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Il s’agit d’un ouvrage collectif rédigé dans le cadre d’un programme fédéral visant à intégrer le développement des politiques publiques et le travail des chercheurs et universitaires. Les études issues de ce programme établissent une synthèse des connaissances sur les enjeux à long terme auxquels est confronté le gouvernement du Canada. Jusqu’à présent, six des huit études prévues ont paru, en anglais et en français, dont celle-ci sur le vieillissement démographique.

Malgré son titre, en dehors de l’analyse des familles, des états matrimoniaux et des descendances (chapitre 4), l’ouvrage ne traite que très peu des tendances démographiques elles-mêmes. Il aborde toutefois un large éventail de variables qui sont reliées à l’évolution démographique et aux incidences de cette évolution dans les domaines sociaux, économiques et politiques.

Dans le chapitre premier, David Cheal expose ce qui semble avoir motivé les auteurs. Après avoir fait la liste d’un certain nombre de conséquences négatives attribuées au vieillissement démographique, il affirme qu’il faut éviter que « la panique ne nous précipite nous-mêmes dans une position alarmiste » (p. 13). Le Petit Larousse définit un alarmiste comme « une personne qui répand des propos, des bruits alarmants, souvent imaginaires ». En fait, les auteurs de Vieillissement et évolution démographique au Canada craignent que la peur du vieillissement démographique soit néfaste à une prise de décision éclairée de la part des autorités gouvernementales. Même si on rencontre des exagérations dans certains travaux traitant des incidences du vieillissement démographique, je pense qu’il ne faut pas non plus devenir allergique à l’argument démographique. Lorsque le rapport Cofirentes+ a été publié au Québec, en 1977, recommandant une hausse des cotisations du Régime de rentes du Québec, les auteurs de Vieillissement […] l’auraient peut-être jugé alarmiste. Pourtant, ce n’est que 20 ans plus tard que le taux de cotisation du Régime a été relevé !

J’ai une autre remarque générale. L’objet de l’ouvrage est de montrer qu’il n’y a pas que le facteur démographique, et qu’il faut prendre en considération l’ensemble des facteurs qui influencent le cours des choses. En fait, l’idée est même avancée que ce sont souvent les mécanismes sociaux actuels qui font que la tendance démographique paraît inquiétante. Il suffirait dès lors de modifier ces caractéristiques sociales inappropriées pour enlever au vieillissement démographique son caractère menaçant. Susan A. McDaniel cite Hanna van Solinge et al. sur cette question (p. 33 : « Les populations qui vieillissent ne sont pas […] des menaces insurmontables; elles dévoilent simplement les faiblesses des accords sociaux dans la correction des défaillances du marché »). Lorsque je lisais ces lignes, les nouvelles faisaient état de manifestations et de grèves en France contre le projet du gouvernement de hausser le nombre d’années nécessaires pour bénéficier d’une pleine retraite : le gouvernement essayait d’adapter les mesures sociales au vieillissement à venir et rencontrait une forte résistance; déjà, en 1995, une tentative similaire avait fait tomber le gouvernement. Pourquoi faire appel à l’actualité dans un commentaire sur un livre de nature scientifique ? L’exemple français, tout récent, illustre les difficultés que les gouvernements rencontrent lorsqu’ils veulent modifier certaines règles. Modifier les structures sociales ne sera pas nécessairement facile. David Cheal le reconnaît d’ailleurs dans le chapitre premier : les attentes des travailleurs âgés sur « l’âge de la retraite et l’équilibre entre le travail et les loisirs ne seront pas faciles à changer » (p. 25).

Au-delà de ces considérations préliminaires, l’ouvrage est une mine de réflexions, d’informations et de références sur une série de variables pertinentes dans l’examen des incidences du vieillissement démographique au Canada.

Quels sont donc ces facteurs dont il faut tenir compte... en plus du facteur démographique et qui permettront de s’adapter au vieillissement démographique ? Je ne relève ici que quelques aspects des thèmes abordés. Dans le chapitre premier, David Cheal brosse un excellent tableau des préoccupations et analyses faites dans le reste du volume, tout en ajoutant ses propres commentaires. Je ferais une remarque cependant, sur l’affirmation que « les coûts de santé pendant la dernière année de la vie n’augmentent pas avec l’âge », basée sur une étude relative aux services médicaux (p. 14). Si David Cheal tenait compte au contraire de l’ensemble des dépenses publiques en santé, le portrait pourrait être différent, car « les dépenses en soins dépendance » augmentent avec l’âge dans les deux dernières années de vie (Rochon, 2002).

Susan A. McDaniel met l’accent sur la réciprocité et l’interdépendance dans les relations intergénérationnelles. Je ne suis pas certain cependant que la nouvelle expression « intergenerational interlinkages » qu’elle utilise éclaire le concept lui-même. Les traducteurs ont d’ailleurs hésité entre liens d’interdépendance intergénérationnels (p. 13) et liens intergénérationnels (chap. 2). Petite déception personnelle quand j’ai constaté que j’étais cité incorrectement (p. 34). En effet, ce n’était pas la participation à la main-d’oeuvre que je mentionnais comme élément aussi important, sinon plus, que le vieillissement démographique; c’est le déclin possible de la population active potentielle et donc de la main-d’oeuvre. Alors que les taux d’activité découlent de comportements socioéconomiques (ce qui allait dans le sens de l’argumentation de l’auteure), l’effectif de la population en âge de travailler suit à long terme l’évolution démographique et nécessite de nouvelles conditions d’immigration ou de fécondité (ce qui met plutôt en évidence le facteur démographique).

David Thorpe propose ensuite une réflexion sur le vieillissement, ce qu’il signifie pour l’individu et le fait qu’il soit associé le plus souvent au déclin individuel. Il rapporte l’histoire du premier diagnostic de la maladie d’Alzheimer, qui met en évidence l’importance de nos conceptions de la maladie selon l’âge. Il remet en question le seuil de 65 ans, qui sert de marqueur social, mais qui est emprunté au XIXe siècle. Il rappelle le jugement La Forest, rendu par la Cour suprême du Canada en 1990, qui confirmait la retraite obligatoire. La Loi québécoise sur la retraite, qui a supprimé le caractère obligatoire de la retraite à 65 ans, aurait-elle mieux protégé les enseignants universitaires qui voulaient poursuivre leur travail ? L’existence de cette loi, qui ne semble pas avoir eu beaucoup d’influence sur les taux d’activité au Québec puisqu’ils ont continué de diminuer, n’est pas mentionnée par David Thorpe.

J’ai aimé le chapitre d’Ingrid Arnet Connidis sur le « soutien volontaire » (traduction adoptée ici pour « informal support ») en faveur des personnes âgées, bien que la plupart des données quantitatives s’arrêtent à 1990-1991. Elle souligne la baisse de la proportion de femmes sans enfant ou qui n’en ont qu’un seul (tableau 4.6). Il aurait fallu indiquer à mon avis que cette baisse pourrait être de nature transitoire, compte tenu de la réduction de la fécondité canadienne dans les dernières années : au Québec, à partir des générations 1955-1956, l’infécondité atteint près du quart des femmes (Duchesne, 2002 : 88). Par ailleurs, je ne pense pas que le soutien formel (gouvernemental) soit en train de diminuer. Dans les années 1970, on a mis l’accent sur le développement des programmes publics, oubliant que le principal soutien venait des familles, des amis, etc. Maintenant que les gouvernements tiennent compte de ce soutien informel, qu’ils le reconnaissent comme indispensable et veulent qu’il soit utilisé le mieux possible, il ne faudrait pas le leur reprocher ! Ingrid Arnet Connidis fait état des différences complémentaires dans le type d’aide apporté par les hommes et par les femmes. Elle craint que le soutien informel soit encore plus indispensable à l’avenir, en raison notamment de l’affaiblissement du filet de sécurité sociale et des mutations des rapports familiaux.

Dans le chapitre 5, Joel Prager, après un travail admirable sur les différences de points de vue entre optimistes et pessimistes quant au rôle de l’État, à la productivité selon l’âge, aux travailleurs âgés, à la retraite, à l’apport économique des personnes âgées, n’arrive pas à une conclusion définitive sur l’impact du vieillissement démographique. Il note que la relation âge-productivité est complexe et observe que nous possédons de plus en plus de données, sans pouvoir répondre avec certitude à la plupart des questions soulevées. Il dresse une liste très instructive de ce que l’on ne sait pas, mais aussi de ce que l’on sait. Il n’hésite pas à promouvoir les études sur « les valeurs, les conceptions et les attentes des travailleurs et de leur famille, des employeurs et des actionnaires », si l’on veut vraiment comprendre le rôle que seront appelés à jouer les travailleurs âgés dans la relation entre vieillissement et productivité (p. 186). Il avance cependant que la main-d’oeuvre « semble diminuer » (p. 146), alors qu’avec une hypothèse moyenne, la réduction de l’effectif de la main-d’oeuvre n’est pas prévue avant plusieurs années au Canada (pas avant 2016), et la baisse serait très lente par la suite (Denton et al., 2000).

Le chapitre 6 est d’une facture complètement différente, puisque les auteures s’emploient à décrire de façon assez détaillée l’emploi du temps au Canada, tout en faisant de nombreuses comparaisons avec les États-Unis. Cependant, des comparaisons entre provinces auraient pu compléter le portrait général (Laroche, 1996 et 2001). Les auteures plaident pour un meilleur équilibre entre le travail, les loisirs, la famille et la communauté (p. 228). Il est décevant que les résultats de l’enquête de Statistique Canada de 1998 sur l’emploi du temps n’aient pas été utilisés (Statistique Canada, 1999).

Dans le dernier chapitre, Joseph A. Tindale, Joan E. Norris et Krista Abbott s’élèvent contre la croyance que beaucoup de gens subissent les problèmes de la génération sandwich, que les personnes âgées sont un fardeau, que les familles ne vivent que des conflits intergénérationnels. C’est plutôt par les concepts de réciprocité et d’interdépendance mutuelles que les relations familiales se caractérisent, et celles-ci doivent être prises en considération sur l’ensemble de la vie. Les auteurs affirment que les gouvernements doivent prendre en compte l’hétérogénéité et la diversité de la population par-delà les paramètres de l’âge.

Tous les thèmes traités dans l’ouvrage sont importants lorsqu’on examine les incidences du vieillissement démographique. Même si les matériaux ne sont pas nécessairement nouveaux et qu’on aurait aimé que les références soient faites aux données disponibles plus récentes (état matrimonial, emploi du temps par exemple), il s’agit d’un volume présentant des synthèses articulées et enrichissantes. Les analyses sont bien structurées et apportent une contribution sérieuse à l’étude des incidences du vieillissement démographique. Un effort particulier a été fait dans plusieurs chapitres pour intégrer des références à des travaux écrits en français : il faut le signaler, car ce n’est pas coutume dans les travaux de nos collègues du Canada anglais.

Une dernière remarque, de forme, s’adresse à la maison d’édition : le livre serait plus facile à lire si les notes étaient au bas des pages plutôt qu’en fin de chapitre (le chapitre 2 n’en contient pas moins de 155, ce qui exige beaucoup de va-et-vient lorsqu’on s’intéresse aux sources et commentaires de chaque auteur !).