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L’Université du Québec à Montréal (UQAM) a fait preuve d’audace en mettant sur pied, au milieu des années 1990, le premier programme entièrement consacré à l’enseignement des relations publiques dans le monde francophone. Il s’agissait d’un geste fort et d’un positionnement pour le moins audacieux en regard de l’opprobre entourant encore la profession à cette époque; cette suspicion était d’ailleurs très présente au sein même du milieu universitaire.

Un champ disciplinaire qui émerge tardivement

Il faut dire que les relations publiques ont mis du temps à s’imposer comme champ d’études légitime en communication. De fait, les balbutiements de la profession sont marqués par des pratiques qui empruntent largement à la psychologie, particulièrement en regard de la marque laissée par Edward Bernays. Ce dernier, neveu du célèbre Sigmund Freud, n’hésite pas à avoir recours à la psychanalyse pour « manipuler les consentements » (Bernays, 1947). Lors de la Première Guerre mondiale, il mettra sa science au service du gouvernement fédéral américain afin de convaincre de la nécessité, pour les États-Unis, de prendre part au conflit en rejoignant les forces alliées. Au lendemain de la guerre, ses techniques de propagande profiteront à divers clients qui participent à l’émergence de la société de consommation. Les campagnes ainsi déployées réussissent certes à convaincre, mais souvent à coup de dissimulation, voire de mensonge (à ce sujet, voir, notamment, Olasky, 2011). Les relations publiques sont ainsi marquées, dès leur émergence, d’un certain stigmate qui leur confère une connotation négative, dont on retrouve encore les traces à ce jour.

Dans les années 1950, on assiste tout de même à l’institutionnalisation graduelle d’une profession qui réclame sa légitimité. La Public Relations Society of America voit le jour en 1947 et la Société canadienne des relations publiques (SCRP) est fondée à Montréal en 1948. Le siège social de l’organisation déménagera en Ontario en 1953, dans la foulée de sa fusion avec la Public Relations Association of Ontario. La Société canadienne des relations publiques, section Québec (SCRP-Québec), sera mise sur pied en 1965 en réponse à l’appel des relationnistes francophones qui souhaitent obtenir davantage de services dans leur langue. De fait, en 1972, des membres se dissocient de la SCRP-Québec et fondent l’Association des relationnistes du Québec (ARQ). En 1984, celle-ci fusionnera à nouveau ses activités avec la SCRP-Québec pour devenir la Société des relationnistes du Québec (SRQ) et prendra le nom de Société québécoise des professionnels en relations publiques (SQPRP) en 2006, à la suite d’un repositionnement stratégique. Ces associations professionnelles placent l’intérêt public au cœur de la mission des relations publiques, la SCRP faisant sienne la définition de Terry Flynn, Fran Gregory et Jean Valin (cités dans Yaxley, 2009) selon laquelle « [l]es relations publiques sont la gestion stratégique, par le truchement de la communication, des liens entre une organisation et ses différents publics afin de favoriser la compréhension mutuelle, de réaliser ses objectifs organisationnels et de servir l’intérêt public[1] » (s. p.). Cet accent sur l’intérêt public ne manque pas d’en faire sourciller plusieurs, alors que les références à la propagande « à la Bernays » restent ancrées dans l’imaginaire collectif. D’aucuns, et les médias au premier chef, sont ainsi prompts à dénoncer de fréquentes « opérations de relations publiques » lesquelles, pointées de la sorte, sont associées à des démarches manipulatoires souvent condamnables sur le plan éthique.

Pourtant, les organisations, quelles qu’elles soient, doivent entrer en relation avec leurs divers publics et ont donc besoin de professionnelles et professionnels qui auront l’ouverture et la sensibilité requise pour ce faire. Cela est d’autant plus vrai que la société se complexifie, notamment au tournant des années 1960, où on assiste à une industrialisation massive : à la montée des revendications issues des nouveaux mouvements sociaux concernant, par exemple, l’intégration et le respect des minorités, le droit des femmes ou les droits civiques (Neveu, 2011); à l’émergence de la conscience environnementale à partir des années 1970, notamment avec la publication, en 1962, du livre Silent Spring de Rachel Carson; et à la genèse de la mondialisation, quelques années plus tard (Dollfus, 1997). Les relations publiques doivent également se définir par rapport au champ du marketing, qui prend de l’ampleur à partir des années 1950 et qui, souvent, se présente comme fédérateur de l’ensemble de la fonction communication managériale (Hutton, 2010), reléguant les relations publiques à un simple rôle technique.

Il faudra attendre les années 1980 pour que se structure un univers théorique autour des relations publiques. On doit en grande partie ce travail à James E. Grunig, de l’Université du Maryland, qui publiera, en 1984, avec Todd Hunt, l’ouvrage Managing Public Relations, dans lequel il développe les bases de sa théorie. Dès lors, Grunig met de l’avant quatre modèles de relations publiques qui correspondent plus ou moins aux approches ayant marqué la profession à travers le temps, soit celui de l’agent de presse ou de la promotion, de l’information au public, de la communication bidirectionnelle asymétrique et de la communication bidirectionnelle symétrique.

Le premier modèle[2], celui de l’agent de presse ou de la promotion (press agent/promotion), suppose une communication unidirectionnelle émanant de l’organisation et visant à mettre en évidence des aspects strictement positifs de celle-ci. De fait, c’est un modèle proche de la publicité ou de la propagande, en vertu duquel tous les moyens sont bons, y compris la ruse et le mensonge, pour arriver à ses fins. Le deuxième modèle, celui de l’information au public, correspond également à une communication unidirectionnelle émanant de l’organisation, les informations ainsi communiquées répondant toutefois davantage aux attentes et aux besoins des publics, ou aux différentes « attentes sociétales » (Heath et Palenchar, 2009). Il y a donc esquisse d’une bidirectionnalité, même si l’information diffusée demeure en grande partie favorable à l’organisation. Par exemple, une entreprise qui divulguerait de l’information sur ses rejets polluants dans son rapport annuel mettrait de l’avant une approche communicationnelle s’apparentant à ce modèle. Le troisième modèle, celui de la communication bidirectionnelle asymétrique (two-way assymetrical communication), comme son nom l’indique, permet une communication à double sens, divers mécanismes permettant aux publics de faire connaître leurs points de vue auprès de l’organisation. La communication est toutefois qualifiée d’asymétrique, puisque cet apport des publics n’influe pas directement la prise de décision, qui relève strictement des organisations, lesquelles sont, au demeurant, peu enclines à faire évoluer leur point de vue. Ce serait également le cas d’une stratégie communicationnelle faisant appel au sondage ou à une journée portes ouvertes, par exemple. Enfin, le modèle de la communication bidirectionnelle symétrique (two-way symmetrical public relations) implique une réelle participation des publics à la prise de décision organisationnelle, puisqu’il y a interinfluence véritable entre les différents interlocuteurs ou parties prenantes à la discussion, autant du côté de l’organisation que des divers publics. Dans un tel contexte, le contenu de la communication organisationnelle reflète à la fois les besoins en matière d’information des différents publics et ceux de « plaidoyer » (ou d’advocacy) de l’organisation (Grunig, 2009). Le concept de symétrie est central à ce modèle. Il réfère à la volonté, de part et d’autre, de saisir les différents points de vue mis de l’avant et de demeurer ouvert à faire évoluer sa propre vision de l’enjeu discuté, quitte à laisser tomber certaines conditions ou revendications. Ainsi, « les organisations obtiennent davantage ce qu’elles souhaitent lorsqu’elles laissent tomber une part de ce qu’elles souhaitent[3] » (Grunig et White, 1992, p. 46).

De façon plus large, le modèle de la communication bidirectionnelle symétrique s’inscrit dans la « théorie de l’excellence » (Grunig, 1992), une approche normative qui vise à orienter vers un idéal la pratique des relationnistes – alors qu’un modèle positiviste viserait plutôt à décrire les pratiques telles qu’elles se manifestent concrètement (Grunig, 2009). Dans la foulée de cette première théorisation, achevée en 2002 avec la publication de l’ouvrage Excellence in public relations and communication management (Grunig, Grunig et Dozier, 2002), des chercheuses et chercheurs en communication se penchent plus avant sur la notion de dialogue, implicite à la notion de symétrie, en tentant de déterminer des caractéristiques qui permettraient de statuer qu’une relation établie entre une organisation et ses publics s’avère en effet être de nature dialogique. Ces écrits s’inscrivent dans ce qu’on appellera le « courant relationnel », ou le modèle des « relations publiques dialogiques » (Kent et Taylor, 2002; Ledingham et Bruning, 2000).

Ceci dit, l’approche normative prônée par Grunig et les tenants du courant relationnel n’est pas sans susciter des réactions parmi d’autres chercheuses et chercheurs en communication, qui critiquent ce qu’ils perçoivent comme une vision idéalisée qui tient peu compte des réalités vécues sur le terrain, qu’il s’agisse de la difficulté, pour les organisations, de concilier leurs intérêts avec ceux, divers, de leurs différents publics (Cancel et al., 1997), ou encore des relations de pouvoir, peu propices à l’établissement d’une relation symétrique entre une organisation et ses publics (Cheney et Christensen, 2001; Leitch et Neilson, 2001; L’Étang et Pieczka, 2006). D’autres avancent qu’une approche symétrique n’est pas toujours souhaitable puisqu’elle peut poser des enjeux éthiques importants lorsque mise de l’avant dans certaines circonstances – avec des groupes terroristes, par exemple – ou lorsque le consensus est recherché à tout prix (Stoker et Tusinsky, 2006). D’autres soutiennent enfin que la communication bidirectionnelle symétrique peut contribuer à maintenir l’hégémonie que les acteurs dominants (l’État ou les entreprises) exercent sur les acteurs sociaux, en servant d’exutoire aux tensions entre les dominés et les dominants (Roper, 2005). Bref, on assiste, au tournant des années 2000, à un foisonnement de la recherche en relations publiques, à laquelle on peut désormais aussi associer des approches critiques.

C’est en 1975 qu’apparaît la Public Relations Review, la première revue disciplinaire faisant place aux personnes chercheuses et praticiennes du domaine. Le Journal of Public Relations Research suivra, en 1989, de même que le Journal of Communication Management, créé en 1996, puis, enfin, la revue PRism, qui voit le jour en 2003. Ainsi, la multiplication des publications scientifiques d’envergure internationale spécifiquement consacrées aux relations publiques témoigne d’une certaine consolidation du champ disciplinaire.

Les relations publiques à l’UQAM

À l’UQAM, l’idée de développer un programme de baccalauréat spécifiquement consacré aux relations publiques est évoquée dès la fin des années 1980. À l’initiative de Gaétan Tremblay, professeur du Département des communications, un comité de travail est mis sur pied en 1989; le projet est piloté conjointement par la Famille des Lettres et Communications et par l’École des sciences de la gestion. Bien que l’idée d’introduire un tel programme au sein d’un département qui forme aussi des journalistes soit contestée – pour certains, cela n’équivaut à rien de moins que de « faire entrer le loup dans la bergerie »! – le projet sera par ailleurs défendu par des professeures et professeurs convaincus de sa pertinence, dont Enrico Carontini et René-Jean Ravault.

Dans le document de présentation du projet, on justifie le besoin d’un nouveau programme dédié aux relations publiques en invoquant, déjà, la complexité croissante du monde des organisations, caractérisée par une ouverture des communications organisationnelles, à l’interne et à l’externe, grâce « au développement quasi exponentiel des technologies communicationnelles » (UQAM, 1992, p. 4). Le projet de baccalauréat s’appuie notamment sur une étude de la Société canadienne des relations publiques qui déplore, dans un document intitulé Les programmes d’études en relations publiques au Canada (1988), qu’il n’existe alors aucune formation universitaire complète de premier cycle au Québec portant spécifiquement sur les relations publiques[4]. Des représentantes et représentants de la Société des relationnistes du Québec et, plus largement, plusieurs professionnelles et professionnels québécois de renom se montrent quant à eux enthousiastes à l’idée de la création d’une telle formation et signent une lettre d’appui formel au projet.

En faisant notamment référence aux conclusions de la Commission on Undergraduate Public Relations Education (1987) et aux tendances dégagées par les chercheuses et chercheurs du domaine s’étant penchés sur la formation en relations publiques (dont Gibson, 1987; Grunig et Grunig, 1989; Turk, 1989, cités dans UQAM, 1992), le projet uqamien insiste sur l’importance d’une formation générale en sciences humaines – qui serait comblée par l’intégration de cours en sciences de la gestion – et aux aspects théoriques et pratiques nécessaires à un éventuel programme de relations publiques. Ce sont les principes de base à partir desquels sera élaboré le programme, qui s’appuie aussi très clairement sur la perspective normative proposée par le modèle de l’excellence de Grunig. D’ailleurs, l’UQAM décernera, en 2011, un doctorat honoris causa à Jame E. et Larissa A. Grunig, en reconnaissance de « l’apport déterminant de leur contribution à la recherche théorique et empirique dans le domaine des relations publiques et des communications ainsi que la qualité innovante, fédératrice et humaniste de leur œuvre[5] ».

Le programme de communication (relations publiques) se donne comme objectif de

[f]ormer des personnes aptes à identifier les enjeux sociaux auxquels une organisation est susceptible d’être confrontée et à établir les politiques, stratégies et programmes destinés à les gérer au meilleur des intérêts de l’organisation, dans le respect des publics avec lesquels elle est appelée à interagir et des règles d’éthique de la profession[6] (UQAM, 1992, p. 48).

Danielle Maisonneuve fera son entrée comme professeure spécialisée en relations publiques en 1996. Son mandat de directrice du tout nouveau programme est titanesque. Elle doit recruter les enseignantes et enseignants qui l’aideront à donner les tout nouveaux cours prévus au programme – et à les encadrer en ce sens – tout en enseignant et en développant elle-même plusieurs contenus. Dès le départ, des liens étroits sont établis avec les milieux de pratique, plusieurs personnes chargées de cours étant recrutées parmi des professionnelles et professionnels en activité. Le fait que le programme prévoit deux stages en organisations contribue à établir une proximité durable avec les milieux de pratique, une des marques fortes du nouveau programme. Celui-ci s’avère être un franc succès, les demandes d’admission dépassant chaque année de plus de six fois le nombre d’étudiantes et étudiants admis (de 60 nouvelles étudiantes et nouveaux étudiants par année, on passe à des cohortes de 90 étudiantes et étudiants à compter de 2008). Le programme fera l’objet de nombreux changements au fil des années afin de mieux répondre aux attentes des étudiantes et étudiants et des milieux de pratique; en 2016, il sera revu en profondeur afin de refléter les nouvelles réalités de l’univers des relations publiques – notamment les bouleversements intervenus sur le plan médiatique (Motulsky, 2018) en raison de la montée en puissance des médias socionumériques (Grunig, 2009).

En parallèle à son enseignement et à l’encadrement des personnes chargées de cours récemment recrutées, Danielle Maisonneuve se consacre à la mise sur pied de la Chaire de relations publiques, qui voit le jour en 2002 (elle deviendra la Chaire de relations publiques et de communication marketing en 2008). Si la chaire se veut un pôle de recherche dans la discipline, elle permettra surtout, dans ses premières années, la réalisation de mandats concrets de relations publiques, auxquels seront régulièrement associés les étudiantes et étudiants. Ces derniers seront encadrés, pour ce faire, par des personnes chargés de cours et professionnelles du milieu, dont au premier chef, Pierre Bérubé, embauché à l’UQAM en 1998 et au cœur du quotidien de la chaire afin de soutenir ses activités. Le passage à l’UQAM de Marcel Barthe, praticien hautement respecté, permet de consolider la place de la chaire auprès des milieux de pratique. Au fil des années, la chaire fédère des chercheuses et chercheurs d’autres universités œuvrant dans le champ des relations publiques. Dans la foulée de son embauche comme professeur à l’UQAM, Bernard Motulsky en prendra la direction en 2009 et continuera d’entretenir des liens étroits avec les milieux de pratique.

Le fait que les relations publiques soient désormais enseignées au Québec dans un programme qui leur est entièrement consacré a des répercussions importantes dans les milieux de pratique. Au premier chef, les théories de James E. Grunig percolent désormais dans les milieux socioprofessionnels québécois, où on s’approprie graduellement ces principes en référant de plus en plus souvent à l’idéal de la communication bidirectionnelle symétrique. Certes, le processus d’agrément de la Société canadienne de relations publiques véhicule aussi ces théories, mais les professionnelles et professionnels québécois agrégés – lesquels ont dû se familiariser avec les théories de Grunig en vue de l’examen d’agrément conférant le titre de ARP – demeurent très peu nombreux. Ainsi, le fait que l’UQAM, par la voix de Danielle Maisonneuve, mette de l’avant ce modèle a certainement contribué à son appropriation par les milieux de pratique. On peut penser que cette percée théorique au sein de l’industrie a participé au processus de légitimation de la profession, alors que les relationnistes avaient désormais des bases théoriques concrètes pour appuyer et justifier leurs démarches.

En 1998, l’ouvrage phare de Danielle Maisonneuve, Les relations publiques dans une société en mouvance, publié aux Presses de l’Université du Québec et qui sera réédité trois fois (1999, 2003 et 2010) concrétise le leadership de l’UQAM dans le domaine, à la fois auprès des milieux universitaires et de pratiques. En plus de présenter, en français, les principales théories en relations publiques, l’ouvrage insiste sur les bonnes pratiques liées aux différentes facettes du métier de relationniste. Il trouvera écho dans toute la francophonie. Les Presses de l’Université du Québec lanceront d’ailleurs, en 1999, la collection « Communication et relations publiques », dont Danielle Maisonneuve sera la première directrice. À ce jour, 32 titres ont été publiés dans cette collection, dont plusieurs sont devenus des ouvrages de référence, que ce soit sur le plan théorique (Sauvé, 2010), en matière d’éthique (Cossette, 2013), en ce qui concerne la gestion de crise (Maisonneuve, Saouter et Char, 1999), le protocole (Dussault, 2009) ou l’organisation d’événements (Branchaud, 2009).

L’UQAM jouera également un rôle important en matière d’analyse du discours médiatique : le Laboratoire d’analyse de presse Caisse-Chartier est ainsi constitué en 2001, sous l’impulsion de Lise Chartier, dont la méthode Morin-Chartier (Leray, 2008) est encore utilisée à ce jour pour évaluer, pour le compte de divers clients, l’orientation et la visibilité des discours tenus dans les médias traditionnels (journaux, radio, télévision) et sur les nouveaux médias (médias socionumériques et blogues). Pierre Bérubé prendra la direction du Laboratoire de 2008 à 2013, avant que Nadège Broustau, de 2014 à 2016, puis, Olivier Turbide, depuis 2016, ne prennent la relève.

Un rôle qui se consolide en matière de recherche

Au fil des années, l’arrivée à l’UQAM de professeures et professeurs et de personnes chargées de cours intéressés par l’étude de phénomènes étroitement liés aux relations publiques a permis le développement de divers créneaux de recherche. Fidèles à l’approche uqamienne, ceux-ci se sont développés de concert avec les réflexions et les interrogations qui animent les milieux de pratique.

Solange Tremblay et Thérèse Drapeau, qui s’intéressent à la communication liée à la notion de développement durable et aux responsabilités des communicateurs en cette matière, rédigent, de concert avec Danielle Maisonneuve, la Déclaration des communicateurs et des professionnels en relations publiques du Québec à l’égard du développement durable. Cette déclaration sera signée le 4 octobre 2006 par les principaux regroupements professionnels de l’industrie (une copie de la déclaration est présentée dans Tremblay, 2007) et contribuera à conscientiser les relationnistes du milieu sur la question environnementale.

En plus de s’intéresser à la communication en temps de crise, Pierre Bérubé se penche quant à lui sur la communication de risques, un champ disciplinaire en plein essor qui trouve toute sa pertinence dans le contexte de la multiplication des risques liés aux catastrophes naturelles, notamment attribuables aux changements climatiques. Sa thèse de doctorat, réalisée à l’UQAM, s’intéresse ainsi aux systèmes d’alerte et à la communication en situation d’urgence (Bérubé, 2012). Dans une perspective similaire, Bernard Motulsky se penche sur la communication de risques, mais cette fois en rapport avec la nécessaire adaptation aux changements climatiques. À ce titre, il joue une part active au sein du Réseau Inondations intersectoriel du Québec (RIISQ) en tant que responsable des communications et membre du comité de gestion.

L’arrivée de Stéphanie Yates à l’UQAM a par ailleurs permis au Département de communication sociale et publique de s’inscrire plus directement dans le champ de la communication politique. Ses recherches portent sur les stratégies de médiatisation mises de l’avant par différents acteurs lorsqu’ils déploient des activités de lobbyisme (Yates et Hudon, 2016) et, plus généralement, sur l’encadrement de ces activités (Yates, 2018a). Elle se penche également sur la notion d’acceptabilité sociale et sur ses implications en matière de gouvernance et d’approche communicationnelle (voir, notamment, Yates, 2019; Yates et Arbour, 2016). Étroitement liée à la notion d’acceptabilité sociale, la participation publique constitue également un de ses champs d’intérêt (Gendron, Yates et Motulsky, 2016). Stéphanie Yates est d’ailleurs l’une des rares chercheuses à faire le pont entre la littérature sur les relations publiques et celle sur la participation publique, qui toutes deux font référence à la notion de dialogue (Yates, 2015).

Les recherches d’Olivier Turbide s’inscrivent également dans le champ de la communication politique. Spécialisé en analyse du discours et des interactions médiatiques et politiques, il s’intéresse à la gestion de l’image publique d’organisations (Saïdi et Turbide, 2019) et d’acteurs politiques (voir, notamment, Turbide, 2017, 2018) en contexte de controverse publique, incluant les stratégies mobilisées sur différents espaces (presse, télévision, médias socionumériques) par ceux-ci pour affiner, voire restaurer leur image. En parallèle, cet intérêt pour le fonctionnement des controverses l’amène à étudier les dynamiques de la communication médiatique conflictuelle – de la radio de confrontation (Turbide, 2015) en passant par le phénomène de confrontainment (Turbide et Laforest, 2015) jusqu’à l’incivilité sur les plateformes numériques (Turbide, 2019) – qui imposent de nouvelles contraintes communicationnelles aux professionnelles et professionnels des relations publiques.

Nadège Broustau, embauchée comme professeure à l’UQAM en 2012 et aujourd’hui professeure à l’Université libre de Bruxelles et professeure associée chez nous, a, quant à elle, développé une réflexion poussée sur les rapports entre les professionnelles et professionnels de la communication et les journalistes, de même que sur les représentations médiatiques et l’argumentation dans les débats publics (Broustau, 2018; Broustau et Francoeur, 2017).

Enfin, l’arrivée récente à l’UQAM du professeur Camille Alloing consolidera la place du Département de communication sociale et publique dans l’analyse de l’usage des médias socionumériques à des fins de relations publiques, un sujet exploré par Stéphanie Yates (Yates et Arbour, 2013) et par Olivier Turbide (2017a, 2017b), ainsi que par certains collègues du département – principalement Mélanie Millette et Alexandre Coutant – pour qui les relations publiques constituent par ailleurs un phénomène périphérique par rapport à leurs intérêts premiers de recherche. Ses travaux portant sur la construction de la réputation des organisations dans des espaces numériques (Alloing, 2016), le développement des approches affectives par les relationnistes (Alloing et Pierre, 2017), la circulation des rumeurs en ligne durant des situations de crise (Alloing et Vanderbiest 2018) ou plus généralement la mesure des publics et des actions des organisations sur le Web (Alloing, 2020) renforceront sans aucun doute le rôle de l’UQAM dans le développement de recherches et de pratiques innovantes en relations publiques.

La recherche telle qu’elle se fait actuellement en relations publiques à l’UQAM est donc particulièrement riche et pertinente sur les plans scientifique et social. Les chercheuses et chercheurs de l’UQAM, loin de travailler en vase clos, sont actifs dans divers groupes de recherche, souvent de nature interdisciplinaire. Par exemple, conjointement avec la collègue Johanne Saint-Charles, Stéphanie Yates mène des recherches sur la participation citoyenne en contexte ouest-africain, le tout sur la base d’une collaboration avec des chercheuses et chercheurs issus des domaines médical et environnemental (Yates et al., 2018). Elle collabore aussi étroitement avec des chercheuses et chercheurs de l’École des sciences de la gestion et du Département des sciences de la terre et de l’atmosphère de l’UQAM en rapport avec le développement d’un indice du risque social des projets miniers (Bergeron et al., 2015; Yates et al., 2016). Pour sa part, Olivier Turbide collabore avec des experts en linguistique afin de mener ses recherches sur le discours conflictuel (Turbide et Laforest, 2015). Bernard Motulsky, on l’a dit, joue un rôle important au sein du RIISQ, composé de plus d’une centaine de chercheuses et chercheurs issus d’une variété de disciplines (santé publique, climatologie, génie civil, géographie, psychologie, etc.), de même que des partenaires publics, parapublics et privés.

Les chercheuses et chercheurs de l’UQAM ont également le souci très clair de diffuser leurs résultats auprès des communautés de pratique, souvent par l’entremise de conférences auprès de ces milieux, qui les sollicitent régulièrement. De par leurs recherches, ils contribuent ainsi à l’évolution des différentes facettes des relations publiques telles qu’elles se déploient en contexte contemporain.

Le temps des relations publiques[7]

La publication de l’ouvrage Introduction aux relations publiques. Fondements, enjeux et pratiques, paru en 2018 aux Presses de l’Université du Québec sous la direction de Stéphanie Yates (Yates, 2018b), a permis de réaffirmer le leadership de l’UQAM en matière de relations publiques. L’ouvrage regroupe en effet les contributions de 25 collaboratrices et collaborateurs, issus des milieux universitaires et de pratique, qui se penchent sur différents aspects de la profession pour faire ressortir les enjeux – parfois nouveaux – qui émergent relativement à celle-ci : fausses nouvelles, instantanéité, rôle incontournable des médias socionumériques, acceptabilité sociale en tant que nouvel impératif, pour n’en nommer que quelques-uns. L’ouvrage s’intéresse aussi aux implications de ces enjeux sur les pratiques. Fait non négligeable, il a aussi été l’occasion de faire le point sur les nouveaux apports théoriques en relations publiques, notamment avec la théorie de la fully funtioning society défendue par Robert L. Heath.

Cette théorie[8] se veut une réponse aux critiques formulées à l’endroit du modèle de l’excellence de Grunig. Elle conçoit d’abord que les relations publiques contribuent au bon fonctionnement de la société en permettant l’établissement d’un dialogue de qualité entre les différents acteurs composant celle-ci (Heath, 2013). Les relations publiques sont ainsi conçues comme un phénomène catalyseur qui renforce les relations entre les organisations et les citoyens et qui favorisent le maintien de communautés en permettant une prise de décision plus éclairée (Heath, 2006).

Dans cette perspective, il s’agit pour l’organisation de « construire du sens » non plus à partir de ce qui est dans son intérêt propre, mais plutôt sur la base de ce qui est dans l’intérêt du public, vu comme un point de départ permettant de construire un sens partagé par la suite (Heath, 2006). Ce processus fait appel à la notion de management réfléchi (reflective management), où il s’agit, pour l’organisation, de comprendre quels sont ses intérêts en fonction l’environnement où elle évolue[9] (Holmstrom, 2004). La légitimité de l’organisation – qu’on pourrait associer à son « permis social d’opérer » (Owen et Kemp, 2013) – et la création de sens autour de ses activités sont ainsi issues d’un processus de coconstruction développé avec les acteurs sociaux, à travers des démarches qui relèvent à la fois de l’information, de la persuasion et d’interventions relationnelles ou discursives (Van Ruler et Vercic, 2005).

La théorie de l’excellence de Grunig évacue en quelque sorte les procédés rhétoriques en concevant le dialogue comme un processus « neutre » au sein duquel les acteurs acceptent de mettre leurs intérêts et leurs préférences de côté pour qu’émerge une vision commune de l’enjeu discuté, à travers les jeux d’interinfluence. La fully functioning theory reconnaît pour sa part que les acteurs sont porteurs d’intérêts et qu’ils déploient des procédés rhétoriques pour les faire valoir (Coombs et Holladay, 2007). Ils le font toutefois en tenant compte du « reflet » de l’environnement où ils s’inscrivent, selon le principe du management réfléchi auquel nous venons de faire référence. Le tout est susceptible de mener à un plaidoyer responsable (responsive advocacy) de la part de l’organisation. La notion de responsabilité implique que les organisations doivent demeurer ouvertes au dialogue, et donc aux principes de la démocratie délibérative (Heath, 2013), et fournir les conditions pour que celui-ci puisse s’exercer.

En somme, la vision du dialogue telle que la propose Heath raffine la notion de symétrie, en tenant compte de la force des idées contestées et débattues dans l’espace public. Ainsi, l’égalité entre les différentes parties en présence, à la base du concept de symétrie, tient jusqu’à ce que leurs idées respectives soient mises en examen, à travers le dialogue :

Cette vision de la symétrie suppose une égalité dans le droit de parole, mais ne suppose pas que tous les points de vue sont égaux dans leur puissance rhétorique. À travers la persuasion et la contre persuasion, certaines idées gagnent et d’autres perdent, et ce, même lorsque les parties finissent par en arriver à une décision mutuelle qui soit satisfaisante pour tous[10] (Heath, 2001, p. 35).

Dans cette perspective, le dialogue ne mène pas nécessairement au consensus, lequel a trop souvent été associé, selon plusieurs (Theunissen et Rahman, 2015; Stoker et Tusinski, 2006), au concept de communication bidirectionnelle symétrique. Ainsi, même si l’intersubjectivité et l’interinfluence issues des processus dialogiques ne mènent pas nécessairement à un consensus, une entente « suffisante » ou un certain degré d’accord (concurrence of views) permet aux parties en présence de poursuivre le dialogue dans un esprit de « coopération compétitive » (Heath, 2001).

Cet apport théorique, partagé par Stéphanie Yates et Olivier Turbide (2018) dans un des chapitres de l’ouvrage Introduction aux relations publiques, mais également lors de conférences destinées aux milieux professionnels, a été reçu avec un certain soulagement par les milieux professionnels. Ces derniers ont en effet longtemps été mal à l’aise avec les préceptes normatifs prônés par Grunig, lesquels s’avèrent difficiles à concilier avec les réalités du terrain. En effet, contrairement à la conception initiale de la notion de symétrie, le relationniste n’est pas neutre : il est payé par un employeur ou un client qui a une idée bien précise des objectifs qu’il souhaite atteindre. Dans ce contexte, cet employeur, ou ce client, s’attend à ce que le relationniste défende la position de l’organisation et use pour ce faire d’une communication persuasive efficace, d’une stratégie argumentative finement réfléchie qui nous éloigne définitivement de la posture idéale – neutre – prônée par Grunig. Il semble donc que pendant des années a persisté une certaine déconnexion entre ce qui était promulgué par la théorie en relations publiques, circonscrite autour du modèle de l’excellence de Grunig, et la pratique, dictée par des considérations beaucoup plus pragmatiques. Dans le milieu universitaire, on a souvent illustré cette situation en clamant qu’en matière de relations publiques, les universitaires venaient de Mars et les praticiennes et praticiens, de Vénus (Van Ruler, 2005). Ainsi, bien que la théorisation proposée par Grunig ait été cruciale pour asseoir la profession sur des bases théoriques qui étaient jusque-là cruellement manquantes, cette déconnexion entre théorie et pratique n’a pas aidé le milieu professionnel des relations publiques à gagner en lettres de noblesse.

C’est donc forts de cette nouvelle base théorique et du lien très clair établi entre relations publiques et démocratie que les professionnelles et professionnels réfléchissent aujourd’hui à la crédibilisation de la profession, notamment par la création d’une éventuelle certification professionnelle. Le corps professoral de l’UQAM est étroitement lié à ces discussions. Il semble être temps que la profession affirme plus clairement – et plus fièrement – son rôle fondamental en démocratie. Plusieurs bouleversements sociétaux requièrent plus que jamais que nous soyons en mesure, en tant que société, de dialoguer, de converser, de déterminer l’ordonnancement de nos valeurs face à un enjeu donné, de déterminer l’équilibre qui nous semble juste, collectivement, et qui fera en sorte qu’on jugera qu’un projet, un développement, une politique, un produit, est acceptable socialement, ou pas. Les professionnelles et professionnels en relations publiques sont parmi les mieux placés pour piloter ces conversations, ces dialogues. Ils sont formés pour communiquer sur des enjeux complexes, pour vulgariser. Ils ont l’habitude d’être à l’écoute et ont une sensibilité particulière afin de déceler les non-dits. Ils ont la capacité de persuader, de convaincre leurs employeurs ou leurs clients de la nécessité de mettre en dialogue les idées, les produits, les valeurs, sur la place publique, et de faire évoluer les points de vue afin de tenir compte de la vision des différents acteurs sociaux. C’est animés de cette vision que nous formons, à l’UQAM, les futures et futurs professionnels en relations publiques et que nous incitons les étudiantes et étudiants à poursuivre la recherche dans ce domaine incontournable en démocratie.