Corps de l’article

Introduction

Les analyses de citations permettent de mesurer les influences intellectuelles qui marquent une discipline, un champ de recherche ou une revue scientifique (Garfield, 1973 ; Price, 1965). En criminologie, plusieurs analyses de citations ont été réalisées au cours des 25 dernières années (Cohn, 2011 ; Cohn et Farrington, 1998, 1999, 2007, 2012 ; Nadeau, Mongeon et Larivière, 2018). Ces analyses ont relevé les auteurs et les travaux les plus fréquemment cités dans les grandes revues américaines de criminologie « traditionnelle[2] ». Or, comme l’ont démontré plusieurs auteurs (Cohn et Farrington, 1999, 2007 ; Cohn et Iratzoqui, 2016), ces résultats peuvent difficilement être généralisés aux revues non américaines ou qui couvrent par exemple des thématiques plus spécialisées. Comme les études analysant les revues internationales (non américaines) ont porté sur des revues anglophones et plus souvent européennes, il apparaît pertinent de faire l’exercice pour une revue francophone, qui produit de surcroît un contenu spécialisé (des numéros thématiques), mais diversifié (des changements dans les thématiques abordées et une section hors thème). De plus, le 50e anniversaire de Criminologie est l’occasion idéale pour réfléchir aux sources d’influence des personnes qui produisent, année après année, le contenu de notre revue. L’objectif de cet article est donc de décrire les influences intellectuelles de Criminologie pour mieux connaître les auteurs et les travaux qui sont la source des nouveaux savoirs qu’elle produit.

Cet article est divisé en quatre sections. La première présente la littérature relative aux analyses de citations et met en lumière la difficulté de généraliser les résultats aux revues internationales ou plus spécialisées. La deuxième section présente la méthodologie de cet article qui mise sur une analyse des références faites par les articles publiés dans la revue Criminologie. Une approche quantitative est ensuite utilisée pour présenter les auteurs et les revues les plus cités dans Criminologie ainsi que la place des différentes disciplines qui ont influencé ses publications. La conclusion situe enfin les résultats de cet article dans le contexte plus large de la criminologie et des analyses de citations.

Les études sur les citations

La combinaison de tous les articles, livres et autres travaux scientifiques reflète l’état actuel des connaissances d’une discipline. Les nouveaux travaux s’appuient sur des documents plus anciens, et des traces de ces usages sont visibles à travers les références citées. Celles-ci servent ainsi d’indicateurs des informations, idées ou approches qui y ont été intégrées. Les auteurs citent les documents qu’ils considèrent comme importants dans le développement de leurs propres travaux. Les citations sont devenues, au cours des dernières décennies, des objets de recherche à part entière en sciences de l’information et en sociologie des sciences par l’analyse « des patrons et des fréquences de citations, tant faites que reçues » (Hu, Rousseau et Chen, 2011, p. 1). L’analyse de citations est devenue une technique largement acceptée aujourd’hui pour mesurer le prestige et l’influence d’un ou de plusieurs chercheurs (Gingras, 2010, 2013).

En criminologie, on trouve principalement deux types d’études qui font l’analyse des citations. Le premier, qui comprend la majorité des études, cherche à relever les auteurs et les travaux les plus cités. Les publications les plus citées sont généralement celles qui exercent une plus grande influence sur la discipline (Ramos-Rodriguez et Ruiz-Navarro, 2004). Plusieurs études ont montré que le nombre de citations reçues est corrélé au prestige universitaire, comme l’attribution d’un prix Nobel (Cole et Cole, 1971), ou à un salaire plus élevé (Diamond Jr, 1986), mais aussi au prestige et à la visibilité de la revue où paraissent les travaux (Larivière et Gingras, 2010) et au nombre de coauteurs de l’article cité (Beaver, 2004). Parmi les plus populaires, on retrouve les travaux de Cohn et Farrington (1994, 1996, 1998, 2012), qui présentent les auteurs et les travaux les plus cités dans une ou plusieurs revues de criminologie et de justice criminelle[3], ainsi que l’évolution des tendances dans le temps (Cohn, 2011 ; Cohn et Farrington, 1998, 2007). Ces travaux et bien d’autres décrivent la place importante qu’occupe un petit nombre d’auteurs et publications. Wolfgang, Figlio et Thornberry (1978), par exemple, arrivent à la conclusion qu’une majorité de publications criminologiques (soit 57 %) n’ont jamais été citées dans les contenus qu’ils analysent (les références de plus de 3690 publications). En revanche, ils trouvent qu’un très petit nombre de travaux reçoivent une grande part des citations ; 82 documents (soit 2,2 % du corpus) comptent en effet pour la moitié des citations et les 17 documents les plus cités (0,5 %) comptent pour le quart des citations. Bien qu’une certaine dispersion des citations en sciences sociales ait été observée depuis la publication de cette étude (voir Larivière, Gingras et Archambault, 2009[4]), des résultats de Cohn et Farrington laissent entendre que la concentration des citations peut être assez élevée au sein de certaines revues. Si, par exemple, les citations de Robert J. Sampson comptent pour 1,5 % de l’ensemble des citations des 20 revues analysées, cet auteur est cité dans 56 % des articles parus dans Criminology (Cohn et Farrington, 2012). Les travaux de David Garland sont cités dans 29 % des articles du British Journal of Criminology (Cohn et Izatzoqui, 2016). Bien qu’ils trouvent une certaine concordance dans la liste des auteurs selon les revues analysées (Cohn et Farrington, 2012), certains résultats montrent des différences importantes pour les revues internationales qui semblent laisser davantage de place aux auteurs non américains et travaillant sur une plus grande variété de sujets (voir par exemple la comparaison de Cohn et Iratzoqui [2016] de cinq revues internationales).

Le deuxième type d’études analyse les citations reçues par les revues scientifiques, ce qui permet d’évaluer l’influence relative des différentes revues. Déjà dans les années 1930 (voir la Bradford’s Law en 1934[5]) et dans les années 1980 (Poole et Regoli, 1981 ; Stack, 1987), les études portant sur les revues scientifiques trouvaient, comme pour les analyses des auteurs les plus cités, qu’un petit nombre de revues recevait la majorité des citations. Ce type d’études est devenu plus populaire depuis les années 2000 avec le développement de différentes mesures, comme le facteur d’impact, qui visent à documenter le prestige ou l’influence relative des revues scientifiques (voir également Jennings, Higgins et Khey, 2009 ; Sorensen, 2009 ; Walters, 2006).

Bien que bon nombre d’analyses de citations se concentrent sur des palmarès d’auteurs ou de revues, Cohn et Farrington (2012) soulignent certaines nuances possibles dans ces types d’analyse. Ils rappellent notamment l’importance de distinguer la fréquence de la prévalence des citations. En effet, un nombre élevé de citations peut indiquer qu’un auteur a été cité peu de fois dans plusieurs articles (une plus forte prévalence) ou qu’il a été cité de nombreuses fois dans un petit nombre d’articles (forte fréquence). Bien qu’une plus forte prévalence de citations soit possiblement une meilleure mesure de l’influence intellectuelle d’un auteur, l’analyse de la fréquence peut aussi indiquer une certaine forme d’influence. Cohn et Farrington (2012) soulignent également la possibilité de distinguer les auteurs influents selon le niveau de diversité des oeuvres qui les rendent influents. Ainsi, certains auteurs, qu’ils qualifient de « spécialistes » sont dans le palmarès des auteurs les plus cités grâce à une ou deux publications qui présentent une contribution majeure et qui est abondamment citée par un grand nombre d’articles. D’autres auteurs en revanche sont qualifiés de « polyvalents », car plusieurs de leurs publications (généralement des articles, plutôt que des livres) sont citées et aucune publication ne ressort réellement du lot. Logiquement, une plus grande fréquence des citations par article est associée à la polyvalence, puisque pour qu’un chercheur soit fréquemment cité dans un petit nombre d’articles, il doit nécessairement avoir différents travaux cités (Cohn et Farrington, 2012). Selon la même logique, une plus forte prévalence irait généralement de pair avec la spécialisation puisque les mêmes travaux vont être cités dans différents articles. Néanmoins, une plus grande prévalence peut également être associée à la polyvalence si, au final, plusieurs oeuvres d’un même auteur sont citées dans différents articles. Leurs analyses laissent entendre que la forte majorité des auteurs les plus cités, soit 8 sur 10, sont polyvalents et sont ainsi cités pour un grand nombre de publications (Cohn et Farrington, 2012).

Bien que reconnues comme importantes, les analyses de citations font l’objet de nombreuses critiques (MacRoberts et MacRoberts, 2017). Telep (2009) leur reproche premièrement de ne pas distinguer les citations négatives des citations positives, rendant impossible la discussion sur l’acceptation et la critique des travaux cités par les pairs. Des travaux controversés peuvent ainsi être cités, sans pour autant être considérés comme étant de grande qualité. Bien que Cole et Cole (1971) et Catalini, Lacetera et Oettl (2015) aient montré que la majorité des citations sont positives, le fait de ne pas différencier les citations positives des citations négatives dans la majorité des analyses de citations demeure une limite. Certains auteurs travaillent par ailleurs sur des thématiques moins populaires qui mèneront forcément à moins de citations en raison du petit nombre de chercheurs pouvant théoriquement être influencés par une recherche (Telep, 2009). Les travaux sur les auteurs les plus cités montrent d’ailleurs que ces auteurs influents travaillent fréquemment sur les carrières criminelles ou sur la criminologie développementale (Cohn et Farrington, 2012), soit des domaines plus traditionnels de la criminologie. Wright (2000) cite par ailleurs les travaux d’Allen (1983) et Green (1997) qui soulignent que les citations peuvent être contrôlées par les éditeurs en chef de la publication des revues ou les évaluateurs des articles. Ceux-ci peuvent demander aux auteurs de favoriser certaines revues ou auteurs qui sont déjà largement reconnus dans le domaine (voir également Martin, 2013).

Pour répondre à la critique voulant que certains champs de recherche soient possiblement moins représentés dans les analyses des revues plus traditionnelles de la criminologie, Richard Wright et ses collègues ont entrepris plusieurs recherches pour cibler les influences intellectuelles de différentes thématiques de recherche ou de différents paradigmes. Ils analysent notamment : la criminalité des femmes (Wright et Sheridan, 1997), la criminalité économique (Wright, Bryant et Miller, 2001), la police (Wright et Miller, 1998), les peines (Wright et Miller, 1999), la criminologie théorique (Wright et Rourke, 1999) et la criminologie critique (Wright et Friedrichs, 1998 ; Wright, Miller et Gallagher, 2000). Ces études arrivent toutes aux mêmes quatre conclusions. Premièrement, il importe d’étudier autant la fréquence que la prévalence des citations. Les deux mesures, bien que moyennement corrélées, identifient des auteurs différents et mettre l’accent sur l’une ou l’autre des mesures crée un biais dans les analyses. Deuxièmement, plusieurs auteurs ne sont reconnus que pour une seule publication qui devient l’oeuvre de leur vie. Troisièmement, les analyses de citations des revues de criminologie plus traditionnelles auraient tendance à surévaluer l’importance des auteurs américains qui publient des textes d’intérêt général en criminologie (ex. : les études sur les carrières criminelles de violence). Finalement, Wright et ses collègues soulignent l’importance de s’intéresser aux travaux plus spécialisés en criminologie pour diffuser les connaissances qu’ils ont générées et pour faire connaître des auteurs importants, mais méconnus.

Problématique

Les travaux sur les citations en criminologie ont généralement comme objectif de dresser un palmarès des auteurs, documents ou revues qui ont été les plus cités dans la discipline en général ou dans un champ de recherche particulier et de vérifier si ces palmarès varient selon les époques. Plusieurs chercheurs (Maliniak, Powers et Walter, 2013 ; Telep, 2009 ; Wright, 2000) ont soulevé les limites méthodologiques des analyses de citations ainsi que le besoin de s’intéresser aux auteurs et aux revues qui ne font pas partie de la criminologie traditionnelle américaine. Bien que certaines recherches aient été entreprises en ce sens, telles que l’étude de Cohn et Iratzoqui (2016), qui s’intéresse à des revues internationales anglophones (Australie, Angleterre, Canada et Europe), on ne trouve encore à ce jour aucune recherche sur la criminologie francophone. La célébration du 50e anniversaire de la revue Criminologie apporte un intérêt additionnel pour mieux comprendre les sources d’influence de la revue au cours des dernières années.

L’objectif de cet article est de décrire les influences intellectuelles de Criminologie et de voir si les influences les plus importantes varient selon certaines traditions ou spécialisations de la criminologie. Ainsi, les références faites par les articles publiés dans la revue au cours des 40 dernières années seront analysées de manière à dégager l’influence qu’elles ont pu avoir sur les auteurs de la revue. Trois séries d’indicateurs seront utilisées pour décrire les sources d’influences de la revue. D’abord, en s’appuyant sur les analyses de citations précédentes, les auteurs et les revues les plus cités seront analysés. Un indicateur moins utilisé dans les recherches passées, la discipline de recherche des revues citées, sera aussi considéré. Dans cet article, il sera donc question de présenter les différentes sources d’influence, mais surtout de vérifier si ces dernières se structurent différemment selon les caractéristiques des auteurs et des articles qui les citent. Les caractéristiques étudiées sont les époques (1976-1985, 1986-1995, 1996-2005 et 2006-2015), le type de recherche présenté (article non empirique, méthodologie quantitative, méthodologie qualitative), le statut des auteurs (professeur, chercheur, étudiant), leur provenance géographique (Canadiens, non-Canadiens) et finalement les thématiques des articles (crime, criminel, processus de criminalisation primaire, sécurité/police, tribunaux, prison, jeunes, victimes, femmes et intervention). On peut donc analyser comment certains auteurs sont associés à des champs de spécialisation particuliers au sein de la revue.

Méthodologie

Source des données

La période couverte par les analyses s’étend de 1976 à 2015. Deux transformations majeures ont grandement modifié le portrait de la revue en 1976, justifiant le choix de ne pas inclure les articles plus anciens dans l’échantillon. En 1976, la revue est tout d’abord passée à une structure thématique, avec un thème spécifique pour chaque numéro. Cette nouvelle forme limitera nécessairement la diversification des documents cités dans chaque numéro. La revue a en parallèle uniformisé ses articles en les limitant à une vingtaine de pages. Les articles des années précédentes pouvaient compter jusqu’à une centaine de pages et les analyser aurait donc possiblement biaisé les résultats. Étant donné que l’année 2015 représente la dernière année complète de publication de la revue au moment de l’extraction des données pour cet article, l’échantillonnage s’arrête donc en 2015.

De 1976 à 2015, Criminologie a publié un total de 811 documents, composés majoritairement d’articles originaux, mais aussi d’éditoriaux, de témoignages, d’entrevues, etc. De ces 811 textes, 246 (30 %) n’ont pu être analysés, car ils ne présentaient pas de liste de références à la fin du document, soit parce qu’ils ne citaient aucune référence, soit parce qu’ils citaient des références en note de bas de page[6]. Puis, 68 autres documents ont par la suite été exclus, ne correspondant pas aux critères d’un article scientifique[7]. Au final, l’analyse porte sur les références faites par 504 articles scientifiques parus dans la revue. Une première extraction a permis de colliger automatiquement les références d’un grand nombre de ces articles au moyen de la plateforme Érudit, qui héberge le contenu électronique de la revue. Les références des articles qui ne figureraient pas dans cette première liste d’extraction ont ensuite été extraites manuellement. La liste contient 19 813 documents cités. La sous-section suivante présente les caractéristiques extraites des articles cités (n = 19 813) et des articles de la revue Criminologie (n = 504).

Caractéristiques des documents cités

Une extraction automatisée a permis d’isoler pour chaque article cité le nom de son premier auteur[8] et l’année de sa publication. Une codification manuelle a ensuite permis de classer les documents cités en fonction de leur format (article scientifique, monographie, chapitre de livre, mémoire, thèse et autres types de document comme un acte de colloque, un rapport de recherche, une loi). Pour les articles cités, le nom de la revue ayant publié l’article a été codifié manuellement. Une discipline (criminologie, psychologie, sociologie, droit, travail social et autres) a ensuite été associée à chacune de ces revues à partir de la classification de la National Science Foundation (NSF). Soixante-quatorze pour cent des revues ont pu être classifiées dans une discipline à partir de cette liste. Une codification manuelle basée sur le titre des revues a ensuite permis d’attribuer une discipline à certaines revues (majoritairement des revues francophones non indexées dans la NSF) lorsque l’appartenance disciplinaire était évidente (par exemple, Sociologies et sociétés). Pour 11 % des articles scientifiques, un doute était soulevé et aucune discipline n’a été attribuée.

Caractéristiques des articles de la revue Criminologie

Une base de données contenant chaque article de Criminologie a été créée à partir des champs balisés sur la plateforme Érudit qui héberge les archives électroniques : année de publication, volume, numéro, titre du numéro, nom du responsable de numéro, titre de l’article, résumé, nom et affiliation des auteurs.

Pour chaque article, le nom et l’affiliation du premier auteur ont été utilisés pour déterminer son origine. Comme la majorité des auteurs sont canadiens (80 %), deux catégories ont été créées : les auteurs canadiens et les auteurs non canadiens. Le statut du premier auteur a aussi pu être extrait des articles. Ce statut est regroupé en quatre catégories : a) professeur ; b) étudiant (candidat à la maîtrise, au doctorat et stagiaire postdoctoral) ; c) chercheur ; et d) autres (par exemple avocat, psychologue, criminologue). Les résumés et le corps des textes ont aussi permis de qualifier les articles publiés dans Criminologie de deux manières. La méthodologie de l’article a tout d’abord été caractérisée selon une typologie de trois groupes : a) non empirique (ne présentant pas de données empiriques, donc soit une réflexion théorique ou une recension des écrits) ; b) quantitatif ; et c) qualitatif. Les thématiques des articles ont également été caractérisées à la suite d’une recherche sur Érudit (voir le Tableau 1 en introduction de ce numéro pour la liste des mots clés de chaque thématique). Chaque texte a été consulté de manière individuelle (titre, résumé et corps du texte au besoin) pour valider l’identification des thématiques. En tout, dix thématiques ont été relevées : crime, criminel, sécurité/police, criminalisation primaire, tribunaux, prison, jeunes, victimes, femmes et intervention.

Stratégie d’analyse

Pour l’ensemble des références répertoriées dans Criminologie, les auteurs et les revues les plus cités ont été sélectionnés. Des tableaux croisés sont présentés de manière à décrire comment ces sources d’influences se structurent autour des caractéristiques des articles qui les citent. Chacune de ces caractéristiques est donc croisée avec la liste des auteurs (Tableau 1) et des revues (Tableau 3) les plus influents et les résultats les plus structurants sont discutés. La catégorie « autres » types d’auteurs et les quelques études mixtes ont été retirées des tableaux croisés, car leur faible effectif ne permettait pas de croisement avec les autres variables.

Pour les références à des disciplines, les données ont été agrégées au niveau des articles. Cela permet de vérifier à quel point les références à la criminologie, à la psychologie, à la sociologie et au droit varient en fonction des caractéristiques des articles. L’unité d’analyse n’est plus la référence (n = 19 813), mais l’article citant (n = 504). Des tests de moyennes comparent la proportion de références à chacune de ces disciplines pour chacune des caractéristiques des articles (p. ex. : quantitatif vs qualitatif). Les moyennes qui se distinguent statistiquement de la tendance générale sont signalées dans le tableau et discutées.

Résultats

Les auteurs les plus cités

Les articles de la revue Criminologie citent un total de 18 804 articles ainsi que 9153 premiers auteurs différents. Le tiers de ces auteurs ne reçoit qu’une seule citation au cours de la période à l’étude et plus de la moitié (55 %) n’est citée que trois fois ou moins. Le Tableau 1 présente les neuf auteurs qui se distinguent par leur grand nombre de citations (plus de 40[9]). Les trois premières lignes présentent le nombre de citations reçues pour chacun de ces auteurs (excluant les autocitations) et le nombre d’auteurs ou d’articles différents qui ont cité ces auteurs marquants. Les autres lignes du tableau présentent la distribution des auteurs influents en fonction des caractéristiques des articles qui les citent. Par exemple, on constate que 22 % des citations à Marc Le Blanc proviennent de travaux non empiriques, 3 % de recherches qualitatives et 75 % de recherches quantitatives. Ces distributions peuvent être comparées à celles des autres auteurs influents ou encore à l’ensemble des auteurs cités dans la revue Criminologie (dernière colonne). Pour les différentes thématiques de recherche, le total des lignes dépasse 100 % parce que 30 % des articles portaient sur plus d’une thématique. Chaque ligne de thématique de recherche indique donc, pour chaque auteur, la proportion des articles qui l’ont cité qui portait sur cette thématique. Dans le cas de Marc Le Blanc, par exemple, 68 % des articles le citant portaient sur les jeunes.

Quatre auteurs influents ont été des professeurs qui ont marqué la criminologie québécoise francophone et qui, à une époque de leur carrière, ont été très impliqués à l’École de criminologie. Ils marquent chacun des champs disciplinaires assez distincts. En effet, les travaux de Marc Le Blanc ont plus particulièrement inspiré les auteurs des articles parus entre 1996-2005 (près de la moitié de ses citations) qui travaillent avec des méthodes quantitatives (75 % de ces citations alors que les articles quantitatifs ne représentent que 31 % du corpus général) et dont les recherches portent sur les jeunes et la délinquance (95 % de ces citations, soit respectivement 68 % et 26 %). Contrairement à plusieurs de ces auteurs plus influents, Le Blanc est cité en bonne partie (près du tiers de ses citations) pour des textes autres que des articles et des livres. On trouve notamment un certain nombre de ces citations qui réfèrent à des rapports ou encore à des instruments de mesure comme le MASPAQ.

Tableau 1

Distribution des auteurs les plus cités selon les caractéristiques des articles qui les citent

Distribution des auteurs les plus cités selon les caractéristiques des articles qui les citent

Tableau 1 (suite)

Distribution des auteurs les plus cités selon les caractéristiques des articles qui les citent

Les cellules plus foncées du tableau sont celles pour lesquelles le test du Chi-deux s’est avéré significatif (p ≤ 0,05).

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Les trois quarts des citations aux travaux de Maurice Cusson font référence à des livres. Ses oeuvres sont particulièrement citées par ceux qui travaillent sur le crime ou sur les délinquants (26 et 38 % de ces citations) et qui utilisent des méthodes quantitatives (46 % de ces citations). Comme pour tous les auteurs influents, les citations sont présentes sur l’ensemble de la période (1976 à 2015), mais on note pour Cusson une augmentation des citations entre 1996 et 2005.

Les travaux de Pierre Landreville ont été grandement cités au cours de la dernière décennie[10], principalement par des auteurs qui travaillent sur la prison et les tribunaux (respectivement 44 et 27 % de ces citations). Tout comme pour Le Blanc, il est cité pour différents types de travaux et plus du tiers de ses citations portent sur d’autres types de documents que des articles ou des livres, notamment des rapports de recherche sur le système pénal. Contrairement à plusieurs des auteurs les plus influents, il est cité autant par les recherches quantitatives que qualitatives et une importante portion de ses citations (63 %) proviennent de textes non empiriques.

Finalement, les travaux de Jean-Paul Brodeur sont plus fréquemment cités dans les articles sur la police et les tribunaux (respectivement 50 et 31 % de ses citations), mais la distribution des citations est assez similaire à celle des autres auteurs : on n’observe pas de période, de type d’article ou d’auteur qui le citent davantage. La grande contribution de Jean-Paul Brodeur à la criminologie et à la revue a d’ailleurs été soulignée dans le cadre d’un numéro spécial en 2011[11].

On trouve dans le palmarès trois Européens, soit Michel Foucault (France), Philippe Robert (France) et Christian Debuyst (Belgique), qui ont su se créer une place importante dans les influences intellectuelles de la revue Criminologie. L’auteur qui est cité par le plus grand nombre d’auteurs différents (n = 42) et d’articles (n = 45) est Michel Foucault. Bien que Surveiller et Punir soit de loin sa publication qui obtient le plus de citations (n = 26), l’ouvrage ne compte que pour un peu plus du tiers de ses citations. Le même constat s’impose pour tous les auteurs influents, ils peuvent être considérés comme « polyvalents », selon la terminologie de Cohn et Farrington (2012), puisqu’ils sont cités pour différents documents et, comme en témoigne le tableau précédent, ils le sont généralement dans différents champs de recherche. Les trois auteurs européens sont des auteurs qui ont su particulièrement retenir l’attention des auteurs non canadiens (plus de 40 % de leurs citations, soit le double des autres auteurs). Ils sont plus fréquemment cités dans des articles non empiriques (70 % et plus de leurs citations) et Debuyst et Foucault sont particulièrement peu cités dans les articles quantitatifs. Les travaux de Christian Debuyst sont plus fréquemment cités par les auteurs travaillant sur l’intervention ou le processus de criminalisation primaire (respectivement 44 et 29 % de ses citations). Il est l’auteur cité ayant la plus forte fréquence puisque les 52 citations proviennent de seulement 10 auteurs. Il obtient donc une moyenne de cinq citations par auteur alors que les autres auteurs influents ont des moyennes plus proches de deux citations par auteur (voir Cohn et Farrington [2012] pour une distinction entre fréquence et prévalence). Les travaux de Foucault et Robert sont mobilisés dans plusieurs des thématiques, ce qui peut témoigner d’une part de la polyvalence de leurs recherches, mais surtout, on l’imagine, de leur capacité à présenter des conclusions qui sont mobilisables dans plusieurs thématiques relativement différentes.

Seuls deux criminologues anglophones font partie du Tableau 1, soit David Farrington et Richard V. Ericson. Les travaux de Farrington sont cités dans un contexte similaire à ceux de Le Blanc : des études quantitatives portant sur les criminels ou les jeunes (70 % de ses citations, respectivement 38 et 32 %), mais ils rejoignent davantage les auteurs non canadiens (21 % de ses citations comparativement à 13 % pour Le Blanc). Ericson est majoritairement cité pour ses livres (94 % de ses citations) sur la police et les tribunaux (56 % de ses citations, respectivement 39 et 17 %). Il reçoit une part importante de ses citations entre 1986 et 1995.

Dans l’ensemble, l’analyse des auteurs les plus influents permet de dresser certains constats. Premièrement, le profil des auteurs les plus cités se distingue de celui des revues américaines de criminologie traditionnelle (voir Cohn et Farrington, 1999). En effet, aucun des auteurs les plus cités n’est américain et on trouve plutôt un équilibre entre les auteurs canadiens (cinq, dont un provenant du Canada anglais) et européens (quatre auteurs, dont deux Français, un Belge et un Britannique). De plus, bien que l’apport du paradigme de la carrière criminelle soit présent par les citations aux travaux de Le Blanc et Farrington, cet apport est plus limité que ce qui a été observé par Cohn et Farrington (1999). Par contre, comme il a été observé dans la littérature américaine, les auteurs les plus cités sont des auteurs polyvalents (Cohn et Farrington, 2012), car ils sont cités pour différentes oeuvres. Mis à part Foucault, dont une oeuvre se démarque significativement, on ne peut facilement relever pour les autres une ou quelques oeuvres qui seraient responsables d’une part importante de leurs citations.

Deuxièmement, bien que le nombre de citations des neuf plus influents auteurs est significativement plus élevé que les autres, au final, l’ensemble de leurs citations compte pour moins de 5 % de toutes les citations. Ce résultat est passablement différent des études précédentes où une petite partie du corpus comptait pour une part importante des citations (voir notamment Wolfgang et al., 1978). On constate également que Michel Foucault, l’auteur cité dans le plus grand nombre de publications, ne se trouve au final que dans 9 % des articles parus dans la revue. Ce pourcentage est bien en deçà de la place de Robert J. Sampson dans Criminology (56 %) ou de David Garland dans le British Journal of Criminology (29 %). La nature thématique de Criminologie explique probablement une partie de cette différence puisqu’il y a normalement peu de redondance entre les articles produits d’un numéro à l’autre.

Troisièmement, les publications de tous ces auteurs sont largement citées dans deux ou trois thématiques différentes (bien que souvent connexes), ce qui témoigne de la place importante de leurs réflexions ou de leurs résultats dans différents aspects de la criminologie, et ce qui explique aussi sans doute qu’ils se retrouvent dans ce palmarès.

Finalement, il est à noter que les femmes brillent par leur absence dans ce palmarès. Bien que Criminologie ait su leur faire une place importante au cours des dernières années avec des nominations de femmes à la direction de la revue depuis 2005 et un nombre de premières auteures en croissance (voir l’introduction de ce numéro, p. 10), l’auteure qui retient le plus grand nombre de citations (n = 46), Marie-Andrée Bertrand, arrive au 15e rang. Ce résultat va dans le sens de plusieurs des analyses de citations qui relèvent très peu de femmes dans la liste des dix auteurs les plus influents[12].

Les revues les plus citées

Les influences intellectuelles peuvent également être étudiées par l’analyse des revues qui sont citées par les auteurs de Criminologie. En effet, bien qu’il existe un grand nombre de revues scientifiques, certaines d’entre elles se distinguent par leur plus importante présence dans les citations. L’analyse des citations montre que plus de 1500 revues sont citées entre 1 et 223 fois, et le Tableau 2 présente les revues qui ont été citées plus de 50 fois dans les articles de la revue.

Tableau 2

Les revues les plus citées

Les revues les plus citées

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Ces 20 revues comptent au total pour 27 % des références faites par notre échantillon. La revue la plus citée est Criminology. Les trois autres revues les plus citées sont des revues qui produisent du contenu francophone[13] : Criminologie, Déviance et société et la Revue canadienne de criminologie et de justice pénale (qui présente un contenu bilingue). Bien que Criminologie occupe la deuxième place des revues les plus citées, l’autoréférence de la revue est somme tout relativement limitée (214 références sur 19 813, soit 1 %). Si l’on exclut les revues qui produisent un contenu francophone, cette liste contient principalement des revues à haut facteur d’impact selon les données de 2016 de Clivariate Analytics. En effet, selon cet indicateur, chacune de ces revues se situe dans le tiers des revues les plus citées de leur discipline respective. On constate également que les auteurs de Criminologie s’inspirent assez fréquemment des revues d’autres disciplines, telles que la sociologie, la psychologie et le travail social, puisque la moitié de ces revues anglophones ne provient pas de la criminologie. Or, si ces revues sont possiblement marginales en criminologie, elles font partie des revues les plus importantes de leur discipline, tel qu’il est mesuré par leur facteur d’impact.

Le Tableau 3 présente la distribution des revues selon les caractéristiques des articles qui les citent. Bien que certaines revues se soient particulièrement démarquées dans certaines décennies, l’intérêt pour les revues du Tableau 3 est présent tout au long de la période observée, sauf pour Child Abuse & Neglect dont l’intérêt est plus récent, mais surtout circonscrit à un numéro spécial paru en 2014 sur la polyvictimisation des jeunes, qui est responsable de 60 % des citations à cette revue. Cinq revues sont davantage citées par des articles non empiriques (Crime & Delinquency, British Journal of Criminology, Revue canadienne de criminologie et de justice pénale, Criminologie et Déviance etsociété). Deux revues se distinguent particulièrement dans les articles quantitatifs (Child Abuse & Neglect et Criminology), même si l’ensemble de ces revues est cité par des articles des trois méthodologies de recherche. Les professeurs ont plus souvent tendance à se référer à ces grandes revues « classiques » que les autres auteurs. En effet, les revues les plus citées le sont plus fréquemment par des professeurs (généralement plus de 60 % contre 50 % pour les autres revues). Les étudiants connaissent très peu le British Journal of Criminology et Déviance et société. Les deux revues canadiennes (Criminologie et Revue canadienne de criminologie et de justice pénale) sont plus fréquemment citées par des Canadiens (plus de 90 % des citations vs 80 % pour les autres revues) et Criminologie est citée par des auteurs non canadiens dans seulement 8 % de ces citations (vs 19 % pour les autres revues). En revanche, Déviance et société est plus fréquemment citée par des non-Canadiens (40 % des références vs 19 % pour les autres articles). Finalement, mis à part Child & Neglect et American Sociological Review, qui semblent des revues plus nichées dans une ou deux thématiques (respectivement jeunes/victimes et crime/délinquant), ces revues influentes ont sans doute réussi à se bâtir une place importante dans Criminologie parce qu’elles ont su intéresser des auteurs aux thématiques de recherches assez différentes.

L’importance relative des disciplines

Parmi les revues les plus citées, on voit que la moitié d’entre elles (n = 10) sont définies comme des revues de criminologie. Lorsque nous analysons l’ensemble des 7310 références faites à un article publié dans une revue à laquelle on a pu attribuer une discipline, nous remarquons la place prépondérante occupée par la psychologie. En effet, le Tableau 4 indique que le nombre total de références à la criminologie et à la psychologie sont très similaires (respectivement 31 et 26 % des citations à des revues). Ces pourcentages sont très similaires à ce qui est observé pour les revues anglo-américaines (voir l’article de Nadeau et al., dans le présent numéro, p. 17-54).

Par contre, lorsque nous agrégeons l’information au niveau des articles de la revue Criminologie et que nous observons le nombre ou la proportion de références à la criminologie, nous constatons que la psychologie perd considérablement de son importance devant la criminologie. En effet, si 80 % des articles parus dans Criminologie citent au moins un article de criminologie, ce n’est le cas que de 43 % pour la psychologie (2e colonne du Tableau 4). En revanche, 58 % des articles citent un article de sociologie. Ainsi, si la sociologie semblait avoir une place plus marginale en termes de nombre de citations (12 % du corpus), on voit que la majorité des articles de Criminologie s’y réfère au moins une fois. Les articles parus dans une revue de sociologie sont deux fois moins nombreux que les articles des revues en psychologie en termes absolus (882 vs 1 882), mais au final, il y a plus d’articles qui font référence à au moins une revue en sociologie (58 vs 43 % pour la psychologie). Nous constatons aussi que bon nombre d’articles de Criminologie citent au moins un article de droit (38 %) ou de travail social (18 %), ce qui laisse entendre que la plupart des articles parus dans Criminologie ont des références intellectuelles dans différentes disciplines.

Tableau 3

Distribution des revues les plus citées selon les caractéristiques des articles qui les citent

Distribution des revues les plus citées selon les caractéristiques des articles qui les citent

Tableau 3 (suite)

Distribution des revues les plus citées selon les caractéristiques des articles qui les citent

Les cellules plus foncées du tableau sont celles pour lesquelles le test du Chi-deux s’est avéré significatif (p ≤ 0,05)

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Tableau 4

Importance accordée aux différentes disciplines[14]

Importance accordée aux différentes disciplines14

a) Trente articles parus dans Criminologie sont exclus des analyses des deux dernières colonnes, car ils ne comportaient pas de référence à des revues scientifiques (n = 26) ou qu’aucune discipline n’a pu être associée à la ou les revues citées (n = 4).

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Lorsque nous nous intéressons au nombre de disciplines citées par article de Criminologie, nous constatons une certaine interdisciplinarité puisque seuls 16 % des articles ne citent qu’une seule des disciplines du Tableau 4, 33 % en citent deux, 35 % en citent trois et 10 % en citent jusqu’à quatre (sur un total de six). Si nous nous intéressons à la répartition relative des disciplines au sein des articles, nous constatons qu’en moyenne, le tiers des références à des revues citent des revues de criminologie, le reste de ces références se répartissant de manière relativement homogène entre les autres disciplines de la psychologie, de la sociologie et du droit (entre 10 et 15 %). Le Tableau 5 présente la proportion moyenne d’articles associés à chacune des disciplines principales (criminologie, psychologie, sociologie, droit) en fonction des caractéristiques des articles les citant depuis la revue Criminologie. La première ligne nous indique par exemple que 36 % des références à des revues citent une revue de criminologie, une proportion qui varie de 29 à 43 % selon la décennie.

Tableau 5

Proportion moyenne (par article de Criminologie) des disciplines selon les caractéristiques des articles qui les citent

Proportion moyenne (par article de Criminologie) des disciplines selon les caractéristiques des articles qui les citent

* Des tests t ont été effectués pour chacune des catégories du tableau (une dichotomique a été utilisée pour les variables catégorielles). Les * signifient que le test t révèle des moyennes significativement différentes (p ≤ 0,05) pour les deux modalités (présence ou absence). Par exemple, la proportion moyenne pour des articles de criminologie pour la décennie 1986-1995 est statistiquement différente de la proportion pour les articles des autres décennies.

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La première partie du Tableau 5 indique que, même s’il existe certaines variations temporelles dans la proportion d’articles citant les différentes disciplines, il n’y a pas de tendance générale très lourde, si ce n’est que l’on constate globalement une diminution de la proportion des articles de criminologie cités dans la dernière décennie (29 vs près de 40 % dans les décennies précédentes). Une baisse moins importante s’observe en sociologie (de 20 à 13 %).

La proportion d’articles référant à des revues de psychologie est en moyenne de 16 % et elle est significativement plus élevée dans les articles présentant des données quantitatives (22 % vs 14 % pour les autres articles) et lorsque les auteurs n’ont pas un profil universitaire (ils citent près du tiers de leurs références en psychologie). Cette proportion diminue par contre dans les articles non empiriques et chez les professeurs et les non-Canadiens qui accordent respectivement 13 et 11 % de leurs références à des revues en psychologie.

En ce qui a trait à la sociologie, nous constatons que les articles présentant des données quantitatives et rédigés par des auteurs qui ne proviennent pas du milieu universitaire y font peu référence (respectivement 11 et 7 % de leurs références vont à des revues sociologiques contre 16 % en moyenne). Or, la proportion aux articles en sociologie est plus élevée chez les chercheurs non canadiens (20 %). Pour les références au droit, elles constituent en moyenne de 10 % des références à des disciplines. Ces références sont légèrement plus fréquentes dans les articles non empiriques (12 %) et elles sont deux fois moins nombreuses dans les articles quantitatifs (6 %).

Le facteur qui semble structurer davantage les références à des disciplines est la thématique de l’article. En effet, la proportion à des articles de criminologie varie de 28 % (pour les articles portant sur l’intervention) à 44 % (pour les articles sur la police ou la sécurité). Ainsi, si la thématique de la sécurité et de la police accorde significativement plus de place aux références à des revues criminologiques (44 %), dans l’ensemble, toutes les thématiques ont près du tiers de leurs citations qui vont à des références en criminologie. La psychologie, pour sa part, est significativement plus fréquemment citée dans les articles portant sur les criminels, les jeunes ou encore sur l’intervention (le tiers de leurs références) et elle est plus rarement citée dans les articles sur le crime ou ses réponses institutionnelles (police, tribunaux) pour lesquels moins de 10 % des références vont à des revues de psychologie. Si les références à la sociologie sont plus rares dans les articles sur les jeunes ou les victimes (moins de 10 % de leurs citations), elles se retrouvent plus fréquemment dans les études sur le crime ou la sécurité/police. Finalement, les articles sur les tribunaux accordent près du tiers de leurs citations à des références en droit, mais sinon, la place du droit est beaucoup plus limitée dans les autres thématiques (notamment le criminel, les jeunes et l’intervention).

Conclusion

Cet article explore les références faites par les articles publiés dans la revue Criminologie. Le premier constat qui s’impose est que, contrairement à ce qui est observé dans la littérature scientifique sur les analyses de citations des revues anglophones de criminologie traditionnelle, les références faites par la revue Criminologie sont très diversifiées. Cette diversification s’observe de plusieurs façons. D’abord, aucun auteur ou aucune revue ne peut prétendre avoir un ascendant sur un nombre significatif d’auteurs de la revue Criminologie. Les 9 auteurs les plus cités ne comptent que pour 5 % des références faites par la revue, et les 20 revues les plus citées pour moins du tiers. Il s’agit de proportions bien inférieures aux 17 titres relevés par Wolfgang et al. (1978), qui comptaient pour le quart des citations. De plus, bien que ces auteurs soient cités dans un plus grand nombre d’articles que les autres, ils ne demeurent présents que dans une minorité des articles parus dans Criminologie (entre 4 et 9 % selon l’auteur). Ces proportions sont bien inférieures aux 56 % des publications de Criminology qui citent Robert J. Sampson. Ensuite, l’ensemble des auteurs les plus cités peuvent être qualifiés de « polyvalents », puisqu’ils sont cités non pas pour une seule de leurs publications, mais pour un nombre important d’entre elles. Ce résultat correspond à ce qui est observé dans la littérature anglophone (Cohn et Farrington, 2012), bien que l’on remarque que les classiques de la criminologie anglophone ne sont pas représentés dans la revue Criminologie. En effet, on ne retrouve que deux auteurs anglophones parmi les auteurs les plus cités dans Criminologie, dont seul David Farrington fait partie des dix auteurs les plus cités dans les revues analysées par Cohn et Farrington (2012). Les Sampson, Laub, Cullen, Bonta, Hirshi et Moffitt qui font toujours partie des dix auteurs les plus cités dans les revues anglophones de criminologie traditionnelle (Cohn et Farrington, 2012) brillent ici par leur absence. Finalement, les analyses croisées des principales sources d’influence de la revue indiquent que si ces auteurs ou ces revues se trouvent parmi les plus cités, c’est parce qu’ils ont su intéresser des auteurs aux profils, méthodologies et thématiques différents. Bien que certains recoupements soient plus fréquents (par ex. : un auteur est plus cité dans les articles quantitatifs), l’ensemble des auteurs et des revues sont mobilisés dans des articles avec des thématiques différentes et publiés selon différentes traditions (époque, démarche méthodologique, etc.).

Cette diversification marquée des influences intellectuelles peut s’expliquer par la nature thématique de Criminologie, qui force ses auteurs à explorer de nouvelles sources en lien avec le thème du numéro et qui évite que les citations ne se concentrent sur un petit nombre d’auteurs qui travaillent sur une thématique plus traditionnelle, comme le paradigme des carrières criminelles, majoritaire dans la littérature sur la criminologie américaine (Cohn et Farrington, 1999). De plus, la politique éditoriale de la revue consiste à demander aux responsables des numéros thématiques d’avoir un regard qui soit le plus diversifié possible sur leur thématique. Ils sont invités à faire dialoguer des chercheurs qui travaillent dans des disciplines, traditions et horizons de recherche différents. Cette politique éditoriale a pu contribuer en partie à diversifier les sources des citations. Or, la diversification des sources d’influence peut aussi s’expliquer par la participation des auteurs à un groupe de criminologie minoritaire[15] qui peut possiblement les inciter davantage à citer des sources plus à la marge de la criminologie traditionnelle. En effet, bien que l’on note l’influence des grandes revues anglo-américaines comme Criminology, le British Journal of Criminology ou encore Crime & Delinquency, on trouve parallèlement une influence importante des auteurs et revues francophones et des revues influentes d’autres disciplines comme la sociologie, le travail social et la psychologie. En effet, la proximité des objets d’études et l’aspect national des travaux en sciences sociales (Gingras, 2002) peuvent expliquer le fait que les auteurs de Criminologie citent d’autres auteurs, eux aussi francophones, qui ne sont souvent pas visibles au sein des revues de criminologie anglo-américaines. Ces résultats indiquent également que la langue influence les pratiques de citations des auteurs. En effet, ayant accès à la fois à la littérature scientifique francophone et anglophone, les auteurs de Criminologie citent un éventail de travaux beaucoup plus diversifié que leurs collègues actifs dans les revues anglo-américaines qui, il est raisonnable de croire, lisent majoritairement de la littérature anglophone. Cette diversité linguistique peut également expliquer la diversité disciplinaire observée dans les références citées par les auteurs de Criminologie. Cohn et Iratzoqui (2016) avaient d’ailleurs déjà constaté que les Canadiens (comme les Britanniques) étaient plus ouverts aux chercheurs étrangers puisque les auteurs les plus cités dans la Revue canadienne de criminologie et justice pénale provenaient de différents pays (Canada, France, Angleterre, États-Unis), alors que 90 % des auteurs les plus cités dans Criminology sont américains.

Finalement, nos résultats montrent la manière dont les influences intellectuelles se structurent différemment selon les caractéristiques des articles qui les citent. Cet aspect n’avait jamais été exploré par les analyses sur les citations en criminologie ; or, il permet très certainement des nuances intéressantes. Non seulement ces analyses ont pu mettre en valeur la grande diversité des auteurs et des revues plus marquantes, mais elles ont également permis de circonscrire un peu mieux le type de recherche et d’auteur qu’ont su inspirer ces auteurs ou ces revues. Cette décomposition des sources d’influence permet justement de ne pas voir la criminologie comme un ensemble homogène et de reconnaître que chaque tradition et chaque thématique de recherche peut s’ancrer dans des traditions disciplinaires ou des sources d’influence différentes. Ainsi, au sein d’une même revue, ce ne sont pas tous les articles qui se réfèrent aux mêmes auteurs, revues et disciplines, et comprendre comment se structure le savoir au sein même d’une revue apporte des connaissances intéressantes. Ainsi, la revue Criminologie illustre l’aspect interdisciplinaire et pluriparadigmatique (Kuhn, 1962) du champ de la criminologie québécoise, qui fédère différentes approches utilisées dans l’étude de la criminologie. Des travaux futurs pourront vérifier si ces approches diverses sont de plus en plus utilisées de façon conjointe ou si, au contraire, les paradigmes de la criminologie québécoise se cristallisent dans des cadres de plus en plus hermétiques.