspect bidimensionnel qui associe les phénomènes de saturation et de dégradation des tissus urbains anciens surpeuplés, d’une part, et la périurbanisation, d’autre part.

Ville métropolitaine et capitale de l’Ouest algérien, Oran correspond à ce modèle général par beaucoup de ses caractéristiques de peuplement récentes. On y observe en effet, depuis une trentaine d’années, des dynamiques urbaines intenses qui se sont matérialisées par un étalement progressif de la ville sur sa périphérie immédiate pour se diluer ensuite dans les espaces ruraux, devenus périurbains aujourd’hui. Les différentes politiques urbaines (lotissements individuels, coopératives immobilières, grands ensembles d’habitat collectif, etc.) menées dans l’aire agglomérée d’Oran ont généré des mobilités résidentielles vers la périphérie et produit des mutations, encore en cours, sur les anciens tissus urbains de la ville d’Oran. La déprise démographique accompagnée d’un vieillissement progressif de ses habitants et une tertiairisation de plus en plus affirmée de ses quartiers centraux sont les traits majeurs de ces transformations.

Nous appuyons cette recherche sur deux types de travaux : les uns relatifs aux problèmes de déconcentration démographique, et les autres, à l’évolution fonctionnelle des villes, en particulier de leurs quartiers centraux. Notre recherche s’inscrit dans le registre des études urbaines et s’intéresse particulièrement aux diverses dynamiques observées au sein de la ville, notamment dans ses tissus les plus anciens.

Les mutations urbaines dans l’ensemble des grandes villes, à la fin du siècle dernier, ont manifestement touché l’équipement commercial (Metton, 1980 et 1989) où centralité urbaine et centralité commerciale étaient quasi synonymes. Ces transformations ont amené les centres des villes à un affinage commercial pour répondre au mieux aux besoins d’une société urbaine, elle-même en évolution, requérant de nouveaux services, la population venant en centre-ville pour se divertir et acheter « par impulsion » (Metton, 1989 : 269). Cette dynamique urbaine au sein des quartiers centraux n’est pas isolée. Elle est souvent liée au déploiement et à la promotion de l’habitat en milieu périphérique, qui a contribué à libérer de ses occupants le parc résidentiel des districts centraux et à permettre sa reconversion pour des activités tertiaires[1]. Cela s’est traduit par un phénomène de déprise démographique dans ces villes centres, dont la qualité de vie s’est continuellement dégradée par suite d’une hyper-concentration commerciale et des nuisances qui s’en sont suivies pour la population résidante (Lévy, 1987 ; Rérat, 2006). Il en a résulté une recomposition économique et spatiale des fonctions urbaines. Le milieu périurbain est devenu plus attractif pour une population en quête d’une meilleure qualité de vie, dans la mesure où l’étalement urbain et les plus faibles densités de peuplement qu’il offre par rapport aux centres-villes hyperdensifiés sont devenus des facteurs d’attraction déterminants (Rérat, 2006).

Ces recherches géographiques ont mis en exergue le jeu simultané de trois phénomènes ayant marqué les espaces urbains : la périurbanisation, la forte centralité des centres-villes et le déclin démographique. L’intérêt de notre article est né de l’observation de cette dynamique nouvelle dans les villes algériennes, qui ont connu un décalage de cette dynamique générale du fait de leurs histoires urbaines particulières. Les mêmes processus y ont été documentés, montrant combien l’étalement urbain récent a généré une périurbanisation irréversible, parallèlement au déclin souvent aussi irréversible du bâti ancien de la ville centre, en dégradation perpétuelle (Lévy, 1987, Semmoud, 1998 ; Trache, 2010).

Oran, grande ville métropolitaine, ainsi qu’Alger, Constantine, Skikda et Tébessa à l’est, villes moyennes régionales, ont en effet toutes connu une dégradation avancée de leurs anciens tissus urbains, ayant généré des mobilités résidentielles intenses vers les milieux périurbains (Safar-Zitoun, 2002 et 2014 ; Trache, 2010 ; Bakour et Baouni, 2015 ; Fenchouch et Tamine, 2019).

De nombreuses villes algériennes, tous rangs confondus, n’ont pas été épargnées par la vétusté et la déliquescence de leur bâti ancien, dont les causes sont multiples : absence d’entretien et de réhabilitation, mauvaise gestion d’un parc immobilier largement hérité de la période coloniale et devenu « bien de l’État », entassement des habitants, logements densément peuplés, etc.

Nous proposons, dans cette recherche, de décrire et d’interpréter les caractéristiques du déclin démographique dans la ville d’Oran, où le processus de décroissance urbaine, notamment dans ses entités urbaines centrales, nous semble avoir revêtu des aspects tout à fait particuliers, accentuant de manière grave les processus d’inversion des flux résidentiels observés dans les autres villes algériennes héritées de la période coloniale.

À Alger, ce processus a été plus précoce : l’inversion du sens des migrations s’est amorcée dès les années 1970 et accélérée au cours de la décennie suivante alors que l’évolution de la population de l’agglomération algéroise n’était plus liée à l’exode rural, mais à un bilan migratoire globalement négatif en raison des nouvelles politiques foncières et immobilières mises en place par le pouvoir central (Prenant, 1997). Plus tard, le processus se confirme : « [L]a population de banlieue et de périphérie devient de plus en plus prépondérante et cède le pas à un mouvement de décroissance [dans la ville centre] s’accompagnant d’un net report de croissance sur la périphérie » (Bouder, 2015 : 85).

Nos hypothèses de travail sont basées sur le décryptage des mécanismes liés à la déprise démographique à Oran où la périurbanisation est un élément-clé de l’explication. Quelles ont été les répercussions de l’offre résidentielle considérable en périphérie sur la recomposition démographique de l’agglomération oranaise ? Quelles ont été les conséquences des nouvelles mobilités résidentielles sur les changements de fonctions des quartiers centraux ? Telles sont les questions centrales que nous posons dans cette contribution.

Une telle recherche répond à un double intérêt. Elle permet de décrire les caractéristiques de la décroissance démographique dans les quartiers centraux de la ville d’Oran et, par là, de déterminer la nature des nouvelles dynamiques urbaines qui se mettent progressivement en place. Elle permet aussi de comprendre et définir la particularité des nouvelles recompositions sociospatiales et fonctionnelles des espaces urbains oranais qui ont contribué à modifier de façon importante la configuration urbaine héritée de la période coloniale.

Champ d’étude et méthodes d’approche

L’analyse de l’évolution de la ville d’Oran en décroissance est une démarche essentielle pour mettre en exergue la déprise démographique et rendre compte de l’intensité du processus, ainsi que de ses incidences spatiales et fonctionnelles inscrites dans le temps et dans l’espace. Notre approche rétrospective décrit le processus de l’étalement urbain et des transformations induites. Elle est basée sur une analyse des données du recensement de la population et de l’habitat entre 1966 et 2008 concernant la population résidante, de même que sur l’évolution de la population jusqu’en 2018 et du parc de logements à l’échelle des quatre communes qui composent l’agglomération.

L’analyse intercensitaire, basée sur les données des recensements généraux de la population et l’habitat (1966, 1977, 1987, 1998 et 2008), nous a permis de mesurer l’évolution démographique dans l’agglomération oranaise (centre-périphérie) et d’évaluer l’espace habité. En l’absence de données récentes fiables, nous avons fait des estimations jusqu’en 2018 en tenant compte de la tendance démographique antérieure. L’état civil a complété les données de population par la croissance naturelle jusqu’en 2018. Toutes ces informations nous ont permis de décrypter les phénomènes de desserrement des quartiers centraux et de déclin démographique observés à Oran, et de répondre à nos questionnements sur les origines de cette nouvelle dynamique urbaine.

L’approche cartographique a été utile pour relater l’importance et le rythme de l’étalement urbain d’Oran, d’une part, et les mutations démographiques qui se sont produites dans l’ensemble de l’agglomération, d’autre part.Les travaux de géographie, qui se résument aux mémoires d’étudiants que nous avons dirigés sur la thématique des mobilités résidentielles, complètent nos sources de données sur les dynamiques en cours dans certains quartiers de l’agglomération. Parmi ces données, citons celles fournies par des enquêtes directes par questionnaire (échantillons aléatoires) réalisées auprès des ménages résidant dans les nouvelles urbanisations périurbaines. Les informations recueillies nous renseignent sur la mobilité résidentielle et ses motifs, l’origine géographique du ménage, le type et l’état de l’habitation occupée précédemment, ainsi que le nombre de personnes par logement (ancien et nouveau), permettant de mesurer la densité démographique dans les quartiers centraux et de comprendre le choix des habitants pour la périphérie urbaine comme nouvel espace résidentiel. Le même travail a été effectué sur deux entités spatiales périphériques nouvelles (El Yasmine au sud-est et Belgaid au nord-est d’Oran) qui viennent combler partiellement des informations inexistantes sur les mobilités résidentielles. Par ailleurs, nous avons utilisé d’autres travaux de géographie réalisés dans la durée sur les activités commerciales et de services dans les quartiers centraux d’Oran Cela nous a permis de suivre l’évolution des professions libérales, en particulier, et d’expliquer les transformations des logements en bureaux et autres locaux d’activités libérales.

Ville côtière et chef-lieu de wilaya (division administrative), deuxième ville d’Algérie, Oran se situe au nord-ouest du pays (figure 1) à 450 km de la capitale, Alger. Les trois dernières décennies ont profondément marqué l’évolution urbaine de la ville et de son agglomération. Le paysage urbain s’est entièrement transformé par des urbanisations périphériques nouvelles, ce qui n’a pas été sans conséquences sur la ville classique : redéploiement et délocalisation de la population, renforcement tertiaire et affinage commercial dans les quartiers centraux, etc.

Oran, ville la plus coloniale d’Algérie, saturée, en quête de desserrement

Cité musulmane d’abord (de 903 à 1509), Oran a connu plusieurs conquêtes et fut une place forte avant d’être un véritable port, un presidio créé par les différentes conquêtes espagnoles depuis le XVIe siècle jusqu’à l’arrivée des Ottomans, en 1701 (Lespes, 2003). La première cité fut érigée par les Ottomans – par le Bey Mohamed El Kébir en 1792 – après le tremblement de terre de 1790 qui l’a presque entièrement détruite. Toutefois, le site est resté cloîtré dans ses fortifications, et son urbanisation ne fut réelle qu’à partir de 1870. Oran n’a été considérée comme une grande cité que vers la fin du XIXe siècle[2], donc durant la période coloniale, où de nombreux projets de développement urbain ont été réalisés et ont permis à la ville de se hisser fonctionnellement au rang de capitale régionale, qu’elle a occupé jusqu’à aujourd’hui.

FIGURE 1

Agglomération d’Oran

Agglomération d’Oran
Conception : Trache, 2019

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À l’indépendance, Oran affiche une nouvelle allure de métropole régionale. Elle connaîtra pendant 40 ans un développement spatial très rapide. Dans un premier temps, le développement se concentre autour de la ville (densification des tissus existants, puis étalement radioconcentrique) pour s’étendre ensuite aux communes limitrophes, Es-Sénia, Bir el-Djir et Sidi Chami (figure 2). Cette période particulière de stagnation du secteur de l’habitat accentuée par la reprise démographique postindépendance sera pour de nombreuses grandes villes algériennes, et tout particulièrement pour Oran, porteuse de lourdes conséquences sur leur avenir.

Quelles que soient les conquêtes, les colonisations et les différentes civilisations qu’elle ait connues, les structures urbaines actuelles de la ville sont très largement assujetties à la colonisation française, parce qu’héritées de sa longue et forte présence. L’Algérie indépendante était marquée par deux faits majeurs intimement liés : la conquête des grandes villes colonisées par les populations algériennes, dont Oran, et l’exode massif et continu des populations rurales vers des villes quasiment désertées par leurs occupants. La conquête de la ville d’Oran par les Algériens a été aussi brutale que le départ des Européens vers la métropole française. Composée de plus de la moitié d’Européens la ville la plus européenne d’Algérie, s’est très rapidement vidée de sa population, après 1962 surtout[3], en raison du départ brusque et violent, par contingents successifs, des populations européennes laissant derrière elles un immense parc immobilier vacant estimé à près de 40 000 logements (Semmoud, 1995). Même les 100 000 migrants n’ont pu le combler en 1962 (Brabant, 1975). Depuis lors, Oran a constitué un exutoire aux migrations rurales et des petites villes de sa région qui, contre toute attente, avaient provoqué un entassement rapide et important des populations et créé un besoin urgent en matière de logement au milieu des années 1970. La population était estimée à 408 000 habitants à la fin des années 1950 (Tinthoin, 1956), et les données du recensement de 1966 montraient un résultat de 323 727 habitants. Il semble donc que la population d’Oran a nettement diminué durant cette période (de 200 000 résidants environ).

Cette période se singularise par des migrations centripètes liées à l’événement historique de l’indépendance.

FIGURE 2

Étalement de l’agglomération oranaise en 2018

Étalement de l’agglomération oranaise en 2018
Conception : Trache, 2019

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Ruraux, urbains et néo-urbains refluent à partir des petites villes et des « villages nègres »[4] – ayant servi de villages de recasement des populations « indigènes » – vers les quartiers centraux et graduellement vers les autres quartiers de la ville et les faubourgs. À cela s’ajoute une croissance naturelle liée à une recrudescence de la natalité, qui se situait autour de 3,2 %, contribuant de manière positive à la reprise démographique.

La ville d’Oran concentrait l’essentiel de cette croissance démographique, passant de 323 727 habitants en 1966 à 490 788 en 1977 (une différence de 167 061 personnes) alors que la couronne périphérique n’avait enregistré qu’un faible excédent de 13 429 habitants. Les années 1970 étaient celles d’une croissance urbaine à caractère démographique[5], tendance qui n’a été que de courte durée. La crise aiguë du logement ressentie depuis a incité l’État central à reconsidérer sa vision de la dynamique urbaine algérienne, qui a mis en exergue de nouvelles orientations pour atténuer les effets pervers de la décolonisation.

Périurbanisation et déprise démographique dans la ville centre

L’entassement des populations urbaines (dû en grande partie à l’agrandissement familial), au regard des faibles investissements alloués à la production d’habitat dans les grandes villes, a poussé le pouvoir central, se trouvant dans une conjoncture financière favorable à la fin des années 1970 (revenus pétroliers en hausse à partir de 1974) à prendre en charge les différentes difficultés urbaines.

Plusieurs démarches successives furent adoptées, se résumant pour l’essentiel à la mise en oeuvre d’une série de réformes. La promulgation de la Loi sur les réserves foncières communales, celle des textes réglementaires et la publication de textes relatifs à un urbanisme opérationnel (Bendjelid, 1998 : 70-71), la cession des « biens de l’État » de 1981, la production de lotissements et de coopératives immobilières et le développement de l’habitat collectif ont enclenché une urbanisation périphérique, sur des sites jusque-là à caractère rural.

Dès lors, l’évolution démographique de l’agglomération oranaise s’est progressivement et définitivement inversée. Un retournement de tendance s’est produit en termes d’occupation du territoire ; il correspondait à la transition vers un nouveau régime d’urbanisation : la périurbanisation.

Après l’entassement dans les logements libérés par les européens ayant quitté ce qui constituait la ville d’Oran, en 1962, la population algérienne s’est engagée, au cours des vingt dernières années, dans une mobilité résidentielle effrénée en investissant les périphéries récemment urbanisées. Il y a bien eu, toutes choses étant égales par ailleurs, une baisse de la population des quartiers centraux (à l’architecture héritée de la période coloniale et en voie de dégradation avancée) et un poids démographique grandissant des habitants d’une périphérie de plus en plus lointaine offrant un nombre croissant de logements collectifs plus confortables ou l’occasion d’accéder à un habitat individuel. L’espace habité par les Oranais a évolué de manière positive ; le taux d’occupation des logements varie sensiblement à la baisse depuis une trentaine d’années dans l’ensemble de l’agglomération (tableau 1). Dès lors, la ville d’Oran est en quête de desserrement, de son urbanisation et de son report sur des espaces qui n’ont connu que de maigres transformations. Ruraux à l’origine, ces nouveaux noyaux en cours d’urbanisation ont non seulement abrité les populations, encore une fois rurales, arrivées des campagnes environnantes, menacées d’insécurité (décennie 1990), mais ils ont accueilli de surcroît les excédents démographiques de la ville centre. Cette tendance nouvelle s’est amorcée dès la fin des années 1980 pour se confirmer durant ce millénaire.

TABLEAU 1

Évolution de l’espace habité dans l’agglomération oranaise de 1966 à 2008

Évolution de l’espace habité dans l’agglomération oranaise de 1966 à 2008

* :Logements réellement occupés ** : Taux d’occupation des logements

Source : ONS, 1966, 1977, 1987, 1998 et 2008 | Conception : Trache, 2019

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Les données statistiques relatives aux populations des agglomérations, illustrées par la figure 3, appellent deux observations fondamentales.

La ville d’Oran connaît une décroissance démographique progressive et continue qui s’explique aisément par un desserrement normal des espaces urbains anciens généré essentiellement par l’importante production de logements en périphérie, dont le nombre passe de 100 451 en 1998 à 113 495 en 2008, alors qu’il n’était que de 95 075 en 1987 (Semmoud, 1995). Cette décroissance de la population du centre n’est pas spécifique à la ville d’Oran ; elle concerne également les grandes villes algériennes comme Constantine, Sétif (Belguidoum, 2019) et Alger (Sidi Boumedine, 2005 ; Safar-Zitoun, 2014, Bakour et Baouni, 2015). La population de banlieue et de périphérie devient de plus en plus prépondérante. Celle d’Alger passe de 55,6 % en 1966 à 87,7 % en 2008 : « la ville d’Alger cède le pas à un mouvement de décroissance s’accompagnant d’un net report de croissance sur la périphérie : -3,98 % pour Alger-ville contre 6,12 % entre 1998-2008 » (Bouder, 2015 : 83-85). La migration est fortement significative et, pour l’essentiel, s’oriente vers les communes périphériques (figure 3). Au moment où la ville d’Oran voit sa population baisser, d’autres agglomérations périurbaines prennent le relais. L’évolution urbaine se fait dorénavant dans les communes de la périphérie comme cela est bien illustré par la figure 3 et la figure 4.

FIGURE 3

Population par commune de 1966 à 2018

Population par commune de 1966 à 2018
Conception : Trache, 2019 | Source : ONS, 1966, 1977, 1998 et 2008 ; estimations en 2018

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La seconde observation révèle l’ampleur de la croissance démographique amorcée à la fin des années 1980, confirmée au recensement de 1998. La moitié des noyaux périphériques (7 sur 14) enregistrent un taux d’accroissement supérieur ou égal à 9 % durant la période intercensitaire 1987-1998.

Oran s’étend dans le milieu rural et perd progressivement de sa population. Les fragments émergents prennent le relais avec plus de vigueur depuis la crise économique des années 1990, favorisés en cela par la libéralisation du marché foncier et immobilier (loi n° 86-07 du 07 mars 1986)[6]. La production du logement sous toutes ses formes, tant légale qu’illégale, s’est intensifiée, a incité des changements résidentiels sans commune mesure et a fragmenté l’agglomération oranaise (figure 2). Les populations périurbaines nouvelles sont venues principalement des anciens quartiers d’Oran (figure 5). Les mobilités résidentielles, et incidemment la croissance naturelle, ont été en grande partie à l’origine de la déprise démographique qu’Oran a connue.

Une décroissance démographique liée aux mobilités résidentielles, vers le milieu périurbain

Le fléchissement de la croissance naturelle à Oran trouve son fondement dans des mobilités géographiques récentes vers les nouvelles urbanisations périphériques. Celles-ci ont été favorisées par des politiques publiques successives visant une production massive de l’habitat pour venir à bout de la crise du logement.

Une production importante de logements à l’origine des mobilités résidentielles

Le déclin démographique est la conséquence première et directe des nouvelles politiques publiques relatives à l’habitat en général, et à l’importante production du logement, en particulier (figure 6). Les premières formes urbaines apparues en périphérie (après l’avènement des zones d’habitat urbain nouveau [ZHUN])[7] sont les lotissements et les coopératives immobilières, qui ont dynamisé les constructions pavillonnaires par l’initiative individuelle. Cette nouvelle procédure a encouragé les couches moyennes et aisées à réaliser, jusqu’à la fin des années 1990, des projets résidentiels d’habitat individuel en périphérie, totalisant 41 200 lots à bâtir, cédés jusqu’en 2008 (Trache, 2010 : 99).

À partir des années 2000, la production de l’habitat collectif en périphérie a pris de l’ampleur. En incluant le logement social, le logement social participatif (LSP) et la location-vente (Agence algérienne de développement du logement [AADL])[8], elle est devenue la forme urbaine dominante dans la production de logements. Elle a été à l’origine de nombreux départs, volontaires ou non, de populations de la ville et des quartiers vétustes (Sidi el-Houari, Derb, Planteurs, etc.) vers la périphérie. Plus de 13 000 logements de type collectif sont construits jusqu’en 1995. Depuis, la production immobilière a pratiquement doublé en passant à près de 28 000 unités jusqu’en 2008. Ces logements sont presque exclusivement implantés dans la commune de Bir el-Djir (ZHUN USTO [University of Science and Technology of Oran], ZHUN Khémisti) regroupant ainsi plus de la moitié des logements construits dans l’ensemble de la wilaya d’Oran : 21 908 sur 40 709 (Trache, 2010 : 103). La réalisation de l’habitat collectif est devenue prioritaire.

FIGURE 4

Évolution de la population dans l’agglomération oranaise (1987 à 2008)

Évolution de la population dans l’agglomération oranaise (1987 à 2008)
Conception : Trache, 2009 | Source : ONS, 1987 et 2008

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FIGURE 5

Origine géographique des périurbains d’Oran

Origine géographique des périurbains d’Oran
Conception : Trache, 2009

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FIGURE 6

Nombre de logements par commune de 1966 à 2014

Nombre de logements par commune de 1966 à 2014
Source : ONS, 1966, 1998 et 2008 ; DPAT, 2014

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Au regard des nombreux programmes de réalisation de logements collectifs récemment inscrits, se profile une continuité, voire une intensification, des mobilités résidentielles particulières car elles investissent de nouveaux espaces en continuité avec l’est de l’agglomération et récemment à l’ouest d’Oran. De nouvelles formes d’acquisition de logement se substituent aux anciennes : 17 639 logements sont en cours de construction, majoritairement du logement public locatif (LPL) à caractère social destiné aux populations les plus démunies (10 278), et du logement participatif aidé (le LPA à la place du LSP) avec 6 500 unités. Par ailleurs, d’autres programmes de type LPP (logement promotionnel public) sont réalisés sur des sites déjà urbanisés, à l’est et au sud de l’agglomération d’Oran (2 100 à Belgaid, et 4 100 à proximité de l’USTO) (Ramdani, 2004). À ces réalisations nombreuses s’ajoute la promotion immobilière privée, qui se généralise d’une manière spectaculaire sur les artères principales comme le boulevard Millénium, le boulevard des Lions et l’avenue de Canastel, souvent dans les interstices des tissus existants : toute maison traditionnelle (haouch) vendue est démolie pour laisser place à une tour de 10 à 30 étages, ce qui modifie profondément le paysage périurbain oranais.

En parallèle, plusieurs actions décidées dans la précipitation par l’État, souvent au gré du premier responsable de la wilaya, ont été prises pour éradiquer des quartiers gênants de la ville (Derrouiche, 2009 : 91). Elles ont également contribué au processus d’étalement d’Oran et à ses modifications démographiques par le relogement autoritaire des habitants des quartiers précaires et vétustes de la ville dans les noyaux périurbains. Les exemples sont nombreux : le relogement de 225 familles du bidonville de Sanchidrian (El-Barki) à Nedjma, au sud-est (Messahel, 2008), le relogement, jusqu’en 2007, de 1 904 familles (sur les 2619 à reloger) du quartier des « Planteurs » à Haï Essabah, Haï Nour et Haï El Yasmine (Derrouiche, 2009) tous situés au sud-est de l’agglomération, et encore d’autres, des vieux quartiers « Derb » et « Sidi el-Houari » déplacés à l’USTO et Sidi el-Bachir et, tout récemment, des habitants de Médioni, à Oued Tlélat au sud d’Oran et à Canastel.

Des mouvements migratoires centrifuges intenses

Les deux dernières décennies marquent un tournant décisif de l’urbanisation périphérique et une nouvelle dynamique urbaine dans la ville d’Oran. Cette situation est facilement repérable à travers les mouvements migratoires intercommunaux enregistrés depuis 1987 jusqu’en 2008. Plus de 110 000 habitants ont quitté la ville d’Oran, entre 1987 et 1998, pour élire domicile dans d’autres communes de la wilaya. Cependant, l’essentiel s’est orienté vers les communes environnantes (79 761 habitants, soit 72,1 %), en particulier dans les communes périphériques d’Oran (tableau 2). En effet, sur les 110 636 personnes migrantes, près des deux tiers résident actuellement dans les communes de Bir el-Djir, Es-Sénia et Sidi Chami, soit 61,3 % de l’ensemble.

TABLEAU 2

Migrations d’Oran vers les autres communes de la wilaya

Migrations d’Oran vers les autres communes de la wilaya
Source : ONS, 2001 et 2008 | Conception : Trache, 2019

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Loin de s’atténuer, cette tendance s’est accélérée durant la dernière décennie. La production exceptionnelle en masse de l’habitat collectif conjuguée à celle de la maison individuelle a atteint son paroxysme. Près de 70 000 logements (tous types confondus) ont été construits en milieu périurbain jusqu’en 2008 (Trache, 2010 : 103). Les données du dernier recensement attestent d’une mobilité périurbaine plus que jamais instaurée. Entre 1998 et 2008 près de 127 000 habitants ont quitté Oran (tableau 2), dont 83 095 se sont installés dans les trois communes périphériques Bir el-Djir, Sidi Chami et Es-Sénia. La ville d’Oran n’en a reçu que 5 299 (seulement 1627 en 1998). Cette mobilité géographique dénote un solde migratoire négatif important, de l’ordre de –117 299 personnes durant la dernière période intercensitaire. Des résultats similaires sont enregistrés dans d’autres grandes villes, comme Alger (Safar-Zitoun, 2014) où la zone centrale a perdu 141 632 habitants entre 1987 et 1998 (Bakour et Baouni, 2015 : 394). Les problèmes du centre (dégradation du cadre bâti, congestion, etc.), ainsi que l’envie d’accéder à la propriété d’une maison individuelle sont, là aussi, à l’origine de cette mobilité.

Deux grandes enquêtes directes auprès des ménages périurbains ont été réalisées en avril 2018 sur deux entités spatiales géographiquement et socialement distinctes. Ce choix était guidé par deux déterminants : la situation géographique dans l’organisme urbain (Hai Sabah au sud-est, et Belgaid à proximité du campus universitaire au nord-est) ainsi que le type d’opération immobilière (essentiellement un LSP et un LPL). Entamées en 2018, ces enquêtes devaient couvrir l’ensemble des espaces urbanisés en périphérie depuis 2008. Notre élan a été arrêté par la pandémie de la COVID-19 et le confinement interdisant toute proximité sociale. Les résultats obtenus justifient nos hypothèses et viennent conforter la tendance à la déprise démographique observée dans la ville d’Oran lors des deux derniers recensements.

TABLEAU 3

Origine géographique des périurbains en 2018

Origine géographique des périurbains en 2018
Source : Enquêtes directes de terrain, Trache, avril 2018

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Les mobilités résidentielles centrifuges s’amplifient : plus des deux tiers des habitants des deux noyaux résidaient dans la ville-mère, notamment dans les quartiers centraux anciens (tableau 3) connus pour leur dégradation avancée. Néanmoins, une nuance significative différencie les deux noyaux : Belgaid compte plus de ménages provenant des quartiers centraux, alors qu’El Yasmine a attiré ceux des quartiers périphériques.

Ceci est en relation avec l’opération immobilière en présence. L’habitat public locatif a accueilli les populations démunies des quartiers vétustes de la ville à l’occasion d’un relogement, notamment, ou de l’attribution d’un logement à Belgaid, alors que les nouveaux habitants d’El Yasmine, étant pour la plupart propriétaires de leur logement, ont choisi leur nouvelle résidence. Deux mobilités différentes se juxtaposent, l’une subie et l’autre choisie[9] (Trache, 2010 : 135), même si les deux noyaux se composent exclusivement de l’habitat collectif. Les données consignées dans le tableau 4 expriment clairement cette nuance. La vétusté et la précarité de l’habitat – facteurs de mobilité résidentielle involontaire pour des couches sociales à bas revenus -  ont constitué des mobiles décisifs pour enclencher le relogement vers Belgaid. Les quartiers vétustes et les sites précaires ont été les espaces-cibles privilégiés de cette forme de mobilité résidentielle subie. Par contre, Hai el-Yasmine a recruté des populations des couches sociales moyennes qui recherchaient une certaine stabilité sociale : problèmes de promiscuité familiale, précarité sociale (hébergement, location onéreuse, problèmes d’héritage).

TABLEAU 4

Motifs à l’origine de la mobilité résidentielle des périurbains

Motifs à l’origine de la mobilité résidentielle des périurbains
Source : Enquêtes directes de terrain, Trache, avril 2018

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Ainsi, le renversement des tendances migratoires se réalise. Les ménages oranais aspirent de plus en plus à un habitat en milieu périurbain. Leur désir manifeste de quitter la ville coloniale au bâti en dégradation perpétuelle les fait rechercher résolument une amélioration qualitative de leur habitation : « La progression démographique, les décohabitations familiales et le processus de généralisation du ménage nucléaire, entraînant une demande plus forte de logements, sont devenus les principaux éléments de la croissance urbaine » (Belguidoum, 2019 : 2).

Cet état de fait va produire, de manière intrinsèque, des modifications dans la structure de la population et des différenciations sociospatiales indéniables. En effet, des espaces périurbains s’individualisent à travers l’analyse de la typologie de l’habitat. Une différenciation spatiale apparaît à travers les types d’habitat enregistrés en milieu périurbain, où le niveau de concentration par site est frappant (figure 7). Leur localisation géographique dessine quatre grands types d’espaces.

FIGURE 7

Formes d’habitat en milieu périurbain d’Oran

Formes d’habitat en milieu périurbain d’Oran
Conception : Trache, 2019

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Le premier regroupe des espaces à caractère géométrique et régulier, évoquant le quartier résidentiel, où la maison individuelle moderne est manifeste. Il occupe les deux axes privilégiés de la croissance urbaine de l’agglomération d’Oran : Es-Sénia et Chérif Yahia au sud, Bernalville Khémisti et Belgaid au nord-est. Il est très localisé dans quelques noyaux populaires, occupant bien souvent leurs façades extérieures (Bouamama, Sidi el-Bachir). Le deuxième type, l’habitat collectif promotionnel, se localise à l’est d’Oran, en continuité avec l’habitat individuel de Khémisti et de Bernalville. Le troisième ensemble est composé en majorité du logement social collectif et du logement social collectif participatif qui se singularise au niveau de la ZHUN de l’USTO et d’Essabah. Enfin, le type haouch est le domaine quasi exclusif des sites périurbains populaires, des « douars urbanisés » : Sidi el-Bachir et Boudjemaa au sud-est, Nedjma et Ain Beida au sud et Bouamama à l’ouest d’Oran. Les reconfigurations sociorésidentielles sont bel et bien l’aboutissement d’une périurbanisation et des mobilités résidentielles induites lors de la décroissance d’Oran.

Une croissance naturelle en déclin dans la ville centre

Mobilité résidentielle et croissance naturelle apparaissent comme deux phénomènes interreliés dans les reconfigurations démographiques en milieu urbain. La croissance naturelle, appréhendée à travers la natalité – acteur endogène lié à la fécondité – et la mortalité, décrit deux situations paradoxales dans notre espace : les taux évolutifs enregistrés sont nettement plus faibles à Oran qu’en milieu périurbain, et ce, quelle que soit la période considérée (tableau 5). Bien plus encore, ils varient du simple au triple en milieu périurbain, et l’écart s’est particulièrement creusé entre 1987 et 1998. Ceci est dû principalement à une natalité stabilisée dans la ville mère, même si une légère reprise s’est produite durant la dernière décennie[10]. Cette croissance est logiquement reportée en milieu périurbain, espace devenu à grande concentration de ménages relativement plus jeunes et plus procréateurs. Elle s’est poursuivie avec vigueur entre 2008 et 2018 (28,6 %), ce qui laisse envisager une continuité du processus migratoire vers le périurbain, qui est loin de ralentir eu égard à la production de l’habitat dans ces territoires.

TABLEAU 5

Caractéristiques démographiques dans l’agglomération oranaise (1987 à 2018)

Caractéristiques démographiques dans l’agglomération oranaise (1987 à 2018)
Source : État civil, ONS, 1987 à 2018 ; RGPH, 1987, 1998 et 2008 ; Estimations de la population en 2018 | Conception : Trache et Khelifi, 2019

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La croissance naturelle traduit des structures démographiques différenciées et met en évidence les mécanismes indirects à l’origine de la redistribution de la population oranaise.

Des structures démographiques en mutation et une tertiarisation qui se confirme dans la ville mère

Les changements résidentiels vers la périphérie ont apporté des modifications incontestables à la structure démographique de l’agglomération oranaise. En outre, ils ont libéré un parc de logements dont la fonction initiale s’est substituée à des fonctions purement tertiaires, de services notamment.

Un vieillissement progressif de la ville centre et une périphérie urbaine en rajeunissement

Une des incidences notables des mobilités résidentielles centre-périphérie est sans aucun doute le départ des populations jeunes et des ménages nouvellement constitués vers la périphérie. La structure démographique globale par âge a bien changé. La comparaison des pyramides d’âges de la ville d’Oran en 1977 et en 2008 montre indéniablement le passage rapide d’une population extrêmement jeune à une population en vieillissement relatif dominée par les jeunes adultes (figure 8), dont les mobilités centrifuges sont en grande partie responsables. La transition démographique vers un vieillissement est plus prononcée dans les quartiers centraux qu’en périphérie de la ville.

FIGURE 8

Structures démographiques par âge de la ville d’Oran (1977, 1987 et 2008)

Structures démographiques par âge de la ville d’Oran (1977, 1987 et 2008)
Source : ONS, 1977, 1987 et 2008 | Conception : Trache, 2019

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L’âge moyen et les proportions des populations jeunes et âgées nous éclairent sur des tendances démographiques nouvelles : la ville ancienne perd de sa population, mais garde les populations relativement âgées, en comparaison d’une couronne périurbaine en rajeunissement continu, même si les différences ne sont pas toujours très franches.

La figure 9 illustre ces écarts et désigne Oran comme une ville en vieillissement relatif, principalement en vertu d’une population âgée ancrée dans cet espace doté de tous les services pour cette catégorie de population. Les zones d’habitat collectif et les noyaux populaires regroupent les ménages les plus jeunes (ZHUN USTO et Khémisti, Sidi el-Bachir, Bouamama, etc.), alors que l’habitat individuel (lotissements et coopératives immobilières) rassemble des populations relativement moins jeunes, du fait de leur mobilité résidentielle plus ancienne. La population jeune décroît dans les quartiers anciens de la ville (centre-ville, plateaux, Médina jdida, etc.) et dans de nombreux quartiers périphériques à l’image de Seddikia, Carteaux, Point du jour, etc. Il s’agit là, bien évidemment, des premières mobilités résidentielles de populations adultes réalisées dans les années 1980 vers la première couronne investie par l’habitat individuel ; cette migration se maintient parfois dans les quartiers limitrophes de la ville (Les Amandiers, El Barki).

La situation s’inverse pour les populations adultes et âgées, dominantes dans les anciens quartiers de la ville d’Oran, et en déclin dans les nouveaux noyaux urbains, à Nedjma, à l’USTO, Khémisti et à Bouamama. Il semble bel et bien que le vieillissement en milieu urbain diminue du centre vers la périphérie. L’âge moyen est autour de 32,5 ans dans la ville d’Oran ; il est de 30 ans dans la première couronne périurbaine et baisse à 28 ans dans la seconde couronne. L’âge médian donne des résultats similaires (tableau 6).

FIGURE 9

Structures démographiques dans l’agglomération oranaise en 2008

Structures démographiques dans l’agglomération oranaise en 2008
Conception : Trache, 2019 | Source : ONS, 2008

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TABLEAU 6

Âges moyen et médian dans l’agglomération oranaise en 2008

Âges moyen et médian dans l’agglomération oranaise en 2008
Source : RGPH, 2008 | Conception : Trache et Khelifi, 2019

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Le vieillissement relatif de la population oranaise s’explique également par la situation de transition démographique en Algérie, plus prononcée dans les villes centres qu’en milieux rural et périurbain. La baisse de la fécondité amputée de moitié en une génération dans le monde arabe (Sajoux, 2012 ; Sajoux et Nowik, 2012), le recul de l’âge au mariage et l’allongement de l’espérance de vie à la naissance (Bouisri, 2001) sont le reflet des progrès indéniables du système sanitaire et de l’amélioration des conditions et du niveau de vie de la population, ainsi que de l’évolution de la société en général.

Cette tendance démographique nouvelle soulève d’emblée une problématique inhabituelle : l’inadéquation entre la population et les services publics amènera à bien des égards quelques interrogations en matière d’aménagement et de planification urbaine. L’exemple des écoles nous semble approprié pour illustrer ce propos.

Les observations de terrain indiquent aujourd’hui une surcharge des écoles en périphérie alors que d’autres se vident dans la ville centre. Le tableau 7 montre une nette amélioration des équipements scolaires dans les communes périurbaines en raison d’une demande croissante du nombre d’enfants à scolariser. Les données traduisent l’impact considérable de l’urbanisation en matière d’encadrement, en particulier dans la commune de Bir el-Djir où le nombre de collèges et d’écoles primaires a doublé (de 25 à 50) en moins de 10 ans. À l’inverse, le nombre d’enfants scolarisés dans la ville mère diminue sensiblement depuis une quinzaine d’années. Les taux d’occupation par classe le montrent bien (tableau 7).

Cela se confirme dans le détail : non seulement le taux d’occupation des classes a baissé dans la ville, mais le nombre de divisions (classes pédagogiques) a aussi sensiblement diminué. Le nombre de classes a été divisé par deux dans les deux écoles du centre-ville incluses dans notre enquête. Les effectifs n’y dépassent guère 30 élèves par classe. Cette baisse remarquable et inhabituelle du nombre d’enfants scolarisés à Oran met en évidence le déclin de la natalité dans cet espace, un déclin qui s’explique aisément par le départ des ménages relativement jeunes et procréateurs en quête d’un logement en périphérie. A contrario, les populations âgées restent dans la ville centre pour toutes les commodités qu’elle leur offre, pour la proximité des divers équipements et en raison de leur ancrage à ce territoire auquel elles s’identifient.

TABLEAU 7

Taux d’occupation des classes dans l’agglomération oranaise

Taux d’occupation des classes dans l’agglomération oranaise
Source : CNERU, 1995 ; DPAT, 2007 | Conception : Trache, 2019

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Ainsi, une diminution de la population des centres peut traduire en premier lieu « une baisse de l’effectif des ménages ou de la réduction de leur taille comme il a été souligné précédemment, ou la concurrence exercée par le secteur tertiaire à l’encontre de la fonction résidentielle, qui engendre la transformation d’appartements en bureaux » (Rérat, 2006 : 737). Ceci témoigne d’une attractivité déclinante des quartiers centraux.

Le centre-ville : passage de la fonction résidentielle à une fonction de services

Le phénomène le plus connu dans les espaces centraux des grandes villes à l’occasion d’une offre de logements libérés par les changements résidentiels ou lors d’une quelconque opération urbanistique (réhabilitation, rénovation, etc.) est la mutation fonctionnelle originelle de l’espace résidentiel. Le plus souvent, dans un espace à forte centralité, la fonction tertiaire se substitue à la fonction résidentielle (Metton, 1980 ; Lévy, 1987) et se perfectionne de plus en plus (Sporck, 1979 ; Metton, 1980 ; Lévy, 1987). À ce propos, depuis le développement de la périurbanisation, la ville d’Oran connaît de nouvelles dynamiques qui se manifestent par un desserrement des quartiers centraux, un secteur tertiaire en progression au centre-ville (mutations de la fonction de résidence vers les services). Telles sont les incidences visibles générées par l’étalement urbain d’Oran.

Des mutations profondes, depuis la décennie 1980, affectent les quartiers centraux, qui sont marqués par une hausse des activités tertiaires (figure 10). Cela a été rendu possible par la mobilité résidentielle centrifuge. Les logements libérés sont récupérés par les activités de service qui sont montées en puissance au point de finir par dominer les activités présentes dans les quartiers centraux anciens, souvent à cause d’un parc dégradé, mais aussi trop cher pour des particuliers à des fins résidentielles. Le même scénario se joue aussi, mais différemment, dans la plupart des villes algériennes. De ce point de vue, Oran représente un cas très particulier, notamment à cause d’une ségrégation socioethnique plus accentuée qu’ailleurs en raison du poids largement dominant de la population d’origine européenne dans le centre-ville, ce qui caractérise, du reste, la physionomie générale de la ville la plus européenne d’Algérie avant l’indépendance.

Cette vague de substitution à la fonction résidentielle prend de plus en plus de tonalité aujourd’hui. En une dizaine d’années, la fonction résidentielle de 284 logements a été remplacée par des fonctions de service et professions libérales (tableau 8). Le nombre de ces fonctions a plus que quintuplé en moins de 30 ans, passant de 134 avant 1987 à 781 en 2008. Le centre-ville, qui présente un tissu relativement aéré, continue d’attirer ce type de services. Les densités commerciales et de service y sont les plus élevées (plus de 30 commerces pour 100 m de rue, et 40 commerces pour 1 000 habitants) (Bendjelid et Trache, 2002). Cette mutation de fonctions s’étend de plus en plus aux quartiers périphériques (offre immobilière saturée et inaccessible au centre-ville), que Les Amandiers, Dar el-Beida et Maraval (figure 10) arrivent encore à absorber, à titre d’exemple.

Toutefois, l’attrait du centre-ville sur les activités tertiaires n’a pas empêché leur développement en milieu périurbain. Leur implantation récente en périphérie décrit une nouvelle dynamique. Le développement récent de polarités administratives et commerciales en milieu périurbain est d’autant plus important que c’est à une reconfiguration globale des activités et des populations qu’on a affaire. Les données de 2016 indiquent même un déclin des recrues au centre-ville. Ceci trouve son explication dans la migration des activités de service à la suite des désagréments causés par la réalisation du tramway – vers la commune de Bir el-Djir. En effet, de nouvelles centralités émergent autour d’Oran ; le quartier d’el-Akid à Bir El-Djir en est une illustration parfaite. S’agit-il d’une forme de compétition nouvelle qui s’instaure entre le centre-ville et les centralités secondaires ? Tout porte à croire qu’une telle tendance s’affirme, eu égard à l’animation qui sévit au quotidien à El-Akid et un centre-ville qui se vide entièrement à la tombée de la nuit.

TABLEAU 8

Mutations des logements vers les professions libérales au centre-ville

Mutations des logements vers les professions libérales au centre-ville
ONS, 1998 et 2008 ; Megrous et Boussid, 2000 ; Boukhoucha et Arour, 2016 | Conception : Trache, 2019

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FIGURE 10

Les mutations des logements vers un usage professionnel

Les mutations des logements vers un usage professionnel
Conception : Trache, 2019 | Source : ONS, 1998 et 2008

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Discussion : la déprise démographique dans la grande ville algérienne, une problématique de recherche nouvelle ?

La déprise démographique dans une grande ville métropolitaine comme Oran s’est avérée en relation avec des facteurs récurrents endogènes et exogènes, intimement liés. La production exceptionnelle d’un bâti en peu de temps, à travers les lotissements, les coopératives immobilières et l’habitat collectif en milieu périurbain, a généré des mobilités résidentielles intenses. Celles-ci sont également le résultat d’un cumul antérieur des populations au sein de la ville mère qui a entraîné une dégénérescence d’un bâti vétuste en mal d’entretien. Par conséquent, un desserrement normal s’est produit dans les anciens tissus urbains, ce qui explique la décroissance démographique progressive et continue observée dans la ville d’Oran.

Les populations périurbaines nouvelles sont essentiellement originaires des anciens quartiers d’Oran. Eu égard aux nombreux programmes de logements collectifs (publics et privés) réalisés et en projet, le renversement des tendances migratoires semble irréversible. Se profilent des mobilités résidentielles particulières vers des espaces encore vierges à l’est de l’agglomération, et récemment à l’ouest d’Oran. Ces facteurs endogènes ont eu des incidences directes et indirectes sur le déclin démographique de la ville.

Une des incidences notables des changements résidentiels centre-périphérie est, sans doute, le départ des populations essentiellement jeunes et des ménages nouvellement constitués vers la périphérie, pour échapper à la précarité de leurs conditions d’habitat (logement exigu, vétuste, etc.) pour des aspirations résidentielles (en quête d’une qualité de vie meilleure), pour une autonomie familiale revendiquée (décohabitation) ou encore par un relogement contraint des habitants des quartiers vétustes et précaires. Les mobilités résidentielles concernent des populations de jeunes adultes, en âge de procréer. La croissance naturelle par la natalité facteur endogène lié à la fécondité – et la mortalité a précisé la tendance de cette décroissance démographique dans la ville d’Oran. Ce régime métropolitain se singularise par une évolution démographique différenciée et par une « dédensification » de la ville centre. Le poids du centre s’affaiblit en regard des couronnes périphériques. Ces deux phénomènes conjugués (périurbanisation et déclin démographique) expriment la transition vers un vieillissement démographique, certes relatif, plus prononcé au centre-ville qu’en milieu périurbain, une transition que les structures démographiques ont mise en évidence.

Enfin, les logements libérés par les changements résidentiels peuvent faire l’objet de confrontations qui favorisent une hausse des activités tertiaires dans les quartiers centraux – prisés par l’activité libérale – où le coût de l’immobilier est hors de portée pour la fonction résidentielle. Pour nous investir dans cette thématique, nous devions pouvoir compter sur l’existence et la disponibilité de données statistiques fiables : des données de population à différentes périodes, des mouvements migratoires, etc. Certaines données globales existent et sont parfois produites dans des publications de l’ONS. D’autres sont totalement absentes à une échelle urbaine plus fine, le quartier. Comme nous n’avons pu effectuer l’analyse évolutive des structures démographiques par quartier, nous nous sommes contentés d’une approche globale, sauf pour 2008. Le Recensement général de la population et de l’habitat (RGPH) numérisé de cette année a été mis à notre disposition et nous en avons nous-mêmes effectué le dépouillement et le traitement des données. Cette contrainte a amputé notre recherche d’analyses comparatives structurelles intéressantes.

Malgré ces difficultés, il est plus qu’indispensable d’investir cette thématique pour mener à bien une réflexion approfondie sur le devenir de la ville algérienne et de ses reconfigurations futures. L’intérêt d’un retour à la ville compacte nous paraît inéluctable et nécessaire pour que cette ville puisse redorer sa fonction résidentielle et son paysage urbanistique initial par des opérations de régénération urbaine. Les espaces périurbains relevant du domaine privé de l’État se font de plus en plus rares, et tout étalement futur nécessitera un empiètement sur les terres agricoles limitrophes. La conjoncture économique actuelle défavorable (rente des hydrocarbures en baisse, pandémie de la COVID-19) ne favorisera nullement une urbanisation extensive impliquant des surcoûts de construction d’infrastructures nouvelles, voirie et réseaux divers (VRD), équipements et autres. L’étalement urbain soulève une série d’enjeux concernant l’avenir des villes algériennes en termes de compétitivité économique, de cohésion sociale et de protection de l’environnement. La volonté de contenir cet étalement doit passer par un retour à la ville classique intégrant celle-ci dans une politique d’aménagement du territoire en général, et urbain en particulier.

La ville d’Oran accumule à ce jour de nombreuses petites poches en friche, pour le moins convoitées, qui méritent de devenir des supports dans le cadre de nouveaux projets urbains. En plus, certains quartiers centraux taudifiés, à l’exemple de Derb, Saint-Antoine, Saint-Pierre et autres, ne peuvent faire l’impasse sur une pratique urbaine extensive ; leur récupération réduira sensiblement les problèmes sociaux et structurels de la ville. C’est une politique urbaine volontaire, réfléchie et participative dont la ville algérienne a besoin aujourd’hui, Oran tout particulièrement. La réalisation du tramway d’Oran, par exemple, a certainement amélioré la mobilité quotidienne des Oranais mais, en revanche et faute de concertation entre les acteurs, elle a mortifié des rues commerçantes du centre-ville, à l’image de la rue Mohamed Boudiaf (ancienne rue de Mostaganem) spécialisée dans le petit appareillage électrique, qui a trouvé refuge sur le boulevard Millénium à Bir el-Djir.

La tendance démographique en cours suscite d’emblée une problématique nouvelle et inhabituelle en matière d’aménagement et de planification urbaine : il faut repenser objectivement à l’équilibre équipements / population.

Conclusion

Au terme de cette analyse, il convient de souligner que, depuis plus de deux décennies, l’agglomération oranaise a été le théâtre de mutations spatiales et démographiques qui sous-tendent des dynamiques urbaines nouvelles. La saturation des tissus anciens et leur déliquescence, d’un côté, la production d’un parc immobilier neuf dans un milieu initialement rural, de l’autre, ont amené une reconfiguration globale de l’agglomération. Elles ont généré des mobilités résidentielles intenses qui ont modifié les structures démographiques en place. La tendance vers un rajeunissement démographique en périphérie urbaine est réelle ; elle est la caractéristique dominante des fragments périurbains. Par ailleurs, les mobilités résidentielles réalisées grâce à l’importante production immobilière et foncière ont permis un desserrement des quartiers anciens de la ville centre et un renforcement des fonctions tertiaires se substituant à la fonction résidentielle. Cela semble disposer la ville d’Oran à un vieillissement lent et progressif et à sa déprise démographique vis-à-vis d’une périphérie urbaine en rajeunissement sensible, bénéficiant d’une croissance démographique en hausse incontestable.

Au regard d’une production immobilière volumineuse[11], tant publique que privée, localisée majoritairement en périphérie (pôle urbain Ahmed Zabana à l’ouest, Belgaid à l’est, Regency au sud, etc.), la périurbanisation se poursuivra, en attirant les populations les moins âgées des quartiers centraux. Cette tendance nouvelle pose de manière pertinente la question du devenir des tissus urbains anciens et du patrimoine immobilier en déliquescence, à Oran. Par ailleurs, la reconfiguration de l’espace oranais présente de nouveaux problèmes, notamment l’obligation de repenser la distribution des équipements et des services publics, et ce, en adéquation avec les besoins des habitants. L’étalement urbain coûte plus cher que des formes d’urbanisation plus denses. Les coûts d’investissement dans les infrastructures physiques (routes et réseaux) et dans les équipements publics augmentent en raison des distances plus longues à couvrir.

Au risque de sombrer dans l’utopie, nous pensons que la ville algérienne devra bénéficier de réflexions pour l’amorce d’un réel projet urbain. Une telle ambition ne se concrétisera pas tant qu’il sera toujours question de rattraper et de combler les retards, qui prennent des proportions croissantes, entraînant des déséquilibres perpétuels amenant l’État à pallier le plus pressant dans la précipitation, à répondre le plus souvent aux besoins du logement (Hadjidj, 2006). Un débat large et responsable doit être engagé, impliquant tous les acteurs de la ville, seul aboutissement à un projet urbain cohérent. Les auteurs des politiques urbaines doivent se saisir des problèmes urbains pour élaborer de nouveaux objectifs et reconstruire les espaces urbains.