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Introduction

Les individus qui consultent un professionnel de la relation d’aide le font souvent pour des situations-problèmes comme un conflit familial, une dispute conjugale, une rupture amoureuse ou un différend avec un collègue. Ces situations peuvent susciter des affects négatifs qui s’aggravent à mesure que l’impasse perdure. Dans de tels cas, il n’est pas rare que les individus éprouvent des problèmes de santé mentale (Wallach, 2015; Wicker, 2011), adoptent des comportements violents envers soi ou autrui ou encore s’isolent socialement (Houle, 2005; Tremblay et Roy, 2017).

Le soutien social peut faciliter l’adaptation des individus confrontés à une situation-problème. Toutefois, pour être bénéfique, le soutien social doit être partagé dans des conditions dont les contours varient selon la situation, les caractéristiques individuelles ainsi que la dyade formée par un donneur et un receveur d’aide (Lakey et Orehek, 2011). À ce sujet, Sanicola (1994a; 1994b) estime qu’une intervention peut favoriser un soutien social bénéfique tant pour le donneur que le receveur d’aide. Selon cette auteure, le rôle de l’intervenant est alors de soutenir les échanges qui orientent les individus vers leur réseau de soutien. Le but étant que ce réseau soit capable de répondre de façon autonome aux besoins de ses membres.

Cet article explore le rôle du soutien social et de l’isolement dans la régulation des affects. Il cherche également à comprendre comment le fait de consulter un professionnel de la relation d’aide peut permettre d’améliorer le soutien social reçu et perçu. La première partie de l’article aborde le cadre théorique, certaines études sur le sujet et précise le but de cette recherche. La deuxième partie présente la méthode de recherche utilisée. La troisième partie fait état des principaux résultats qui sont discutés dans la quatrième partie.

Cadre conceptuel

Le soutien social réfère à trois éléments, soit au réseau social, à l’aide reçue et à l’appréciation subjective du soutien. Qui plus est, différentes formes de soutien social sont distinguées tels le soutien émotionnel, le soutien instrumental (ou concret), le soutien informationnel (donner des conseils) et l’accompagnement social (activités et loisirs) (Beauregard et Dumont, 1996; Caron et Guay, 2005).

La théorie de la régulation relationnelle (TRR) de Lakey et Orehek (2011) conçoit que le soutien social perçu est lié à l’état affectif chez les adolescents et les adultes. Selon cette théorie, le faible soutien social perçu contribuerait à la dérégulation des affects et serait lié à des problèmes de santé mentale comme l’anxiété et la dépression. À l’inverse, la perception d’un soutien social fort favoriserait la régulation des affects et serait liée à une bonne santé ainsi qu’une meilleure résistance aux stresseurs.

Les affects sont des états physiologiques produisant une attraction ou une répulsion (Scherer, 1984). Parmi les affects, Larivey (2002) distingue les émotions simples (colère, plaisir, etc.), les émotions mixtes (honte, fierté, etc.), les contre-émotions (fatigue, stress, etc.) et les pseudo-émotions (déprime, impuissance, etc.). Larivey (2002) croit que la difficulté à réguler les émotions simples contribuerait à les transformer en des états affectifs plus complexes (contre-émotions et pseudo-émotions), plus difficiles à gérer et néfastes pour la santé. Cela rejoint l’idée de la TRR selon laquelle la régulation des affects joue un rôle important dans la santé mentale (Lakey et Orehek, 2011).

Réguler un affect consiste à maintenir ou modifier un état affectif en agissant directement sur ce dernier ou sur les facteurs qui les génère (Gross, 2015a; 2015b). Ainsi, une personne peut-elle tenter de diminuer sa colère en la criant (action visant l’affect) ou en cherchant à combler le besoin non satisfait associé à cette émotion (action visant le besoin et indirectement l’affect). Les stratégies de régulation des affects (SRA) sont les moyens utilisés pour moduler les affects (p. ex., l’expression et la répression des émotions) et gérer les situations qui les génèrent (p. ex., la réinterprétation et la résolution de problème) (Gross, 2015a; 2015b).

Le soutien social est une SRA en ce sens que la perception de l’aide reçue influence les affects vécus. Selon les auteurs de la TRR, le soutien social perçu dépendrait de huit facteurs. Le premier facteur implique que les gens ont besoin de relations stables et continues pour réguler efficacement leurs affects. L’instabilité et la discontinuité influenceraient négativement le soutien social perçu. Le deuxième facteur stipule que les receveurs d’aide perçoivent et réagissent différemment au même type de soutien. Pour favoriser la régulation des affects, le soutien offert doit être adapté à ce qu’un receveur perçoit comme aidant dans une situation à un moment donné. Le troisième facteur veut les interactions quotidiennes qui ne concernent pas la situation stressante favoriseraient la régulation des affects en général. Quatrièmement, en interagissant, le donneur et le receveur apprennent ensemble à réguler leurs affects selon les préférences de chacun. Ils en viennent à savoir comment interagir pour réguler les affects et les comportements qui les ciblent. Cinquièmement, le receveur évalue chaque tentative de soutien du donneur. Il tendrait alors à solliciter le type de soutien qu’un donneur est en mesure de fournir dans une situation donnée selon le besoin du receveur. Il limiterait ses demandes en fonction de cette évaluation, laquelle peut changer et amener un élargissement ou un rétrécissement des demandes de soutien. Sixièmement, le donneur et le receveur forment une dyade de soutien réciproque. Mieux ils adaptent ce soutien, mieux la relation s’en porte et plus le soutien sera perçu positivement. Septièmement, le soutien sera perçu plus positivement s’il s’inscrit dans une relation réciproquement aidante. Huitièmement, plus le receveur a accès à un large éventail de soutien social, plus il lui sera aisé de trouver le soutien dont il a besoin (Lakey et Orehek, 2011).

À la lumière de la TRR, on peut émettre l’hypothèse qu’un faible soutien serait associé à un isolement social plus grand. L’isolement est le fait d’éviter les activités sociales, les personnes en général ou, à défaut, de parler de ses problèmes (Tamres, Janicki et Helgeson, 2002). Le but de l’isolement serait de réduire le risque d’être confronté à des situations sociales pouvant susciter des émotions négatives. Par exemple, éviter de rencontrer des proches ou l’ex-conjoint-e après une rupture amoureuse serait une façon de diminuer le risque de se faire poser des questions sur le sujet ou d’accroitre le malaise. L’isolement pourrait alors être choisi, ce qui n’aurait pas les mêmes conséquences que lorsqu’elle est imposée (Genest-Dufault, 2013).

Recension des écrits

Les hommes seraient en général davantage isolés que les femmes (Caron et Guay, 2005; Tremblay, Cloutier, Antil, Bergeron et Lapointe-Goupil, 2005). Lorsqu’ils ont des problèmes, ils seraient moins portés à en parler à leur entourage ou à consulter un professionnel de la santé (Roy, Tremblay, Guilmette, Bizot et Dupéré, 2014; Tremblay et Déry, 2010; Tremblay et Roy, 2017; Vogel et Heath, 2016; Vogel, Wester, Hammer et Downing-Matibag, 2014). Des études indiquent que l’isolement serait une stratégie souvent utilisée par les hommes plus marqués par la masculinité orthodoxe (Anderson, 2005) ou hégémonique (Connell et Messerschmidt, 2005) lorsqu’ils vivent des difficultés. Loin de les aider, cette stratégie les rendrait plus à risque de détresse et de tentatives de suicide (Genest-Dufault, 2013; Houle, Mishara et Chagnon, 2005; Oliffe, Ogrodniczuk, Bottorff, Johnson et Hoyak, 2010; P. Roy, 2014).

Les femmes utiliseraient davantage le soutien social que les hommes et cela leur serait bénéfique (Nolen-Hoeksema, 2012; Zimmermann et Iwanski, 2014). Lorsqu’on examine plus en profondeur les résultats, le soutien social émotionnel serait davantage utilisé par les femmes alors que les hommes emploieraient davantage un soutien social informel qui s’inscrit dans des activités sociales axées sur le loisir et le sport (Nolen-Hoeksema, 2012; Tamres et coll., 2002). Cependant, les femmes qui recourent à la suppression de l’expression émotionnelle auraient tendance à éviter leurs problèmes de même que le soutien social instrumental (Delelis, Christophe, Berjot et Desombre, 2011). Lorsqu’on compare les hommes entre eux, ceux qui recourent ou perçoivent un soutien disponible dans leur entourage auraient l’impression de mieux s’en sortir en situation de deuil amoureux (Genest-Dufault, 2013) ou de détresse psychologique (Good, Heppner, DeBord et Fischer, 2004; Roy, 2014).

Dans le même ordre d’idées, il semblerait que le soutien social et la santé mentale s’interinfluencent. Des chercheurs ont trouvé que les vétérans qui disent avoir une bonne santé mentale rapportent également disposer d’un bon soutien social. En comparaison, les vétérans répondant aux critères du syndrome de stress posttraumatique mentionnent avoir peu de soutien social (Woodward et coll., 2018). Ces derniers, hommes ou femmes, seraient alors davantage à risque d’avoir des idées suicidaires. À l’inverse, lorsque les vétérans souffrant d’un stress posttraumatique bénéficient d’un soutien social élevé, ce risque diminue considérablement (Debeer, Kimbrel, Meyer, Gulliver et Morissette, 2014).

Certaines approches postulent que le soutien social peut être accru et perçu plus positivement à la faveur d’une intervention. C’est le cas, notamment, de la thérapie interpersonnelle (Klerman, Weissman, Rounsaville et Chevron, 1984), de l’intervention de réseau (Sanicola, 1994a; 1994b) et de l’approche écologique (Gitterman et Germain, 2008). À l’instar du service social personnel (Laforest, 1984), ces approches estiment qu’il est possible d’améliorer le soutien social en agissant sur les transactions entre l’individu et l’environnement.

Bien qu’il existe relativement peu d’études sur le sujet, certaines d’entre elles appuient ce postulat. Par exemple, des études tendent à montrer que la thérapie interpersonnelle contribue à accroître le soutien social et favorise le rétablissement lors d’un épisode dépressif, cette approche étant tout aussi efficace que d’autres, plus centrées sur l’individu et ses cognitions (Cuijpers et coll., 2011; Markowitz et Weissman, 2012). Une étude réalisée dans un contexte de deuil à la suite d’une tuerie de masse souligne l’importance pour les parents endeuillés d’être reçus et compris dans leur vécu pour se sentir soutenu (Dyregrov, Kristensen, et Dyregrov, 2018). L’effet du soutien social s’expliquerait aussi par la présence de ressources disponibles variées auxquelles l’individu peut faire appel au quotidien. L’utilisation de ces ressources permettrait de prévenir des stress ou de les contrer (Champion, 2012; Gitterman et Germain, 2008) et de réguler plus facilement les émotions (Nolen-Hoeksema, 2012; Tamres et coll., 2002). Ce faisant, l’ensemble des ressources adaptatives serait plus aisément accessible et utilisé plus efficacement (Greenberg, 2004; Linehan, 1993). Les approches centrées sur le soutien social seraient aussi moins stigmatisantes, car elles mettent l’accent sur les forces des individus et les ressources disponibles dans leur environnement (Cloitre, Jackson et Schmidt, 2016).

But de l’étude

Comme le souligne Champion (2012), même si l’importance du soutien social dans la santé mentale est bien démontrée, la façon de l’accroître reste méconnue et sous-exploitée en consultation. Le déficit de soutien social constaté chez les hommes et chez les individus qui vivent des événements stressants incite également à considérer plus attentivement l’apport du soutien social lorsque ceux-ci consultent.

Dans cet esprit, le but de la présente étude est de mieux comprendre comment certains hommes confrontés à une situation-problème utilisent le soutien social et l’isolement pour réguler leurs affects. Plus précisément, cette étude vise à décrire les perceptions de ces hommes à propos : a) de leur utilisation du soutien social et de l’isolement; b) de l’influence du soutien social et de l’isolement sur les autres SRA; c) des impacts du soutien social et de l’isolement sur la situation-problème de même que sur l’état affectif; d) du rôle de la consultation dans les changements perçus dans l’utilisation du soutien social et de l’isolement.

Méthode de recherche

Type d’étude et recrutement

L’étude de cas multiples a été retenue afin d’explorer en profondeur les variables à l’étude. Dans ce type d’étude, le principal critère de sélection des participants repose sur leur capacité à fournir une description riche et détaillée de leur vécu en lien avec les questions de la recherche (Stake, 2006; Yin, 2009). À cette fin, la stratégie de recrutement a consisté à diffuser dans la communauté une fiche de recrutement qui invitait les hommes à discuter avec le chercheur de la façon dont ils estimaient que la consultation d’un professionnel de la relation d’aide les a aidés à mieux gérer leurs émotions et à composer avec une situation difficile. Une vingtaine de personnes ont manifesté un intérêt à participer à cette étude. Parmi eux, cinq se sont désistés après un échange d’informations par courriel et un autre s’est retiré après l’entretien téléphonique. Un candidat n’a pas été admis dans l’étude, car il ne correspondait pas aux critères de sélection. Au final, treize candidats correspondant aux critères de sélection ont accepté de prendre part à la recherche. Cette étude a reçu l’approbation du comité d’éthique de la recherche de l’Université Laval de même qu’obtenu le consentement écrit de chaque participant.

Méthode de collecte des données

Les participants à l’étude ont été rencontrés à deux reprises, à quatre ou cinq semaines d’intervalle, afin de réaliser des entrevues semi-structurées. Cette méthode a été retenue afin de susciter des témoignages riches capables d’alimenter les réflexions autour des questions à l’étude. Les entrevues permettaient de recueillir les données sociodémographiques et d’aborder la situation-problème qui a incité le participant à faire la dernière démarche de consultation; les affects éprouvés et les stratégies de régulation des affects que le participant estime avoir utilisées en lien avec la situation-problème pour laquelle il a consulté; les changements perçus; enfin, son appréciation générale de sa dernière démarche de consultation. Le guide d’entretien a été élaboré à partir du cadre théorique retenu. Il a été testé et abrégé à la suite des deux premières études de cas dans le but d’éviter des répétitions. Puis, un résumé écrit de leur témoignage leur a été remis afin de valider la compréhension du chercheur et de rectifier certaines perceptions au besoin. Les témoignages ont été enregistrés sur bande audio et transcrits.

Analyse des données

Une analyse qualitative des données a été réalisée, et ce, en trois phases. Lors de la première phase, le chercheur a effectué une codification par thèmes sur l’ensemble du matériel transcrit. Un thème représente un ensemble de faits ou une idée repérable dans une phrase ou en ensemble de phrases. La codification s’est centrée sur le repérage des thèmes susceptibles d’éclairer les questions de la recherche tout en restant ouverte à l’apport d’éléments nouveaux. La codification a été réalisée à l’aide du logiciel MAXQDA. Lors de la deuxième phase, le chercheur a examiné les données concernant chaque participant séparément. Cet examen permettait d’étudier les perceptions de chaque participant en regard des variables à l’étude et d’en faire un résumé (Creswell, 2007; Stake, 2006). Lors de la troisième phase, le chercheur s’est attardé à dégager le sens émergent de l’ensemble des données. Pour ce faire, une analyse thématique a été menée pour repérer de façon systématique les thèmes présents dans l’ensemble des données pour ensuite les classer et les regrouper en un tout signifiant (Paillé et Mucchielli, 2012).

La rigueur de l’analyse a été renforcée par différentes stratégies suggérées par Lietz et Zayas (2010) comme une collecte prolongée des données, la proximité dans le temps de la collecte et de l’analyse des données, le retour vers les participants avec le résumé de cas pour valider une première analyse des données, la prise de notes à propos des procédures d’investigation, la prise en considération de l’influence du chercheur sur les témoignages des participants, et enfin, en demandant l’avis d’autres chercheurs pour valider la codification, les thèmes émergeant ainsi que les résumés de cas.

Profil des participants

Le profil des participants à l’étude est assez varié. L’âge moyen des participants est de 44,1 ans et le revenu médian autour de 40,000$. Parmi eux, cinq sont en couple et sept sont pères. Les situations-problèmes qui ont amené ces hommes à consulter sont les conflits conjugaux (sept participants), la rupture amoureuse (sept participants), les difficultés familiales (six participants) et les problèmes dans les relations au travail (six participants). Les professionnels rencontrés sont des psychologues pour neuf participants, des travailleurs sociaux pour deux participants, et pour les autres, un psychoéducateur, un conseiller en ressources humaines et un autre en orientation. Ces professionnels avaient tous plus de cinq années d’expérience, sauf un, et travaillaient selon diverses approches (cognitivo-comportementale, humaniste, systémique et analytique). En tout, 10 participants avaient réalisé entre sept et 20 rencontres avec un professionnel de la relation d’aide alors que trois participants en avaient effectué au-delà de 60. En plus de la consultation individuelle, sept participants ont également pris part à un groupe de soutien animé par un professionnel. Dans tous les cas, il s’agissait d’une démarche d’aide volontaire. Ces informations sont celles rapportées par les participants lors de la première entrevue semi-structurée.

En fonction des différences et des ressemblances dans le profil des participants, l’équilibre hétérogénéité/homogénéité (Stake, 2006) est jugé satisfaisant. Ils partagent des expériences communes (être homme, avoir consulté un professionnel de la relation d’aide et avoir eu au moins cinq rencontres avec celui-ci au cours de la dernière année) tout en ayant suffisamment de caractéristiques qui les distinguent (âge, revenus, état civil, problèmes pour lesquels consulter et profil des professionnels de la relation d’aide) et les rendent uniques. Cette diversité permet d’enrichir les données recueillies, chaque participant fournissant un éclairage supplémentaire et permettant de construire une vision d’ensemble plus riche et plus complète des questions de la recherche (Pires, 1997; Stake, 2006).

Résultats et analyse des données

Les résultats de cette étude sont présentés en quatre parties : a) les changements perçus dans l’utilisation du soutien social; b) l’influence perçue de l’isolement et du soutien social sur les autres SRA; c) les impacts perçus de l’isolement et du soutien social sur la situation-problème et l’état affectif; d) le rôle attribué par les participants à la consultation dans les changements associés à l’utilisation du soutien social. Un pseudonyme a été donné à chaque participant.

a) De l’isolement au soutien social. Avant de consulter, presque tous les participants (11 sur 13) notent qu’ils étaient peu portés à parler de leurs affects et des situations-problèmes vécues. Ils tendaient plutôt à s’isoler et à ne pas voir l’utilité de parler de leurs problèmes :

Parce que bien entendu je ne voulais pas vraiment en parler à personne au début parce que je trouvais ça compliqué, que ça ne valait pas la peine, pis quoi que ce soit

Octavian

La moitié de ceux-ci soulignent que cette habitude remontait à loin, souvent à l’enfance, et que la conjointe a été la seule confidente avant de consulter.

J’ai toujours été seul pour tout affronter jusqu’à ce que je rencontre ma conjointe. Je n’avais pas eu de relation de couple vraiment, pas eu de blonde, des amies, des expériences, mais j’avais personne que moi-même pis je n’ai pas appris à m’ouvrir pis à aller accepter l’aide de personne. J’étais toujours seul à vivre ces choses-là pis à les affronter pis à encaisser, personne à qui en parler

Willy

Certains participants (3 sur 13) mentionnent qu’ils ne se confiaient pas à leur conjointe, car ils s’employaient davantage à soutenir cette dernière. Ce faisant, ils se sentaient isolés sur le plan affectif.

Ça me permettait de me bloquer de mes émotions pour gérer celles de l’autre. Et moi, on me laissait seul là-dedans, car je n’avais pas cette connexion-là, je ne m’ouvrais pas avec elle. Je reconnais bien aujourd’hui ce qui s’est passé à ce niveau-là

Marc

D’autres participants (6 sur 13) notent qu’à certains moments, ils préféraient ne pas en parler ou s’isoler afin de ne pas faire subir à leur conjointe leur état affectif négatif.

J’essaie de me punir plus, comme de me priver de choses. Arf, ça ne me tente pas à soir d’aller au restaurant, vas-y tout seul : je boudais. Au lieu de passer une soirée où je ne suis pas parlable, j’aimais mieux ne pas parler à personne pis parler à moi-même pis de me dire regarde ce que tu as fait encore

Francesco

Après un certain cheminement en consultation, la plupart des participants (11 sur 13) estiment parler davantage de leurs problèmes et de leurs affects à leur entourage.

Je suis plus porté à demander de l’aide quand j’en ai besoin que de laisser la situation dans le caca comme on dit. C’est plus gratifiant aussi

Francesco

Les personnes soutenantes dans les épreuves vécues par les participants ont été, selon ces derniers, des membres de la famille (8 participants), des amis (5 participants), des collègues (6 participants), l’employeur (5 participants) et des groupes d’entraide (7 participants). Ainsi, la conjointe n’est plus la seule confidente. Les participants soulignent toutefois l’importance de bien sélectionner les personnes à qui ils parlent de leurs problèmes. Selon eux, ces personnes doivent avoir une bonne écoute, de l’empathie, être capables de donner de bons conseils, d’encourager et que leurs propos restent confidentiels. Certains disent avoir fait « un ménage » dans leur réseau social pour miser sur des relations plus nourrissantes pour eux.

Dans mon entourage, certains ont été prudents et d’autres qui m’ont vraiment encouragé à 110% pis go vas-y, c’est vraiment ça qui mijote. Pis la personne en plus confirme, go vas-y. Pis d’autres qui décourageaient, qui n’étaient pas là pour m’inviter à faire ce changement là aussi

Martial

La plupart des participants (11 sur 13) estiment se confier davantage et choisir les personnes avec qui le faire selon leurs besoins. Par exemple, pour certains sujets comme exprimer leurs émotions et leurs pensées négatives, quelques-uns préfèrent se confier à l’intervenant qu’ils consultent. D’autres se limitent à l’intervenant et au groupe d’entraide auquel ils participent. Enfin, certains notent que la conjointe et les amis sont des confidents (soutien émotionnel) et des gens avec qui passer des moments agréables (accompagnement social), mais qu’il ne faut pas les brûler.

Un moment donné, j’ai arrêté de lui en parler parce qu’elle était tannée un peu, mais moé fallait que ça sorte aussi. Faque j’ai découvert un groupe d’entraide et ça m’a aidé beaucoup. Ça sortait, y faut que ça sorte...

Navan

Les formes de soutien social reçues sont, selon l’ensemble des propos des participants, surtout émotionnelles et informationnelles de la part de l’intervenant ou du groupe d’entraide; les témoignages décrivent un soutien social émotionnel, informationnel, concret et d’accompagnement social provenant de la famille et des amis.

J’ai été une période seule, mais heureusement le travail était là et je me suis mis à faire du canot. Je rencontrais des gens avec d’autres histoires et on était dans d’autres situations

Sam

b) Isolement, soutien social et autres SRA. En regard du témoignage des participants, l’isolement dominait avant la consultation et il se conjuguait avec l’utilisation de SRA non aidantes comme la suppression de l’expression émotionnelle, la rumination et les blâmes personnels.

Oui pis la plupart du temps, j’explosais contre moi-même, tsé. J’étais impulsif... je ne m’exprimais pas beaucoup, je ne parlais pas de mes émotions. Ç’a pris du temps! C’est juste dans les dernières années que j’ai plus appris à dire : « Bon, je me sens comme ça »

Francesco

Selon les propos recueillis, le soutien social a favorisé chez plusieurs (11 sur 13) l’émergence de SRA aidantes (expression des émotions, réinterprétation, résolution de problème et activités agréables) et permis d’en contrer d’autres non aidantes (suppression de l’expression émotionnelle, rumination, blâmes personnels et isolement). Par exemple, Octavian souligne comment l’écoute empathique et sans jugement l’a encouragé à exprimer ses émotions, ce qu’il a beaucoup apprécié.

Ç’a été plaisant d’être capable d’en parler avec ma collègue. Pis tranquillement pas vite, sans filtre, sans barrière ni jugement : c’é quelque chose que j’adorais

Octavian

Plusieurs (10 sur 13) affirment que les conseils des proches leur ont permis de voir autrement et de mettre en perspective leur situation-problème. Ils rapportent que des membres de leur entourage leur ont proposé des pistes de solutions, ce qui a facilité la résolution de problème.

Interviewer : De quelle façon elle t’a aidé ton épouse par rapport au travail à passer au travers ça?

Navan : Elle me donnait des solutions : elle me disait que ce que j’avais fait n’était pas si mal, ce n’était pas la fin du monde. Moé, je voyais ça comme la fin du monde. Elle me donnait des conseils de profiter d’une journée à la fois, de régler un problème à la fois. Ensuite, elle m’a encouragé à continuer après le nombre d’années que j’ai faites dans le domaine.

La plupart des participants (10 sur 13) disent avoir reçu des conseils qui les ont aidés à moins recourir à des SRA non aidantes comme la rumination : « Quelqu’un m’a déjà dit que quand t’as broyé du noir pendant une heure, arrêtes pis fais d’autre chose » (Sam).

Ils s’estiment également moins portés à s’isoler lorsqu’ils ne se sentent pas bien préférant passer un bon moment avec quelqu’un (activité agréable) ou à parler de ce qui les préoccupe : « Oui, j’aime mieux parler à quelqu’un que ruminer » (Francesco). Comme le souligne Octavian, s’investir dans des activités sociales génère plusieurs bénéfices, dont le fait de briser l’isolement, de penser à quelque chose de positif et de se sentir utile :

Je me suis retrouvé à recommencer l’animation auprès de groupes Scoot. Pis ça, c’est quelque chose qui m’a vraiment aidé. De un, ça me fait quelque chose à faire, à penser, c’é un beau projet avec des jeunes 14-17 ans pis ça me fait quelque chose à faire.

c) Impacts perçus de l’isolement et du soutien social. La majorité des participants (11 sur 13) évaluent que le fait de s’isoler ne les a pas aidés. Ils évoquent deux raisons principales. Premièrement, selon leurs témoignages, l’isolement les amenait davantage à ne pas parler de leurs émotions, à accumuler des tensions internes, à ruminer et à exploser. Ce faisant, la situation-problème et leur état affectif se détérioraient.

Oui, je pense que c’est ça : je ne me permettais pas, je n’acceptais pas certaines émotions et j’accumulais à la longue pis ça commençait à me nuire à la longue. Je vois vraiment une différence. Vraiment une grosse différence

Martial

Deuxièmement, l’isolement les privait de ressources aidantes comme de confidents pouvant les écouter, les encourager et leur donner des conseils ou encore de personnes avec qui passer des moments agréables et s’approvisionner de positif.

Je m’étais isolé. Alors, quand tu n’as pas beaucoup de contacts avec les autres, bien, tu n’es pas nourri. Tu ris moins... Donc, la socialisation, c’est quelque chose que j’ai à travailler

Willy

Le fait de briser cet isolement a amené plusieurs bénéfices selon ces participants. Un premier bénéfice est qu’en brisant leur isolement, ils ont accès à davantage de ressources d’aide : « Ça veut dire que là, moi, je n’ai plus besoin de tout faire tout seul. Dans mon entreprise, c’est toute moi qui faisais, tsé » (Paul). Ils n’ont plus à porter seuls leur fardeau et, en le partageant, il devient plus léger.

Des fois, c’est trop gros pour nous autres, c’est trop difficile, pis on vient le ventiler, on vient le sortir. Si c’é juste une bride, bien c’é une bride de moins à porter, tsé. C’é comme prendre des cheddières de ciments pis de s’en aller avec : si tu es capable d’en verser un peu dans des cheddières à côté bien elles sont moins lourdes à porter pis un moment donné tu finis à force de jaser de ça que les cheddières elles sont vides, tsé. Faque là, c’é beaucoup plus facile de marcher, c’é beaucoup moins dur à traîner

Merla

Ils peuvent ainsi profiter de multiples formes d’aide, observent-ils, comme de l’écoute, de l’empathie, des encouragements, des conseils, un coup de main pour des travaux ou une invitation à une activité sociale.

Mais eux-autres m’invitaient tout le temps. Même si on était dans un état pitoyable, ils nous invitaient pis ça nous permettait d’avoir les filles dans un lieu où elles étaient bien

Marc

Selon les témoignages, si le soutien social permet, d’une part, de faire baisser la tension interne (notamment par l’expression des émotions), il favorise, d’autre part, la réénergisation. En effet, plusieurs participants (10 sur 13) estiment que certaines de leurs activités sociales leur permettaient de passer un bon moment et de ne plus penser à leurs problèmes.

Je me laisse remplir là. C’est drôle, tout à coup c’est magique. Le monde arrive vers moi pis je ne cours même plus après eux autres, comme par magie, ils sont là

Paul

Un autre bénéfice associé au soutien social par les participants est une amélioration de la situation-problème et de l’état affectif. La plupart des participants (11 sur 13) estiment, en effet, que certaines personnes de leur entourage et le groupe d’entraide auquel quelques-uns ont participé ont fortement contribué aux progrès observés dans la situation-problème et l’état affectif. À la fin, plusieurs participants révèlent avoir des relations plus nourrissantes qu’ils veulent préserver.

Oui, j’ai vraiment de la satisfaction pis un bonheur à connecter avec mes amis proches. J’ai élagué beaucoup d’amis pis les amis proches, on arrive à avoir un degré de connexion vraiment fort pis ça nourrit autant moi que l’autre personne. Pis ce type de relation là, je n’étais pas capable de les débloquer avant. C’est là-dessus que je veux miser

Marc

d) L’initiation à la connexion affective en consultation. De l’avis de certains participants (8 sur 13), avant de s’ouvrir à leur entourage, ils ont d’abord apprivoisé leurs affects en consultation. Au début, ils étaient sceptiques par rapport à l’utilité de parler de leurs affects et de leurs problèmes. Ils ont noté avoir craint d’exprimer leur souffrance et qu’elle déborde ou d’être jugé dans cet état de vulnérabilité. Cependant, après quelques rencontres, la plupart constataient des bénéfices à le faire.

Bien oui, je me rappelle que je lui ai dit, la deuxième fois que j’y suis allé, j’ai failli ne pas venir. Il m’a dit que c’est normal, c’est quelque chose de délicat comme une plaie qui revenait. C’était d’en parler que je me sentais le mieux. Après quatre ou cinq rendez-vous, c’était juste du positif par après

Francesco

Plus précisément, les bénéfices mentionnés se rapportent à la capacité accrue de nommer, d’exprimer et de comprendre les affects.

Pis j’ai commencé à comprendre la mécanique de l’esprit si on veut, comment tu te sens bien pis pas bien, si t’as un noeud ici, c’é quoi ça. Mettre des mots là-dessus, juste prendre conscience que je vis ça

Willy

Cet apprivoisement a été facilité, selon leurs propos, par un climat de sécurité affective, l’écoute, le non-jugement et le respect du rythme du client par le professionnel consulté.

Quand elle a réussi à crever mon abcès, je n’étais pas chez-nous tout seul. Elle était là pis elle était capable de m’aider à contenir ça pis à bien le gérer. Je pense que c’est ça qui m’a aidé

Martial

Cette écoute et cet accueil inconditionnel semblent avoir autorisé, à leurs yeux, l’accueil de leur propre vécu affectif.

Avec le suivi, ça m’a permis de comprendre que j’avais le droit d’avoir des frustrations, d’être en colère par rapport à ça pis en même temps que c’est correct de prendre une distance

Éric

Certains ont d’ailleurs noté que cette qualité de la relation avec soi-même et le professionnel a favorisé, par la suite, la connexion affective avec d’autres personnes.

Si je n’avais pas eu mon psychologue, je ne pense pas qu’aujourd’hui j’aurais été capable de connecter avec mes amis proches. De cette manière-là, je ne serais pas rendu là encore, ça serait beaucoup plus hasardeux

Marc

Plusieurs participants (7 sur 13) ont été encouragés par le professionnel consulté à prendre part à un groupe d’entraide et à exprimer leurs affects à l’entourage, ce qu’ils jugent bénéfique.

L’intervenant à l’accueil m’a inscrit à un groupe pis j’ai commencé à y aller. Je n’étais pas gros dans mes shorts. Moé, m’asseoir avec du monde pis jaser, humm […] Au début, je ne parlais pas beaucoup, j’écoutais, je disais juste des petites bribes pis un moment donné, oups, tranquillement la porte s’est ouverte

Merla

Plusieurs participants (11 sur 13) mentionnent que la consultation, en leur permettant d’apprendre à parler de leurs affects, les a aidés à s’affirmer davantage avec leur entourage de même qu’à prendre la parole en public.

Pis là, d’un coup sec, bien ç’a pris quasiment quatre ans là, ç’a été un processus long, mais qui a été le fun parce que j’ai appris à faire des choses que je ne faisais pas comme de m’exprimer en public, à parler avec du monde

Merla

Discussion

Cette étude visait à mieux comprendre le vécu d’hommes à propos du soutien social et de l’isolement. Ces hommes ont tous consulté un professionnel de la relation d’aide pour divers problèmes les principaux étant des conflits conjugaux, une rupture amoureuse, des difficultés familiales et des problèmes au travail. Les résultats seront discutés à la lumière de la TRR (Lakey et Orehek, 2011) et d’autres recherches.

Les 13 études de cas réalisées ont permis d’alimenter la réflexion sur ce thème de recherche de plusieurs façons. Premièrement, la plupart des participants ont révélé qu’avant de consulter ils avaient tendance à ne pas parler de leurs problèmes avec leur entourage et même à s’isoler dans de telles situations. Pour certains, la conjointe apparaissait comme la seule confidente. Cette tendance des hommes à s’isoler lorsqu’ils éprouvent des difficultés est assez bien documentée dans la littérature scientifique de même que celle d’avoir leur conjointe comme unique confidente (Houle et Guillou-Ouellette, 2012; Roy et coll., 2014; Tremblay et Déry, 2010; Tremblay et Roy, 2017; Vogel et Heath, 2016). Peu d’études ont souligné le point de vue d’hommes estimant qu’il y aurait des avantages à choisir de s’isoler (Genest-Dufault, 2013). Les témoignages recueillis incitent à s’intéresser à cette question pour mieux distinguer les avantages et les inconvénients d’un isolement qui serait choisi ou imposé. Cela pourrait fournir des pistes plus précises aux intervenants pour reconnaitre les contextes dans lesquels l’isolement et le soutien social peuvent être bénéfiques.

Dans la même veine, le fait qu’aux yeux de certains participants la consultation ait favorisé la reconnexion avec des membres du réseau social est un phénomène déjà connu (Cuijpers et coll., 2011; Hogan, Linden et Najarian, 2002; Markowitz et Weissman, 2012). Certains propos des participants laissent entendre que cette connexion affective varie selon leur interlocuteur. Quelques-uns ont limité l’expression d’un vécu jugé intime au professionnel consulté alors que d’autres l’ont élargi à un groupe d’entraide, la conjointe ou un ami. On peut penser qu’il s’agit là d’une stratégie qui permet à certains hommes de trouver un compromis entre le besoin d’évacuer des affects sans pour autant prendre le risque de subir une réprobation sociale ou de ressentir une honte à montrer des affects vus comme un signe de faiblesse dans la masculinité orthodoxe (Brooks, 2005). De la sorte, ces hommes trouvent une façon optimale d’obtenir un soutien social émotionnel (Genest-Dufault, 2013; Good et coll., 2004; Roy, 2014).

Deuxièmement, plusieurs participants ont mentionné que l’isolement les amenait à utiliser surtout des SRA non aidantes (suppression de l’expression émotionnelle, rumination et blâmes personnels) alors que le soutien social les a plutôt encouragés à recourir à des SRA aidantes (expression des émotions, réinterprétation, résolution de problème et réalisation d’activités agréables). D’autres études ont observé ce genre de lien entre l’isolement ou le faible soutien social et l’utilisation d’autres SRA non aidantes (Houle, 2005; Prati et Pietrantoni, 2009; Stevens et coll., 2013). On peut ainsi penser que le soutien social aurait un effet de médiation sur l’ensemble des SRA. Cela signifie que le soutien social lorsque perçu positivement augmenterait l’efficacité des SRA aidantes et permettrait de contrer plus efficacement les SRA non aidantes.

Troisièmement, la plupart des participants ont associé l’isolement social et affectif à une période de dégradation de la situation-problème et de l’état affectif alors que le fait briser cet isolement a été plutôt perçu comme bénéfique. Dans le même sens, certains auteurs notent les impacts négatifs de l’isolement chez les hommes (Houle, 2005; Tremblay et Roy, 2017) et estiment que le soutien social joue un rôle majeur dans la régulation des affects et l’adaptation (Klerman et coll., 1984; Lakey et Orehek, 2011). Les propos des participants appuient certaines hypothèses de Lakey et Orehek (2011), dont celles stipulant que : a) l’isolement prive d’un accès à des ressources sociales alors que le contact avec autrui le facilite; b) la sélection des personnes perçues comme aidantes permet d’obtenir plus aisément le soutien social désiré; c) la régulation des affects se fait par des échanges qui sont diversifiés comme la participation à des activités sociales, l’humour et l’expression des émotions. Les résultats laissent aussi croire que soutien social perçu positivement jouerait un rôle dans la réduction des affects négatifs et l’augmentation des affects positifs comme le suggère la TRR.

Quatrièmement, la plupart des participants ont évalué que la consultation a favorisé l’utilisation efficace des ressources sociales autour d’eux. Certains ont expliqué que la connexion émotionnelle positive avec le professionnel consulté a permis de se familiariser avec ce type de relation et d’en découvrir les avantages. Par la suite, ils disent s’être sentis plus à l’aise de s’ouvrir avec d’autres personnes. Turcotte (2002) et Bizot (2011) sont arrivés à des résultats semblables. Ces derniers proposent comme hypothèse que la consultation ou le groupe d’entraide qui se déroule dans un cadre intime et sécurisant facilite tant la connexion affective avec soi que celle avec autrui. Certains hommes parviendraient ainsi à faire leurs premiers pas dans l’univers des affects et à l’apprivoiser progressivement. Les résultats de la présente étude appuient en partie ces hypothèses. Certains participants mentionnent avoir peu parlé de leur situation-problème à leurs proches alors que d’autres en ont parlé tant à l’intervenant qu’à leurs proches. Selon les témoignages recueillis, cette différence s’expliquerait par la perception du soutien social disponible rejoignant l’un des postulats de la TRR. Plusieurs participants ont en effet rapporté choisir les personnes en fonction du type de soutien souhaité. D’autres facteurs pourraient également influencer ce choix comme l’approche préconisée, la relation entre l’intervenant et le client, les caractéristiques personnelles du participant et les caractéristiques de son environnement social.

Conclusion

Cette étude met en relief l’importance d’encourager, en cours de consultation, une plus grande utilisation du soutien social. Certes, l’intervenant doit respecter le rythme du client à se dévoiler, mais ajouter progressivement des défis qui permettront de briser davantage l’isolement social et affectif vécu par plusieurs hommes qui consultent. Différentes approches fournissent des balises intéressantes pour les intervenants comme : a) développer et entretenir un réseau social aux ressources variées; b) être actif au sein de ce réseau à la fois comme donneur et receveur de soutien social; c) construire des relations intimes dans lesquelles les affects peuvent être exprimés; d) apprendre à résoudre les conflits relationnels (Gitterman et Germain, 2008; Klerman et coll., 1984; Lakey et Orehek, 2011). La perspective du service social personnelle mettant l’accent sur l’amélioration des transactions entre l’individu et son environnement social a ici toute sa pertinence.

L’un des apports de cette étude est de mettre en doute le caractère nécessairement néfaste de l’isolement. Selon quelques témoignages, l’isolement pourrait générer des bénéfices dans certains contextes. Les données ne permettent toutefois pas de préciser ces contextes. À tout le moins, l’intervenant doit rester ouvert à la possibilité que l’isolement puisse être bénéfique pour des hommes dans certains contextes.

Parmi les limites de cette étude, notons qu’elle a été réalisée avec un petit nombre de participants qui ont eu une expérience positive en consultation décrivant son apport ainsi que la pertinence d’y avoir abordé les affects, les SRA et le soutien social. Il serait intéressant de conduire une étude semblable avec un échantillon plus diversifié composé d’hommes et de femmes qui n’ont pas discuté de leurs affects en consultation ou qui n’ont pas perçu l’utilité de l’avoir fait. Un plus grand échantillon permettrait aussi de mieux comprendre les différences entre les participants qui ont davantage exploité leur réseau social à la suite de la consultation et ceux qui l’ont moins fait.