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Introduction

« Illegal wildlife trafficking has become a prominent issue on the international agenda over the last few years » (Kutesa, 2014). Cette déclaration de Kutesa, président de la 69e Assemblée générale des Nations Unies, met en avant le fait que la lutte contre le commerce illégal d’espèces sauvages devient un enjeu majeur et que, bien qu’il ait été longtemps vu comme un problème de seconde importance, il apparaît de plus en plus nécessaire de s’y intéresser au regard des nombreuses conséquences négatives qu’il implique tant au niveau écologique, économique que social.

Le crime qui nous intéresse aujourd’hui est celui du trafic illégal d’espèces sauvages. Celui-ci peut être défini comme « tout crime environnemental qui implique le commerce, la contrebande, la capture, la collecte ou le braconnage illégaux d’espèces menacées, d’espèces sauvages protégées et de dérivés ou de produits de ces espèces » (Myburgh, 2010, cité dans Haken, 2011, p. 12). Ce commerce illégal, dont on ne parle que trop peu, est pourtant estimé à 19 milliards de dollars par an (Fonds mondial pour la nature [WWF], 2012).

Qu’elles soient utilisées à titre purement commercial, pour la médecine traditionnelle asiatique ou comme animaux de compagnie (Myburgh, 2010, cité dans Haken, 2011), les espèces sauvages sont essentielles à la biodiversité et par conséquent, leur commerce doit être régulé. C’est l’objectif principal de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES), signée en 1973. Cette convention est l’un des traités environnementaux les plus connus et les plus importants et fait souvent office d’exemple, notamment en raison du grand nombre d’États signataires. Il semble évident que relativement à un problème transnational tel que celui-ci, des actions globales où la plus grande partie de la communauté internationale est impliquée sont nécessaires.

Ainsi, par la CITES, les États sont invités à prendre des mesures pour lutter contre ce trafic, mais ce ne sont pas les seuls à jouer ce rôle. Des organisations non gouvernementales (ONG) se sont également imposées comme des acteurs incontournables de la CITES et elles sont plus d’une centaine à participer à la Conférence des parties à cette convention. Mais plus récemment, c’est l’ONU qui s’est avancée sur le devant de la scène en adoptant le 30 juillet 2015 une résolution historique, la résolution A/RES/69/314, qui constitue la première résolution portant sur la surveillance du trafic des espèces sauvages et qui incite les États à prendre des mesures afin de combattre le trafic illicite d’espèces sauvages.

Tous ces acteurs ont pris conscience du besoin pressant de mettre fin au commerce illégal d’espèces sauvages en raison non seulement de ses conséquences irréversibles sur la biodiversité, mais également de ses conséquences économiques. En effet, ce commerce est l’attrait des groupes criminels organisés qui profitent des faibles risques et des gros profits qu’ils en retirent (Lin, 2005). Leurs actions ne font qu’accélérer le processus de détérioration de l’environnement.

Ce commerce a donc des conséquences qui vont au-delà de la simple atteinte à l’environnement en touchant la communauté dans son ensemble.

Cet article a pour but de présenter les différentes mesures qui ont été adoptées pour lutter contre le commerce illégal d’espèces sauvages, mais également d’analyser les difficultés d’une telle mise en oeuvre. Ainsi, nous verrons dans la première section que même si le besoin d’actions est de plus en plus pressant, la répression est difficile à mettre en oeuvre. Toutefois, comme il est expliqué dans la deuxième section, la communauté internationale a décidé de prendre des mesures, notamment avec la CITES, et aussi en collaboration avec les ONG et d’autres acteurs de la communauté internationale. La dernière section s’intéresse aux solutions qui pourraient être mises en oeuvre. Cette analyse permet donc de rendre compte de l’état actuel de la répression du commerce illégal d’espèces sauvages et des solutions envisageables pour l’améliorer.

I. Une répression du trafic illégal d’espèces sauvages difficile à mettre en oeuvre malgré l’urgence d’agir

Contrairement au trafic de stupéfiants ou d’êtres humains, le trafic d’espèces sauvages fait beaucoup moins parler de lui sur le plan international. En effet, les conséquences sont souvent moins visibles, mais ne sont pas pour autant moins réelles. Il est donc nécessaire que des actions soient entreprises malgré une difficile mise en oeuvre.

1. La nécessaire répression du commerce illégal d’espèces sauvages

Pendant longtemps, les trafiquants d’animaux sauvages n’étaient considérés que comme de petits criminels (Zimmerman, 2003), mais progressivement, les groupes criminels organisés se sont emparés de ce marché et l’ont développé en en faisant le plus grand marché noir du monde après celui des stupéfiants (Anderson, 1997). Au vu de ses nombreux attraits, il n’est pas étonnant que ces groupes s’y soient intéressés. En effet, c’est un trafic très lucratif dans la mesure où la demande est forte. De nombreuses espèces sauvages sont utilisées dans la médecine traditionnelle asiatique, le bois est également très prisé, notamment pour les meubles de luxe. Mais c’est surtout l’ivoire qui est extrêmement demandé, même si son commerce est interdit à travers le monde depuis 1989 (Inter Press Service [IPS], 2013). Il ne faut pas oublier que toute une activité autour de la chasse de certains animaux sauvages s’est également développée (Zimmerman, 2003). À ce titre, plusieurs manifestations se sont déjà tenues pour lutter contre la chasse des lions en « boîte » ou « en conserve » qui permet à de riches particuliers de chasser des animaux en cage (Radio France International [RFI], 2014). Ce sont des milliers de lions qui sont élevés en cage pour y être tués. Ils sont ensuite rapportés par les étrangers fortunés en tant que trophées et les os, dont le commerce est interdit, sont vendus, souvent pour être utilisés dans la médecine traditionnelle asiatique (Fusi, 2014).

Le commerce illégal d’espèces sauvages s’adresse donc à un large public, qui va du riche touriste avide de sensations fortes au médecin traditionnel. Ainsi, non seulement la demande est forte, mais c’est surtout un commerce extrêmement lucratif. Il faut noter à titre d’exemple que le prix de la corne de rhinocéros atteint deux fois celui de l’or ou du platine (WWF, 2012).

Mais l’un des éléments fondamentaux de l’attrait du trafic d’espèces sauvages est le faible risque d’en subir les conséquences (Zimmerman, 2003). En effet, les États n’ont pas tous adopté une législation adaptée qui permet la répression de tels actes criminels, et la mise en application d’une telle législation est encore plus rare. Contrairement à d’autres domaines, lorsqu’il s’agit de problèmes environnementaux, l’application des législations est souvent inexistante ou les peines insignifiantes. Les mesures coercitives, les poursuites judiciaires, les sanctions et toute autre mesure dissuasive en la matière manquent en effet largement d’efficacité (WWF, 2012).

La répression apparaît néanmoins comme nécessaire pour de nombreuses raisons. Tout d’abord, la première raison qui semble évidente concerne l’impact environnemental du commerce. Effectivement, le trafic concerne essentiellement des espèces menacées d’extinction telles que les éléphants ou les rhinocéros. Le nombre d’éléphants tués par année est de 20 000 à 25 000 pour une population de 420 000 à 650 000 (CITES, 2013). Concernant les rhinocéros, l’abattage est tellement intensif que l’animal a complètement disparu de certains pays d’Afrique et d’Asie. Selon le rapport de Ban Ki-Moon, secrétaire général de l’ONU, « la situation est si grave que dans certains pays, comme au Cameroun, l’armée a été appelée en renfort des services de répression et de maintien de l’ordre pour traquer les braconniers » (Rao, 2013, p. 28). Le braconnage ne fait pas qu’accélérer le processus d’extinction de certaines espèces, il détruit également les richesses naturelles (WWF, 2013).

À Madagascar, où 80 % de ces espèces sont endémiques, la richesse naturelle de l’île est gravement compromise par les trafics, notamment celui du bois de rose (RFI, 2014). Ce bois de rose est essentiellement utilisé pour fabriquer des meubles de luxe, malgré l’existence d’un embargo de la CITES qui pèse sur son commerce. De nombreux pays et surtout de nombreuses espèces sont donc touchés par le trafic illégal d’espèces sauvages et ce sont des écosystèmes entiers qui sont mis en danger.

En plus de l’impact environnemental, la répression du commerce illégal d’espèces sauvages devient nécessaire dans la mesure où, comme il a été dit précédemment, ce sont des groupes criminels organisés qui ont pris les rênes et ceux-ci sont connus pour être des groupes violents. Ce recours à la violence peut menacer le gouvernement légitime mis en place dans certains pays, mais également la société de manière générale. En effet, de nombreux groupes criminels utilisent les profits retirés du trafic pour financer des activités liées au terrorisme ou des conflits civils, comme c’est le cas en République démocratique du Congo (RDC) (WWF, 2013), où le trafic d’armes est financé par le pillage des ressources. Les braconniers sont souvent des « militaires des Forces armées de la RDC (FARDC) incontrôlés et les commandants des milices » (IPS, 2013). Ils bénéficient donc souvent de moyens supérieurs à ceux du gouvernement légitime (Manirabona, 2014) qui se trouve alors impuissant. Bien conscient de ce problème, le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté la Résolution 1493 du 28 juillet 2003 qui prévoit un embargo de douze mois sur les armes (Documentation française, 2004). Toutefois, le pillage des ressources continue à financer les conflits armés. Le cas de la RDC montre bien que le commerce illégal d’espèces sauvages a des conséquences au-delà de la dégradation de la biodiversité. Il fait partie de tout un système qui permet aux conflits armés de s’autoalimenter. Les populations en subissent les conséquences et c’est donc tout le fonctionnement de la société qui s’en trouve affecté.

Il apparaît donc urgent qu’une répression efficace soit mise en place afin de limiter les effets irréversibles sur la biodiversité ainsi que les répercussions économiques et sociales. Toutefois, cette répression semble difficile à mettre en oeuvre pour diverses raisons.

2. Une répression difficile à mettre en oeuvre

« Les trafics de stupéfiants et des êtres humains attirent bien plus l’attention que le trafic illégal d’espèces sauvages » (Hormats, 2012, p. 9). Cette déclaration de Hormats reflète malheureusement la triste réalité concernant la répression du commerce illégal d’espèces sauvages. En effet, pour de multiples raisons, les États ne semblent pas accorder autant d’importance à ce trafic qu’ils le font pour les trafics de stupéfiants. Pourtant, comme on l’a vu précédemment, les répercussions environnementales, économiques et sociales sont tout aussi néfastes.

Il est tout d’abord nécessaire de constater que les législations sont inexistantes, rarement mises en application ou trop peu dissuasives pour réellement espérer réduire le trafic. Cette inadéquation législative ne fait que contribuer au développement du commerce illégal d’espèces sauvages alors que son rôle devrait être de le contenir. Une des raisons pour lesquelles les États sont peu enclins à prendre des mesures est notamment le caractère « sans victime » des crimes (Zimmerman, 2003). En effet, contrairement à d’autres actes criminels comme le trafic d’êtres humains, les conséquences ne sont pas directement ou instantanément ressenties par les populations. Le besoin semble alors moins pressant que pour d’autres crimes. Or, la constatation des impacts du commerce illégal d’espèces sauvages ne se fait qu’après un certain temps et ils sont souvent rattachés à d’autres crimes. Le commerce illégal d’espèces sauvages accompagne souvent d’autres trafics tels que les trafics d’armes, de stupéfiants ou encore d’êtres humains. Les groupes criminels organisés sont souvent actifs sur plusieurs fronts, mais le commerce illégal des espèces sauvages est celui où la répression est la moins présente. Ce manque de répression leur assure donc des revenus importants et de faibles risques. De plus, le commerce illégal d’espèces sauvages est vu comme un problème environnemental. Or, il est généralement admis que les États ne portent pas le même intérêt aux problèmes environnementaux qu’aux problèmes d’ordre économique ou politique (Lin, 2005). Un lien a cependant été clairement établi entre le trafic d’espèces sauvages et d’autres types de trafics, ainsi qu’avec le financement de groupes rebelles, la corruption et le blanchiment d’argent (WWF, 2013). Mettre un terme au commerce illicite des espèces sauvages, c’est affaiblir tout un système illégal qu’il alimente.

Pour capter l’attention des États, il faut souvent faire état des pertes économiques (Pueshel, 2014). C’est ce qu’a fait l’Assemblée des Nations Unies pour l’environnement lors de sa première session organisée en juin 2014, à partir de laquelle a été produit un rapport qui traite des conséquences environnementales, sociales et économiques sur le développement durable du commerce illicite d’espèces sauvages (Programme des Nations Unies pour l’environnement [PNUE], 2014). Confronter les États à l’impact réel du commerce illégal des espèces, non seulement sur le plan écologique, mais aussi sur les plans économique et social les inciterait peut-être à mettre en oeuvre une législation efficace.

Toutefois, cela crée un autre problème. En effet, instaurer une législation adéquate semble inenvisageable dans certaines régions du monde où les conflits armés sévissent. En revenant sur l’exemple de la RDC, ses abondantes ressources fauniques et forestières ont toujours fait l’objet de convoitise par les pays voisins (Documentation française, 2004). L’exploitation de ses ressources commence avec le premier conflit en 1996, dans le cadre duquel les Rwandais et les Ougandais ont la mainmise sur les ressources naturelles des zones qu’ils contrôlent (Documentation française, 2004). Une économie de guerre se crée alors où l’exploitation des ressources finance les conflits armés. Une quelconque répression semble donc impossible dans des zones sensibles. Toutefois, consciente de ce problème, et notamment parce qu’elle en subit directement les conséquences, la RDC a tenté de prendre certaines mesures. En effet, une législation adoptée permet à l’État congolais d’expulser ou d’arrêter un expatrié coupable de braconnage (IPS, 2013). De plus, une prime a été instaurée par l’Institut congolais pour la conservation de la nature (ICCN) afin d’encourager les villageois à dénoncer les braconniers (IPS, 2013). Cette prime consiste en une aide financière allouée aux associations dont les projets sont viables. Cette aide pourrait faire pencher la balance pour certaines personnes dans la mesure où la criminalité organisée sévit dans les pays les plus pauvres. Nombreux sont les hommes qui sont impliqués dans le commerce illégal d’espèces sauvages afin de subvenir à leurs besoins. En instaurant des aides, ces hommes pourraient se détourner du trafic et vivre d’activités licites tout en permettant l’arrestation des dirigeants des groupes organisés.

Il faut noter que le braconnage a tendance à se développer dans les pays où la législation est faible et où la corruption est très présente (WWF, 2012). La corruption est alors considérée par les ONG comme le principal facteur du commerce illégal. Il est facile de contourner les règles quand leur application n’est pas stricte et les fonctionnaires corrompus. En effet, dans les pays où les fonctionnaires sont insuffisamment payés, il y a peu de solutions de rechange pour augmenter les revenus et la corruption est extrêmement forte. Les groupes de criminels organisés emploient également des personnes qui sont dans une situation précaire dans des États qui n’offrent pas de meilleures rentrées d’argent. Il est souvent proposé comme solution de financer des projets communautaires locaux dans l’élevage de bétail afin d’assurer un certain revenu aux villageois et donc de les dissuader de rejoindre des groupes de braconniers.

Finalement, un problème tel que celui-ci ne peut être réglé que grâce à une coopération internationale efficace. En effet, il est généralement admis que l’offre provient des pays en développement et la demande, des pays développés. Un individu suspecté de trafic d’espèces sauvages doit donc être en mesure d’être extradé afin d’être jugé ou d’effectuer sa peine. Pour que l’extradition entre deux États soit possible, il faut respecter la règle de la double criminalité, c’est-à-dire que les deux États impliqués doivent avoir prévu des sanctions criminelles pour ces actes. Or, comme évoqué précédemment, les États ne disposent tous pas d’un dispositif législatif qui réprimande ce trafic, ce qui met à mal le système d’extradition.

Une coopération internationale est aussi difficile dans la mesure où les États ne sont pas tous touchés de la même manière. Il faut effectivement prendre en compte le fait que ce sont les pays exportateurs d’espèces sauvages qui voient leur biodiversité compromise alors que les pays importateurs n’en subissent pas directement les conséquences. Pourtant, ceux-ci sont pour certains des pays développés disposant de tous les outils nécessaires pour mettre en place une répression efficace contre ces crimes environnementaux.

Il est également intéressant ici d’explorer la possibilité de mettre en oeuvre la compétence universelle, qui permet de déroger au principe de territorialité pour l’exercice de la compétence en permettant à un État de poursuivre les auteurs de certains crimes, considérés comme particulièrement graves, peu importe le lieu de la commission du crime ou de la nationalité de l’auteur ou de la victime. Cette solution faciliterait la répression dans la mesure où chaque État serait compétent. Il ne s’agirait donc plus de compter uniquement sur les États, souvent peu enclins à agir, sur les territoires desquels l’infraction a été commise. Mais même si elle semble justifiée dans ce cas, cette compétence est difficilement reconnue en raison du caractère universel qui doit caractériser le crime. Il faudrait donc que ce crime soit considéré comme particulièrement grave par l’ensemble de la communauté internationale pour que la compétence universelle puisse être mise en oeuvre.

La répression du commerce illégal d’espèces sauvages semble donc difficile malgré son évidente nécessité. Il convient désormais de s’intéresser aux actions qui ont été entreprises par la communauté internationale et d’en déterminer les acteurs.

II. Les mesures prises sur le plan international : des mesures efficaces ?

Il n’est pas possible de parler de lutte contre le commerce illégal d’espèces sauvages sans évoquer la CITES. Cette convention représente un exemple en matière de traités et il convient donc d’examiner ses dispositions et d’évoquer également le rôle des autres acteurs dans cette lutte.

1. La CITES comme pierre angulaire de la lutte contre le commerce illégal d’espèces sauvages

Le 3 mars 1973 a été signée à Washington la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction, communément appelée la CITES, afin de réguler le commerce d’espèces sauvages. Cette convention internationale part du principe que l’homme a sa part de responsabilité dans l’érosion de la biodiversité et que le commerce d’espèces sauvages en constitue une menace qu’il faut encadrer (Clémenceau, 2008). Ainsi, la Convention a pour objectif de protéger la biodiversité des méfaits du commerce. Aujourd’hui, en raison de son ancienneté et du grand nombre de parties signataires, la Convention s’impose comme l’une des plus réussies en matière de droit international de l’environnement.

Dans certains domaines, seule une action à l’échelle planétaire se révèle être efficace et c’est notamment le cas de l’environnement. En effet, par sa nature même, c’est un problème transnational qui implique que les États doivent coopérer pour y mettre un terme. La CITES, qui compte déjà 180 parties, constitue un excellent exemple de cette coopération internationale. Mais elle ne perd pas pour autant son objectif de rallier le plus d’États possible.

La CITES agit par l’intermédiaire de ses organes : la Conférence des parties, composée de tous les États parties, le Comité permanent qui est l’organe exécutif et deux comités spécialisés, un pour les plantes et un pour les animaux. Enfin, on peut noter que la Convention et les Nations Unies sont très liées dans la mesure où le secrétariat de la CITES est assuré par le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE). Ce dernier a été créé en 1972 par les Nations Unies afin de répondre aux problèmes environnementaux. Le PNUE finançait auparavant la Convention, mais ce n’est plus le cas depuis l’Amendement de Bonn. Ce dernier permet à la Convention d’avoir une plus grande autonomie (Clémenceau, 2008).

La CITES est financée de deux manières différentes, tout d’abord, par un fonds d’affectation spéciale qui est alimenté par les États parties, sur la base du même barème que celui de l’ONU, et ajusté pour tenir compte du fait que tous les membres des Nations Unies ne sont pas parties de la CITES. Puis, il y a un financement externe assuré par des gouvernements, des organismes intergouvernementaux, des organisations non gouvernementales ou des sociétés.

La Convention agit par l’intermédiaire des États qui prennent en charge sa mise en oeuvre. En effet, à l’article IX, elle prévoit que « Chaque Partie à la Convention doit désigner au moins un organe de gestion chargé d’administrer le système de permis et au moins une autorité scientifique qui lui donne son avis sur les effets du commerce sur les espèces ». Ainsi, un permis doit être délivré pour toute importation ou exportation alors qu’une certification est nécessaire pour la réexportation (exportation d’un spécimen importé) ou l’introduction en provenance de la mer de spécimens des espèces classées.

Afin d’atteindre son objectif, la CITES classe les espèces sauvages en trois catégories regroupées en trois annexes. Dans l’Annexe I, sont répertoriées toutes les espèces menacées d’extinction dont le commerce est strictement limité. Seuls les échanges internationaux à des fins scientifiques demeurent possibles dans le cas où un permis d’exportation et d’importation a été préalablement obtenu et qu’une procédure stricte est respectée (Grandbois, 1999). L’Annexe II comprend toutes les espèces qui ne sont pas nécessairement menacées d’extinction, mais dont le commerce doit tout de même être réglementé pour éviter qu’elles ne le deviennent. Les annexes I et II s’appliquent donc à tous les États parties à la Convention, ce qui n’est pas le cas de l’Annexe III qui est d’application régionale. En effet, chaque partie peut demander d’inscrire dans l’Annexe III une espèce qui est menacée sur son territoire et dont la préservation requiert la coopération internationale. Cela permet de prendre en compte les particularités de chaque État et de mieux répondre à ses besoins.

Bien évidemment, à ce régime général, il existe des dérogations qui sont répertoriées à l’article VII de la Convention. À titre d’exemple, les mesures de la CITES ne s’appliquent pas « au transit ou au transbordement de spécimens sur le territoire d’une Partie, lorsque ces spécimens restent sous le contrôle de la douane » (Article VII, CITES 1973, p. 6) puisqu’il s’agit d’une situation purement interne. L’article XXIII prévoit en outre un système de réserve permettant à chaque État partie de refuser l’application de la Convention pour une espèce classée dans l’une des trois annexes.

Concernant son effet sur les États tiers, c’est un principe bien reconnu en droit international que le traité n’a d’effet qu’entre les parties. Toutefois, l’article X de la CITES prévoit que les parties doivent exiger de leurs partenaires qui ne font pas partie de la Convention des documents similaires aux permis et aux certificats. Les États tiers sont donc eux aussi contraints par la réglementation mise en place par le CITES, ce qui explique sa ratification massive (Clémenceau, 2008). En effet, il n’y a plus d’intérêt à être hors du processus alors que la réglementation doit être respectée de toute manière. Ainsi, la Convention régule les échanges entre les États parties et les États non parties et soumet ces derniers à des restrictions (Grandbois, 1999). Il est donc possible de dire que la Convention a la mainmise sur l’ensemble du commerce international d’espèces sauvages (Clémenceau, 2008).

Toutefois, la Convention, aussi ambitieuse qu’elle soit et même si elle est souvent citée en exemple, n’a pas d’application directe et les États parties doivent l’insérer dans leur système juridique interne afin de la mettre en oeuvre (Zimmerman, 2003). Sans cette mise en oeuvre, la Convention n’a aucun pouvoir et les restrictions sont sans effet (Lin, 2005). La coopération des États parties apparaît donc comme une composante essentielle pour la mise en oeuvre de la Convention. Cette dernière en reconnaît elle-même l’importance dans son préambule, qui stipule : « Reconnaissant en outre que la coopération internationale est essentielle à la protection de certaines espèces de la faune et de la flore sauvages contre une surexploitation par suite du commerce international ».

Imposer des restrictions est vain si des sanctions efficaces ne sont pas prévues. Or, la Convention prévoit uniquement la saisie et le retour des espèces transportées illégalement. Les sanctions d’ordre criminel sont entièrement laissées à la discrétion des États parties (Zimmerman, 2003). La CITES renvoie donc aux législations nationales, mais celles-ci, comme mentionné précédemment, manquent de fermeté concernant la lutte contre le commerce illégal des espèces sauvages. Une fois de plus, le problème de l’inadéquation des sanctions pour les crimes environnementaux se pose puisque la CITES n’a pas la compétence pour agir à ce niveau. L’article VIII, alinéa 7, prévoit également que : « Chaque Partie établit des rapports périodiques sur la mise en application, par cette Partie, de la présente Convention, et les transmettra au Secrétariat. » La Convention repose donc essentiellement sur la coopération des États dans sa mise en oeuvre.

Par ailleurs, la CITES a mis en place plusieurs outils en vue de contrôler les espèces menacées. Tout d’abord, grâce aux rapports remis par les États parties sur la mise en application de la Convention, il est possible de contrôler le nombre de certificats et de permis émis. Cela permet ainsi d’évaluer le montant du commerce des espèces concernées. Toutes ces informations sont ensuite compilées dans une base de données créée par le PNUE et le Centre de surveillance de la conservation de la nature (UNEP-WCMC). Les rapports remis par les États sont des outils essentiels pour rendre compte de la politique menée dans chaque État et ainsi évaluer l’efficacité de la Convention.

Ensuite, un des outils les plus connus mis en place par la CITES est le programme MIKE (Monitoring Illegal Killing of Elephants [Contrôle de l’abattage illégal d’éléphants]), adopté en 1997, et qui rend compte du niveau et des tendances de massacres d’éléphants (Kahindi et al., 2009). Les données sont collectées par les populations locales en Asie et en Afrique. L’éléphant, abattu pour son ivoire, est l’un des animaux les plus touchés par le commerce illégal et sa disparition dans certaines parties du monde est très inquiétante.

Ainsi, la CITES a su rallier un très grand nombre d’États afin de poser les bases de la lutte contre le commerce illégal des espèces sauvages. Elle a instauré des mécanismes efficaces afin de réguler ce commerce et de protéger la biodiversité. Toutefois, son action repose essentiellement sur les États dont l’attitude envers des crimes environnementaux doit évoluer. Sans leur coopération, l’action de la CITES est vaine.

La CITES, bien qu’indispensable, ne constitue donc pas la seule arme. Au sein de la communauté internationale, différents acteurs jouent un rôle essentiel dans ce combat et même si certains ont vu leur rôle institutionnalisé, d’autres seraient à développer.

2. Le rôle essentiel des autres acteurs : une solution à développer

a. Sur le plan international

Le commerce illégal d’espèces sauvages est un problème transnational qui nécessite que des mesures soient prises sur le plan international. Toute la communauté internationale doit donc s’impliquer, que ce soit de manière institutionnalisée ou non. En dehors de la CITES, on retrouve différents acteurs dont le rôle croissant pourrait permettre d’endiguer le commerce illégal d’espèces sauvages. Utilisées de manière appropriée, leurs positions sur la scène internationale ainsi que leurs ressources sont des atouts majeurs qu’il faudrait exploiter.

Tout d’abord, celles qui apparaissent comme des acteurs incontournables dans ce domaine sont les ONG. Elles interviennent notamment sur le plan de la mise en application de la CITES et apportent leur expertise. Leur rôle est même inscrit à l’article XI, alinéa 7, de la Convention, qui précise que : « Tout organisme ou toute institution techniquement qualifiés dans le domaine de la protection, de la conservation ou de la gestion de la faune et de la flore sauvages qui ont informé le Secrétariat de leur désir de se faire représenter aux sessions de la Conférence par des observateurs y sont admis. » Ainsi, toute organisation dont le domaine se recoupe avec le champ d’application de la CITES est invitée à participer à la Conférence des Parties. La Convention leur reconnaît le droit de participer aux sessions, mais ne leur octroie pas le droit de vote. Ce n’est donc pas un rôle institutionnel très important, mais, comme le souligne De Klemm (1998), c’est la première convention de protection de la nature à avoir adopté une telle disposition, ce qui confirme sa position de chef de file en la matière.

Les ONG font pression sur les gouvernements et les poussent ainsi à renforcer la lutte contre le commerce illégal d’espèces sauvages et contre la criminalité environnementale de manière générale. Elles permettent également de sensibiliser le public au travers des actions qu’elles mènent et des rapports d’expertise qu’elles publient (Office des Nations Unies contre la drogue et le crime [ONUDC], 2016). Comme nous le verrons ultérieurement, le public a lui aussi un rôle à jouer dans la lutte contre le trafic illicite d’espèces sauvages. En attendant, on peut mentionner trois ONG qui ont un rôle fondamental dans la mise en application de la CITES.

Mentionnons en premier lieu l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) qui a un rôle particulier dans la CITES puisqu’elle en est à l’origine. En effet, la CITES a été adoptée à la suite d’une résolution adoptée en 1963 lors d’une session de l’Assemblée générale de l’UICN. C’est la plus grande et la plus ancienne des organisations environnementales au monde. Son rôle est de veiller à la préservation des ressources naturelles. Ensuite, le deuxième organisme qui compte dans ce domaine est le Fonds mondial pour la nature (World Wide Fund [WWF]). Fondé en 1961, il est aujourd’hui le premier organisme de protection de la nature, comptant 5 millions de membres et opérant dans près de 100 pays. Le Fonds mondial pour la nature émet des recommandations et des avis dans des rapports d’expertise destinés à la Conférence des parties. Mais surtout, il a fondé, en partenariat avec l’UICN, le Réseau de surveillance du commerce de la faune et de la flore sauvages TRAFFIC (Trade Records Analysis of Flora and Fauna in Commerce), qui a pour but de protéger les espèces menacées par le commerce. En raison de leurs objectifs très similaires – tous fondés sur la protection des espèces par le commerce –, la CITES et TRAFFIC sont très liés. TRAFFIC fournit des informations et une assistance à la Conférence des parties et donne son avis sur les amendements et les décisions prises au sein de la CITES.

Ces organisations sont un appui important dans la lutte contre le commerce illégal d’espèces sauvages, non seulement en ce qui a trait à leur collaboration avec la CITES, mais aussi à la sensibilisation du public, que ce soit sur le plan local ou mondial (ONUDC, 2016). Le rôle du public est essentiel dans cette lutte. Plusieurs actions pourraient réduire considérablement les échanges commerciaux illégaux d’espèces sauvages, notamment en informant les consommateurs de la menace d’extinction de certaines espèces ou en les incitant à l’écotourisme, c’est-à-dire en privilégiant des itinéraires dans des environnements non menacés. De plus, comme évoqué précédemment, la pauvreté étant l’un des facteurs du trafic d’espèces sauvages, il faut fournir d’autres moyens de subsistance et proposer d’autres activités génératrices de revenus.

La sensibilisation du public apparaît comme la carte à jouer pour l’avenir puisqu’il occupe une position stratégique, étant à la fois le destinataire du commerce et la victime du fait qu’il en subit les conséquences. Porter ce problème à l’attention du public permettrait de réduire la demande et donc d’affaiblir de manière générale le trafic.

Outre le public, l’ONU a également un rôle à jouer. On a évoqué son rôle notamment par l’intermédiaire du PNUE, qui s’est intéressé à la question du commerce illégal d’espèces sauvages lors de son assemblée à Nairobi. L’assemblée a rédigé un rapport faisant état de la situation inquiétante du commerce illégal d’espèces sauvages et de la nécessité de prendre des mesures concrètes (PNUE, 2014).

Mais ce n’est pas le seul angle d’attaque pour l’ONU. En effet, celle-ci agit également par l’intermédiaire de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), qui a mis en place un programme sur quatre ans, le Programme global continu de l’ONUDC à propos du crime contre les espèces sauvages et du délit forestier (Global Programme for Combating Wildlife and Forest Crime) qui vise à relier tous les efforts déployés sur le plan régional pour en faire un système mondial. L’ONUDC joue un rôle de plus en plus important, notamment en pourvoyant une assistance technique aux États membres afin de les aider à prévenir, enquêter, poursuivre et juger les crimes perpétrés contre des espèces protégées (UNODC, 2016). En 2007, la Commission pour la prévention du crime et la justice pénale a adopté la Résolution 16/1, intitulée : « Coopération internationale pour la prévention et la lutte contre le trafic illicite international de produits forestiers, tels que le bois, la faune et la flore et autres ressources biologiques forestières », dans laquelle elle a reconnu le rôle potentiel de l’ONUDC dans la prévention et la lutte contre ces crimes.

Plus récemment, l’ONU s’est investie de manière importante dans le combat contre le commerce illicite des espèces sauvages en adoptant une résolution le 15 juillet 2015. Cette résolution demande aux États de prendre des mesures sur le plan national et régional dans le but d’éradiquer ce commerce. À partir de 2016, le secrétaire général de l’ONU devra présenter un rapport annuel où il sera fait état de l’application de la résolution par les États. Il pourra également formuler des recommandations afin que de nouvelles actions soient entreprises (WWF, 2015). Si elle était réellement suivie par les États, cette résolution devrait rendre la criminalité liée aux espèces sauvages beaucoup moins attrayante et donc conduire à une réduction significative de ce fléau. Elle constituerait donc une avancée majeure en la matière.

L’ONU, par cette résolution, a donc rappelé l’importance d’une action régionale. Et sur ce plan, plusieurs actions ont déjà été prises pour lutter contre l’exploitation illégale des ressources naturelles qui est directement liée au trafic d’espèces sauvages.

b. Sur le plan régional

L’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE), lors de la 33e Conférence des parties en 2004, a déclaré son intention de neutraliser le commerce illégal d’espèces sauvages (Lin, 2005). Elle a énoncé le désir de mettre en oeuvre une action coordonnée en matière de répression criminelle. L’Asie constitue 25 % du commerce illégal d’espèces sauvages, notamment en raison de la forte demande pour les espèces exotiques. Cette déclaration est importante dans la mesure où elle constitue un programme pour la coopération régionale.

De son côté, l’Union européenne a également entrepris des actions efficaces afin de lutter contre ce trafic. Comptant 500 millions d’habitants, l’Union européenne représente environ un tiers du marché mondial des spécimens CITES (Ministère du Développement durable, 2015). D’un point de vue général, la Directive 2008/99/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008 relative à la protection de l’environnement par le droit pénal prévoit que les sanctions pénales doivent être effectives, proportionnées et dissuasives. Les États membres doivent notamment prévoir la responsabilité des personnes morales. Cette directive interdit explicitement « la mise à mort, la destruction, la possession, la capture ou le commerce illicites d’espèces animales et végétales protégées » (Article 3, Direction 2008/99/CE).

Par ailleurs, sur un sujet plus spécifique, la Commission européenne a publié en mai 2003 son plan d’action FLEGT qui vise à lutter contre l’exploitation illégale du bois, notamment en mettant en place les Accords de partenariat volontaires (APV). Ces derniers sont des accords bilatéraux signés entre l’UE et les pays exportateurs de bois qui visent à garantir que le bois provient de sources légales (Gouvernement français, 2015).

Mais c’est plus récemment, le 30 janvier 2014, qu’un appel a été lancé au Parlement européen pour la création de la Cour pénale internationale de l’environnement et de la santé et du Tribunal pénal environnemental européen (Charte de Bruxelles, 2014). Remettre à une juridiction spécialisée le soin de régler les crimes environnementaux est une proposition récurrente. Elle permettrait de régler un grand nombre d’affaires, car dévouée à des crimes bien particuliers, mais également d’appliquer des peines adaptées. Toutefois, afin d’offrir les garanties d’un procès équitable, un renforcement de la coopération judiciaire serait nécessaire (Manirabona, 2014), ce qui semble plutôt difficile à mettre en oeuvre pour le moment.

Il semble néanmoins que les États soient conscients de ce problème. En effet, à titre d’exemple, l’Accord de partenariat transpacifique a été conclu le 5 octobre 2015 entre douze États (États-Unis, Australie, Brunei, Canada, Chili, Japon, Malaisie, Mexique, Nouvelle-Zélande, Pérou, Singapour et Vietnam), dans lequel les États instaurent, entre autres, des obligations exécutoires demandant à tous les partenaires de l’Accord de mettre en oeuvre les obligations CITES (CITES, 2015). Cet accord est une avancée énorme si l’on considère qu’il englobe 40 % de l’économie mondiale (RT en français, 2015).

Le commerce illégal d’espèces sauvages est donc un problème transnational qui appelle à des actions internationales, mais il est également nécessaire d’avoir des actions régionales pour répondre à des problèmes propres à chaque région.

Toutes ces actions constituent des avancées dans la lutte du commerce illégal d’espèces sauvages, mais d’autres solutions sont également à envisager.

III. Une répression locale pour amorcer le processus de répression globale

Il apparaît évident qu’en raison de sa nature même, le trafic illégal d’espèces sauvages appelle à une coopération internationale. Or, cette coopération n’est pas toujours facile à mettre en oeuvre en raison notamment du grand nombre d’États et de la disparité entre les États importateurs et les États exportateurs d’espèces sauvages. Il semble judicieux en premier lieu que les États prennent des actions concrètes sur le plan interne. En effet, nombreux sont les États qui ferment les yeux sur le commerce illégal des espèces sauvages alors qu’ils pourraient mettre en oeuvre des mesures efficaces et ainsi faire avancer les choses.

Tout d’abord, il est primordial que les États reconnaissent l’importance de la lutte contre le commerce illégal des espèces sauvages, c’est-à-dire qu’ils arrêtent de nier les conséquences d’un tel crime et qu’ils le considèrent au même niveau que d’autres trafics. Ainsi, une répression similaire à celle qui est mise en oeuvre en matière de stupéfiants pourrait constituer un début satisfaisant (Zimmerman, 2003). Il faut que soient mises en place des sanctions appropriées et plus sévères afin que celles-ci constituent réellement une arme dissuasive.

Afin d’être dissuasive, une sanction doit être à la hauteur du crime commis. Aucun profit ne doit être tiré de la commission d’un crime. En effet, mis à part l’effet dissuasif de la certitude de la sanction qui ne peut être contesté, des travaux ont démontré l’effet dissuasif de la sévérité de la sanction (Bébin, 2009). Ainsi, dans une certaine mesure, plus les sanctions sont sévères, plus la criminalité diminue. Or, pour le commerce illégal des espèces sauvages et les crimes environnementaux de manière générale, on est bien loin de respecter ces conditions. Les sanctions mises en oeuvre sont dérisoires et ne contrebalancent pas les atteintes faites à l’environnement. Par exemple, en France, un taxidermiste qui détenait plus d’une centaine d’oiseaux morts dans son congélateur n’a été condamné qu’à 3 mois d’emprisonnement avec sursis et à une amende douanière de 6 700 € (LPO, 2014). Il faut remédier à cette situation avec des mesures et des sanctions efficaces. Par exemple, la mise en place d’une unité spécialisée dans les crimes environnementaux permettrait aux citoyens de pouvoir communiquer facilement avec les forces étatiques pour dénoncer des agissements illégaux et ainsi prendre des actions plus rapidement.

Il faut penser à la sanction, mais il faut également intervenir en amont en informant les citoyens des risques encourus et permettre ainsi de faire évoluer les mentalités. On pourrait attendre des acheteurs qu’ils soient davantage informés sur l’illicéité du commerce de certaines espèces sauvages et espérer qu’ils prêteront une meilleure attention à l’origine des espèces qu’ils achètent. Trop de personnes ignorent encore que le commerce d’ivoire est interdit et continuent à s’en procurer. L’information peut passer notamment par les agences de voyages qui organisent des tours dans les pays les plus touchés par le trafic d’espèces sauvages.

Dans le même ordre d’idée, la CITES, en mars 2013, a répertorié les huit pays suivants (Kenya, Tanzanie, Ouganda, Chine, Malaisie, Philippines, Thaïlande et Vietnam) comme étant les plus fortement impliqués dans la chaîne du commerce illégal de l’ivoire. La CITES a alors demandé à ces États d’élaborer et de mettre en oeuvre des plans d’action nationaux pour lutter comme le commerce d’ivoire (CITES, 2014). La CITES est également d’avis que des actions localisées permettent de cibler de manière plus juste le problème et d’y répondre avec des méthodes appropriées.

Cette méthode d’une action locale a déjà fait ses preuves, entre autres au Népal. Comme l’a indiqué Elisabeth McLellan, responsable internationale de l’Initiative contre la criminalité liée aux espèces sauvages au Fonds mondial pour la nature : « Le Népal a déjà prouvé que cette approche globale fonctionnait, puisqu’aucun cas de braconnage de rhinocéros n’a été relevé dans le pays depuis 2011, et ce, grâce à la combinaison d’une volonté politique au plus haut niveau, de gardes dévoués et à une véritable participation communautaire » (WWF, 2015). C’est donc une solution à privilégier.

Mais pour agir au mieux, il conviendrait de se concentrer sur les États les plus aptes à mettre en place une répression efficace. À ce titre, certains États, comme les États-Unis, ont déjà essayé de mettre en oeuvre des politiques afin de réduire la demande des produits issus du trafic illégal d’espèces sauvages. En effet, au lieu de mener des actions dans les pays exportateurs d’espèces sauvages qui sont souvent des pays en développement et qui ne disposent donc pas de l’arsenal juridique pour sanctionner les criminels, il semble judicieux de se centrer davantage sur les pays importateurs d’espèces sauvages, c’est-à-dire majoritairement les pays développés. En supprimant la demande, l’offre réduit automatiquement.

Pour donner un exemple, l’Afrique du Sud, en réponse à la chasse « en boîte », avait adopté une loi en 2007 qui prévoyait que les animaux sauvages vivent libres pendant deux ans avant d’être chassés. La loi interdisait également l’utilisation de tranquillisants avant la chasse (Fusi, 2014). Toutefois, cette loi a été annulée par la Cour suprême locale et le nombre de chasses ne fait que grimper. L’adoption de cette loi constituait une avancée importante pour ce type de commerce, mais la mise en oeuvre n’a malheureusement jamais abouti.

Comme certaines associations l’ont souligné, une solution pour mettre fin à ce type de chasse serait d’interdire l’importation des trophées d’animaux sauvages dans l’Union européenne et en Amérique du Nord (Fusi, 2014). Sans ces trophées, ce type de chasse perdrait tout son intérêt et cela permettrait de réduire considérablement cette pratique.

Certains États peuvent difficilement prendre des mesures efficaces ou font face à des difficultés quant à leur mise en oeuvre. En se concentrant sur les États plus à même de prendre ce genre de mesures, leurs actions concrètes permettront de lancer le processus et d’emmener les autres États dans leur rouage. À ce titre, des manifestations se sont tenues en mars 2014 afin de protester contre ces pratiques et d’informer le public des conséquences inquiétantes sur la population des fauves en Afrique qui continue de diminuer (Fusi, 2014).

La coopération internationale est bien évidemment essentielle, car il s’agit d’un problème transnational. À ce titre, la CITES remplit parfaitement son rôle en posant les bases et des objectifs communs. Toutefois, des actions ciblées dans chaque État concerné apparaissent également comme une solution supplémentaire à considérer.

Conclusion

Le commerce illégal d’espèces sauvages apparaît comme un problème transnational qui ne doit pas être relégué au rang de problème de second ordre. En effet, ce commerce fait partie d’un système beaucoup plus vaste contrôlé par des groupes organisés de criminels. Bien que vu essentiellement comme un problème d’ordre environnemental, ce qui lui vaut une attention moindre de la part des différents gouvernements, le commerce illicite d’espèces sauvages a des conséquences inquiétantes. Des conséquences non seulement environnementales, puisqu’il porte atteinte de manière grandissante à la biodiversité, mais également politiques et économiques puisqu’il permet le financement des conflits armés, comme le montre l’exemple de la RDC et qui affecte directement le bien-être des populations locales.

Progressivement, ce problème commence à être pris au sérieux par la communauté internationale et les actions se multiplient. À ce titre, nous avons vu que la CITES constitue la pierre angulaire dans le cadre de cette lutte. L’ONU y tient également un rôle croissant avec l’adoption notamment de sa résolution historique en juillet 2015. Les ONG, en sensibilisant non seulement le public, mais surtout les États, ont permis de sortir peu à peu ce problème de l’ombre. De plus en plus de mesures régionales ou nationales sont prises. Mais devant un problème transnational, seule une action globalisée semblerait adéquate pour endiguer le phénomène. C’est pourquoi certains ont même émis l’idée de créer une juridiction supranationale qui serait compétente pour juger tous les auteurs des crimes environnementaux. Cette solution permettrait de contourner les problèmes des faiblesses de législations ou de corruption.

Mise à part la coopération internationale, il faut également que les États prennent des actions concrètes sur leur territoire. Multiplier les actions locales facilitera la mise en place d’une action globale qui n’en sera que plus efficace. Les États ne faisant pas face aux mêmes problèmes, il faut différencier les États importateurs d’espèces sauvages des États exportateurs. Mais il faut également faire la différence entre les États qui sont en conflits armés et ceux qui ne le sont pas. Chaque État se trouve dans une situation unique qui ne peut être réglée que par des solutions adaptées.

De manière générale, les États doivent renforcer leur législation et assurer des sanctions plus dissuasives, mais surtout accepter de coopérer avec les autres États. Des actions doivent être prises dès maintenant avant que certaines espèces, comme les éléphants ou les rhinocéros, ne disparaissent définitivement de la surface de la Terre et que les dommages soient irréparables.