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Les estimations et projections de population pour tous les pays du monde préparées par la Division de la population des Nations Unies donnent lieu à deux publications distinctes qui, depuis la fin des années 1980, sont toutes deux mises à jour sur une base régulière de deux ans. La première de ces publications, World Population Prospects, est axée sur les effectifs ainsi que la structure par âge de la population de chaque pays. Elle paraît toujours en une année impaire (2n + 1), avec un sous-titre faisant référence à une mise à jour effectuée en l’année paire précédente (2n). C’est ainsi qu’en 2001 a été publiée la mise à jour de l’an 2000 (United Nations, 2001).

Quant à la seconde publication, World Urbanization Prospects, elle est centrée sur les effectifs de population dans les aires urbaines et rurales et dans les principales agglomérations urbaines. Paraissant un an plus tard que la première, elle a longtemps porté le même sous-titre, car les effectifs projetés des populations urbaines et rurales qui y apparaissent concordent avec ceux des populations totales projetés selon la variante moyenne incluse dans la première publication. Autrement dit, World Urbanization Prospects, qui paraît en l’année paire 2n + 2, a pendant un temps fait état d’une mise à jour renvoyant à l’année 2n, alors même que le décalage d’un an qu’elle accuse par rapport à World Population Prospects permet à la Division de la population d’y incorporer toute l’information nouvelle sur la distribution rurale-urbaine devenue disponible au cours de l’année 2n + 1. Aussi, afin de reconnaître l’utilisation d’une telle information additionnelle, la Division de la population a-t-elle décidé il y a quelques années d’ajouter une unité au millésime de la mise à jour à laquelle fait allusion le sous-titre de World Urbanization Prospects (mise à jour se rapportant à l’année impaire 2n + 1). C’est ainsi qu’après la mise à jour de 1996 sortie en 1998, pour laquelle cette revue a publié une note de lecture préparée par le même auteur (Ledent, 2000), sont parues, en 2000 et 2002 respectivement, les mises à jour de 1999 et 2001, qui ensemble font l’objet de cette note.

Il faut savoir que les estimations et projections de population relatives aux aires urbaines et rurales ainsi qu’aux agglomérations urbaines, exécutées au niveau de chaque pays du monde, reposent sur une méthodologie dont les grandes lignes ont été définies au milieu des années 1980 et qui, si elle a été peaufinée au fil des mises à jour, est désormais figée. Par ailleurs, l’application de cette méthodologie repose pour la majorité des pays sur des données tirées de recensements — lesquels sont le plus souvent effectués une fois par décennie, généralement en début de décennie — et donc, pour la majorité de pays où aucune information nouvelle n’est devenue disponible depuis la mise à jour de 1996, les valeurs projetées des effectifs de population n’ont guère changé lors des mises à jour subséquentes de 1999 et 2001.

Cependant, pour ce qui est du Nigeria, la disponibilité récente de nouvelles estimations de population pour l’année… 1991 a fait en sorte que l’agglomération urbaine de Lagos, qui, encore dans la mise à jour de 1999, était promise à devenir la troisième agglomération mondiale à l’horizon 2015, avec 23,2 millions d’habitants, n’atteindra plus que le 11e rang, avec 16,0 millions d’habitants, selon la mise à jour de 2001. Mais il s’agit bien là d’un cas isolé, alors que dans le passé une telle évolution erratique de la taille d’une agglomération urbaine d’une mise à jour à l’autre était monnaie courante (voir Ledent, 2000). La révision des estimations démographiques effectuée en Chine peu après le milieu de la décennie 1990 a également entraîné une augmentation soudaine de 64 à 114 du nombre d’agglomérations urbaines présentant une taille supérieure au seuil critique de 750 000 habitants retenu par les Nations Unies. Mais, encore là, il s’agit d’un cas isolé car cette augmentation explique, presque à elle seule, que le nombre d’agglomérations de 750 000 habitants et plus soit passé de 431 lors de la mise à jour de 1996 à 488 lors de celle de 1999 [2].

En d’autres termes, mis à part quelques exceptions où une information nouvelle a modifié quelque peu les évolutions projetées d’effectifs, il se trouve que les deux mises à jour de 1999 et 2001 faisant l’objet de cette note de lecture reposent sur une partie chiffrée qui n’est guère différente de celle figurant dans la mise à jour précédente de 1996. Par contre, elles se distinguent assez nettement de cette dernière sur le plan de la présentation puisque, dans le même temps, la publication a fortement gagné en volume, passant de 188 pages (mise à jour de 1996) à 256 pages (mise à jour de 1999) et finalement à 317 pages (mise à jour de 2001). Toutefois, si le premier accroissement de volume observé entre les mises à jour de 1996 et 1999 est le fait d’une amélioration substantielle apportée à la présentation des résultats des estimations et projections, le second accroissement constaté entre les mises à jour de 1999 et de 2001 est de nature artificielle, comme on le verra plus loin. C’est pourquoi le texte même de la mise à jour de 1999 revient pratiquement à l’identique à l’occasion de la mise à jour de 2001. Outre une simple substitution de chiffres lorsqu’il en est besoin, on décèle de temps à autre, dans cette dernière, une modification de la tournure des phrases qui malgré tout n’arrive pas à annuler l’impression d’avoir affaire à une copie conforme de la mise à jour précédente.

En vérité, Word Urbanization Prospects continue au fil des mises à jour successives à afficher une structure quasi immuable qui voit le texte se pencher sur trois éléments successifs : i) la présentation des résultat issus des estimations et projections effectuées; ii) la méthodologie et iii) les sources de données. Mais alors que, jusqu’à la mise à jour de 1996, ces trois éléments étaient examinés en autant de sections, l’amélioration notée plus haut dans les mise à jour de 1999 et de 2001 a entraîné un élargissement de la première section relative à la présentation des résultats, qui s’est transformée en un enchaînement de six chapitres occupant un peu plus de cent pages au lieu d’une trentaine.

Brièvement, cet élargissement résulte de l’introduction de deux innovations lors de la mise à jour de 1999. La première de ces innovations réside en l’ajout en tête de la publication d’une chapitre introductif (chapitre 1) d’une douzaine de pages constitué d’une mise en contexte rapide des estimations et projections réalisées, suivie d’une présentation de vingt faits saillants les concernant, appuyée par sept tableaux récapitulatifs. Alors que précédemment il était pratiquement impossible de retirer une impression générale des estimations et projections offertes sans passer à travers toute la publication, ce chapitre introductif permet désormais au lecteur profane ou encore au lecteur pressé d’extraire sans peine l’information essentielle véhiculée par cette publication [3]. Quand à la seconde innovation introduite lors de la mise à jour de 1999, elle tient en une expansion substantielle des commentaires offerts à propos des estimations et projections.

Cette expansion est attribuable en premier lieu à une extension de la base géographique retenue en matière d’évolution des populations urbaine et rurale, de sorte que les commentaires afférents occupent maintenant une soixantaine plutôt qu’une trentaine de pages. Comme par le passé, la discussion des tendances en matière de populations urbaines et rurales et par suite d’urbanisation (donc de distribution rurale-urbaine) est offerte au chapitre 2 en référence au monde entier, aux trois grands ensembles de développement (pays plus développés, pays moins développés et pays les moins développés) et aux six continents (Afrique, Asie, Europe, Amérique du Nord, Amérique latine et Caraïbes, Océanie). Mais désormais, elle l’est aussi en référence aux 21 sous-ensembles régionaux issus de la division des continents en relation aux points cardinaux (chapitre 3) et même aux 228 pays du monde (chapitre 4). Il s’ensuit tout naturellement que, contrairement aux précédentes, les mises à jour de 1999 et 2001 présentent l’inconvénient d’édulcorer quelque peu les grandes tendances décelables au niveau des grands ensembles mondiaux, mais en contrepartie, si l’on veut bien s’intéresser au revers de la médaille, elles présentent également l’avantage de mieux suggérer la diversité des situations décelables à un niveau spatial moins agrégé.

En second lieu, l’expansion des commentaires à propos des estimations et projections est attribuable à un changement d’orientation dans la discussion des tendances relatives aux agglomérations urbaines, laquelle discussion finit par s’étendre sur quarante pages au lieu de dix précédemment. En effet, jusqu’à la mise à jour de 1996, les commentaires concernant ces tendances mettaient l’accent — de manière étroite et futile à notre avis — sur les mégavilles (celles de 10 millions d’habitants et plus) et plus particulièrement sur les 15 plus grandes d’entre elles. Par contre, depuis la mise à jour de 1999, ils ont trait — de manière à la fois plus large et plus utile — à la distribution des tailles des villes, même si en bout de ligne ils en viennent à porter sur les agglomérations de 750 000 habitants et plus mais aussi sur celles de plus de 5 millions d’habitants (chapitre 5). Par la suite, ces commentaires accordent même une attention spécifique à une particularité largement répandue de la distribution des tailles des villes — connue sous le vocable de primatie — que, il faut bien le dire, la Division de la population appréhende sous sa manifestation la plus simple, à savoir une tendance à la concentration de la population urbaine d’un pays en une seule ville (chapitre 6). Assurément, ce changement d’orientation est favorablement accueilli par l’auteur de cette note, convaincu qu’il est que l’ancienne présentation des résultats relatifs à l’évolution attendue des agglomérations urbaines avait pour effet d’alimenter un discours catastrophiste sur l’urbanisation aboutissant à la catégoriser comme un danger pour l’humanité (à ce propos, voir Moriconi-Ébrard, 1996). Mais dans le même temps, on se prend à regretter que ce changement ait, par voie de conséquence, entraîné la disparition des seuls développements qui dans les mises à jour les plus récentes, au-delà de la simple description des tendances récentes de l’urbanisation, offraient une amorce d’analyse par le truchement d’un regard sur les phénomènes de contre-urbanisation et de reconcentration.

Si la première section de la structure traditionnelle de la publication consacrée à la présentation des résultats a subi un élargissement qui, comme on l’a déjà dit, l’a fait éclater en six chapitres numérotés de 1 à 6, les deux autres sections qui se retrouvent maintenant incluses en tant que chapitres 7 et 8 n’ont dans l’opération enregistré que des changements marginaux. Néanmoins, on signalera que, dans le chapitre 7, qui rapporte les méthodes utilisées pour estimer et projeter la population (i) des aires urbaines et (ii) des agglomérations urbaines, la présentation des critères utilisés de par le monde pour définir l’urbain et les agglomérations urbaines a été grandement améliorée à l’occasion de la mise à jour de 2001, grâce à l’ajout de trois tableaux précédemment éparpillés dans le texte. Enfin, les 17 tableaux détaillés relatifs aux estimations et projections qui apparaissent dans une annexe volumineuse [4] faisant suite au texte ont peu évolué, sauf qu’entre les mises à jour de 1999 et 2001, l’annexe en question est passée de 100 à 150 pages en raison de la séparation sur deux pages (les estimations à gauche et les projections à droite) du contenu relatif à plusieurs tableaux qui précédemment en prenaient une seule.

En conclusion, il se trouve qu’après avoir assisté depuis quelque temps déjà à un figement indéniable dans le contenu chiffré des World Urbanization Prospects, on constate avec la mise à jour de 2001 un autre figement affectant les commentaires d’accompagnement, qui pourtant avaient été fortement bonifiés lors de la mise à jour de 1999. De fait, la dernière mise à jour, celle de 2001, ne se distingue guère de la précédente, celle de 1999. C’est ainsi que l’auteur de cette note, qui suit de près les mises à jour successives de cette publication, n’a pour une fois retiré rien de bien nouveau de la toute dernière mise à jour. Malheureusement, ce pourrait être encore le cas à l’occasion de la prochaine : en fait, tant et aussi longtemps que la Division de la population des Nations Unies ne disposera pas de l’essentiel de l’information nouvelle tirée ou à tirer des recensements entrepris au début du nouveau millénaire.