Corps de l’article

Le nombre des jeunes qui vivent dans la rue au Canada est estimé entre 45 000 et 150 000 selon la définition utilisée (Canadian Paediatric Society, 1998 ; DeMatteo et coll., 1999). À Montréal, il y aurait environ 2 000 jeunes, âgés de 18 à 30 ans, vivant dans la rue (Agence de la santé et des services sociaux, 1998). Malgré des conditions précaires et des habitudes de vie mettant à risque leur santé physique et psychologique, ces jeunes sont réticents à recourir aux services sociaux et aux soins de santé formels. Il importe donc de développer des modes d’intervention adaptés à leur situation.

La présente étude est basée sur l’évaluation du projet Répit-Urbain. Il s’agit d’un projet où un séjour structuré de six jours à la campagne est offert aux jeunes de la rue âgés de 18 à 30 ans. Au cours de ce séjour, diverses activités visant le développement de compétences personnelles leur sont proposées en compagnie d’intervenants issus d’organismes oeuvrant auprès d’eux. La perspective d’intervenants impliqués lors de ces séjours a été documentée en raison du modèle de collaboration original proposé dans le cadre de ce projet et aussi à cause du rôle particulier que sont appelés à jouer les intervenants qui accompagnent les participants à Répit-Urbain.

Présentation de la problématique

Les difficultés des jeunes de la rue

Les jeunes de la rue sont exposés à plusieurs facteurs susceptibles d’influencer négativement leur santé (Boivin et coll., 2005 ; De Rosa et coll., 1999 ; Feldmann et Middleman, 2003 ; Haley et coll., 2004 ; Woods et coll., 2002). Entre autres, les pratiques sexuelles à risque, l’utilisation de drogues, la mauvaise alimentation, le logement inadéquat, l’exposition à divers types de violence, le peu de soutien social et l’accès limité aux soins de santé représentent des facteurs qui nuisent à l’état de santé général de ces jeunes (Boivin et coll., 2005 ; Nyamathi et coll., 2005 ; Ochino et coll., 2001 ; Roy et coll., 1999 ; Thompson et coll., 2006). Des études épidémiologiques menées auprès d’une cohorte de jeunes de la rue montréalais ont d’ailleurs démontré des prévalences plus élevées du VIH, de l’hépatite B et de l’hépatite C (Boivin et coll., 2005 ; Roy et coll., 1999 ; Roy et coll., 2000 ; Roy et coll., 2001). Le taux de mortalité élevé attribuable principalement aux suicides et aux surdoses de drogues parmi les jeunes de la rue, comparé à celui des autres jeunes de même âge ou de même sexe, constitue une indication supplémentaire de la précarité de leurs conditions de vie (Roy et coll., 2004).

Sur le plan social, les jeunes de la rue sont plus susceptibles de manifester des comportements déviants, tels que la vente de drogues, le vol ou la prostitution (Paradise et Cause, 2003 ; McCarthy, 1990). En ce qui concerne leur réseau de soutien, il convient de noter que leurs familles sont en général plus affectées par les conflits et qu’elles offrent moins de soutien, d’affection et de supervision parentale comparativement à des familles de milieux similaires dont les enfants ne présentent pas d’épisodes d’itinérance (Robert, Pauzé et Fournier, 2005). Plusieurs de ces jeunes ont déjà été pris en charge par la Direction de la protection de la jeunesse ou un autre service de protection de l’enfance avant de vivre la réalité de l’itinérance (Agence de la santé publique au Canada, 2006 ; Hyde, 2005 ; Robert, Pauzé et Fournier, 2005 ; Woods et coll., 2002). L’ensemble de ces facteurs témoigne des difficultés et de la vulnérabilité de ces jeunes.

Une population difficile à rejoindre

Malgré l’ampleur des problèmes de santé physique et des difficultés psychosociales auxquels ils font face, les jeunes de la rue fréquentent peu les services sociaux et de santé disponibles, même lorsque ceux-ci leur sont destinés (Haley et coll., 2004 ; Thompson et coll., 2006). Certains auteurs avancent que ces jeunes ne recherchent pas ces services, les enjeux liés à la satisfaction de leurs besoins de base (hébergement et nourriture) prenant le dessus sur les problèmes de consommation de drogues (Peterson, Baer, Wells, Ginzler et Garrett, 2006). Ces mêmes auteurs mentionnent que les programmes visant le traitement de l’abus de substances rejoignent plus difficilement ces jeunes en raison des enjeux inhérents à la période de l’adolescence, tels que le désir d’autonomie et le développement de l’identité chez les plus jeunes. Ces motifs s’ajouteraient à la tendance des jeunes de la rue à rejeter toute forme d’autorité (Feldmann et Middleman, 2003). D’autres travaux indiquent que les jeunes de la rue sont plutôt réticents à utiliser certains services tels que ceux en santé mentale, notamment parce qu’ils sont méfiants en raison d’expériences personnelles négatives (Ricard, 1998 ; Gratton et Breton, 2001).

Par ailleurs, dans une étude portant sur la perception des services offerts (Thompson et coll., 2006), les jeunes de la rue ont identifié leurs besoins de base tels que la nourriture, l’hébergement, les vêtements et l’assistance financière, comme étant les éléments pour lesquels ils apprécient le plus d’obtenir des services. Selon le rapport du Collectif de recherche sur l’itinérance, la pauvreté et l’exclusion sociale (CRI, 2006), même si ce type de services peut être critiqué par les utilisateurs en raison des horaires ou des critères d’admissibilité trop contraignants, de la surfréquentation et de la méfiance à l’égard des intervenants, il semble que ces mêmes ressources peuvent aussi être considérées comme des points de repère et des occasions de reprendre contact avec la communauté.

En conséquence, il semble possible de rejoindre les jeunes de la rue, mais il importe d’adapter les services à leurs besoins (Gratton et Breton, 2001 ; Haley et Roy, 2002). Puisqu’ils sont réticents à utiliser les services de santé et sociaux disponibles, il peut s’avérer pertinent d’entrer en contact avec eux par l’entremise des ressources qu’ils utilisent pour combler leurs besoins de base. Répondre aux besoins primaires d’alimentation et d’hébergement de ces jeunes et leur offrir des points de repère sécurisants peut constituer une façon efficace de les rejoindre.

Rejoindre les jeunes de la rue par le travail de milieu (« outreach »)

Compte tenu des difficultés identifiées pour rejoindre les jeunes de la rue, une approche de type « outreach » (travail de proximité) est généralement conseillée pour l’intervention auprès de cette population. Cette approche est basée sur l’interaction entre l’intervenant et le client, et vise à rejoindre ce dernier dans son milieu de vie pour encourager et soutenir le changement de comportements (Valentine et Wright-De Agüero, 1996). Dans ce contexte, le travail de proximité permet : (a) d’atteindre des populations qui n’ont généralement pas accès aux systèmes de soins traditionnels ; (b) de diriger les personnes difficiles à rejoindre par les méthodes traditionnelles vers les services de santé et aux services sociaux ; et (c) de dispenser des informations sur la santé, la réduction des risques et la prévention au sein de la communauté (Valentine et Wright-De Agüero, 1996). Dickson-Gómez, Knowlton et Latkin (2003) ont mis de l’avant des recommandations au sujet du travail de proximité lorsqu’il vise spécifiquement des jeunes de la rue. Ces auteurs mentionnent entre autres que l’intervention serait facilitée lorsqu’elle est effectuée par des personnes qui ne sont pas perçues comme étant en rivalité avec la clientèle. Par ailleurs, comme plusieurs jeunes de la rue n’ont pas de modèle adulte significatif dans leur vie, le travailleur de milieu joue fréquemment ce rôle. Les intervenants oeuvrant auprès des jeunes de la rue veillent généralement à développer un lien de confiance avec ceux-ci tout en leur laissant la responsabilité de leurs décisions, sans recourir à une approche trop « paternaliste » (Thompson et coll., 2006).

À Montréal, la Clinique Itinérance et la Clinique des jeunes de la rue du Centre de santé et de services sociaux Jeanne-Mance utilisent ce type d’approche de proximité. Elles peuvent ainsi rejoindre avec succès des personnes itinérantes ayant des troubles de santé mentale graves et persistants pour leur offrir une gamme de services médicaux, infirmiers, psychosociaux, etc. (Denoncourt, Desilets, Plante, Lapante et Choquet, 2000).

Par ailleurs, d’autres organismes privilégient aussi le travail de proximité auprès des jeunes de la rue, mais se sont spécialisés pour offrir des services ayant trait aux besoins de base tels que l’hébergement et la nourriture. Neuf de ces organismes, issus surtout du milieu communautaire, se sont associés au projet Répit-Urbain au cours de sa première année d’existence. On compte parmi eux « Dans la rue », « Pop’s », et « l’Accueil Bonneau ». Ces organismes offrent aussi des services d’aide et d’orientation de même que différentes activités culturelles et sportives permettant aux jeunes de vivre des expériences en dehors du contexte associé à la consommation de drogues.

Le projet Répit-Urbain s’inspire du programme « Camp Deer Run », un camp de vacances associé à Dianova-USA (« The Dianova Community Outreach Program »). Aux États-Unis, ce camp offre un séjour aux jeunes ayant des problèmes de consommation de drogues. L’approche du programme est de favoriser le développement personnel des jeunes, spécialement chez ceux ayant peu de modèles positifs ou sous l’emprise d’influences négatives. Le projet offre un séjour structuré à la campagne d’une durée de six jours à des jeunes de la rue issus des grands milieux urbains. Pendant le séjour, diverses activités et ateliers visent à favoriser le développement de compétences personnelles telles que les relations interpersonnelles, l’estime de soi, la gestion de la colère et la résolution de problèmes. Ces ateliers cherchent aussi à favoriser une prise de conscience chez les jeunes par rapport à la consommation de drogues et d’alcool sur leur santé. Pendant le séjour, des activités sportives (volleyball, quilles, glissade, raquettes, canoë) sont offertes de même que trois ateliers de type éducatif. Ces ateliers interactifs ont comme objectif de fournir des connaissances aux participants sur des sujets importants et critiques pour eux, correspondant aux aléas de la réalité de la vie dans la rue, tels que les besoins de base, la sexualité, la drogue et l’alcool, ainsi que la nutrition. Comme le projet a lieu à l’extérieur de la ville, les jeunes qui y participent doivent compléter le séjour en entier à moins de circonstances extraordinaires comme la maladie ou l’expulsion.

Le mode de fonctionnement du projet Répit-Urbain s’inscrit dans l’orientation du Plan d’action interministériel en toxicomanie du Québec 2006-2011 qui vise la concertation entre les organismes travaillant de près ou de loin en toxicomanie (Gouvernement du Québec, 2006). Ce projet fait appel à un mode de collaboration étroit et novateur avec des organismes partenaires qui sont en lien avec les jeunes de la rue. Les organismes partenaires impliqués ont à : (a) recruter des participants ; (b) constituer des groupes ; et (c) participer à l’organisation du transport et de l’encadrement pendant le séjour. Ainsi, les intervenants des organismes partenaires (ou intervenants partenaires) prennent part au séjour à Répit-Urbain avec les groupes qu’ils ont préalablement constitués. Ils sont amenés à y jouer parfois un rôle d’accompagnateur, mais ont aussi à partager la responsabilité de l’animation avec les intervenants de Répit-Urbain. Ce type de partenariat est privilégié entre les intervenants partenaires et ceux de Répit-Urbain afin d’assurer à la fois une bonne cohérence dans l’intervention et un bon fonctionnement général des activités prévues.

La présente étude porte sur l’évaluation de l’implantation de Répit-Urbain au cours de sa première année d’existence. Dans ce contexte, le premier objectif de l’étude est de déterminer la capacité de ce projet à rejoindre la clientèle visée. Compte tenu du rôle particulier des intervenants qui ont accompagné des jeunes à Répit-Urbain, le second objectif de l’étude a été de documenter leur perspective sur le déroulement et les effets engendrés par la participation à ce projet.

Méthodologie

Dans le cadre d’une évaluation formative, les responsables de Répit-Urbain se sont associés aux principales démarches entourant l’évaluation d’implantation de ce projet. Conformément au modèle de « practical participative evaluation » de Cousins et Whitmore (1998), à titre de principaux acteurs du projet, et en partenariat avec l’équipe de recherche, les responsables ont participé au choix ainsi qu’au déroulement des démarches évaluatives. Ainsi, ils se sont impliqués activement dans les différentes phases entourant la consultation des intervenants (validation du contenu du canevas des entrevues, recrutement des intervenants, animation des groupes, production du matériel pour l’analyse de contenu et collaboration à l’interprétation et à la diffusion des résultats).

Au cours de ce processus d’évaluation, le rôle de l’équipe de recherche a consisté à encadrer l’ensemble des activités évaluatives. À ce titre, elle a supervisé la collecte de données d’opération du programme (c.-à-d. caractéristiques de la clientèle, services utilisés) et a guidé le développement et la validation du protocole d’entrevue. L’équipe a de plus assuré l’entière réalisation de certaines tâches dont l’analyse de contenu des entrevues de même que la rédaction des rapports et publications.

Le choix d’une approche participative avait pour but de favoriser une circulation rapide de l’information au cours de l’implantation du programme. De cette manière, on visait à faciliter l’appropriation des résultats par les responsables du projet et à ainsi les soutenir dans la prise de décision entourant les ajustements à apporter au cours de la mise en place du projet (Cousins et Whitmore, 1998). Même si, dans la présente étude, l’équipe de recherche a effectué des tâches qui lui furent entièrement réservées, l’approche utilisée se situe dans le courant des évaluations centrées sur l’utilisation. Dans ce contexte, le rôle de l’évaluateur consiste à aider les utilisateurs potentiels de l’évaluation à choisir le contenu, le modèle, la méthode, la théorie et l’utilisation qui correspondent à leur situation particulière (Patton, 1996). De manière plus spécifique, les démarches suivantes furent réalisées pour répondre aux objectifs de l’étude.

Description de la clientèle rejointe par le projet

Une fiche descriptive pour chacun des groupes ayant pris part au projet Répit-Urbain a été remplie par un des intervenants de Répit-Urbain au terme de chaque séjour. La fiche comprend des informations quant au nombre de participants, au nombre d’hommes et de femmes, à la durée du séjour, ainsi qu’aux cas d’expulsions qui auraient eu lieu durant le séjour.

Évaluation de la perspective des intervenants ayant participé au projet

Au terme des séjours organisés à Répit-Urbain, des entrevues de groupe ont été menées auprès d’intervenants de ressources partenaires ayant participé aux activités. Les entrevues ont duré de 60 à 90 minutes et ont été effectuées dans les trois mois suivant le séjour. Puisque le nombre d’intervenants variait entre un et trois pour chacun des séjours, une approche de « quasi-focus groups » a été utilisée (voir les exemples de Poria, 2006 ; ou Radler, 1999). Une de ces entrevues de groupe a été menée par les chercheurs durant le séjour (plutôt qu’au cours des mois qui ont suivi), lors du développement du protocole d’entrevue. Dans le contexte de l’évaluation participative, les autres entrevues ont été effectuées par des responsables du projet dans les locaux des ressources partenaires.

Participants

Onze groupes d’intervenants des organismes partenaires du projet ont été rencontrés. Un groupe d’intervenants de Répit-Urbain a aussi été consulté lors d’une rencontre de groupe distincte. Un total de vingt-cinq (25) intervenants a pu être ainsi rejoint par l’entremise de ces entrevues de groupe.

Canevas d’entrevue

Le canevas d’entrevue qui a servi de guide pour la consultation de ces intervenants a été préparé par les membres de l’équipe de recherche et la direction de Dianova Canada, l’organisme responsable du projet Répit-Urbain. Trois thèmes principaux ont été abordés avec les intervenants. Les deux premiers concernent la mise en place du projet et le déroulement du séjour. Ils ont été couverts par deux questions dont le contenu portait sur « ce que vous avez apprécié le plus à Répit-Urbain » et « ce qui pourrait être amélioré ». Pour ces questions, le guide du modérateur proposait d’approfondir le thème du partenariat et même de le proposer, s’il n’était pas abordé spontanément. Le troisième thème se rapporte à l’impact et aux suites du séjour. Il a été couvert par des questions sur « les indicateurs qui font que la participation à Répit-Urbain a été un succès ou non », « les intentions de changement à la fin du programme », et « dans quelle mesure les intentions de changement se sont traduites en action, suite à la participation au programme ». Pour ce qui est du groupe rencontré par les chercheurs en cours de séjour à Répit-Urbain, le déroulement et l’impact à court terme du projet ont principalement été abordés.

Tous les intervenants qui ont pris part aux rencontres ont été assurés de l’anonymat de leurs propos et ont donné leur accord à l’enregistrement de la discussion. L’étude a été approuvée par le comité d’éthique de recherche de l’établissement d’attache du chercheur principal.

Analyses

Clientèle rejointe : les fiches descriptives de chacun des groupes ayant pris part au projet Répit-Urbain ont permis d’évaluer le nombre de participants au projet ainsi que leur âge et leur sexe.

Perspective des intervenants : le matériel obtenu lors des entrevues a fait l’objet d’une analyse de contenu. Les premières entrevues ont été retranscrites dans le but de développer une grille d’analyse et d’en dégager les thèmes émergents, selon les principes d’analyse de contenu décrits par L’Écuyer (1990). Pour les autres entrevues de groupe, ce sont les notes et les rapports des interviewers qui ont servi de matériel de base pour l’analyse de contenu. Les enregistrements ont été réservés pour les citations et pour la clarification de certains points soulevés dans les notes. Il s’agit de la procédure dite de « note-based analysis » décrite par Krueger (1994 et 1998) et Morgan (1998). Le recours à cette procédure plutôt qu’à la « transcript-based analysis » (où les analyses sont basées sur la totalité du matériel ayant fait l’objet d’une transcription) visait à alléger le processus de collecte et d’analyse de données afin de fournir une rétroaction rapide aux acteurs concernés au cours du développement du programme.

Résultats

Participation au projet Répit-Urbain

Un total de 34 intervenants ont accompagné les 17 groupes ayant pris part au projet Répit-Urbain au cours de sa première année d’opération (entre le 18 octobre 2005 et le 17 octobre 2006). Ces groupes ont rejoint un total de 148 jeunes, dont plus des trois quarts étaient des hommes (79 %), provenant de Montréal et de Toronto. La majorité des groupes était mixte (n = 10 groupes), d’autres étaient constitués exclusivement d’hommes (n = 5 groupes) ou exclusivement de femmes (n = 2 groupes). Les groupes étaient composés de quatre à douze participants, pour une moyenne de près de neuf (8,7) participants par groupe (voir Tableau 1). L’âge des jeunes participants au projet Répit-Urbain était de 29,8 ans en moyenne (é.-t. = 12,3). Dans 72 % des cas, il s’agissait de jeunes âgés de 18 à 29 ans. Trois des groupes ont été composés de personnes qui étaient âgées en moyenne de 45 ans (45,7 ans ; é.t. = 10,5). Ceux qui étaient plus âgés étaient des adultes qui ont participé à des séjours organisés sur mesure pour eux, par trois ressources partenaires, ou encore quelques personnes plus âgées ayant participé à des groupes destinés aux plus jeunes.

Les intervenants accompagnateurs des groupes provenaient de neuf organismes partenaires. Sept de ces organismes partenaires n’ont organisé qu’un groupe, un en a organisé deux et le dernier a constitué à lui seul huit groupes (pour un total de 77 jeunes), représentant presque la moitié de l’ensemble des groupes ayant pris part au projet Répit-Urbain.

Jusqu’à cinq intervenants ont accompagné chacun des groupes organisés. Ils étaient majoritairement des femmes (64,7 %). En moyenne, deux intervenants partenaires ont participé à chaque séjour en tant qu’accompagnateurs des groupes. Il faut cependant noter qu’à une occasion, un groupe a participé au projet Répit-Urbain sans intervenant accompagnateur.

Tableau 1

Répartition des personnes sans-abri ayant participé au projet Répit-Urbain en fonction des différents organismes partenaires1

Répartition des personnes sans-abri ayant participé au projet Répit-Urbain en fonction des différents organismes partenaires1

1 entre octobre 2005 et octobre 2006

-> Voir la liste des tableaux

La perspective des intervenants à l’égard des thèmes principaux abordés lors des entrevues est présentée ici. Deux cent trente-neuf (239) commentaires ont été recueillis chez les intervenants à partir des cinq questions posées au cours des consultations. Ces commentaires se distribuent ainsi : la qualité du partenariat entre Dianova et la ressource impliquée (n = 29) ; les indicateurs de succès de la participation à Répit-Urbain (n = 59) ; les intentions de changement des participants à la fin du programme (n = 42) ; les intentions se changeant en action (n = 82) ; et des commentaires supplémentaires (n = 27). À la suite de l’analyse de contenu, les réponses des intervenants ont été regroupées selon les thèmes suivants : pertinence du projet ; impact chez les participants ; déroulement du séjour et activités proposées ; et retombées à la suite du séjour auprès des jeunes de la rue et des intervenants.

Pertinence du projet

L’existence même du projet Répit-Urbain a suscité de nombreux commentaires de satisfaction de la part des intervenants (n = 50). Ces commentaires ont été regroupés selon deux thèmes : adéquation entre le projet et les besoins des jeunes et relation de partenariat entre les intervenants.

Adéquation entre le projet et les besoins des jeunes

Ainsi, les intervenants soulignent que ce projet répond aux besoins des jeunes de la rue qui ne sont pas nécessairement prêts à cesser toute consommation de substances psychoactives, mais qui veulent néanmoins améliorer leur qualité de vie.

  • C’est pour répondre à la demande de la clientèle. […] La demande est là, mais il n’y a pas de places comme ici.

  • Il y a des gens qui ne sont pas prêts pour une thérapie. Ici, ça veut leur donner une idée que c’est possible.

  • La distance physique du milieu de vie […] l’environnement physique c’est superbe. Ils aiment ça. La nature, l’espace… Le fait de ne pas entendre de sirènes, loin de la ville c’est une place appréciée […].

  • Le milieu sécuritaire que Répit procure est bon aussi. Ils ont un lit, un toit sur leur tête ainsi que de la nourriture. C’est pas rien ça pour un jeune qui vit dans la rue.

Partenariat entre les intervenants

Parmi neuf des douze groupes d’intervenants rencontrés, des commentaires de satisfaction ont été formulés au sujet du partenariat ou sur la qualité de la communication entre Dianova et les diverses ressources. Alors qu’il est fréquemment mentionné qu’une bonne relation de partenariat est nécessaire afin de favoriser un séjour positif à Répit-Urbain, certains intervenants ajoutent que le séjour les incite à travailler davantage en collaboration les uns avec les autres :

  • Ce qui favorise les liens, c’est de mieux se connaître.

  • Une bonne collaboration, la présence des intervenants. On a besoin des intervenants sur le terrain. Les décideurs et coordonnateurs du projet doivent être sur place.

  • Nous avons des discussions avec d’autres partenaires pour élargir notre horizon par rapport aux problèmes des gens.

Impact chez les participants

Cet élément a fait l’objet de plusieurs commentaires de la part des intervenants (n = 63). Selon eux, les impacts de la participation à Répit-Urbain porteraient sur les aspects suivants : l’occasion de vivre une période de réflexion ; la possibilité de vivre des activités en dehors de la consommation ; et l’impact des séjours multiples.

Période de réflexion

Les intervenants rencontrés considèrent en grande majorité que la réflexion amorcée par les jeunes lors du séjour à Répit-Urbain leur permet un « temps d’arrêt » par rapport à leur mode de vie habituel. De plus, cet « arrêt » apporterait des bénéfices non négligeables sur le plan physique : les participants en sortiraient reposés, souriants et « à jeun ». Ils auraient alors « une occasion de vivre une intimité avec eux-mêmes ». La sobriété de six jours rendue possible par le séjour à Répit-Urbain est perçue très positivement par les intervenants ; les intervenants de la moitié des groupes rencontrés (6 / 12) la mentionnent spontanément comme un indicateur du succès du projet, car les jeunes ont souvent l’occasion de prendre conscience de l’ampleur de leur consommation.

  • Chacun des membres est là… on fait des prises de conscience « Oh boy… ouais je consomme beaucoup »…

  • Le chalet ça permet d’être seul avec soi-même… le petit cahier, ça fait drôle de voir quelqu’un qui consomme avec son petit cahier, peut être intime avec eux-mêmes, ça fait un changement.

  • Ils ont le temps de penser à ce qu’ils pourraient faire pour eux-mêmes. Dans la rue, c’est axé sur la survie. Ici, ça leur permet de sortir de cette dynamique là. […] Qu’ils puissent prendre le temps de penser à ce qu’ils veulent.

Expériences différentes de la consommation

Les intervenants soulèvent que les participants ont l’occasion de vivre des expériences qu’ils n’auraient peut-être pas eu l’occasion d’expérimenter dans leur contexte de vie quotidien. De plus, les jeunes quittent Répit-Urbain en exprimant fréquemment des intentions de changement et en possédant de nouvelles connaissances pour les réaliser.

  • Ça leur permet de renaître, eux… des jeunes que leur personnalité change drastiquement… parce que tout d’un coup, sont plus obligés d’être le « tough » ou le « pimp », ils peuvent être « eux »…

  • [les jeunes] ont pu parler d’autre chose que de consommation… une des jeunes est revenue et disait « j’ai fait du cheval »… ça leur permet d’avoir autre chose à dire… c’est des beaux trips à raconter… on les entend parler seulement de consommation pis de prostitution, tout tourne autour de la drogue... là ils ont autre chose à raconter.

  • Ce qui est important également est la notion de plaisir sans consommation. Des activités avec de l’adrénaline. Des activités qu’ils ne font pas dans la rue. Ça leur permet de vivre des émotions même s’il n’y a pas de consommation.

Séjours multiples

À l’origine, le projet Répit-Urbain a été conçu en fonction d’un séjour unique par participant. Pour certains intervenants, même si le programme reprend les mêmes activités à chaque séjour, il est profitable d’y faire participer certaines personnes à plus d’une reprise. Cette perception du projet n’était pas anticipée au départ, mais les commentaires semblent indiquer l’effet bénéfique de multiples séjours.

  • Depuis un bon moment, il est reparti en flèche, depuis qu’il est revenu, il est retourné à l’école, il fait ses démarches avec les intervenants (…). Ça va vraiment bien. Je pourrais te dire que c’est une minorité qui se met en branle quand ils reviennent mais ils font quand même des petits « moves » pour eux autres.

  • Même si c’est une minorité [c.-à-d. qui quitte la rue], ça sème l’idée pour toute la gang, ça fait des p’tits (…).

  • Il a fallu trois ou quatre Répit-Urbain. Il voulait aller au prochain, mais il m’a dit « j’ai pu besoin, j’ai fait ce que j’avais à faire », il a un appartement, il va à l’école, il est plus souriant, il est plus de bonne humeur…

  • De Répit en Répit, un petit morceau s’ajoute à chaque fois.

  • Je trouve ça intéressant d’en ramener plus d’une fois à Répit, plus ils viennent plus ils sont agréables, plus ils sont patients.

  • (…) tu vois les attitudes changer d’une fois à l’autre, une évolution (…) un jeune est venu une fois confiant qu’il allait arrêter de consommer, mais de retour en ville il s’est pété la face. Il était déçu de lui (…) à son deuxième Répit, il était plus down mais en même temps plus réaliste. Ça permet plus d’introspection, il était moins dans la pensée magique…

Déroulement du séjour et activités proposées

Les réponses des intervenants ont fait l’objet de 33 commentaires portant sur cet aspect. Elles ont été regroupées selon les thèmes suivants : déroulement du séjour ; organisation des activités ; flexibilité du projet ; et ateliers proposés.

Déroulement du séjour

De façon générale, en ce qui concerne le déroulement du séjour à Répit-Urbain (c.-à-d. encadrement, structure et horaire), les commentaires des participants témoignent de leur satisfaction. Un des groupes d’intervenants partenaires souligne cependant que le séjour « fonctionne mieux » lorsqu’il y a présence de trois intervenants partenaires pour accompagner le groupe. Les données issues des fiches descriptives des groupes révèlent qu’il n’y a eu que deux intervenants en moyenne pour accompagner les groupes au cours de l’année évaluée. Dans un des groupes de participants, on mentionne qu’il serait important que des intervenants des deux sexes accompagnent les groupes, les intervenants étant majoritairement des femmes jusqu’à présent.

Organisation des activités

L’organisation des activités est appréciée tant par les intervenants partenaires que par ceux de Répit-Urbain (dans huit des douze groupes rencontrés). Par exemple, un des groupes mentionne que le fait d’avoir permis aux intervenants partenaires de prendre un repos et d’aller au village a été très apprécié. Le fait que ce repos soit officiel et inclus dans l’entente de départ est apprécié.

  • Tout le monde est averti avant de monter qu’ils doivent participer aux activités.

  • Les activités de Répit motivent tout le monde.

  • Les jeunes ont leur mot à dire dans les activités. S’ils ne sont pas intéressés, ils proposent de nouvelles activités pour leur intérêt.

  • Bonne présence de l’animateur et du stagiaire de Dianova.

  • La possibilité de choisir les intervenants accompagnateurs.

  • Les activités, les sorties, l’exploration c’est un défi personnel.

  • Faire des activités différentes de ce que tu fais à Montréal.

Flexibilité des activités

En outre, la flexibilité de la programmation, puisqu’elle laisse place aux imprévus, a été évoquée spontanément (c.-à‑d. sans qu’elle ne soit évoquée par l’interviewer) comme un élément positif par quatre des groupes rencontrés.

  • La souplesse du projet c’est aussi un point. Les groupes sont diversifiés en caractères et en personnalités. Le fait qu’on peut ajuster les activités est vraiment une bonne chose.

  • Le cadre est établi, mais on fait des ajustements d’un groupe à l’autre.

  • Le ratio entre les règlements et le fait qu’ils sont « lousses » est bon.

  • Ce n’est pas trop encadré. Ils ont une liberté de s’exprimer. Il y a une bonne souplesse.

  • Les groupes de Dianova peuvent créer des embûches, mais on peut toujours s’arranger.

Ateliers proposés

Les ateliers éducatifs ont dû subir des ajustements depuis la mise en place du projet afin d’assurer la collaboration des participants. En effet, le cadre des ateliers est dorénavant plus informel et permet aux participants d’y ajouter leur point de vue par une présentation moins magistrale qu’au début du projet. Des intervenants trouvaient que les ateliers n’étaient pas assez interactifs, ce qui faisait en sorte que certains participants décrochaient. D’autres ont souligné que le format des ateliers devrait s’adapter à la tendance de la clientèle à rejeter les règles et l’autorité, et ce, afin de favoriser une meilleure participation aux activités.

  • Ils [les participants] se ferment quand il y a quelque chose d’imposé.

  • Les ateliers… faudrait que ce soit plus interactif, on a perdu des jeunes, ceux-ci s’endormaient. Il faudrait que ça bouge plus… déjà de les garder en place une heure et demie c’est un défi.

Les ateliers de groupe sont globalement appréciés par les intervenants qui estiment qu’ils permettent aux participants de discuter entre eux de différentes problématiques caractérisant leur vie dans la rue, et d’y amorcer un travail de réflexion personnelle sur leurs besoins. D’une façon plus spécifique, les ateliers à visée éducative suscitent parfois des commentaires plus mitigés – dans cinq groupes – chez les intervenants partenaires qui y relèvent moins de satisfaction chez les participants qu’au sein des activités plus libres, soit en raison du mode d’intervention trop directif ou en raison de l’attitude du formateur. Il semble que l’offre d’ateliers éducatifs à la clientèle visée par Répit-Urbain constitue un défi majeur pour lequel certains ajustements ont été faits.

Retombées du séjour à Répit-Urbain

Cette catégorie a fait l’objet de 95 commentaires au total. Ces commentaires ont été regroupés selon les quatre thèmes suivants : les changements dans les habitudes de vie des participants ; l’établissement d’une relation durable entre les intervenants et les jeunes ; le retour en ville ; et le développement de compétences professionnelles.

Changement dans les habitudes de vie des participants

Plusieurs commentaires des intervenants ont porté sur les changements que les jeunes ont effectués à leur retour de Répit-Urbain en ce qui a trait à leurs habitudes de vie. Les changements concernent surtout le lieu de résidence des jeunes (par ex. : trouver un logement, déménager d’un endroit inadéquat), leur santé physique ou leur mode de consommation (par ex. : aller s’entraîner, arrêter de fumer, diminuer la consommation de drogues), leurs relations (par ex. : quitter un conjoint violent, s’éloigner d’amis consommateurs, reprendre des contacts familiaux) et leurs projets futurs (par ex. : trouver un emploi, reprendre des cours).

Établissement d’une relation durable entre les intervenants et les jeunes

Dans trois groupes, les intervenants ont indiqué que le séjour à Répit-Urbain leur avait permis de développer un lien significatif durable avec les jeunes. Comme ils les ont accompagnés tout au long du séjour, ils estiment que les jeunes ont appris à mieux les connaître, ce qui aurait favorisé l’établissement d’une meilleure relation de confiance, qui a été appelée à se poursuivre après le séjour.

  • Ici, on a le temps d’être avec eux. De pouvoir leur parler, développer des liens qui durent par la suite.

  • La confiance en les intervenants est développée.

  • Ils vont chercher une confiance en eux-mêmes, avec les intervenants. Ça leur permet une complicité dans la vie.

Les intervenants de Répit-Urbain consultés s’entendent aussi pour reconnaître qu’un des éléments positifs majeurs du projet est l’établissement de ce lien de confiance entre les intervenants de l’organisme partenaire et les participants.

Retour en ville

Si pour un des organismes partenaires, le recours à des séjours multiples à Répit-Urbain semble faciliter l’intégration dans la communauté, l’organisation « post-séjour » suscite de nombreux commentaires chez plusieurs intervenants (dans cinq des douze groupes ayant séjourné à Répit-Urbain). Ces questions demeurent pertinentes selon ces intervenants même si, comme le recommandaient des organismes partenaires, le retour en ville à partir de Répit-Urbain a désormais toujours lieu un dimanche, soirée habituellement plus « calme » en ville que le vendredi ou le samedi. En effet, les intervenants sont nombreux à souligner que le retour en ville après le séjour n’est pas suffisamment encadré et mériterait qu’une plus grande attention y soit accordée. Plusieurs estiment que le retour à la réalité de la ville se fait de façon trop brusque après le séjour tranquille à la campagne. Ils rapportent que plusieurs participants sont angoissés à l’égard de la fin de leur séjour à Répit-Urbain et qu’ils souhaiteraient pouvoir le prolonger. Certains intervenants suggèrent qu’une structure soit mise en place afin d’assurer une transition en douceur entre le séjour à Répit-Urbain et le retour en ville. Plus précisément, d’autres conseillent qu’un appartement soit disponible pour les participants qui en auraient besoin.

  • Ici, c’est idéal. Le projet donne l’occasion de brasser plusieurs choses. Mais la réintégration dans la ville est très difficile. C’est majeur. Ils retournent le dimanche en ville et devraient avoir une ressource.

  • Faire des alliances pour que les organismes accueillent les jeunes. Partenariat avec d’autres organismes pour le retour.

Développement des compétences professionnelles

Bien que le présent projet visait à documenter la perspective des intervenants en regard des effets du programme sur les jeunes, des intervenants ont rapporté qu’il avait eu aussi des effets sur eux-mêmes. Ainsi, dans un des groupes rencontrés, les intervenants ont soulevé un point intéressant à l’égard du développement de leur compétence professionnelle. Ils ont indiqué que l’expérience particulière d’intervention à Répit-Urbain les a amenés à questionner leur mode d’intervention.

  • J’ai perdu patience, j’ai sauté ma coche (…), jamais auparavant je me suis comporté ainsi auprès des jeunes (…). Ça m’a aidé par rapport à mes limites à moi. Jusqu’où je peux aller avec les jeunes par rapport à mes émotions.

  • Cela m’a permis (…) de tester mes limites sur comment je peux fonctionner avec lui à l’extérieur de l’institution (…) de tester qu’est-ce que je peux faire…avec lui ou pas avec lui.

  • Il serait souhaitable d’avoir une certaine professionnalisation des gens qui participent au Répit. […] D’avoir des sessions de formation pour actualiser les connaissances. De se mettre à jour aux réalités de la rue ; aux drogues du « jour ».

Discussion

Au cours de sa première année d’existence, le projet Répit-Urbain a pu répondre à la demande de neuf organismes partenaires en organisant des séjours pour 17 groupes de personnes sans-abri. La popularité du projet, comme en témoigne la demande pour participer à Répit-Urbain ainsi que le fait que plusieurs organismes ont choisi d’y participer plus d’une fois, porte à croire qu’il répond à un besoin réel chez les sans-abri. Ceux-ci semblent apprécier ce congé de leur mode de vie habituel, comme l’ont rapporté les 25 intervenants qui ont participé à cette étude.

Le premier objectif de l’étude était de vérifier si le projet parvenait à rejoindre la population ciblée. Les résultats indiquent que même s’il s’adresse principalement aux jeunes âgés de 18 à 30 ans, les caractéristiques des participants révèlent que ce projet répond à la demande d’une population plus large. En effet, il convient de rappeler que trois groupes ont été composés de personnes qui étaient âgées en moyenne de 45 ans. Ce résultat témoigne de la nécessité d’offrir des services destinés aux sans-abri plus âgés, comme l’ont constaté les auteures du rapport du Collectif de recherche sur l’itinérance, la pauvreté et l’exclusion sociale (CRI, 2006).

La consultation des intervenants a permis d’observer que l’organisme Dianova a su mettre à profit les liens existants avec ses partenaires pour recruter la clientèle visée. En effet, étant donné les difficultés pour mobiliser une clientèle telle que les jeunes de la rue (Ensign, 2006 ; Feldmann et Middleman, 2003 ; Thompson et coll., 2006), le recrutement effectué par des intervenants qui les connaissaient a sûrement favorisé la participation au projet. Le partenariat représente aussi un modèle très apprécié des intervenants, et son effet était souhaité et attendu. Il s’inscrit d’ailleurs dans l’esprit du plan d’action en toxicomanie du Québec en favorisant « l’échange d’information et le partage d’expertise entre les fournisseurs de services et […], ce faisant, d’améliorer la qualité, l’accessibilité, la continuité et l’efficacité de l’intervention » (Gouvernement du Québec, 2006).

Il serait pertinent d’étudier plus à fond ce modèle de collaboration où l’on mise sur les ressources déjà fréquentées par les usagers pour les rejoindre. Ces modalités d’action présentent sûrement un potentiel d’application intéressant pour divers objectifs d’intervention auprès d’eux. Elles s’inscrivent dans le contexte d’un modèle d’intégration horizontale (c.-à-d. virtuelle) des services, où chaque partenaire contribue au traitement avec une expertise spécifique. L’intégration horizontale permet la coordination des actions de manière à offrir des services diversifiés et continus à la clientèle de ce système (Fleury et Mercier, 2002). Plusieurs auteurs tels que Watson, Kimberly et Burns (1996) considèrent d’ailleurs que l’intégration virtuelle, en tant que structure organisationnelle, est mieux adaptée à la complexité des soins de santé, générant plus de flexibilité pour s’adapter aux besoins diversifiés de la clientèle. Lorsque les liens entre ces partenaires sont bien articulés, ce modèle présente l’avantage de proposer une offre de service plus riche et variée que celle que pourrait proposer un seul organisme.

En misant sur le partenariat avec des organismes déjà impliqués auprès des jeunes de la rue et en offrant des services complémentaires à ceux qui sont déjà disponibles, le projet Répit-Urbain s’inscrit dans ce mode d’organisation. Les modalités proposées sont appréciées des intervenants des nombreux organismes qui ont participé au projet au cours de sa première année, ce qui tend en soi à démontrer la pertinence de ce projet parmi l’offre de service déjà en place pour la clientèle ciblée.

Le fait d’amener des intervenants à agir dans un milieu et un contexte différent avec leur clientèle représente néanmoins un certain défi. Dans un des groupes consultés, les intervenants ont exprimé les limites auxquelles ils ont dû faire face. La force de ce nouvel environnement est de permettre aux sans-abri de vivre une autre réalité que celle de la rue. À la campagne, dans un milieu structuré, ces personnes peuvent expérimenter une autre forme de vie sociale ainsi que d’autres plaisirs que ceux reliés à l’usage des drogues. Pour ces intervenants, ce nouveau milieu impose de côtoyer ces participants pendant plusieurs jours, vingt-quatre heures par jour. Le fait de partager la vie de ces personnes pendant plusieurs jours leur aurait permis d’établir une relation significative qui, pour certains, se serait prolongée au-delà de la durée du séjour. Ce lien significatif pourrait contribuer au processus de sortie de la rue, tel que suggéré par Colombo (2003). Ce dernier a mis en relief le rôle des personnes significatives dans l’accompagnement des jeunes pour les amener à remettre en question leur mode de vie. Il s’agit donc d’un apport fort intéressant du projet. En contrepartie cependant, les règles de vie dans ce milieu diffèrent grandement de celles qui prévalent dans le contexte d’intervention habituel des intervenants. Ces conditions inhabituelles ont même amené certains à reconnaître des limites au niveau de leur compétence. Ces résultats portent à croire qu’il serait pertinent d’examiner comment mieux préparer les intervenants appelés à oeuvrer dans ces nouvelles conditions.

Un autre point soulevé par les intervenants concerne la souplesse permise par le programme. Celle-ci semble très appréciée par la majorité puisqu’elle laisse place à l’adaptation du contenu et du cours des activités en fonction des groupes. En outre, cette souplesse aurait permis l’ajustement de certains ateliers qui étaient au départ moins adaptés à la réalité vécue par les participants. Plusieurs intervenants ont manifesté leur appréciation pour cette flexibilité qui a permis de stimuler une réflexion plus approfondie des participants sur la vie qu’ils mènent et sur leurs besoins.

D’ailleurs, l’application des principes d’intervention issus de l’approche motivationnelle (Rollnick et Miller, 1995 ; Prochaska et Di Clemente, 1992) pourrait s’avérer pertinente dans le cadre du projet Répit-Urbain. Cette approche a permis de mettre en lumière le fait que l’intervention traditionnelle auprès des personnes qui n’en sont qu’au stade de précontemplation et de contemplation n’aurait que peu d’impact. Les stratégies proposées dans le cadre des entrevues motivationnelles consistent alors à soutenir les personnes dans la poursuite de leurs buts propres en leur permettant de découvrir les avantages à s’engager dans le changement. Comme les participants au projet Répit-Urbain ne partagent pas tous la même motivation au changement dans leur consommation et leur mode de vie, l’approche motivationnelle pourrait fournir un cadre thérapeutique utile pour guider les intervenants.

Il a d’ailleurs été reconnu que la sortie de la rue nécessite de la part des intervenants la création d’un climat où les résistances des jeunes sont prises en compte afin de favoriser une réflexion au sujet de ce qui les a menés à une situation de consommation courante. Le rôle des intervenants consisterait alors à accompagner ceux qui sont davantage engagés dans le changement en leur fournissant les outils nécessaires pour s’en sortir (Croteau, 2003). Ces démarches semblent cohérentes avec celles proposées par l’approche motivationnelle : au terme du séjour à Répit-Urbain, le soutien offert aux sans-abri qui sont les plus motivés au changement pourrait être différent de celui prévu pour les autres jeunes. L’application d’une telle approche nécessite cependant de prévoir des mécanismes pour soutenir la personne dans son processus de changement. À cet effet, Colombo (2003) souligne que le processus de sortie de la rue implique à la fois des actions des jeunes et des ressources concernées. Selon cette auteure, le processus de sortie de la rue est dynamique et dépasse le simple fait d’être ou de ne pas être dans la rue, il s’agit plutôt d’un accompagnement du jeune vers la sortie.

En ce sens, le contenu des activités offertes à Répit-Urbain pourrait faire l’objet de modifications afin de mieux soutenir leur sortie de la rue. À titre d’exemple, un des organismes partenaires a jugé pertinent d’offrir plus d’un séjour à quelques participants, et certains intervenants semblent convaincus de la valeur de ces séjours multiples. Il y aurait alors lieu de s’interroger sur la programmation des activités proposées pour les personnes qui en sont à leur second ou même leur troisième séjour. Dans une perspective évolutive, des intervenants consultés au cours de la présente étude ont suggéré que les participants qui seraient plus près de la sortie de la rue pourraient recevoir davantage de soutien pour accéder aux ressources leur permettant de concrétiser leur projet, par exemple un logis temporaire.

Il importe de noter certaines limites méthodologiques de cette étude. Basée sur une évaluation formative, elle visait à améliorer l’intervention en identifiant les points forts et les points faibles du projet Répit-Urbain. Dans ce contexte, le choix d’une stratégie d’évaluation participative facilitait l’association des responsables du projet aux différentes étapes de la démarche et favorisait une meilleure prise en compte des résultats. Ainsi, au cours des entrevues de groupe post-séjour qu’ils ont animées, les responsables de Répit-Urbain ont pu prendre directement connaissance de la perspective de la majorité des intervenants ayant participé au projet.

Toutefois, malgré la pertinence de cette approche pour favoriser la circulation de l’information et l’utilisation des résultats, il importe d’en apprécier aussi les limites. En effet, dans ce processus participatif, « l’évaluation est endogène au système d’acteurs que constitue le projet » (Lefèvre et Kolsteren, 1994). En d’autres mots, la situation des évaluateurs est intimement liée à l’évolution du projet. Ainsi, il est permis de s’interroger sur le niveau d’objectivité de ces évaluateurs « internes » lorsqu’il s’agira de traiter de questions concernant leur rôle dans le programme ou encore de l’évolution ou de la poursuite du programme.

Cette méthode participative a aussi pu introduire des biais de réponse chez les intervenants qui ont participé aux entrevues de groupe. En raison de l’effet de désirabilité sociale ou encore de la crainte de créer des tensions face à des personnes avec qui les répondants sont appelés à collaborer à la suite de l’évaluation, ces derniers ont pu avoir tendance à minimiser leur insatisfaction face au projet. Les répondants ont peut-être aussi évité de traiter de certains aspects dont la responsabilité incombe à l’une des personnes qui les a interviewés au cours de l’évaluation.

D’autres aspects méthodologiques ont possiblement exercé un impact sur les résultats de l’étude. En effet, même si la majorité des intervenants a été rencontrée lors des 11 « quasi-focus groups », la taille réduite de ces groupes de discussion a restreint la diversité d’expériences pouvant faire l’objet d’échanges (Krueger, 1994). En outre, un de ces groupes est atypique, car il a été mené par l’équipe de recherche au cours du séjour à Répit-Urbain plutôt que trois mois après le séjour. Même si l’exercice a été utile pour valider le canevas d’entrevue et alimenter le développement de la grille d’analyse de contenu, les commentaires recueillis auprès de ce groupe ne couvrent pas la perspective des participants sur l’impact et les suites du projet auprès des jeunes.

Enfin, il convient aussi de faire mention des limites associées au type d’analyse effectué pour le matériel issu des rencontres de groupes. La procédure utilisée (c.-à-d. « note-based analysis ») n’est pas basée sur une transcription entière des échanges (c.-à-d. « transcript-based analysis »). Une analyse de la totalité du matériel permettrait non seulement de traiter un plus grand nombre de commentaires, mais aussi de relever les points qui n’ont pas été retenus par les animateurs. Il serait donc ainsi possible de livrer une analyse à la fois plus détaillée et plus approfondie des échanges.

Considérant les limites méthodologiques énumérées plus haut, advenant le cas où, à la suite de l’implantation du projet, une évaluation portant sur l’impact ou encore l’efficience du projet serait requise, une évaluation indépendante (c.-à-d. externe) mériterait d’être considérée (Mercier et Perreault, 2001). Auparavant toutefois, il serait important de documenter de manière approfondie la perspective des usagers afin de mieux saisir leur motivation à participer à ce projet ainsi que leur appréciation des différents aspects entourant leur séjour. En documentant la perspective sur les services ainsi que les caractéristiques individuelles des usagers, il serait possible d’approfondir notre connaissance de la clientèle rejointe par le projet, ainsi que des aspects que celle-ci apprécie le plus et des améliorations souhaitées. Une attention particulière devra être apportée aux services utilisés, aux motifs ayant favorisé la participation au projet et, comme le suggèrent les résultats de la consultation avec les intervenants, à l’aide souhaitée à la suite d’un séjour à Répit-Urbain.