Corps de l’article

À une époque où l’externalisation[1] trône au sommet de l’offre alimentaire, il est normal de se demander si l’on cuisine toujours dans les foyers québécois. Explosion de ce mode de vie et changement drastique dans les habitudes de consommation – notamment depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, il va sans dire que l’identité alimentaire se métamorphose rapidement.[2]

Pour le cuisinomane à domicile, qui ne demande rien d’autre que de préparer un repas pour ses convives, ce n’est pas toujours évident de faire compétition à la diversité d’offres qui règne sur la scène alimentaire. À cet effet, l’historienne Nathalie Cooke avance que l’évolution des connaissances entourant le fait alimentaire au Canada a fait en sorte que nous nous attendons aujourd’hui à une certaine diversité culinaire dans nos assiettes. Puis, s’ajoute à cette accumulation des connaissances, une industrialisation du savoir-faire et du goût. Or, il est normal que cette évolution culinaire ait finalement abouti à un savoir-faire et des attentes particulièrement aiguisées et éclatées.[3]

Nécessairement, les multinationales qui se « cachent » derrière la production massive d’aliments transformés ont su répondre à ces attentes. En fait, l’externalisation peut se traduire de plusieurs façons. Tant la pizza congelée, qu’un cassoulet préparé par son boucher, qu’un abonnement à un service de traiteur[4] se rangent, à notre avis, sous l’enseigne de l’externalisation alimentaire. Certes, ces multiples solutions permettent sans aucun doute de simplifier le rythme effréné du quotidien, surtout dans une société où la surproduction et l’acharnement au travail sont particulièrement encouragés. Mais, c’est plus encore : la sous-traitance des repas quotidiens semble être pratique de plus en plus commune. Or, qu’en est-il de notre héritage culinaire? Ces « solutions » ne nous amèneraient-elles pas à nous déconnecter de nos traditions culinaires? À cultiver une identité de consommateur plutôt passive ? Heureusement, à travers ce brouhaha de la chaîne alimentaire dite industrielle existent une multitude de défenseurs d’une identité alimentaire plus traditionnelle.

C’est le cas du nouveau magazine Dinette.[5] Produit par Dubé Loiselle Alimentation, édité et réfléchi par Mathieu Lachapelle, ce magazine nous propose un univers unique où l’alimentation est présentée sous un oeil épicurien. Cette initiative prend plaisir à cultiver et à défendre le rôle central de l’alimentation. Ainsi, ils nous invitent à cuisiner, à découvrir différentes traditions culinaires et à cultiver justement une identité participative de consommateur.[6] Esthétiquement soignée, la revue Dinette propose un « monde de découvertes, de recettes, de belles photos, de reportages inédits, d’illustrations sur mesure et d’entrevues »[7], en plus d’y retrouver plusieurs collaborations des talentueux illustrateurs Sébastien Thibault et Benoit Tardif.

Il y a lieu de saluer cette initiative qui stimule les sens, qui donne réellement envie de cuisiner et qui pousse également la réflexion en offrant des reportages inédits portant sur des talents influents du milieu.[8] Les recettes proposées par la chef Marie-Ève Collin sont intéressantes, innovantes, originales et faciles à réaliser. Celles-ci mettent systématiquement en valeur la matière première, ingrédients locaux pour la plupart. On y retrouve par exemple dans le premier numéro une recette de « tartelette de tomates, Alfred le fermier [fromage québécois], pâte à l’huile d’olive et bière blanche » ou encore une recette de « radis rôtis, yogourt, tahini, tournesol [du Québec], miel ». Même si elles peuvent sembler élaborées tant par la méthode que les ingrédients utilisés, la réalisation de ces dernières sont d’une simplicité et le résultat est exquis; digne du restaurant.

Nous constatons également que beaucoup de place est accordée aux chefs d’établissements renommés à Montréal. De plus, nous notons une certaine vulgarisation des méthodes, techniques et réflexions de ces derniers – ce qui distingue particulièrement Dinette des autres revues culinaires plus populaires, comme Coup de Pouce ou Ricardo.

Ceci étant dit, si la présentation visuelle est riche et l’objectif visé par ses artisans est honorable, le contenu écrit l’est un peu moins. Chétifs et très inégaux, les textes des reportages et entrevues semblent manquer d’une certaine ligne éditoriale. Il serait intéressant d’y lire un contenu un peu plus développé et recherché : certains textes reprennent malheureusement le ton un peu familier et parfois irrévérencieux que l’on retrouve dans ces blogues qui pullulent sur internet.

S’adressant particulièrement à un jeune lectorat, nous espérons que ce genre d’initiative incitera certaines personnes pour qui la sous-traitance des repas est devenue la norme, à retourner, voire s’initier aux fourneaux. Le repas serait une création, voire une institution humaine selon Micheal Pollan.[9] Laisser les multinationales cuisiner pour soi serait donc synonyme de se priver de toutes les subtilités que nous offre notre héritage culinaire. Pour le célébrer comme il se doit, il faudrait ainsi, toujours selon Pollan, être un fabricant, un producteur ou un fournisseur plutôt qu’un simple consommateur passif; c’est l’appropriation des fourneaux qui permettrait d’atteindre les sommets.[10] Il semble que Dinette – et c’est tout à leur honneur – s’inscrit dans cette nouvelle vision de l’alimentation.