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Vous avez connu un long parcours professionnel dans le monde des bibliothèques. En relatant les grandes étapes de votre parcours dans le contexte de son époque, dites-nous quelles sont vos réalisations les plus significatives.

À la sortie de l’École de bibliothéconomie et des sciences de l’information (EBSI) en 1969, j’obtiens le poste que je convoite à la Bibliothèque nationale du Québec (BNQ), celui de bibliothécaire de référence dans le magnifique édifice de la Bibliothèque Saint-Sulpice que je fréquente depuis l’adolescence. J’ai aussi les responsabilités supplémentaires de mettre à jour la publication Les ouvrages de référence du Québec (Bosa 1969), de choisir et de présenter des textes anciens, rares et importants de l’histoire du Québec et de les rééditer dans des numéros de la revue Écrits du Canada français. Il faut rappeler que, dans la mouvance de la Révolution tranquille, des chercheurs reviennent aux documents originaux de la BNQ entre autres pour réécrire notre histoire ou pour rééditer des documents épuisés.

La formation universitaire en archivistique n’existant pas encore au Québec, la BNQ m’envoie à Paris en 1972 au Stage technique international d’archives, tenu sous les auspices des Archives nationales de France, pour que je puisse diriger, au retour, le département des manuscrits. Quelques mois plus tard éclate « l’affaire des manuscrits » (Dostie 1973). Georges Cartier, conservateur de la BNQ, démissionne, contestant la directive ministérielle d’abolir le département et de transférer les fonds aux Archives nationales du Québec. J’évite de justesse de partir avec les caisses grâce à une mutation au poste de bibliothécaire dit « itinérant » chargé d’évaluer des collections privées susceptibles d’être acquises.

Un emploi inhabituel et emballant de bibliothécaire-recherchiste m’attire en 1974 à Radio-Québec pour la nouvelle émission hebdomadaire Télé-Ressources, née du projet audacieux d’un groupe d’étudiants et du professeur André Castonguay de l’EBSI. Dans une perspective de bonne vulgarisation des bibliothèques, voire de leur démystification, l’objectif est d’inciter les téléspectateurs à mieux s’approprier les lieux, les documents et les services. Ce bain télévisuel intensif provoque en moi une révolution copernicienne en bousculant ma conception des bibliothèques : d’un univers centré sur les collections, je comprends que l’usager/client/citoyen est en réalité le centre des bibliothèques, que c’est à chacun de nous, spécialistes des bibliothèques, d’adapter son discours à la compréhension des clientèles et de faire en sorte que les lieux, les collections et les services répondent à leurs besoins.

Mes recherches exigent l’utilisation de dizaines de centres de documentation et de bibliothèques, principalement les bibliothèques publiques de la région montréalaise et la BNQ. Durant deux ans, je côtoie des collègues passionnés des bibliothèques de LaSalle, Laval, Montréal, Pointe-Claire, Saint-Léonard et Westmount. Je pénètre un monde fascinant. Je mesure vite l’écart désolant entre le développement des bibliothèques publiques des milieux de tradition protestante (et anglophone) de l’ouest de l’Île de Montréal et celui des milieux de tradition catholique (et francophone) du reste du Québec (Lacroix 1979 ; 1981) ainsi que le retard consternant du Québec en Amérique du Nord. Lors d’un séjour personnel de plusieurs semaines en Europe à l’été 1975, je parcours le Danemark, la Suède, la Norvège et, pour être au courant de l’actualité, j’utilise à l’occasion des bibliothèques publiques déjà hors du commun. Le goût de relever un nouveau défi prend forme, celui de créer une bibliothèque municipale digne de ce nom, de préférence dans une ville francophone de la banlieue de Montréal. J’ai une vision précise de ce que je veux entreprendre.

En 1976, la Ville de Brossard signe une entente pour municipaliser la Bibliothèque de Brossard, créée et gérée depuis 1972 par une quarantaine de bénévoles de l’Union des familles de Brossard, sous la responsabilité de Colette Bédard. C’est avec conviction, en dépit d’une baisse de salaire, que je postule au poste affiché. Retenu, je suis résolu à créer et à développer, avec la collaboration étroite et l’aide enthousiaste de ces bénévoles, le Service de la Bibliothèque municipale de Brossard installé au second étage d’un centre commercial. En effet, tout aussi déterminé à réussir, je pose une condition essentielle qui est acceptée et sera respectée : que la bibliothèque soit un service de même niveau hiérarchique que celui des finances, de la police et des loisirs dont les directeurs relèvent directement du directeur général. J’estime alors que la place inadéquate de la bibliothèque, sous le service des loisirs dans la majorité des organigrammes des villes du Québec, défavorise leur développement. Encore aujourd’hui, les bibliothèques relèvent du service des loisirs dans environ 50 % des municipalités. Je crois fermement que la bibliothèque municipale va bien au-delà du simple loisir et qu’elle répond au droit de tous à l’information, à la culture et à l’éducation, et que cela nécessite un statut administratif exemplaire. Je crois également que l’exercice d’une activité sportive ou culturelle résulte d’un choix personnel pour lequel s’applique la logique de l’utilisateur-payeur. Je peux réussir sans savoir jouer au hockey ou au piano, mais, dans une société du savoir, il est impossible de réussir sans une bonne maîtrise de la lecture papier/numérique. Je n’arrive pas à affirmer cette réalité autrement que par ces mots : « Je ne peux pas ne pas lire ». La bibliothèque est un service essentiel et gratuit.

Brossard n’est alors qu’enchantement pendant 16 années grâce à une équipe que je professionnalise graduellement (quatre bibliothécaires et trois techniciens à plein temps) et qui se veut à l’affût des besoins du milieu, qui développe des collections à raison de 10 000 acquisitions annuelles ainsi que des services et de multiples activités de médiation. La bibliothèque comptabilise 800 entrées par jour et fidélise plus de 50 % des citoyens à la fin des années 1980. Le conseil municipal et les citoyens sont régulièrement tenus au courant des résultats tangibles et des activités de la bibliothèque par le biais de publicités et de chroniques régulières dans les hebdomadaires locaux et le trimestriel Loisard. L’étape annuelle cruciale est la défense du budget en décembre, budget qui est multiplié par 35 au cours de ces 16 années, mais qui reste toujours dans la moyenne des dépenses des bibliothèques municipales du Québec. C’est l’occasion unique et fort stimulante de convaincre les élus de soutenir financièrement leur plus importante institution culturelle en misant sur sa rentabilité (Lacroix 1993). Statistiques à l’appui, j’utilise une métaphore saisissante et éloquente : les citoyens de Brossard ayant en mains un document de la bibliothèque sont chaque jour si nombreux que, tous regroupés en un seul lieu pour lire, ils peuvent remplir tous les soirs la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts ou une fois par mois le Stade olympique de Montréal. Enfin, au début des années 1990, tous les travaux d’informatisation sont enclenchés et un système intégré de gestion documentaire est acquis.

Au cours des ans, la fréquentation est telle qu’il faut entreprendre trois agrandissements importants (de 69 m2 à 621 m2, puis à 1 215 m2 et enfin à 2 144 m2). On me laisse, en 1977, carte blanche auprès de l’architecte Jean-Louis Robillard et du designer Claude Girard, lesquels vont magnifier ma vision d’un lieu documentaire convivial et chaleureux axé sur les besoins et le confort des usagers et du personnel. Ils proposent différentes zones de travail et de lecture, de détente et d’animation, des atmosphères diversifiées, notamment grâce à une palette de couleurs vives et à plusieurs types d’éclairage. On y retrouve également des fauteuils confortables et modernes, et de nombreuses plantes vertes suspendues ou au sol.

Jean-Louis Robillard et Claude Girard créent un véritable milieu de vie qui ravit les citoyens. Grâce à ces deux experts réputés, j’acquiers une compétence de base en aménagement. Ce champ d’intérêt s’élargit au cours des ans alors que j’effectue de nombreuses visites personnelles, mais aussi professionnelles dans de nouvelles bibliothèques en France (1974 et 2000), en Belgique (1978), au Maryland (1982), dans les plus récentes bibliothèques publiques de grandes villes américaines et canadiennes (1999), au New Hampshire (2002), aux Pays-Bas et en Scandinavie (1999) ainsi qu’en Europe (2008 à 2010).

En 1993, je reviens à la BNQ comme directeur de la référence. Je coordonne le travail d’une équipe dispersée dans trois édifices, je pilote divers dossiers d’avant-garde, notamment la rédaction d’une Politique de référence et d’accès aux collections, je participe à des opérations d’informatisation, à la pose des codes à barres de même qu’à la création du Répertoire des sites Web de référence du Québec. Et, une première, je coordonne la numérisation d’un corpus de 1 600 monographies québécoises publiées avant 1930 ainsi que de 6 000 illustrations tirées de la collection Les Albums de rues E.-Z. Massicotte portant sur le Montréal des années 1870 à 1920, tous des documents libres de droits. Je collabore aussi à un projet qui s’annonce prometteur : la rédaction du document La Grande bibliothèque du Québec : programme des activités et des espaces.

Que retenez-vous de votre expérience à la Grande bibliothèque du Québec ?

La Loi sur la Grande bibliothèque du Québec est adoptée en 1998 par l’Assemblée nationale. Lise Bissonnette, présidente-directrice générale, me confie la direction générale de la bibliothéconomie. Elle s’appuie sur ma double expérience de la BNQ et des bibliothèques publiques. Elle endosse tant ma vision de service que mes recommandations de bonifier le projet, notamment la révision du Programme des activités et des espaces afin de consacrer un espace à la Collection nationale de diffusion, ainsi que l’acquisition et le traitement de 475 000 nouveaux documents (imprimés, audiovisuels et électroniques) avec une attention marquée à l’égard des besoins des jeunes, du milieu des affaires et des travailleurs autonomes, des nouveaux arrivants et des personnes handicapées. Je fais de nombreuses lectures et un voyage en compagnie de madame Bissonnette pour nous nourrir de ce qui se fait de mieux ailleurs, particulièrement dans les pays scandinaves avec lesquels le Québec partage la notable similitude identitaire d’une minorité linguistique dans un vaste ensemble géopolitique. Je cherche auprès de mes collègues des pays nordiques comment rendre le succès à portée de mains. Une réponse retenue parmi d’autres : surtout ne pas copier/coller, mais adapter chaque bibliothèque à l’identité culturelle propre au milieu ou à la société. C’est déjà ce qu’on veut que soit la Grande bibliothèque (GB), qui deviendra Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) (Lacroix 2006).

Il est utile de rappeler ici que la riche et inédite aventure de la GB s’inscrit dans le cadre d’un budget restreint mais scrupuleusement respecté. Ce chantier est si complexe et son échéancier si serré qu’il est, à ma connaissance, incomparable au niveau international. On n’a qu’à penser à l’ampleur et au nombre de défis que représente pour une équipe réduite une construction de 33 000 m2 sans dépassement de coûts, la moins chère au mètre carré en Amérique du Nord. Cette équipe doit encore intégrer 475 000 nouveaux documents et plusieurs collections ayant différentes classifications, négocier des protocoles d’entente avec plusieurs partenaires, jouer aux équilibristes en réglant rapidement tant des questions bibliothéconomiques, architecturales, technologiques, financières que juridiques et syndicales. Ici encore, la GB compte sur une équipe exemplaire, soudée, engagée et dévouée.

Fait exceptionnel à relever, la GB est née de la volonté unanime des députés de l’Assemblée nationale. Mais, paradoxalement, ses gestionnaires sont confrontés à de nombreux critiques convaincus que ce vaisseau-amiral est un coûteux éléphant blanc et qu’il est inutile en ces temps nouveaux (1998), où les inconditionnels du messie Internet prophétisent, ne l’oublions pas, la mort définitive du papier, des imprimés et des bibliothèques. Je retourne dans l’histoire des bibliothèques et je constate les mêmes prévisions pessimistes, notamment au XIXe siècle lors de l’entrée des journaux quotidiens dans les maisons bourgeoises et au début des années 1970 lors de l’arrivée massive de l’audiovisuel dans tous les milieux de l’enseignement. La suite est connue. Les bibliothèques triomphent encore et partout en intégrant chacun des nouveaux supports de l’information et en agrandissant leur superficie. Prévue pour accueillir 5 000 personnes par jour, la GB double presque ce rythme, fracasse les records et devient, en 2011, première de classe parmi les bibliothèques publiques les plus fréquentées en Amérique du Nord. Avec plus de 2 700 000 visites annuelles, dont de nombreux touristes de passage, elle devance les bibliothèques centrales de Los Angeles, New York et Toronto, et demeure la plus fréquentée de la francophonie.

À plus d’un titre, la GB est un puissant électrochoc pour la société québécoise, alors encore assez frileuse face au monde intellectuel. Ayons entre autres en mémoire le fait que, hors des étudiants universitaires, c’est une première pour la majorité des citoyens de Montréal et du Québec, qui ont un accès direct à plus de 100 000 documents et à une multitude de services et d’activités. Par ailleurs, un souhait que j’ai souvent exprimé est aujourd’hui en voie de réalisation grâce à BAnQ : la mise en place d’un guichet unique de traitement documentaire, lequel devrait éliminer les trop nombreux dédoublements d’opérations techniques et favoriser le déplacement du personnel vers des services aux usagers bonifiés.

En 1980, le Service de la Bibliothèque municipale de Brossard occupe 1 215 m2 au rez-de-chaussée du mail du centre commercial Place Brossard.

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De quoi êtes-vous le plus fier ? Avez-vous des regrets ?

En plus d’avoir contribué au développement culturel des Montréalais et des Québécois et au regain des bibliothèques publiques du Québec, l’appropriation résolument massive par les usagers tant de la Bibliothèque de Brossard que de la Grande bibliothèque me procure une immense satisfaction. C’est donc avec fierté que j’ai reçu en 2006 la médaille de la Faculté des arts et des sciences de l’Université de Montréal, en reconnaissance de ce parcours professionnel. Je suis plutôt bien comblé pour avoir des regrets !

Vous avez été fort actif au sein des associations professionnelles. Quels souvenirs en gardez-vous ? Y a-t-il des réussites marquantes ou des échecs retentissants ?

Je me suis impliqué de diverses manières dans les comités, les congrès et les revues des associations professionnelles, mais je dois reconnaître m’y être parfois senti en mode ralenti, en raison d’une certaine lourdeur et surtout du nombre d’associations. Ce dernier facteur donne lieu à des dédoublements et occasionne chez les membres un essoufflement d’autant plus préoccupant, me semble-t-il, que le Québec compte encore aujourd’hui un manque de bibliothécaires professionnels, de techniciens et de commis par rapport aux moyennes nord-américaines.

C’est pourquoi je me réjouis de la décision des représentants des neuf associations de tenir un congrès annuel commun. Depuis 2009, le Congrès des milieux documentaires du Québec est un catalyseur de concertation professionnelle et il est déjà riche de réalisations et de promesses. C’est un autre rêve qui prend vie. Je souhaite intensément que cette voie de soutien et de solidarité se poursuive. Chapeau à celles et à ceux qui rendent ce rêve possible !

En prenant la mesure de cet endémique déficit professionnel, je suis par ailleurs admiratif de la qualité de l’ensemble des réalisations de mes confrères au cours des 40 dernières années. Les bibliothécaires québécois ont réussi des avancées remarquables et ont su démontrer leur savoir-faire auprès de leurs collègues du monde entier, notamment à deux reprises en tant qu’hôtes du congrès annuel de l’International Federation of Library Associations and Institutions (IFLA), à Montréal en 1982 et à Québec en 2008. À l’occasion de celui-ci, j’ai eu l’agréable mandat de diriger un collectif réunissant 40 collaborateurs canadiens, tant francophones qu’anglophones, ainsi que la publication d’une version française et anglaise d’un ouvrage portant sur les projets les plus novateurs des bibliothèques du Québec et du Canada (Lacroix 2008). Il m’arrive quand même parfois d’imaginer ce que pourrait être le Québec d’aujourd’hui si nos bibliothèques avaient atteint la moyenne nord-américaine de bibliothécaires par rapport à la population.

Souvent étonné par la méconnaissance assez généralisée à l’égard d’une profession que j’aime passionnément, j’ai agi de manière à la mieux faire percevoir auprès des décideurs que j’ai croisés dans les milieux du livre et de la culture : j’ai été membre puis président du Conseil consultatif de la lecture et du livre au ministère des Affaires culturelles ; j’ai aussi été membre du conseil d’administration du Salon du livre de Montréal pendant une quinzaine d’années, dont quelques-unes comme secrétaire du comité exécutif ; j’ai été bénévole puis membre du conseil d’administration de la bibliothèque de l’Institut national canadien des aveugles (INCA) à Toronto ; enfin, j’ai été membre du Comité des études de l’EBSI et membre du comité d’administration de l’Ensemble de musique ancienne Arion.

Quelles sont vos perceptions à l’égard de l’évolution en cours ? Quelle est votre vision de l’avenir du monde de l’information documentaire ?

Nous, bibliothécaires, faisons preuve d’un sens prononcé du bien commun et du service public, et nous possédons les compétences et le doigté pour adapter les établissements que nous dirigeons aux réalités de notre temps, notamment au niveau technologique, de la création de contenus, de la médiation sur place ou à distance, de la diffusion et du réseautage. Je crois que nous sommes d’abord là pour répondre à nos clientèles respectives, lesquelles ont besoin de notre expertise pour mieux s’approprier l’une ou l’autre, voire toutes les avenues de la recherche documentaire et de la connaissance. Dans ce monde omniprésent mais froid de la technologie, nos usagers viennent et viendront autant pour nos compétences et nos services que pour retrouver en nos lieux un bien-être intellectuel et spirituel, physique et émotif. Notre avenir professionnel est plus que prometteur grâce à une relève compétente. J’en suis convaincu (Lacroix 2001a ; 2001b ; 2005).

Comment présentez-vous les convictions ou les idées qui vous ont animé tout au long de votre parcours ? Y a-t-il des modèles, au sein du milieu québécois, qui vous ont inspiré ?

Je pense avoir témoigné d’un engagement prioritaire à faire que les bibliothèques soient, pour le plus grand nombre, des lieux conviviaux accessibles tant par la qualité des espaces et des collections, des services et du personnel. J’estime avoir appris et reçu beaucoup de mes employeurs, de mes employés et de mes collègues. Je les remercie. Plusieurs personnes ont marqué ce parcours citoyen et professionnel, et elles m’ont inspiré tant par leur capacité de réflexion et d’action que par leur généreuse vision. Je retiens, dans l’ordre chronologique de leur rencontre : Richard Arès, écrivain, humaniste, jésuite et directeur de la revue Relations ; Georges Cartier, écrivain, bibliothécaire et conservateur de la BNQ ; Huguette Deschênes, bibliothécaire et directrice de la Bibliothèque municipale de Saint-Léonard ; Colette Bédard, bénévole émérite et technicienne en documentation à la Bibliothèque municipale de Brossard ; Lise Bissonnette, écrivaine, journaliste, « bibliothéconophile » et présidente-directrice générale de BAnQ. Elles et ils ont toute ma reconnaissance. Je souhaite à chacun de trouver des exemples semblables.

Je tiens à partager ce qui relève d’un cri du coeur à propos de l’avenir de la Bibliothèque Saint-Sulpice. Je ressens comme une perte injuste qu’elle soit transformée et dévolue à des fonctions qui effaceront ou trahiront à jamais son origine. Je déplore que l’on n’ait pas, à ma connaissance, sérieusement étudié ni même imaginé le scénario de lui conserver sa vocation bibliothéconomique. « Je me souviens » pourtant que cette centenaire (1914-2014) est un lieu phare du patrimoine architectural, culturel, intellectuel et immatériel (l’imaginaire) de Montréal et du Québec. « Je me souviens » qu’elle est un témoin de l’influence spirituelle, sociale et culturelle des Sulpiciens. « Je me souviens » qu’elle est une marque (indélébile ?) de la bibliothéconomie québécoise, et celle de son fondateur, le réputé bibliothécaire Aegidius Fauteux. « Je me souviens » qu’elle a aussi été « conçue comme un centre culturel » (Lassonde 1987, 223-287) et, bien avant l’existence de ces appellations, comme une véritable petite « Place des Arts » et même un « troisième lieu ». « Je me souviens » enfin de 1968, siège de la Bibliothèque nationale du Québec, où elle sert d’incubateur de la Révolution tranquille pour tous ceux qui s’intéressent alors au passé, au présent et à l’avenir du Québec. En hommage à Fauteux et à son rêve, en décembre 1901, de doter Montréal d’une « Grande bibliothèque » (Lassonde 1987, 23), en hommage aussi à l’une des plus élégantes, harmonieuses et fonctionnelles bibliothèques qu’il m’ait été donné de voir, je rêve à mon tour que soit un jour réaffirmée la vocation bibliothéconomique de « la Saint-Sulpice ».

Et qu’en est-il de la retraite ?

Très active. Il m’apparaît être dans l’ordre des choses de « partager » dans les domaines de mes compétences, par des mentorats et du bénévolat de nature bibliothéconomique, culturelle, sociale et éducative. Jusqu’à la fin de 2007, j’ai été membre du conseil d’administration d’un ensemble patrimonial comprenant une coopérative d’habitation du centre-ville de Montréal ; j’ai également été membre fondateur et vice-président de l’association des Amis de Bibliothèque et Archives nationales du Québec, et membre du conseil d’administration du Festival de littérature jeunesse de Laval ; j’ai enfin été membre fondateur et président de Lis avec moi dont l’objectif est de contribuer au développement de la lecture chez les jeunes en favorisant l’accompagnement comme moyen privilégié d’apprentissage et de partage.

À compter de décembre 2007, j’ai eu le bonheur de vivre, dans un ravissement quotidien, 30 mois à Paris, de faire des escapades dans plusieurs villes et régions de France, d’aller dans les principales capitales européennes et de me gaver de culture, d’art et d’architecture, d’intégrer la vie parisienne en assistant à nombre de conférences et d’activités culturelles, de faire du bénévolat dans une boutique de commerce équitable ainsi qu’à la Bibliothèque Gaston-Miron de la Délégation générale du Québec. J’ai alors gardé des liens avec le Québec en tenant dans les Nouvelles de l’ASTED une chronique régulière sur de nouvelles bibliothèques parisiennes retenues au premier chef pour leur aménagement esthétique.

Depuis mon retour, j’accepte à l’occasion des contrats de rédaction et de consultant en bibliothéconomie. J’accueille volontiers les invitations à donner des conférences sur les mutations actuelles et les conditions gagnantes d’une bonne bibliothèque d’aujourd’hui. Et je suis enchanté quand des élus et des citoyens y assistent et posent des questions très pertinentes. À la demande du Congrès des milieux documentaires et en collaboration avec Guylaine Beaudry, j’ai eu l’immense plaisir de créer le Prix Architecture de bibliothèques et de centres d’archives du Québec, attribué tous les deux ans depuis 2011, et d’en avoir de nouveau occupé la présidence en 2013. Le comité de rédaction de la revue Documentation et bibliothèques nous a demandé, à Guylaine Beaudry et à moi, de coordonner la publication d’un numéro thématique sur l’architecture des bibliothèques, numéro à paraître en 2014. Ma passion pour l’architecture est de nouveau comblée (Lacroix 1999 ; 2000 ; 2001a ; 2008 ; 2013). Comme quoi le présent et l’avenir des bibliothèques québécoises m’interpellent toujours.