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Introduction

Contrairement aux pays européens et nord-américains qui disposent de plusieurs institutions universitaires de formation en sciences de l’information (SI), un seul établissement universitaire assure une formation professionnelle dans ce domaine en Tunisie, soit l’Institut supérieur de documentation de Tunis (ISD)[1]. L’ISD est placé sous la tutelle du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique[2] et rattaché à l’Université de la Manouba[3].

La formation en sciences de l’information en Tunisie : aperçu historique

C’est en 1964 que le premier noyau d’un programme de formation des documentalistes, destiné à répondre aux besoins les plus urgents de l’administration tunisienne, voit le jour à l’Institut Ali Bach Hamba (Gdoura 2008). Ce programme, d’une durée de six mois, est constitué principalement de cours théoriques portant sur des matières techniques, complétés par un voyage d’études de courte durée (Benjelloun & Abid 1985). Un véritable cursus de formation de bibliothécaires-documentalistes prend forme au cours des années 1970 (Vaughan 1982). Dès 1971, la formation est transférée à l’École nationale d’administration de Tunis (ÉNA), institution responsable de la formation des cadres de la fonction publique. L’ÉNA offre initialement deux programmes de formation d’une durée de deux ans, le premier pour les commis et les aides-documentalistes, le second pour les documentalistes adjoints. Un troisième programme, élaboré en 1976, a pour finalité la formation de documentalistes (Benjelloun & Abid 1985).

À partir de 1980, la formation en documentation, bibliothéconomie et archivistique est offerte à l’Institut de presse et des sciences de l’information (IPSI); elle débouche sur une maîtrise en sciences de l’information (MSI). Ce programme, jugé trop long, est rapidement remplacé par un cycle de formation professionnelle de deux ans accessible aux étudiants détenant déjà un diplôme universitaire de 1er cycle (Vaughan 1982). Le programme de formation propose non seulement des cours s’intéressant aux techniques de la documentation, mais aussi des cours relatifs à des disciplines connexes et à l’étude du contexte socioéconomique ainsi que des cours de langue. Ce programme a été fermé en 1985.

Soulignons que la fondation allemande Friedrich Naumann a apporté son concours à ces cycles de formation, et cela, durant 18 années, en fournissant du matériel, des documents et en mettant à disposition des enseignants. Le soutien de la fondation a cependant pris fin en 1982 (Mkademi & Ben Romdhane 2007; Vaughan 1982).

En 1981, l’Institut supérieur de documentation de Tunis ouvre ses portes[4] et assure, en tant qu’institution universitaire alors rattachée à l’Université de Tunis, la formation des futurs bibliothécaires, documentalistes et archivistes adjoints. Ainsi, l’ISD répond au besoin d’un plus grand nombre de professionnels de l’information sur le marché du travail et fait écho au statut particulier dont s’est dotée la profession en 1973 (Khouaja 2002-2003; Makdemi & Ben Romdhane 2007). Depuis 1981, les programmes de formation à l’ISD ont bien évolué. Nous exposons ci-après les réformes les plus significatives.

ISD : réformes successives des programmes de formation

Lors de sa création, l’ISD offre un cycle de formation en documentation, bibliothéconomie et archivistique (DBA) sur deux ans. Trois types de candidats peuvent en bénéficier : les nouveaux bacheliers, les diplômés de 1er cycle ainsi que les maîtrisards en d’autres disciplines, principalement dans les sciences humaines. Ces derniers peuvent assumer, au terme de leur formation, des tâches de conservateurs de bibliothèques et de centres de documentation (Mkademi & Ben Romdhane 2007). La formation, axée sur de nombreux travaux pratiques, visites et stages, met l’accent sur l’apprentissage professionnel (Benjelloun & Abid 1985). Des diplômes de maîtrise en DBA sont décernés à partir de 1988.

En 1995, l’ISD met sur pied un programme d’études destiné en premier lieu aux détenteurs d’une maîtrise dans une autre discipline que la DBA. Ce programme est sanctionné par un diplôme d’études supérieures spécialisées (DESS) en archivistique, suivi en 1997, d’un DESS en management des bibliothèques universitaires (ISD 2013a; Khouaja 2002-2003). Cette dernière formation, offerte jusqu’en 2003, visait essentiellement à former un corps de conservateurs capables de gérer et de développer des services d’information, d’encadrer et de former des bibliothécaires et des archivistes et, surtout, d’enseigner les SI (Gdoura 2007). En effet, l’enseignement à l’ISD est alors assuré essentiellement par des vacataires ou des professeurs invités[5], et l’Institut est confronté au manque d’enseignants permanents.

La promulgation de la Loi sur les archives[6] a occasionné une réforme en profondeur du programme de formation à l’ISD. Dès l’an 2000, les nouveaux bacheliers peuvent désormais s’orienter vers deux filières, « Bibliothéconomie et documentation » ou « Gestion des documents et des archives ». Les étudiants peuvent suivre un cycle de formation court qui s’étend sur deux ans, sanctionné par l’obtention de l’un ou l’autre des trois diplômes suivants : (1) diplôme des études universitaires de 1er cycle en bibliothéconomie et documentation; (2) diplôme des études universitaires de 1er cycle en gestion des documents et d’archives; (3) diplôme des études universitaires de 1er cycle en sciences de l’information.

Un 2e cycle de formation mène, après quatre ans d’études, un stage pratique de deux mois et la préparation d’un mémoire de fin d’études universitaires en DBA, à la maîtrise[7] en bibliothéconomie et documentation ou à la maîtrise en gestion des documents et des archives (Gdoura 2007; Mkademi & Ben Romdhane 2007). La structure des programmes de formation laisse ainsi transparaître une distinction entre le profil d’archiviste et celui de bibliothécaire-documentaliste.

En 2006-2007, la Tunisie entreprend une réforme de l’enseignement supérieur et, pour atteindre son objectif, adopte le système Licence Master Doctorat (LMD). Ce système a pour but de créer des parcours de formation souples et efficients, à caractère fondamental et appliqué, offrant à l’étudiant non seulement des possibilités d’insertion professionnelle, mais également une mobilité à l’échelle nationale et internationale. Les offres de formation universitaire doivent aboutir, au niveau de la licence, à un diplôme national à caractère appliqué ou fondamental, couronnant une période d’études de trois ans après le baccalauréat et comptabilisant 180 crédits (Tunisie. Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique 2007-2010). La structure de la formation à l’ISD a été profondément revue pour répondre aux exigences du LMD. L’ISD est habilité à adopter ce nouveau système dès l’année universitaire 2007-2008 (Mkada-Zghidi 2007). Les programmes actuels de formation à l’ISD, mieux adaptés aux progrès technologiques et fondés sur des référentiels métiers et de formation[8], continuent à fonctionner sous ce système. Nous les décrivons dans les sections suivantes.

La formation en SI à l’ISD sous le régime LMD

C’est en réponse aux exigences de la réforme LMD qu’est créée, en 2008, une licence appliquée en documentation, bibliothéconomie et archivistique (LADBA). Au cours de la même année, un master professionnel en bibliothéconomie et documentation est ouvert au profit des maîtrisards dans les différentes filières de formation à l’ISD (ISD 2013a). En 2011, le programme de formation à l’ISD s’enrichit par l’offre de deux autres licences destinées à tous les bacheliers : la licence fondamentale en sciences de l’information (LFSI) et la licence appliquée en gestion de l’information et des documents (LAGEID).

La première cohorte de la licence appliquée en documentation, bibliothéconomie et archivistique a pu profiter de l’ouverture d’un master professionnel en gestion de l’information et des documents numériques (ISD 2013a, 2013b, 2013c). La formation de base à l’ISD s’est enrichie à nouveau, en 2013, de deux nouveaux masters : un master de recherche en sciences de l’information et un master professionnel en documentation d’entreprise. Tous les masters sont organisés en deux années (120 crédits).

L’ouverture du cycle doctoral est prévue à l’automne 2015 et profitera essentiellement aux étudiants ayant complété et réussi leur master de recherche (ISD 2013a, 2013-2014).

Les grilles de formation, notamment au niveau des trois licences, comprennent une panoplie de cours sur :

  • les théories et les principes en SI (p. ex. introduction aux SI);

  • les théories et les principes du management (p. ex. management des ressources matérielles des systèmes d’information documentaire);

  • les techniques documentaires (p. ex. catalogage, recherche d’information);

  • les disciplines connexes (p. ex. statistiques, droit, informatique);

  • les cours de langue (p. ex. anglais, français);

  • les méthodes de recherche (p. ex. méthodologie de la recherche scientifique, techniques de communication).

L’étudiant est invité à la fin de chacun des parcours de formation à faire un stage de formation dans un milieu professionnel, à préparer et à soutenir un mémoire ou un rapport de stage, et ce, afin de démontrer sa capacité d’insertion dans la vie professionnelle, mais également de confirmer sa maîtrise et son intégration des connaissances acquises au cours de sa formation (ISD 2013d).

Dans sa formule actuelle, le programme de formation à l’ISD, orienté vers l’expertise et le management, met l’accent sur le traitement de l’information numérique avec la possibilité de se spécialiser en archivistique ou en bibliothéconomie. En outre, il amène les étudiants à acquérir des compétences techniques de base avec une ouverture sur le monde de la recherche. Ceux qui souhaitent s’investir dans cette voix peuvent s’inscrire en master de recherche.

Selon les statistiques de l’année universitaire 2013-2014, le nombre d’étudiants inscrits dans les différents programmes de formation à l’ISD s’élève à 639, dont les deux tiers sont de sexe féminin; ils forment 32 groupes. Ce chiffre n’a pas trop varié depuis 2009-2010. Les nouveaux inscrits, environ 230 étudiants, sont essentiellement des bacheliers provenant de différentes filières du baccalauréat, notamment en lettres, en technique et en informatique (ISD 2013-2014). L’enseignement et l’encadrement au niveau des trois licences sont assurés par 57 enseignants, dont 18 vacataires.

La réforme LMD a permis aux institutions d’enseignement supérieur d’actualiser leurs programmes de formation. Elle recèle toutefois quelques lacunes qui s’intensifient au fil des ans et qui ont un impact sur la qualité de l’enseignement :

[…] les contenus de ces réformes ne s’inscrivent pas dans une vision globale d’une formation incluant l’ensemble des niveaux jusqu’au Doctorat en passant par le Master, et elles ne se basent que très partiellement sur l’acquisition des compétences par rapport au calcul des crédits, et sur les contenus par rapport au volume horaire annuel par module.

Mkada-Zghidi 2007, 145

Conscient de ces lacunes, le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique prépare actuellement son plan stratégique visant la réforme de l’enseignement supérieur pour la période 2015-2025 (Tunisie. Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique 2015). D’ici sa mise en oeuvre, l’ISD continue à évaluer périodiquement ses programmes de formation afin d’assurer une formation qui réponde aux exigences professionnelles et aux besoins réels du marché. À cet effet, l’ISD a investi, ces dernières années, dans différents cycles de formation continue, offerts en mode présentiel ou en ligne au profit des diplômés souhaitant consolider et perfectionner leurs connaissances et compétences. Pour affirmer son ouverture sur son environnement et promouvoir la coopération avec des institutions régionales et internationales, l’ISD a également établi plusieurs conventions de partenariat avec des institutions universitaires de l’Algérie, du Maroc, de la France, d’Oman et du Québec, ainsi qu’avec des partenaires d’affaires en Tunisie (Archives nationales, sociétés de prestations en archivage, centre national et universitaire d’information scientifique et technique, etc.) (ISD 2013e).

Conclusion

Aucune initiation aux techniques de la documentation ou à la culture informationnelle n’est offerte dans les collèges et lycées tunisiens (Mkada-Zghidi 2007). L’ISD est l’unique institution universitaire qui offre une formation en SI en Tunisie. À la suite de nombreuses réformes de l’enseignement supérieur, l’ISD a réussi à renouveler des programmes de formation assez traditionnels et à les adapter aux évolutions des techniques et des technologies documentaires. L’Institut mène annuellement des campagnes publicitaires pour mieux faire connaître ses programmes de formation. La formation en SI est méconnue de la grande majorité des nouveaux bacheliers et souvent confondue avec les formations en journalisme et en informatique. Les enseignants se trouvent souvent confrontés à des étudiants peu motivés.

Même s’il dispose des moyens nécessaires en équipements ainsi qu’en personnel administratif, l’ISD reste déficitaire en enseignants permanents. Ceux-ci sont appelés à assurer une charge d’enseignement importante, leur laissant peu de temps pour s’engager dans des projets de recherche scientifique. Pour l’ISD, ceci constitue un autre défi à relever.