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Philippe Duhamel, géographe de l’Université d’Angers, nous livre une synthèse très intéressante de la géographie du tourisme et des loisirs. Héritier de l’équipe de recherche Mobilités, Itinéraires, Tourismes (MIT), longtemps dirigée par Rémy Knafou, il a lui-même été longtemps président de la Commission de géographie du tourisme et des loisirs du Comité national français de géographie (CNFG).

Son ouvrage se présente comme un très bon intermédiaire entre le manuel et l’ouvrage de recherche. Plus exactement, il constitue une synthèse des recherches effectuées. C’est la grande différence avec les manuels de synthèse du phénomène touristique utilisé en brevet de technicien supérieur (BTS) ou dans les instituts universitaires de technologie (IUT), qui rapportent plutôt tout un ensemble de chiffres et de courbes sur le nombre d’hôtels, le nombre de touristes, ou encore les retombées économiques secteur par secteur. En fait, ces manuels de synthèse ne sont pas moins utiles que les ouvrages de recherche pour connaître la réalité du phénomène touristique à un moment donné, notamment pour un futur professionnel du secteur ; ils impliquent toutefois une fréquente réédition actualisée. Les deux genres sont utiles. Le second, plus réflexif, plus attentif aux processus, est davantage adapté aux formations universitaires et à la préparation aux épreuves écrites des concours, notamment les concours de l’enseignement (le tourisme et les loisirs figurent au programme du certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement secondaire [CAPES] et de l’agrégation) ou des grandes écoles en France.

L’ouvrage de Duhamel est structuré en six grandes parties. La première partie détaille les enjeux de définition du tourisme, qui relève en soi d’une invention sociale et discute des formes de tourisme. La seconde procède d’une géographie historique, des pratiques et des lieux touristiques. La troisième partie restitue un ensemble de chiffres sur les enjeux économiques et la géographie politique du secteur. Des chiffres et des tableaux donnent alors quelques éléments plus factuels d’actualité. Le quatrième chapitre présente la diffusion récente du tourisme à travers le monde, des « fronts pionniers récents » aux « destinations à venir ». Les chapitres V et VI montrent les logiques de mise en tourisme des lieux, ainsi que les mécanismes de construction des ressources touristiques et procède par typologie dans l’étude des lieux touristiques. Ces deux dernières parties, plus théoriques, délibérément proches des positions de l’équipe de recherche MIT, débouchent sur une conclusion relative à la mondialisation récréative bien construite, notamment à partir d’un planisphère thématique et d’un tableau de synthèse, mais sans revenir vraiment sur le concept de pratiques récréatives.

Dans la très vaste bibliographie, on pourra toujours regretter une certaine prédominance des auteurs issus de l’ancienne équipe de recherche MIT, sinon de l’ouest de la France, mais les travaux de l’ancien réseau de recherche Grand Sud (qui s’opposaient au MIT) sont pour autant parfaitement intégrés, et la multitude des groupes de recherche plus actuels est bien présente. Construite à partir du socle des connaissances francophones, cette bibliographie comporte assez peu de références étrangères (anglophones, hispanophones, etc.), mais cela n’est pas un défaut si l’on considère la cohérence d’une approche. Au contraire, on pourrait produire un manuel de synthèse des recherches anglo-saxonnes en géographie. Les cadres d’analyse sont différents, les concepts, les auteurs de référence et les terrains d’étude ne seraient pas les mêmes. C’est un autre projet. Ce livre francophone de Philippe Duhamel mériterait au contraire une traduction en anglais et en espagnol pour que cette recherche puisse franchir les frontières. Contre l’idée d’une recherche mondialisée, uniformisée et positiviste, je pense en effet que les préoccupations fondamentales et les mentalités ne sont pas nécessairement similaires entre les géographies du monde.

Il manque par contre, étonnamment, les travaux remarquables de Gauchon (1996 et 1997) sur les friches touristiques, Bachimon (1997, 2005 et 2013) sur les arrière-pays, sinon les miens sur ces deux thématiques. Dans le même sens, le chapitre sur les liens entre sport et tourisme manque quelque peu de consistance au regard de l’ampleur de la bibliographie existante à ce sujet, mais il faut reconnaître à l’auteur d’avoir clairement montré l’importance du secteur, notamment les enjeux olympiques.

Enfin et c’est par contre vraisemblablement une volonté de l’auteur, l’oeuvre controversée de Jean-Michel Hoerner ne trouve pas sa place tout au long des 283 pages du livre. Les fondements d’une science du tourisme que cet auteur propose, la « tourismologie », et son approche marxiste du tourisme (qui n’a jamais été critiquée sur le fond des contradictions épistémologiques internes d’une science qui voudrait détruire son objet) ne sont pas sans existence ni influence, y compris justement à l’étranger. En attestent Les Cahiers internationaux du tourisme dont il contrôle le comité scientifique entre Nîmes et Perpignan, ses nombreux ouvrages aux Presses universitaires de Perpignan ou ses publications dans la revue Hérodote, sinon dans la collection dirigée par Yves Lacoste chez le même éditeur que ce manuel de Géographie du tourisme et des loisirs (Hoerner, 2002, 2007, 2008a et 2008b). Sans défendre cette approche dont la critique serait aussi un moyen de comprendre la recherche en tourisme et les mécanismes de production de cette recherche, on peut regretter ce silence dans ce très bon livre et nouveau manuel.