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Introduction

La fréquentation de pairs délinquants figure au nombre des meilleures variables prédictives du comportement criminel (Andrews & Bonta, 2010 ; Gendreau, Little & Goggin, 1996). L’appartenance aux gangs de rue, jugée comme sa manifestation la plus dangereuse, fait l’objet d’une attention particulière (Thornberry, Krohn, Lizotte, Smith & Tobin, 2003). De nombreuses études indiquent que les membres de gang commettent davantage de délits et qu’ils représentent une plus grande menace à la sécurité publique (Klein & Maxson, 2006). Aussi, les rares études sur la prédiction de leur récidive indiquent qu’à risque égal, ils sont plus souvent arrêtés et condamnés pour des crimes violents que les autres contrevenants (Guay, 2012).

Les travaux sur la contribution réelle de l’appartenance aux gangs de rue à la délinquance par rapport aux autres facteurs de risque sont cependant rares. Aussi, la mesure de l’association aux gangs et l’analyse de sa relation avec la délinquance présentent certains problèmes attribuables à l’absence d’une définition commune du terme gang et d’un processus fidèle d’identification des membres. L’appartenance aux gangs est surtout mesurée de manière taxonique, c’est-à-dire que les membres de gang sont perçus comme différents des autres délinquants. L’idée qu’il existe une frontière naturelle entre le délinquant membre de gang et celui qui ne l’est pas ne reçoit toutefois pas d’appui empirique solide (Guay, Fredette & Dubois, 2014). Une mesure valide de l’appartenance aux gangs doit identifier correctement les membres de gang sans inclure les délinquants qui partagent des similitudes avec ceux-ci. Or, l’absence de définition et de critères classificatoires opérationnels mène à de nombreuses erreurs d’identification (Barrows & Huff, 2009).

Plutôt que de chercher à identifier les membres de gang, Guay et Fredette (2010) proposent d’évaluer l’intensité avec laquelle les délinquants participent aux gangs. Cette proposition repose sur l’idée que l’appartenance aux gangs n’est pas dichotomique (être ou ne pas être un membre de gang), mais dimensionnelle (Guay & Fredette, 2010). Leur modèle multidimensionnel de la mesure de l’appartenance aux gangs est composé de quatre axes. Les deux premiers mesurent les facteurs génériques liés à la délinquance : les traits psychopathiques et les antécédents criminels. Les deux autres mesurent des facteurs spécifiques à l’expérience des gangs : la place occupée dans le réseau et l’adhésion à la culture de gang. Les efforts visant à mesurer les traits psychopathiques (voir notamment Hare, 2003), les paramètres de la carrière criminelle (voir notamment Piquero, 2008) et la place occupée dans les réseaux (voir notamment Fleisher, 2006) sont nombreux. Or, peu de personnes se sont penchées spécifiquement sur l’opérationnalisation de la culture de gang, malgré un nombre substantiel d’ouvrages sur la question.

Les objectifs de cette étude sont de définir la culture de gang, de décrire ses composantes et de proposer une mesure de l’adhésion à la culture de gang. D’abord, nous proposons, à partir d’une recension des écrits sur la culture des gangs de rue, une définition de la culture de gang et une description de ses composantes. Ensuite, nous présentons le processus de développement d’une mesure de l’adhésion à la culture de gang, la MACg. Enfin, nous présentons les données préliminaires de la MACg qui a été administrée à des contrevenants mineurs et adultes.

Définition et opérationnalisation de la culture de gang

C’est à l’anthropologue Edward B. Tylor que l’on doit la première définition scientifique du concept de culture (Danesi & Perron, 1999 ; Rocher, 1969) : « complex whole which includes knowledge, belief, art, morals, law, custom, and any other capabilities and habits acquired by man as member of society » (Tyler, 1871, p. 1). Ce qui décrit la culture, ce sont donc des manières de penser, de sentir et d’agir partagées par une collectivité afin d’organiser les conduites des personnes qui la composent (Danesi & Perron, 1999 ; Rocher, 1969). Le concept de sous-culture réfère, quant à lui, à la culture d’un groupe restreint, comme les gangs de rue.

L’une des approches les plus influentes sur les sous-cultures délinquantes est celle d’Albert K. Cohen (1955). Selon lui, les sous-cultures délinquantes, composées de jeunes défavorisés, se forment en opposition aux normes de la culture dominante. Cloward et Ohlin (1960) suggèrent toutefois qu’elles ne s’opposent pas aux normes sociales, mais qu’elles se distinguent par les moyens de s’y conformer. Toutefois, tous les tenants de l’approche des sous-cultures délinquantes partagent l’idée qu’il existe une culture qui favorise l’adoption et le maintien des conduites antisociales. La recherche sur les gangs de rue a nettement été influencée par ce courant. Les gangs sont systématiquement associés à la délinquance qui est expliquée, entre autres, par l’adhésion à une culture particulière (Anderson, 1999 ; Bourgois, 1995 ; Hagedorn, 2008 ; Horowitz, 1983 ; Sanchez-Jankowski, 1991 ; Short & Strodtbeck, 1965 ; Vigil, 1988).

Si le concept de gang a été défini à plusieurs reprises (voir Klein & Maxson, 2006), on ne peut en dire autant de sa culture. Néanmoins, les données recensées dans la littérature sur la culture, les sous-cultures et les gangs ont permis de définir la culture de gang comme suit : un univers de significations partagées, transmises de génération en génération, qui inclut des symboles et des signes de reconnaissance, des règles et des rituels, et des normes et des valeurs (Fredette & Guay, 2014).

Symboles et signes de reconnaissance

Les symboles et les signes de reconnaissance renvoient aux manifestations visibles de la culture de gang. Le marqueur le plus commun est le nom de groupe (Klein, 1971 ; Spergel, 1984). L’attribution d’un surnom aux membres marque aussi l’identification au gang (Vigil, 1988), en plus de servir d’alias ou de fausse identité pour déjouer les autorités (Zaitzow, 1998). Ce surnom n’est pas un diminutif du prénom ou du nom de la personne, mais plutôt une représentation réelle ou perçue de sa personnalité (Killer, Lover Boy, etc.) (Zaitzow, 1998).

Certains types de vêtements, leurs couleurs ou les manières de les porter figurent également au nombre des symboles et des signes de gang (Sachs, 1997 ; Savelli, 2004). La propension des membres à étaler leur richesse, par le port de bijoux luxueux ou de vêtements griffés par exemple, est aussi observée (Hagedorn, 2008). Ces marques matérielles sont souvent associées aux consortiums de gangs connus sous les appellations Blood, Crips, People Nation ou Folk Nation, desquels se réclament de nombreux groupes (Haut & Quéré, 2001).

De plus, les membres de gang auraient développé des stratégies de communication verbale (jargon, argot) et non verbale (gestuelles, tatouages) pour se reconnaître et communiquer (Sachs, 1997 ; Savelli, 2004). Certains signes de main seraient suffisamment développés pour remplacer le langage verbal (Landre, Miller & Porter, 1997). Les graffitis permettraient aussi aux membres d’échanger des messages afin d’exploiter un marché criminel et de défendre un territoire précis ou attaquer celui des rivaux (Savelli, 2004). Le territoire de gang figure, par ailleurs, au nombre des attributs de la culture de gang (Sanchez-Jankowski, 1991 ; Spergel, 1995 ; Vigil & Long, 1990).

Règles et rituels

Les règles et les rituels réfèrent aux prescriptions qui régissent la vie de groupe et aux habitudes fixées par la tradition, c’est-à-dire transmises des vétérans (ou membres les plus âgés) aux recrues (Hagedorn, 2008 ; Horowitz, 1983 ; Spergel, 1995 ; Vigil & Long, 1990). Les gangs se distingueraient par leur raison d’être et l’existence de critères d’affiliation (Knox, 1994 ; Spergel, 1995). Aussi, un système de récompenses et de punitions déterminerait les attitudes acceptables et celles qui ne le sont pas. Les personnes qui honoreraient les règles seraient respectées, les autres seraient ridiculisées ou expulsées du gang (Decker & Van Winkle, 1996 ; Sanders, 1994). Le respect de la loi du silence, l’obligation d’honorer les membres assassinés et l’initiation sont également cités au nombre des règles et rituels de la culture de gang.

La question du rite initiatique suscite toutefois la polémique. Certains jugent qu’il fait partie de la vie des gangs (Vigil, 1988), d’autres suggèrent qu’il n’existe que dans l’imaginaire populaire (Best & Hutchinson, 1996). Toutefois, l’existence d’un rituel est une proposition largement acceptée (Knox, 1994 ; Spergel, 1995). Celui-ci, qui varierait d’un groupe ou d’une personne à l’autre, prendrait différentes formes. D’abord, la forme d’un évènement arrêté dans le temps, comme commettre un délit ou se soumettre à la brutalité du gang (punching initiation). Ensuite, la forme d’un test s’échelonnant dans le temps où la recrue doit prouver qu’elle est digne de confiance. Dans les deux cas, les capacités à se défendre et à résister aux dangers seraient évaluées (Hagedorn, 2008 ; Horowitz, 1983 ; Moore, 1991 ; Vigil & Long, 1990).

L’existence d’un code de conduite formel ou informel, qui régit l’usage de la violence, est aussi notée. La violence y serait définie comme une réponse nécessaire aux actions qui nuisent à la réputation du gang et de ses membres (Sanders, 1994). Elle servirait à établir son autorité auprès des pairs, à obtenir un statut plus élevé, à défendre son honneur et celle du groupe, à étendre son territoire et à se protéger des gangs rivaux (Decker & Van Winkle, 1996 ; Sanders, 1994).

Normes et valeurs

Les normes et les valeurs sont définies comme ce qui est jugé vrai et qui sert de principe moral. L’honneur, la suprématie masculine, la loyauté, la cohésion et l’argent seraient au nombre des normes et valeurs de la culture de gang (Cohen, 1955 ; Hagedorn, 2008). Les gangs sont considérés comme des sous-cultures de domination où la brutalité, le machisme, la misogynie et l’expression brutale de la masculinité sont valorisés (Corriveau, 2009 ; Dorais, 2006 ; Totten, 2000). Puis, l’argent, manifestation ultime de la réussite sociale, permettrait aux membres de se situer hiérarchiquement par rapport aux autres (Hagedorn, 2008). Les plus respectés seraient à la fois ceux perçus comme impitoyables et les mieux nantis (Sanchez-Jankowski, 1991).

Construction d’une mesure de l’adhésion à la culture de gang

Sur la base des informations recueillies à partir de la littérature, une liste initiale de 50 items a été créée afin de mesurer l’adhésion à la culture de gang. Plus spécifiquement, 20 items ont été formulés pour mesurer la composante des symboles et des signes de reconnaissance. Ils concernent le nom de groupe, le surnom de membre, l’identification aux consortiums de gangs, les stratégies de communication, le territoire, les couleurs distinctives et l’utilisation d’autres attributs matériels d’identification au groupe. De plus, 17 items ont été formulés pour mesurer la composante des règles et des rituels. Ils concernent la raison d’être du groupe, les critères d’affiliation, l’initiation, le code de conduite, l’usage de la violence et les vétérans. Enfin, 13 items ont été formulés pour mesurer la composante des normes et des valeurs. Ils concernent l’argent, la supériorité masculine, l’exploitation des femmes, l’obtention du respect et le maintien de la réputation. Cette liste a été soumise à l’examen de la pertinence de son contenu auprès de professionnels reconnus pour leur expertise en matière de gang au Québec et de contrevenants membres de gang. Cet exercice est particulièrement utile au stade de l’épuration des listes brutes d’items (Downing & Haladyna, 2006 ; Wilson, 2005) afin d’assurer la validité apparente d’une mesure (Nunnally, 1978).

La consultation des professionnels et des membres de gang a pris la forme de deux groupes de discussion ; une stratégie recommandée pour la construction d’une mesure comme la nôtre (Vogt, King & King, 2006). Un premier groupe était composé de 11 professionnels, soit six hommes et cinq femmes, âgés de 26 à 54 ans. Ils travaillaient dans les milieux du renseignement policier (n = 4), communautaire (n = 2), de la justice (n = 1), des centres jeunesse (n = 3) et de l’immigration (n = 1) depuis 10 années en moyenne. Ils ont été recrutés dans les organisations représentées au Comité interministériel chargé du suivi du Plan d’intervention québécois sur les gangs de rue du gouvernement du Québec. Le second panel était composé de six garçons contrevenants âgés de 14 à 17 ans et hébergés au site Cité des Prairies du Centre jeunesse de Montréal – Institut universitaire (CJM-IU) en vertu d’une peine de placement et de surveillance. Tous admettaient être membres de gang et étaient identifiés comme membres de gang par les intervenants. Le projet a fait l’objet d’une approbation des comités d’éthique de la recherche du CJM-IU (CÉR CJM-IU) et de la Faculté des arts et des sciences de l’Université de Montréal (CÉRFAS). Tous les volontaires (dans le cas des mineurs, l’un des parents) ont signé un formulaire de consentement.

Chacun des groupes a été rencontré deux fois. Au total, quatre séances d’une moyenne de 120 minutes ont été animées aux mois de mai et juin 2011. Une semaine s’est écoulée entre les deux rencontres. Elles ont toutes été enregistrées avec le consentement des participants et un compte-rendu de chacune d’elles a été rédigé. Un examen minutieux de chacun des items a été réalisé avec les deux groupes de discussion afin de s’assurer que tous les marqueurs de la culture de gang avaient été spécifiés. Les rencontres ont permis de déterminer si certains items devaient être éliminés ou être ajoutés afin de ne conserver que les plus pertinents et si le libellé des items devait être corrigé. Elles ont été aussi l’occasion de juger de la pertinence des trois composantes de la culture de gang et d’échanger sur leur composition. Les participants ont ainsi été invités à associer chacun des items à la composante qu’il devait mesurer selon eux.

La liste initiale des 50 items a été distribuée aux professionnels par courrier électronique deux semaines avant la tenue de la première rencontre. Elle a toutefois été présentée oralement aux contrevenants, lors de la première rencontre, en raison des problèmes de lecture de certains d’entre eux. Les items ont ainsi été lus et passés en revue un à un. La nature des discussions des deux groupes consultés a été sensiblement semblable, de sorte que des consensus se sont nettement dégagés quant aux modifications à apporter à la version de la mesure de la culture de gang élaborée à partir de la littérature.

D’abord, quatre items ont été conservés intégralement. Trois concernent le nom de groupe, le surnom de membre et la couleur distinctive de la composante des symboles et des signes de reconnaissance. Le quatrième concerne le rôle de l’argent dans le statut du membre de la composante des normes et des valeurs. Huit autres items ont été conservés, mais leur libellé a été modifié afin de préciser certains termes. Deux concernent l’identification aux consortiums de gangs et l’usage d’un emblème de la composante des symboles et signes, trois autres concernent les critères d’affiliation, l’initiation et la possession d’armes de la composante des règles et rituels et trois items concernent la supériorité masculine et le rôle de l’intimidation et de l’agression de la composante des normes et des valeurs. Les libellés de trois autres items ont aussi été modifiés, en plus d’être assignés à une autre composante que celle initialement proposée. Ils concernent la défense d’un territoire et l’exploitation des femmes (règles et rituels), ainsi que la loi du silence (normes et valeurs).

Ensuite, 13 items ont été éliminés, soit parce qu’ils n’étaient pas considérés comme propres à la culture de gang, soit parce qu’ils étaient jugés superflus considérant la présence d’autres items. Trois autres items ont aussi été éliminés pour être remplacés par trois autres jugés plus précis. Ils concernent les objectifs du groupe et la vengeance (règles et rituels), ainsi que la masculinité (normes et valeurs). De plus, 19 items ont été révisés pour n’en constituer que 7, jugés plus pertinents. Deux concernent les stratégies de communication et le port d’accessoires aux couleurs distinctives (symboles et signes), trois concernent l’honneur, la violence et les vétérans (règles et rituels) et deux autres concernent la cohésion et la loyauté (normes et valeurs). Sept nouveaux items ont également été créés. Un premier item concerne les tatouages (symboles et signes), quatre concernent la spontanéité de la violence, la vie festive, la visibilité du groupe et la défense du quartier (règles et rituels) et deux autres concernent la perception des femmes et l’intimidation des personnes en autorité (normes et valeurs).

Par ailleurs, bien qu’un marqueur de la culture de gang soit présent chez un groupe, cela ne signifie pas que les membres y adhèrent. Dans une perspective d’évaluation des personnes contrevenantes, c’est l’adhésion d’un contrevenant à la culture de gang qui apparaît utile. La consultation des professionnels et des membres de gang a donc également servi à créer 43 items supplémentaires. D’abord, les 32 items de la culture de gang générés à partir des groupes de discussion ont été repris, mais leurs libellés ont été adaptés pour mesurer le niveau d’importance, d’accord ou d’acceptabilité que leur accorde un délinquant. Ensuite, 11 items additionnels ont été créés pour mesurer la présence de certains marqueurs (exemple : avoir un surnom) et leur fréquence (exemple : violence spontanée). Les échelles ordinales de réponse aux items ont été privilégiées, sauf dans le cas de la présence d’un item (par exemple : avoir un nom de groupe) pour lequel la réponse attendue était dichotomique.

Mesure de l’adhésion à la culture de gang : la MACg

La mesure de l’adhésion à la culture de gang (MACg) est donc un questionnaire auto-révélé composé de deux échelles. La première mesure le niveau d’adhésion à la culture de gang du groupe de pairs fréquenté par un contrevenant. L’échelle totale est composée de 32 items répartis en trois sous-échelles : symboles et signes (8 items), règles et rituels (15 items) et normes et valeurs (9 items) ; dont 24 items sont cotés sur une échelle ordinale de 1 (aucun, pas du tout ou jamais) à 5 (très, tous les jours ou tout à fait). Les huit autres sont cotés oui (5) ou non (1). Ils sont équitablement répartis entre la composante des symboles et signes (nom de groupe, consortiums, couleur et emblème) et celle des règles et rituels (défense d’un territoire, critères d’affiliation, initiation et code d’honneur).

La deuxième échelle mesure le niveau d’adhésion du contrevenant à la culture de gang. L’échelle totale est composée de 43 items répartis en trois sous-échelles : symboles et signes (15 items), règles et rituels (17 items) et normes et valeurs (11 items) ; dont 41 items sont cotés sur une échelle ordinale de 1 (pas du tout ou jamais) à 5 (très, tout à fait ou tous les jours). Les deux autres, de la composante des symboles et signes (tatouage et surnom), sont cotés oui (5) ou non (1). Aussi, 3 des 41 items sont conditionnels aux réponses aux items qui les précèdent (fréquence d’usage de la couleur, de l’emblème et du surnom). Celui qui répond négativement obtient la valeur de 1.

Le score aux deux échelles totales de la MACg a été créé par la sommation de tous les items. Il varie de 32 à 160 pour l’échelle de l’adhésion du groupe de pairs à la culture de gang et de 43 à 215 pour l’échelle de l’adhésion du contrevenant à la culture de gang. Les scores aux sous-échelles ont, quant à eux, été créés par le calcul de la moyenne des réponses aux items et varient de 1 à 5.

Données préliminaires de la MACg

Une bonne mesure de l’adhésion à la culture de gang doit être valide et fidèle. Nous avons donc soumis la MACg à un premier examen de sa fidélité. Plus spécifiquement, nous avons procédé à une évaluation de sa cohérence interne et à une analyse d’items. Ces stratégies sont au nombre des méthodes classiques d’estimation de la fidélité d’une mesure (Bertrand & Blais, 2004).

Participants

Les participants ont été recrutés dans les établissements de détention de Saint-Jérôme et de Montréal des services correctionnels du Québec et dans les centres jeunesse de Montréal, de Laval, des Laurentides et de Lanaudière. Ils ont été sélectionnés en fonction de quatre critères : être un homme âgé de plus de 14 ans, avoir été condamné pour un délit et être pris en charge par les services correctionnels ou les centres jeunesse. Le projet a fait l’objet d’une approbation des comités d’éthique du CJM-IU (CÉR CJM-IU), du Centre jeunesse de Québec – Institut universitaire (CÉR CJQ-IU) et du CÉRFAS. Tous les volontaires (dans le cas des mineurs, l’un des parents) ont signé un formulaire de consentement.

L’échantillon total est composé de 204 hommes contrevenants âgés de 14 à 41 ans (moyenne = 20,3 ; écart-type = 4,7) et majoritairement placés en garde ou détenus (82,8 %). Plus spécifiquement, 109 participants étaient pris en charge par les centres jeunesse. Ils étaient âgés de 14 à 20 ans (moyenne = 17,0 ; écart-type = 1,2) et majoritairement placés en garde (77,1 %). Puis, 95 participants étaient placés sous la responsabilité des services correctionnels. Ils étaient âgés de 18 à 41 ans (moyenne = 24,0 ; écart-type = 4,4) et majoritairement détenus (89,5 %).

Procédures

Ce premier examen de fidélité a été mené conjointement avec deux autres projets financés par le Fonds de recherche du Québec sur la société et la culture dans le cadre d’une action concertée sur le phénomène des gangs de rue. La MACg a été administrée, des mois d’août 2011 à 2013, dans le cadre d’un protocole commun de recherche qui exigeait deux rencontres d’une moyenne de deux heures. Une compensation de 30 $ pour chacune d’elles était attribuée aux participants. Elles avaient lieu soit au milieu de garde ou de détention pour les participants hébergés ou détenus, soit aux bureaux des intervenants pour ceux suivis dans la communauté. L’administration de la MACg, de 30 minutes en moyenne, avait lieu lors de la première rencontre. Elle était menée par une assistante de recherche qui présentait oralement les items. Le répondant inscrivait ses réponses sur un support informatique conçu à cette fin.

Analyses

L’examen de la cohérence interne et l’analyse d’items ont été menés à partir de deux méthodes : les calculs des coefficients alpha de Cronbach et des corrélations item-total à l’aide du logiciel SPSS (version Statistics 19). D’abord, le coefficient alpha de Cronbach quantifie les corrélations entre les items d’une mesure et peut atteindre la valeur maximale de 1. Une valeur de plus de 0,70 est jugée acceptable (Nunnally, 1978). Ensuite, le calcul des corrélations item-total corrigées quantifie la force de la relation entre les scores à un item et le score total, duquel a été retirée la contribution de cet item (Bertrand & Blais, 2004). Le coefficient présenté est le r de Pearson qui varie de –1 à 1. Une corrélation de plus de 0,50 est jugée forte (Cohen, 1988). Dans le respect des postulats des méthodes d’estimation de la fidélité d’une mesure, les analyses n’ont été menées qu’à partir des items ordinaux. Les items conditionnels ont aussi été retirés.

Résultats

D’abord, le tableau 1 présente les valeurs des coefficients alpha de Cronbach pour chacune des deux échelles totales de la MACg et leurs trois sous-échelles. Elles révèlent que les deux échelles présentent une excellente cohérence interne. Les coefficients sont de 0,92 pour l’échelle de l’adhésion du groupe de pairs et de 0,95 pour l’échelle de l’adhésion du contrevenant à la culture de gang. La cohérence interne des sous-échelles est également satisfaisante. Les coefficients varient de 0,75 à 0,86 pour les sous-échelles de l’adhésion du groupe de pairs, et de 0,80 à 0,90 pour les sous-échelles de l’adhésion du contrevenant à la culture de gang.

Tableau 1

Valeur des coefficients alpha de Cronbach pour les deux échelles totales et leurs trois sous-échelles

Valeur des coefficients alpha de Cronbach pour les deux échelles totales et leurs trois sous-échelles

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Ensuite, les tableaux 2 et 3 présentent les résultats de l’analyse des items des deux échelles totales de la MACg. Les fréquences des réponses aux items et les corrélations item-total corrigées réfèrent respectivement aux indices de difficulté et de discrimination des items. Les résultats indiquent que tous les items des échelles covarient positivement et significativement (p ≤ 0,01) avec les scores totaux. Les corrélations varient de 0,24 à 0,73 pour l’échelle de l’adhésion du groupe de pairs, et de 0,28 à 0,73 pour l’échelle de l’adhésion du contrevenant à la culture de gang.

Tableau 2

Fréquences des réponses aux items à l’échelle de l’adhésion du groupe de pairs à la culture de gang et corrélations item-total corrigées

Fréquences des réponses aux items à l’échelle de l’adhésion du groupe de pairs à la culture de gang et corrélations item-total corrigées

* p ≤ 0,01

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Tableau 3

Fréquences des réponses aux items à l’échelle de l’adhésion du contrevenant à la culture de gang et corrélations item-total corrigées

Fréquences des réponses aux items à l’échelle de l’adhésion du contrevenant à la culture de gang et corrélations item-total corrigées

* p ≤ 0,01

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Comme l’indique le tableau 2, la majorité des items de l’échelle de l’adhésion du groupe de pairs à la culture de gang est fortement corrélée avec le score total. Six items sont toutefois plus modérément ou faiblement corrélés. Ils concernent la vie festive (item 19 ; r = 0,41), la visibilité du groupe (item 20 ; r = 0,41), le rôle de l’argent dans le statut (item 23 ; r = 0,44), la spontanéité de la violence (item 17 ; r = 0,27), la loyauté (item 24 ; r = 0,30) et la perception dichotomique des femmes (item 28 ; r = 0,24). Si ces items étaient retirés de l’échelle, l’indice de fidélité ne serait cependant pas modifié (alpha = 0,92). Le retrait de ces items influencerait également peu le coefficient alpha des sous-échelles. Le retrait des items 19 et 20 de la sous-échelle des règles et rituels ferait passer sa valeur de 0,87 à 0,86, alors que le retrait de l’item 17 ne la modifierait pas. Le retrait des items 24 et 28 de la sous-échelle des normes et valeurs ferait passer l’alpha de 0,76 à 0,78, alors que le retrait de l’item 23 le ferait passer à 0,75.

Comme l’indique le tableau 3, la majorité des items de l’échelle de l’adhésion du contrevenant à la culture de gang est aussi fortement corrélée avec le score total. Deux items sont toutefois plus faiblement corrélés. Ils concernent l’importance de la vie festive (item 19a ; r = 0,29) et le niveau d’accord avec la perception dichotomique des femmes (item 28a ; r = 0,28). Aussi, 10 items sont plus modérément corrélés avec le score total. Six concernent l’importance des tatouages (item 6b ; r = 0,48), de la loi du silence (item 13a ; r = 0,47), de la cohésion (item 14a ; r = 0,47), de la visibilité du groupe (item 20a ; r = 0,46), d’être loyal (item 24a ; r = 0,41) et d’être craint pour être respecté (item 27a ; r = 0,48). Deux items concernent le niveau d’accord avec l’idée que de faire de l’argent est la principale raison d’être du groupe (item 9a ; r = 0,48) et que l’argent influe sur le statut (item 23a ; r = 0,40). Les deux autres concernent l’acceptabilité de l’exploitation des femmes (item 18a ; r = 0,44) et la fréquence des conduites d’intimidation des personnes en autorité (item 31b ; r = 0,46). Si ces items étaient retirés de l’échelle, l’indice de fidélité ne serait toutefois pas modifié (alpha = 0,95). Le retrait de ces items influencerait également peu le coefficient alpha des sous-échelles. Le retrait des items 9a, 14a, 18a, 19a et 20a de la sous-échelle des règles et rituels ne modifierait pas sa valeur (alpha = 0,90), alors que le retrait de l’item 6b de la sous-échelle des symboles et signes la ferait passer de 0,88 à 0,87. Le retrait des items 13a, 23a, 24a, 27a et 31b de la sous-échelle des normes et valeurs ferait passer l’alpha de 0,80 à 0,78, alors que le retrait de l’item 23a ne le modifierait pas.

Conclusion

La culture de gang figure au nombre des explications de la grande propension au crime des contrevenants membres de gang. Or, malgré un nombre substantiel d’ouvrages sur la question, il n’existe pas de définition claire de la culture de gang ni d’opérationnalisation de ce concept. Les objectifs de la présente étude étaient donc de définir la culture de gang, de décrire ses composantes et de proposer une mesure de l’adhésion à la culture de gang.

D’abord, une recension des écrits a permis de définir la culture de gang, de préciser ses composantes et de dresser une liste initiale d’items. Ensuite, la consultation de professionnels reconnus pour leur expertise en matière de gang et de contrevenants membres de gang a permis d’examiner la pertinence des composantes de la culture de gang et de leurs items. Ces efforts ont mené à l’élaboration d’une première mesure de l’adhésion à la culture de gang, la MACg, pour laquelle nous avons pris soin d’assurer la validité apparente.

Puis l’analyse des calculs des coefficients alpha de Cronbach révèle que les deux échelles totales de la MACg et leurs sous-échelles présentent une bonne cohérence interne, ce qui témoigne de l’homogénéité de la mesure. L’analyse d’items révèle, par ailleurs, que la majorité des items des échelles est positivement et fortement corrélée avec les scores totaux. Certains items sont toutefois plus faiblement ou modérément corrélés. C’est le cas de six items de l’échelle de l’adhésion du groupe de pairs à la culture de gang et de dix items de l’échelle de l’adhésion du contrevenant à la culture de gang. Cinq items sont d’ailleurs communs aux deux échelles, soit ceux référant à la vie festive (items 19 et 19a), à la visibilité du groupe (items 20 et 20a), au rôle de l’argent dans le statut (items 23 et 23a), à la loyauté (items 24 et 24a) et la perception dichotomique des femmes (item 28 et 28a). La question est de savoir si ces résultats sont une raison suffisante d’exclure ces items à cette étape-ci des travaux. L’analyse des indices de fidélité en cas de suppression des items suggère que non. En effet, leur retrait ne modifierait pas les coefficients alpha des deux échelles totales et influencerait très superficiellement ceux des sous-échelles. Les résultats de ce premier examen de la MACg suggèrent qu’elle est une mesure fidèle de l’adhésion à la culture de gang, au sens de la cohérence interne.

Notre démarche comporte toutefois des limites. Une première concerne la spécificité des items. La sous-culture que forment les délinquants et la culture des gangs de rue ne sont certainement pas des dimensions hermétiques. Les items relatifs à la vie festive ou au respect de la loi du silence, par exemple, ne sont possiblement pas uniques à la culture de gang. Néanmoins, l’importance que la littérature, les professionnels et les membres de gang consultés leur accordent suggère qu’ils doivent tout de même figurer au nombre des marqueurs de la culture de gang.

Une seconde limite concerne la représentativité des contrevenants et des professionnels consultés. Il est légitime de se demander s’ils représentent toutes les personnes auxquelles la MACg serait administrée et tous ses utilisateurs potentiels. Lors de l’élaboration d’une mesure comme la nôtre, l’objectif d’une consultation au moyen de groupes de discussion n’est toutefois pas de représenter la totalité des points de vue, mais de recueillir les données nécessaires à l’élaboration d’items pertinents (Vogt et al., 2006).

Une troisième limite concerne les méthodes d’estimation de la fidélité privilégiées. Le coefficient alpha de Cronbach est influencé par le nombre d’items, ce qui peut expliquer une cohérence interne aussi satisfaisante. Les fortes corrélations entre les items et les scores totaux n’y sont pas non plus étrangères. La valeur de l’alpha est étroitement liée à celle des corrélations item-total (Bertrand & Blais, 2004). Une autre faiblesse de ces techniques classiques concerne l’erreur de mesure. Les calculs des coefficients alpha et des corrélations item-total dépendent autant de la force moyenne du groupe à qui est administrée la mesure que de la capacité de discrimination des items (Bertrand & Blais, 2004). La preuve de validité d’un instrument est exigeante et tient d’un processus qui n’est jamais terminé (Bertrand & Blais, 2004). Des études complémentaires seront donc nécessaires afin d’évaluer de manière plus approfondie les qualités métriques de la MACg, dont les paramètres de difficulté et de discrimination des items. Elles devront aussi examiner sa stabilité temporelle, sa structure factorielle et sa validité critériée et convergente.

Malgré ses limites, notre démarche a le mérite de proposer une première mesure de l’adhésion à la culture de gang qui apparaît fidèle sur le plan de la cohérence interne. Une telle mesure peut contribuer aux efforts visant à résoudre les problèmes méthodologiques liés à la mesure de l’appartenance aux gangs et à l’interprétation de son influence sur la délinquance. En plus de proposer de nouvelles avenues en matière de recherche, elle peut également améliorer les pratiques d’évaluation des contrevenants. L’intensité à laquelle ils participent aux gangs est sans doute plus révélatrice du risque qu’ils représentent pour la sécurité publique que le simple fait de côtoyer ou non ces groupes (Guay & Fredette, 2010). La MACg peut contribuer à mesurer cette intensité et à guider les intervenants des centres jeunesse et des services correctionnels quant aux choix des modalités d’intervention les mieux adaptées aux contrevenants placés sous leur responsabilité.