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Depuis les débuts du travail social, l’amélioration de la qualité de vie et du bien-être des personnes, des groupes et des collectivités est au coeur des préoccupations des travailleurs sociaux. Pour y arriver, ces derniers ont d’abord misé sur des actions qui visaient à la fois le développement personnel et les transformations sociales pour se diriger graduellement vers l’utilisation d’approches cliniques axées sur le diagnostic et les déficits personnels (Beaudoin et coll., 2005; Saleebey, 2013). Mais depuis quelques années, cette situation tend à s’inverser sous l’influence de professionnels qui privilégient à la fois l’examen des caractéristiques individuelles et la mise à contribution des ressources de la communauté dans une lecture qui place au premier rang les compétences de la personne. Ce mouvement, qui est associé à l’approche centrée sur les forces (ACF), considère la personne comme l’experte de sa situation, alors que le professionnel se présente comme un accompagnateur qui l’aide à mobiliser ses ressources afin d’améliorer sa qualité de vie d’une façon durable (Itzhaky et Bustin, 2002; KV 2014). La perspective proposée par l’approche centrée sur les forces trouve application dans différentes modalités d’intervention (KV, 2014), dont l’intervention en contexte de nature et d’aventure (INA). Cet article porte sur cette modalité d’intervention. Dans un premier temps, nous ferons un bref survol de l’INA, au regard de ses définitions, de ses processus et des résultats qui lui sont attribués. Par la suite, nous passerons en revue les principes et modalités d’action de l’ACF pour établir, dans une troisième section, un parallèle entre celle-ci et l’INA. Finalement, nous proposerons quelques avenues de développement de l’INA en la situant avec le travail social.

L’intervention en contexte de nature et d’aventure

L’INA correspond à une modalité d’intervention axée sur l’amélioration du bien-être général des personnes par le recours à des activités structurées qui sont réalisées en milieu naturel. La reconnaissance des bénéfices à se retrouver en nature n’est pas un phénomène récent. Déjà à l’époque de la Grèce Antique, la nature était perçue comme un contexte favorable au développement humain par des philosophes tels qu’Aristote et Platon (Hunt, 1999). C’est dans une perspective éducative que ces philosophes justifiaient la pertinence d’utiliser le milieu naturel pour explorer, développer ses sens et mieux connaître le monde qui nous entoure (Hunt, 1999). Ce rapport avec la nature, à qui certains peuples accordaient même un sens mystique, est demeuré sensiblement le même jusqu’au début de l’ère industrielle.

Avec l’industrialisation, les choses ont radicalement changé. La nature est devenue essentiellement une source d’approvisionnement en ressources, que l’humain s’est investi à exploiter pour rehausser son niveau de vie (Faarlund, Dahle et Jensen, 2007). Avec l’urbanisation, la nature a été graduellement perçue comme un milieu hostile, qui demandait davantage d’adaptation et qu’il fallait apprivoiser afin de s’y sentir confortable.

Au cours des dernières années, bien que la nature demeure un milieu inconnu et déstabilisant pour plusieurs, la situation a toutefois commencé à changer. La nature a été redécouverte comme un cadre propice à des activités récréatives et comme un environnement qui facilite le développement de compétences personnelles et sociales (Norton, 2008; Ribe Fernee, Gabrielsen, Andersen et Mesel, 2015). Par exemple, descendre une rivière en canot, gravir une montagne, se déplacer en kayak sur la mer sont autant d’activités qui permettent à la personne de se dépasser et d’être en contact avec la nature. En outre, comme plusieurs activités qui se déroulent en nature comportent des dimensions d’incertitude, de risque et d’inconnu, elles sont intimement liées à la notion d’aventure. C’est pourquoi la nature et l’aventure sont associées l’une à l’autre.

Les modalités d’application de l’intervention en contexte de nature et d’aventure

L’INA prend forme à travers diverses applications qui se distinguent sur des aspects tels que le lieu de réalisation, les objectifs, la clientèle et les activités. Cette diversité se traduit par l’utilisation de multiples appellations telles que : aventure thérapeutique, camp résidentiel, éducation par l’aventure, etc. Le Tableau 1 présente différentes terminologies qui sont utilisées pour décrire des programmes d’activités basés en contexte de nature et d’aventure.

Tableau 1

Les terminologies associées aux INA

Les terminologies associées aux INA

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Les effets de l’intervention en contexte de nature et d’aventure

C’est dans les années 1930 que les intervenants sociaux ont commencé à s’intéresser aux bienfaits associés à l’utilisation d’activités d’aventure en milieu naturel (Gass, Gillis et Russell, 2012; Malekoff, 2009). Toutefois, ce n’est que récemment que des évaluations systématiques ont été réalisées sur les effets des INA. Actuellement, plusieurs travaux fournissent des évidences empiriques soutenant l’efficacité de ce type d’intervention aux plans personnel et interpersonnel.

Sur le plan personnel, plusieurs études indiquent que l’INA a des effets positifs sur : a) la conscience de soi (Behrens, 2008; Garst, Scheider et Baker, 2001; Perier, Pérouse de Montclos et Moro, 2012), b) l’estime et la confiance en soi (Davidson, 2001; Kaly et Heesacker, 2003; Norton, 2008), c) le sentiment d’auto-efficacité (Behrens, 2008; Davidson, 2001; Harrison et McGuire, 2006), d) la résilience (Beightol, Jeverston, Gray, Carter et Gass, 2009) et e) le sentiment de contrôle et de pouvoir personnel (Cross, 2002; Ross, 2003; Sugerman, 2005). Certaines études ont aussi établi que l’INA pouvait contribuer à l’augmentation du bien-être général (Faarlund et coll., 2007; Harper, 2009; Norton, 2008; Stott et Hall, 2003) et à la diminution de symptômes relatifs à des problématiques psychosociales (Bettman, Russell et Kimber, 2013; Harper et Russell, 2008; Norton, 2008). Des effets ont également été relevés sur les symptômes dépressifs, la stabilité de l’humeur (Norton, 2008), les performances académiques (Behrens et Satterfield, 2007; Norton, 2008), la consommation de drogues (Harper et Russell, 2008) et la récidive criminelle (Gass et Gillis, 2010).

Au plan interpersonnel, le développement du leadership (McKenzie, 2003; Sibthorp, 2003; Stott et Hall, 2003), le développement des habiletés sociales (Goldenberg et Pronsolino, 2008; Sibthorp, 2003) et de stratégies d’adaptation (Bettman et coll., 2012) sont des effets bien documentés (Miles et Priest, 1999; Priest et Gass, 1997; Sugerman, 2005). Il en est de même avec certains aspects du fonctionnement de la famille, tels que la communication intrafamiliale et les relations parent-enfant (Harper, 2009; Harper et Russell, 2008).

Les mécanismes opérant dans l’intervention en contexte de nature et d’aventure

Au début des années 2000, on a vu apparaître des travaux se penchant sur les processus sous-jacents à l’INA (McKenzie, 2000). Jusqu’à maintenant, ces études ont conduit à identifier deux éléments qui sont au centre de l’expérience des personnes qui participent à des INA : 1) l’expérimentation du défi et du succès par l’entremise de la prise de risque et 2) la dissonance et l’adaptation.

L’expérimentation du défi et du succès par l’entremise de la prise de risque est reconnue comme une composante centrale de l’INA (Priest, 1999a). À différents degrés, cette composante est présente dans tous les programmes : le participant doit s’ajuster à des situations qui représentent des défis d’ordre physique, émotif ou psychologique. La prise de risque est inhérente à la notion d’aventure (Brown et Fraser, 2009; Priest, 1999a). Le fait de réussir à exécuter des manoeuvres techniques qui présentent un certain risque est un des éléments clés des activités d’aventure (Parkin et Blades, 1998; Priest, 1999a). Pour que la prise de risque soit positivement reliée au succès, il est essentiel qu’elle soit bien jaugée, de façon à ce que les participants y voient un défi et qu’ils se sentent déstabilisés par la situation (Brown, 2008; Davis-Berman et Berman, 2002), tout en s’assurant que le contexte demeure sécuritaire. Lorsqu’un participant réussit à relever les défis qui lui sont proposés, il vit une réussite, ce qui contribue à accroitre son sentiment de compétence personnelle. D’où l’importance de l’exposer à des défis adaptés à ses capacités émotives, physiques et psychologiques (McKenzie, 2003; Priest, 1999a).

La dissonance et l’adaptation résultent du contexte de déstabilisation dans lequel se déroulent les INA. Elles découlent notamment de l’environnement déstabilisant dans lequel le participant est immergé (forêt, conditions climatiques, nouveau groupe de pairs, etc.) et des activités d’aventure qui sont proposées (kayak de mer, canot, escalade, etc.). Comme les activités sont non seulement exigeantes, mais réalisées dans un environnement qui n’est pas familier, le participant doit miser sur ses ressources personnelles et recourir à ses stratégies d’adaptation tout en développant de nouveaux mécanismes d’ajustement (Leberman et Martin, 2002; Nadler, 1993). L’état de déséquilibre provoqué par cette situation entraine un stress qui agit comme un moteur d’évolution personnelle. Selon Piaget (1977, 1980) dans Brown (2008), la tension entre les ressources qu’une personne possède et ce qu’elle doit mettre en place afin de transcender un évènement stressant est un catalyseur d’apprentissage. Ce même processus s’opérationnalise en INA (Brown, 2008).

Pour faire en sorte que l’expérience vécue dans le cadre de l’INA mène à des changements intégrés dans la réalité quotidienne du participant, il est nécessaire que la démarche d’intervention accorde une attention particulière au transfert des apprentissages. Les études publiées à ce jour reconnaissent l’importance de réaliser des activités de rétroaction et des analyses de l’expérience vécue afin d’en tirer des leçons qui pourront être utilisées au quotidien (Brown, 2010; Gass et Seaman, 2012; Priest, 1999b). À cet égard, le choix des thèmes de discussion et les habiletés de facilitation de l’intervenant sont déterminants (Richards, Carpenter et Harper, 2011). Cependant, selon Brown (2010), l’efficacité des INA ne repose pas uniquement sur la compétence des intervenants à établir des relations entre les activités vécues et la réalité du participant, ni sur leur capacité à établir des parallèles entre l’expérience et leur milieu de vie. Selon Greeno (1997), le transfert est tributaire du déploiement des ressources personnelles lors de la réalisation des activités. L’accent doit donc être placé sur les apprentissages réalisés lors des activités plutôt que sur la capacité à générer des principes abstraits transférables au quotidien. Ces orientations conduiraient à une plus grande appropriation du pouvoir des membres, en plus de contribuer au respect de soi et au sentiment de dignité.

D’autre part, malgré que la plupart des études sur l’INA font la promotion du risque et de l’incertitude, en extirpe les vertus et leur valeur intrinsèque, peu de travaux démontrent l’efficacité du risque comme un facteur direct d’apprentissage (Brown, 2008; Brown et Fraser, 2009; Davis-Berman et Berman, 2002). Les récents travaux rapportent que le stress vécu par le participant en état de dissonance et d’adaptation ne consentirait pas forcément à des effets positifs (Brown, 2008; Davis-Berman et Berman, 2002; Leberman et Martin, 2002). Mises de l’avant par les premiers auteurs du domaine de l’INA, ces caractéristiques ont toujours été au coeur des pratiques et des travaux publiés. Elles n’ont été remises en question qu’au courant des dernières années en raison du manque d’assises théoriques justifiant leur utilisation (Brown, 2008; Wolfe et Samdahl, 2005).

Les limites des études portant sur l’intervention en contexte de nature et d’aventure

Tous ces travaux apportent un éclairage intéressant sur les effets des INA. Toutefois, ils comportent certaines limites. Tout d’abord, il y a la difficulté à regrouper ou à comparer les études puisque les programmes diffèrent sous plusieurs points, tels que les objectifs, les activités réalisées, la durée du programme, les caractéristiques des intervenants, le plan d’intervention et les activités de transfert (Bandoroff et Newes, 2004; Newes, 2001). Il s’agit d’une limite importante car la plupart des recherches sont réalisées avec de petits échantillons et portent sur des programmes ponctuels. Il est donc difficile d’en généraliser les résultats. La mise en commun des données permettrait de faire une évaluation plus précise de l’INA (Davis-Berman et Berman, 2008; Gass et Seaman, 2012; Newes, 2001). Pour ce faire, il faudrait davantage de points de convergence entre les études.

En outre, les effets identifiés sont rarement mis en relation avec les particularités de l’intervention. Il devient alors difficile d’identifier les facteurs qui mènent aux effets. À ce propos, Gass (1999) soulève la nécessité d’isoler les variables mesurées afin de mieux répertorier les relations entre les processus et les effets des programmes réalisés en contexte de nature et d’aventure.

Il n’en reste pas moins que les résultats positifs de l’INA soutiennent l’intérêt de poursuivre le développement des connaissances sur ce type d’intervention, notamment pour identifier les facteurs qui sont sous-jacents aux effets produits. Les travaux sur les effets attribués à la prise de risque et à la dissonance et l’adaptation doivent être poursuivis. Il en est de même pour la place de l’intervenant dont le rôle est central puisqu’il doit : a) mettre sur pied un programme correspondant aux capacités physiques, émotives et psychologiques des membres du groupe, ce qui exige ingéniosité et créativité, b) faire vivre une expérience positive par l’entremise de la prise de risque contrôlée, c) établir une relation de confiance avec les participants et d) établir des liens entre l’expérience vécue et la réalité. Des travaux doivent également être poursuivis pour offrir un ancrage axiologique et théorique plus solide à l’INA. À cet égard, il nous apparaît intéressant d’établir un parallèle entre cette modalité d’intervention et l’approche centrée sur les forces.

L’approche centrée sur les forces

La reconnaissance des déficits et des limites des individus, des groupes et des collectivités est à l’origine des interventions psychosociales (Early et GlenMaye, 2000; Rapp et Goscha, 2012; Saleebey, 2013). Dès les premières tentatives de ce que nous connaissons aujourd’hui comme le travail social, les problèmes vécus par les personnes dans le besoin étaient au coeur des interventions. Mais au début des années 1920, certains intervenants ont reconnu l’importance de s’attarder aux ressources internes et externes des clients. À titre d’exemple, même si elle privilégiait l’approche diagnostique, Mary Richmond reconnaissait l’importance de considérer les facteurs internes positifs ainsi que les ressources externes des personnes dans l’évaluation clinique (Beaudoin et coll., 2005; Rapp et Goscha, 2012).

Au fil du temps, l’idée de miser sur une approche d’intervention qui reconnait l’idée que les personnes peuvent miser sur des ressources personnelles et environnementales pour faire face aux situations difficiles auxquelles elles sont confrontées s’est imposée. Autour des années 1980, « l’approche centrée sur les forces[1] » a pris une certaine place dans les milieux de pratique et de recherche (Beaudoin et coll., 2005). Initialement développée dans le champ de la santé mentale, elle a été adaptée par des professionnels oeuvrant dans différents milieux d’intervention : délinquance, dépendances, protection de l’enfance, violence familiale, etc. (Brun et Rapp, 2001; Rapp, 1998; Saleebey, 1996; Salmon et Gitterman, 2009).

Définitions

Selon Weick, Rapp, Sullivan et Kisthardt (1989) :

L’approche centrée sur les forces repose sur l’appréciation des attributs positifs et des capacités des individus à mettre en place ses ressources personnelles et sociales afin de se développer […]. Ce potentiel est intimement lié à la croyance que l’humain détient les capacités nécessaires afin d’aller puiser en lui les ressources nécessaires au plan physique, émotif, social et spirituel [Traduction libre]

p. 352

La notion de forces est au coeur de cette approche qui met l’accent sur les capacités des personnes à prendre en charge leur situation et à améliorer leur bien-être. Selon Peterson et Seligman (2004), les forces individuelles correspondent à la capacité d’acquérir et d’utiliser un ensemble de caractéristiques personnelles pour composer avec différentes situations. Bien qu’elles soient relativement stables et transposables d’un environnement à un autre, elles fluctuent au regard de la culture, de l’éducation, du contexte familial et du contexte institutionnel, dans lesquelles elles y sont valorisées ou diminuées (Peterson et Seligman, 2004). Ainsi, certains contextes peuvent exiger l’utilisation de forces qui n’avaient pas été exploitées auparavant.

Selon Saleebey (1996), chaque humain est unique et possède des ressources qui lui donnent la possibilité de s’adapter à différentes situations. Ces ressources correspondent à des traits de personnalité, des talents et des ressources externes qu’il peut utiliser pour gagner du pouvoir sur sa vie, assumer ses rôles sociaux ou s’intégrer socialement. Selon Rapp et Goscha (2012), les forces se déclinent en trois types : les forces individuelles (les aspirations, le sentiment de compétence et la confiance en sa propre réussite), les forces environnementales (les ressources disponibles dans l’environnement, les relations sociales et les opportunités) et les forces interactionnelles (qui constituent le fruit de la relation entre les forces individuelles et environnementales). C’est la capacité d’un individu à mobiliser ses forces qui lui permettrait d’évoluer.

Les fondements philosophiques de l’ACF

L’ACF s’inscrit dans le courant humaniste et la perspective écologique (Saint-Jacques, Turcotte et Pouliot, 2009) selon lesquels les humains ont la capacité de se développer et de changer (Early et GlenMaye, 2000). Selon Saleebey (2013), cette approche tire ses fondements philosophiques des notions de libération, d’empowerment[2] ainsi que de l’aliénation et l’oppression.

En effet, la structure dans laquelle les humains évoluent a une influence sur leurs capacités à déployer leur potentiel. Intimement lié aux concepts d’oppression et de libération de Freire, l’ACF mise sur l’espoir de la personne à transcender certaines habitudes et patterns négatifs et ainsi, évoluer. Donc, une situation négative peut être un catalyseur d’empowerment puisque chaque être humain peut relever des défis, résoudre ses problèmes et acquérir davantage de contrôle sur sa vie et ce, même s’il est placé dans une situation d’oppression (Gutiérrez, 1990; Rapp et Goscha, 2012). Pour Saleebey (2013), l’espoir est essentiel puisque les rêves et les aspirations sont des moteurs de changement, mais leur réalisation exige une prise de conscience de ses capacités. Sur ce plan, l’intervenant joue un rôle majeur afin de promouvoir l’espoir et alimenter la croyance que la personne peut réaliser ses rêves et ses aspirations.

Les principes d’intervention de l’ACF

Pour arriver à ce résultat, six grands principes d’intervention sont à la base de l’ACF (Beaudoin et coll., 2005; Hammond, 2010; Saleebey, 2013) :

  1. Dans le processus d’aide, l’accent doit être placé sur les forces, les capacités, les désirs, les rêves et les aspirations de la personne et non sur ses limites et ses faiblesses ;

  2. La relation d’aide doit être collaborative et mutuelle : il s’agit de « pouvoir avec l’autre » et non « pouvoir sur l’autre » ;

  3. L’intervenant doit garder en tête que tous les humains ont la capacité d’apprendre, de grandir et de se transformer ;

  4. Les personnes ont le droit de faire des expériences ; ce qui implique de vivre des succès mais aussi de ne pas réussir à certaines occasions ;

  5. Les activités bénéfiques pour les individus, les groupes et les communautés sont celles qui se réalisent dans les environnements qui misent sur les forces et qui placent les personnes au coeur de la démarche d’intervention ;

  6. Il faut miser sur les ressources des communautés qui sont naturellement en place avant de faire appel aux ressources formelles en matière de santé mentale ou de services sociaux.

Ces principes doivent guider les interventions menées selon l’ACF. Les professionnels qui souscrivent à l’ACF doivent donc mettre de l’avant les forces et les ressources des personnes et des communautés dans toutes leurs interactions (Brun et Rapp, 2001; Scerra, 2011). Le langage des intervenants et la relation thérapeutique ont un impact majeur sur ce plan. Cox (2001) et Blundo (2001) mettent en lumière le défi que représente le recours à un langage qui n’est pas majoritairement axé sur les déficits et les problèmes. Aussi, une attention particulière doit être accordée à la mise en place d’une relation de collaboration plutôt qu’à l’adoption d’une position d’expert.

Les résultats de l’approche centrée sur les forces

En plus de s’arrimer aux principes et aux valeurs de base du travail social, l’ACF démontre des résultats intéressants. À cet égard, les méta-analyses de Staudt, Howard et Drake (2001) et de Tse et coll. (2016) fournissent des données pertinentes.

Staudt et coll., (2001) ont analysé neuf études évaluant l’efficacité d’interventions basées sur l’ACF. Ces interventions ont été réalisées auprès de personnes aux prises avec un problème de dépendance (Siegel et coll., 1996; Siegel et coll., 1995) et de personnes vivant avec un problème de santé mentale.

Il en ressort des résultats positifs sur le processus tels que : la qualité de la relation avec le thérapeute (Brun et Rapp, 2001), la quantité de contacts avec le thérapeute (Modrcin et coll., 1988), le soutien dans la communauté (Macias et coll., 1997) et sur les résultats de l’intervention : une augmentation du sentiment d’auto efficacité (Brun et Rapp, 2001), une amélioration de la symptomatologie psychiatrique (Macias et coll., 1997) et l’atteinte des buts fixés aux plans d’intervention (Rapp et Chamberlain, 1985).

Tse et coll., (2016) ont examiné sept études réalisées auprès d’adultes souffrant de problèmes de santé mentale. Leurs résultats suggèrent que l’ACF : a) réduit le temps d’hospitalisation (Björkman, Hansson et Sandlund, 2002; Blow et coll., 2000; Fukui et coll., 2012), b) augmente le niveau de satisfaction des clients (Björkman et coll., 2002), c) améliore les attitudes générales telles que l’estime de soi, le sentiment d’efficacité personnelle, la confiance en soi, l’espoir et la satisfaction personnelle face à la vie (Barry, Zeber, Blow, et Valenstein, 2003; Fukui, Davidson, Holter, et Rapp, 2010; Green, Janoff, Yarborough, et Paulson, 2013). En outre, l’ACF faciliterait l’atteinte des objectifs des clients (employabilité et éducation) (Green et coll., 2013) et les amènerait à utiliser les services qui leur sont offerts (Barry et coll., 2003; Mireau et Inch, 2009). Selon Tse et coll., (2016), le niveau d’engagement induit par l’ACF et le rôle actif de l’intervenant dans la démarche seraient des facteurs de réussite.

En contrepartie, des résultats moins concluants ont aussi été relevés. Suite aux interventions menées dans l’étude de Björkman et coll., (2002) le groupe bénéficiant de l’ACF avait un réseau social moins élargi que le groupe contrôle et démontrait des symptômes plus importants que le groupe ayant reçu les services habituels. Selon Tse et coll., (2016), ces différences pourraient s’expliquer par la sévérité de la symptomatologie psychiatrique des sujets à l’étude.

Les limites de l’approche centrée sur les forces

De façon générale, même si les résultats de l’ACF sont positifs, ils doivent être interprétés avec prudence. Tout d’abord, d’autres approches et modalités d’intervention ont fréquemment été combinées à l’ACF. C’est le cas des études réalisées par Macias et coll., (1994), Macias et coll., (1997) et Modrcin et coll., (1988). Conséquemment, il est difficile d’attribuer les résultats à l’ACF plutôt qu’à d’autres variables (Staudt et coll., 2001; Tse et coll., 2016).

Par ailleurs, les résultats ne peuvent pas être généralisés à d’autres populations en raison de la taille des échantillons et des différences entre les types de clientèle (ex. dépression versus schizophrénie) (Staudt et coll., 2001). Bien que certaines des études répertoriées par Tse et coll., (2016) s’appuient sur des échantillons plus importants (Barry et coll., 2003; Blow et coll., 2000; Fukui et coll., 2012; Mireau et Inch, 2009), le faible nombre de recherches réalisées à ce jour appellent à la prudence quant à leur validité interne et externe[3] (Barry et coll., 2003; Björkman et coll., 2002; Blow et coll., 2000).

En somme, il reste des connaissances à produire concernant l’efficacité de l’ACF et les processus qui participent aux effets positifs identifiés (Tse et coll., 2016). Même si cette approche est de plus en plus reconnue, son utilisation demeure limitée. Cette situation s’explique sans doute par le défi que représente la mise en action de ses fondements et de ses principes en contexte réel. Bref, le contexte d’intervention a une incidence sur l’utilisation de l’ACF. À cet égard, l’INA représente un cadre propice à l’actualisation des principes et modalités d’action de cette approche.

L’approche centrée sur les forces : un cadre de référence pour l’intervention en contexte de nature et d’aventure ?

La popularité croissante des INA amène à se questionner sur la place qui doit leur être dévolue dans l’univers de l’intervention psychosociale. À notre avis, les techniques propres à cette modalité d’intervention s’arriment à l’ACF. À la lumière des sections précédentes, il est possible d’établir certains points de convergence en s’attardant aux mécanismes opérant dans les INA.

De façon générale, on constate que l’ACF et l’INA misent sur les capacités et les ressources de la personne. Les notions d’adaptation, d’empowerment, de compétences, de forces, d’efficacité personnelle et de contrôle sont centrales. À différents degrés, c’est la mise en place d’activités correspondant aux capacités physiques, émotives et psychologiques des participants qui sont moteurs de changement. Concrètement, les activités proposées en milieu naturel reposent sur la reconnaissance de compétences dont les personnes sont amenées à prendre conscience et ce, par l’expérimentation de situations nouvelles et déstabilisantes. L’INA offre l’occasion d’utiliser des forces jusque-là ignorées, mais néanmoins bien réelles.

En s’appuyant sur les capacités physiques, émotives et psychologiques, l’INA permet de se dépasser dans un cadre sécuritaire qui favorise l’émergence de la confiance en soi, de la confiance envers les autres et de l’entraide. En raison de la complexité de l’environnement, notamment les conditions climatiques imprévisibles et les multiples facteurs d’adversité, les participants doivent s’appuyer les uns sur les autres. Le contexte est un facteur de cohésion et de collaboration qui favorise la mise en commun des forces individuelles, environnementales et collectives. La diversité des activités prévues dans un programme d’INA permet d’explorer différentes facettes de soi, autant au plan personnel, qu’au plan interpersonnel ou collectif. La nouveauté des tâches proposées et le contexte d’intervention favorisent des situations authentiques et l’adoption de nouveaux rôles sociaux (Brown, 2010; Sibthorp, 2003).

La référence aux principes de l’ACF rejoint les préoccupations récentes des promoteurs de l’INA qui soulignent l’importance de miser sur les compétences des participants en privilégiant des activités qui donnent l’occasion de mobiliser les forces personnelles, interpersonnelles et environnementales (Brown, 2008, 2009; Sibthorp, 2003). Sur cet aspect, l’INA peut se démarquer des autres contextes d’intervention plus conventionnels, en ouvrant à la possibilité de placer les participants devant des défis qui les sortent du quotidien, leur permettant ainsi d’expérimenter des situations inédites qui font appel à des compétences nouvelles. En proposant des activités caractérisées par la nouveauté, l’inconnu et le défi, l’INA offre aux participants la possibilité de découvrir de nouvelles facettes d’eux-mêmes dans une dynamique d’entraide et de solidarité. Parce qu’elle propose aux participants de se découvrir des compétences, de mettre leurs capacités en action, de prendre des responsabilités et de jouer de nouveaux rôles sociaux, l’INA s’inscrit pleinement dans l’esprit de l’ACF. Cette proximité autorise à concevoir l’INA comme une modalité qui peut se révéler pertinente dans le champ de l’intervention psychosociale.

Il reste néanmoins à appuyer les conclusions portant sur ce type d’intervention sur un corpus de données probantes et à mieux cerner les mécanismes qui entrent en jeu dans l’INA. L’ACF peut servir de cadre de référence pour guider les travaux de recherche en ce sens.

En conclusion

La démarche sous-jacente à l’ACF mise sur les forces personnelles et environnementales des personnes, des groupes et des collectivités pour les accompagner dans la résolution des problèmes auxquels ils sont confrontés. De son côté, l’INA propose aux participants de mettre à profit leurs forces et leurs compétences dans une dynamique d’entraide, pour franchir des obstacles bien réels, mais qui s’éloignent des activités quotidiennes. Elle propose en quelque sorte une métaphore de la vie courante et mise sur le développement d’attitudes (confiance, respect, entraide, autonomie, etc.) qui sont transposées dans le quotidien. À cet égard, l’INA constitue une application concrète et novatrice de l’ACF. Pourtant, elle demeure peu utilisée dans les milieux de l’intervention psychosociale et elle éveille même de la méfiance chez certains professionnels. Un certain nombre de facteurs peuvent expliquer cette situation. D’une part, la nature des activités réalisées dans le cadre l’INA est très variable et le profil des personnes qui encadrent ces activités, en ce qui a trait à la formation et l’expérience professionnelle, l’est tout autant. Il est donc difficile de porter un jugement global sur cette modalité d’intervention. D’autre part, l’INA requiert beaucoup de temps de préparation et elle comporte des exigences matérielles qui la rendent peu accessible. À ces éléments s’ajoute les questionnements sur son efficacité, en dépit de plusieurs études qui témoignent de résultats positifs.

La reconnaissance de la valeur des INA exige de poursuivre les efforts amorcés depuis quelques années en matière d’évaluation des résultats et d’identification des processus qui les produisent. Elle passe également par le développement d’un corpus théorique en mesure d’en soutenir la formalisation dans l’univers de l’intervention psychosociale. À cet égard, sa proximité avec certains courants qui ont marqué l’histoire du travail social et sa correspondance avec les fondements et les principes de l’ACF doivent être davantage affirmées. L’INA constitue une modalité d’intervention novatrice qui peut contribuer à venir en aide aux personnes les plus vulnérables et qui concrétise les fondements philosophiques avancés par l’ACF, en plus de les ancrer dans la réalité de l’intervention.