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Introduction

À la suite de consultations sur l’itinérance, les travaux de la Commission de la santé et des services sociaux du Québec (Canada) (2009) ont fait ressortir que le profil des personnes en situation d’itinérance au Québec se diversifie (il y a davantage de femmes, de familles, de personnes âgées, de jeunes, etc.), que cette réalité est de plus en plus présente en région et que les personnes souffrant d’un trouble mental ou de troubles liés aux substances psychoactives sont plus à risque de se retrouver en situation d’itinérance. À cet effet, une enquête québécoise a permis de constater que près du quart des 757 personnes interrogées qui avaient eu recours aux ressources pour personnes itinérantes à Montréal et à Québec en 1999, présentait des problèmes de santé mentale et de consommation d’alcool ou de drogue dans l’année précédant la collecte des données (Bonin, Fournier, Blais & Perreault, 2005). Plus récemment, une autre étude a montré que près de la moitié des personnes qui avaient fréquenté un organisme Montréalais desservant des personnes en situation d’itinérance ou à risque de le devenir présentait des problèmes de santé mentale (33 % troubles mentaux graves et 24 % troubles mentaux modérés) et des problèmes de dépendance aux substances (45 %) dans des proportions similaires (Grenier, Fleury, Imboua et NGui, 2013).

L’itinérance est également associée à d’autres problématiques, dont une mauvaise santé physique, une mort précoce et des victimisations de toutes sortes (Bergheul, Levesque & Pakzad, 2013 ; Pauly, Carlson & Parkin, 2012). Les conséquences des victimisations sont particulièrement négatives pour les personnes en situation d’itinérance, puisqu’elles parviennent difficilement à obtenir l’aide dont elles ont besoin à la suite de celles-ci (Brassard & Cousineau, 2000). En plus, les personnes en situation d’itinérance ayant des troubles concomitants utilisent peu les services de santé et les services sociaux requis par leur condition (Bonin et al., 2005), ce qui fait en sorte qu’elles demeurent aux prises avec ces problèmes. Faute de traitement, les personnes en situation d’itinérances ayant des troubles concomitants sont ainsi considérées comme les plus difficiles à loger (Tsemberis, 2010).

Au Québec, une diversité de mesures facilitant le logement est mise à la disposition des personnes en situation d’itinérance : supplément au loyer, logements sociaux, logements de groupe, logements individuels, etc. Par contre, les professionnels travaillant auprès de ces personnes jugent actuellement que les services les plus inadéquats qui leur sont offerts sont liés au logement (Grenier et al., 2013). Les personnes en situation d’itinérance ayant des troubles mentaux et des troubles liés aux substances nécessitent ainsi une attention particulière, du fait de leur nombre et de leurs besoins complexes (Bergheul et al., 2013 ; Commission de la santé et des services sociaux, 2009).

Politique et itinérance

En réponse à la problématique de l’itinérance, le gouvernement québécois a mis sur pied une politique nationale de lutte à l’itinérance en février 2014, laquelle cible cinq axes d’intervention, notamment le logement (Gouvernement du Québec, 2014). Pour sa part, le gouvernement fédéral, en passant par la Stratégie des partenariats de lutte contre l’itinérance (SPLI), envisage de subventionner principalement les programmes de type « logement d’abord » à compter de 2014 (Gaetz, Donaldson, Richter & Gulliver, 2013 ; Goering et al., 2012). Au Canada, la SPLI offre du soutien et du financement à plusieurs communautés, qui administrent localement les fonds, pour que des services soient offerts aux personnes en situation d’itinérance (Goering et al., 2012).

Au Québec, cette annonce a mené à un soulèvement de la part du gouvernement et des organismes qui oeuvrent auprès des personnes en situation d’itinérance. Effectivement, au Québec, la mixité des logements (logements sociaux, communautaires ou privés) (Gouvernement du Québec, 2014) est actuellement priorisée pour loger des personnes en situation d’itinérance, alors que les programmes de type « logement d’abord » priorisent les logements privés (Tsemberis, 2010). Les interventions sont aussi actuellement diversifiées au Québec. Une entente entre les gouvernements fédéral et provincial a été rendue possible pour l’année 2014-2015 afin que les projets actuels soient maintenus, peu importe les interventions qui y sont offertes. Rien n’indique toutefois la façon dont les orientations de la SPLI seront conduites à compter de 2015. Les programmes de « logement d’abord » pourraient ainsi être priorisés à nouveau.

Le « logement d’abord »

Le modèle Pathways to Housing est fondé sur le principe qu’une personne doit d’abord être logée pour pouvoir par la suite se concentrer sur ses autres besoins (Tsemberis, 2010). Effectivement, dans la rue, les personnes itinérantes passent habituellement la majeure partie de leur temps à tenter de survivre, réfléchir à l’endroit et au moment où ils pourront dormir ou manger et prévoir des moyens pour assurer leur sécurité (Tsemberis, 2010 ; Fournier et al., 2003). D’ailleurs, l’itinérance est associée à une mauvaise santé physique et mentale, à une mort précoce (Pauly et al., 2012) et augmente grandement les risques de victimisations physique et sexuelle (Tyler & Beal, 2010). Les conséquences de cette victimisation sont d’autant plus importantes que les conditions de vie de ces personnes sont précaires et qu’elles parviennent difficilement à obtenir l’aide dont elles ont besoin (Brassard & Cousineau, 2000). Une fois en logement, elles disent d’ailleurs se sentir beaucoup plus en sécurité que lorsqu’elles étaient en situation d’itinérance (Padgett, 2007).

Dans le modèle Pathways to Housing, le logement devient ainsi une condition préalable à l’insertion sociale. Ce modèle inverse la logique de l’approche « traitement d’abord », principalement utilisée actuellement, selon laquelle la personne en situation d’itinérance doit être traitée pour ses troubles mentaux et être abstinente pour avoir accès à un logement permanent (Kertesz, Crouch, Milby, Cusimano & Schumacher, 2009). Dans le modèle Pathways to Housing, aucune condition d’abstinence ou d’observance thérapeutique n’est imposée pour avoir accès au logement (philosophie de l’obligation minimale). Par contre, le fait d’être logé augmente les probabilités que les personnes acceptent de suivre un traitement pour leurs troubles mentaux ou pour l’abus de substances psychoactives et ces traitements sont facilités par leur stabilité (Tsemberis et Eisenberg, 2000). Un soutien d’intensité variable[1] ou un suivi intensif dans la communauté[2] est offert, en plus du logement. Des services psychiatriques, sociaux, médicaux et de traitement pour l’abus de substances sont ainsi offerts directement aux usagers, alors que des références vers d’autres services spécialisés leur sont données (Pleace, 2012). Les femmes et les personnes âgées sont habituellement priorisées dans ce modèle puisqu’elles sont plus à risque d’être victimisées (Tsemberis et Eisenberg, 2000).

Le modèle Pathways to Housing a influé sur plusieurs programmes que nous pouvons qualifier d’hybrides puisqu’ils sont basés sur l’approche « logement d’abord » (Kertesz et al., 2009 ; McHugo et al., 2004 ; Montgomery, Hill, Kane & Culhane, 2013). Ces programmes sont basés sur la même philosophie de l’obligation minimale, mais ils se différencient du modèle Pathways to Housing par la variété des types de logement et d’interventions qui sont offerts aux usagers. Dans certains de ces programmes, les interventions et services sont liés aux personnes (Pauly et al., 2012). Les équipes d’intervenants sont alors mobiles, c’est-à-dire qu’elles se déplacent chez la personne pour lui offrir des services. Dans d’autres programmes, les interventions et services sont liés au logement (Bell, 2009 ; Patterson, Somers, McIntosh, Shiell & Frankish, 2008 ; Pauly et al., 2012 ; Pauly, Reist, Schactman & Belle-Isle, 2011). Les équipes d’intervenants sont alors fixes, c’est-à-dire qu’elles sont présentes sur place dans des logements de groupe ou dans des édifices réservés. Même si des services sont offerts sur place, les usagers n’ont aucune obligation thérapeutique (Patterson et al., 2008 ; Pauly et al., 2011). Les services et l’intensité des interventions varient aussi d’un programme à l’autre (Kertesz et al., 2009).

Question d’evaluation

Compte tenu du contexte politique actuel au Québec et de la vulnérabilité des personnes en situation d’itinérance qui présentent des troubles mentaux ou des troubles liés aux substances, une revue systématique de la littérature canadienne et internationale a été entreprise pour répondre à la question d’évaluation suivante : l’approche « logement d’abord » peut-elle être efficace en réponse aux besoins des personnes en situation d’itinérance ayant des troubles mentaux ou des troubles liés aux substances ?

Méthodologie

Cadre d’analyse et questions de recherche

Le cadre d’analyse présenté à la figure 1 illustre le contexte dans lequel s’inscrit l’approche « logement d’abord ». On y trouve aussi les questions de recherche suivantes :

  • L’approche « logement d’abord », en comparaison avec l’accès aux services usuels seulement (Q1) et avec les interventions psychosociales traditionnelles (Q2), permet-elle d’améliorer les conditions de vie des personnes en situation d’itinérance ayant des troubles mentaux ou des troubles liés aux substances ?

  • L’approche « logement d’abord » couplée à une équipe mobile d’intervenants, en comparaison avec l’approche « logement d’abord » couplée à une équipe fixe d’intervenants, permet-elle d’améliorer les conditions de vie de ces personnes ? (Q3)

  • L’approche « logement d’abord » couplée à des interventions d’intensité régulière, en comparaison avec l’approche « logement d’abord » couplée à des interventions intensives[3] ou à des services spécialisés, permet-elle d’améliorer les conditions de vie de ces personnes ? (Q4)

Figure 1

Diagramme de sélection des articles

Diagramme de sélection des articles

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La figure 1 présente diverses pratiques en matière d’intervention auprès des personnes en situation d’itinérance qui ont été recensées dans la littérature et qui sont généralement comparées les unes aux autres dans les recherches évaluatives (Kertesz et al., 2009 ; Pauly et al., 2012). Les services usuels réfèrent à toute une panoplie de services qui s’adressent spécifiquement ou non aux personnes en situation d’itinérance : services sociaux et de santé généraux, refuges, soupes populaires, etc. Les interventions psychosociales regroupent des interventions traditionnelles comme la gestion de cas et les programmes basés sur l’approche « traitement d’abord » (Pauly et al., 2012). Les programmes de bons pour le logement sont généralement réservés aux personnes qui ont d’abord suivi un traitement, qui sont abstinentes et dont la santé mentale est stable (Kertesz et al., 2009), c’est pourquoi ils sont ici classés avec les interventions psychosociales traditionnelles. Enfin, l’approche « logement d’abord » renvoie à tous les programmes et modèles dans lesquels le soutien au logement est offert sans obligation d’abstinence ou d’observance des prescriptions médicales et sans traitement préalable à l’accès au logement, et ce, peu importe que les équipes d’intervenants soient mobiles ou fixes, le type de logement priorisé[4] et l’intensité des interventions offertes (Schiff & Rook, 2012). Le modèle Pathways to Housing de Tsemberis (2010) est donc inclus dans l’approche « logement d’abord ».

Stratégie de recherche d’informations

La recherche d’informations scientifiques a été réalisée dans plusieurs bases de données (Current Contents, PsycINFO, PubMed et Social Work Abstracts) et dans les moteurs de recherche sur le Web (Google, Google Scholar, sites gouvernementaux, etc.). Les principaux mots-clés utilisés sont les suivants : « housing first », « housing », « lodging », « homes », « homeless persons », « homeless youth », « mental disorders » et « substance-related disorders ». Une première recherche documentaire a été réalisée en janvier 2012 et couvrait une période de dix ans, c’est-à-dire de janvier 2002 à janvier 2012, et une mise à jour a par la suite été faite, jusqu’en juin 2013. À l’automne 2013, un document supplémentaire a été ajouté à la sélection initiale en raison de sa pertinence pour le Québec (Latimer, Roy & McAll, 2013).

Critères de sélection des études

Toutes les études ont été sélectionnées sur la base de critères d’inclusion préétablis quant à la population, l’intervention, le comparateur et les résultats. Les études expérimentales (essais randomisés) et quasi expérimentales (avec groupe témoin) et les revues systématiques ont été retenues. Le tableau 1 présente l’ensemble des critères d’inclusion et d’exclusion des études.

Tableau 1

Critères d’inclusion et d’exclusion des études

Critères d’inclusion et d’exclusion des études
5

Il est à noter que des résumés en anglais de documents publiés dans une autre langue que l’anglais et le français étaient disponibles dans les banques de données. Une des revues systématiques sélectionnées était originalement rédigée en suédois, mais elle a été traduite en français (Larsen & Nordentoft, 2010).

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Procédures de sélection des études, d’extraction des données et d’évaluation de la qualité

La sélection des articles répertoriés lors de la recherche d’informations scientifiques et l’évaluation de la qualité des études ont été faites de façon indépendante par deux examinateurs (IB, CAM)[6]. Par la suite, l’extraction des données a été réalisée par un examinateur (IB) et validée par un autre (CAM) à l’aide d’une grille d’extraction préétablie. Dans tous les cas, les divergences d’opinions ont été réglées en considérant l’avis d’un troisième examinateur (JM).

L’outil CASP (Critical Appraisal Skills Programme) a été utilisé pour évaluer la qualité des revues systématiques (Oxman, Cook & Guyatt, 1994), alors que celui de Rutter, Francis, Coren et Fisher (2010) a été utilisé pour évaluer la qualité des études expérimentales et quasi expérimentales. Une cote a été établie pour indiquer la qualité de chacune des études :

  • faible (limites majeures) ;

  • moyenne (les limites ne sont pas majeures et ne remettent pas en question l’ensemble des conclusions) ;

  • bonne (limites mineures).

Méthodes d’analyse et de synthèse des données

L’information provenant des études et revues systématiques est présentée sous la forme d’une synthèse narrative analytique.

Certains documents découlent tous d’une même étude : les mêmes participants, parfois avec des échantillons de taille différente, parfois avec des temps de suivi différents. Dans ces cas-là, nous avons comptabilisé une seule étude et avons rapporté les résultats du document qui avait le plus grand échantillon ou la période de suivi la plus longue. Cette stratégie d’analyse vise à éviter de décupler les résultats provenant d’une même étude et ainsi à surestimer leur importance.

Résultats

Description des études repérées et retenues

La recherche de l’information dans les bases de données scientifiques a permis de répertorier 1 231 enregistrements. De ce nombre, 502 doublons ont été exclus. Les titres et résumés des 729 enregistrements restants ont été analysés et 586 ont été exclus, puisqu’ils ne satisfaisaient pas aux critères d’inclusion. Les documents correspondant aux enregistrements retenus ont ensuite fait l’objet d’une analyse de contenu de laquelle 104 documents ont été exclus. La qualité de 39 documents a été évaluée et 14 d’entre eux ont été exclus en raison de leur faible qualité. Au final, 25 documents ont été retenus (Figure 2).

Figure 2

Diagramme de flux – processus de sélection des études

Diagramme de flux – processus de sélection des études

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Trois des documents retenus sont des revues systématiques (Larsen & Nordentoft, 2010 ; Nelson, Aubry & Lafrance, 2007 ; Rog, 2004). Les 22 autres documents proviennent de 16 études différentes. Les tableaux 2 à 4 présentent la description des études utilisées pour répondre aux quatre questions de recherche et le tableau 5 présente la description des trois revues systématiques retenues (Larsen & Nordentoft, 2010 ; Nelson et al., 2007 ; Rog, 2004).. Il est à noter que les deux documents provenant de l’étude du projet canadien « Chez soi » (tableau 2) présentent les résultats pour des sites différents (Latimer et al., 2013 ; Tan de Bibiana, 2013). Ces résultats sont donc rapportés séparément dans les sections suivantes. Aussi, les résultats provenant de l’étude de Clark et Rich (2003) (tableau 3) sont rapportés selon des sous-groupes de participants, divisés en fonction de la sévérité de leurs symptômes psychiatriques, du nombre de jours de consommation d’alcool et du nombre de jours de consommation de drogues des participants.

Tableau 2

Description des études utilisées pour répondre à la Q1

Description des études utilisées pour répondre à la Q1

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Tableau 3

Description des études utilisées pour répondre à la Q2

Description des études utilisées pour répondre à la Q2

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Tableau 4

Description des études utilisées pour répondre aux Q3 et Q4

Description des études utilisées pour répondre aux Q3 et Q4

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Tableau 5

Description des revues systématiques

Description des revues systématiques

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Comparaison entre l’approche « logement d’abord » et l’accès aux services usuels (Q1)

L’ensemble des études qui ont comparé l’approche « logement d’abord » à l’accès aux services usuels montre que les participants aux programmes basés sur l’approche « logement d’abord » passent plus de temps dans un logement et moins de temps dans la rue que ceux qui ont eu accès aux services usuels seulement (tableau 6). L’approche « logement d’abord » est aussi plus bénéfique quant aux revenus, mais cette dimension a été évaluée dans une seule étude (Mares & Rosenheck, 2011).

Les résultats des effets sur la qualité de vie et la satisfaction, la criminalité, l’incarcération, la participation à la vie dans la communauté et la victimisation sont mitigés (tableau 6). Ils varient selon les mesures utilisées ou selon les sous-groupes comparés à l’intérieur d’une même étude (Latimer et al., 2013 ; Sadowski et al., 2009).

D’autres résultats montrent plutôt que l’approche « logement d’abord » n’a pas davantage d’effets sur la santé mentale (Hwang et al., 2011 ; Latimer et al., 2013 ; Mares & Rosenheck, 2011 ; Sadowski et al., 2009), la santé physique (Hwang et al., 2011 ; Latimer et al., 2013 ; Mares & Rosenheck, 2011 ; Sadowski et al., 2009), la consommation de substances (Hwang et al., 2011 ; Latimer et al., 2013 ; Mares & Rosenheck, 2011) et le soutien social (Mares & Rosenheck, 2011) que l’accès aux services usuels (tableau 6). Les résultats de l’étude de Hwang et al. (2011) peuvent porter à confusion : les participants ayant eu accès au programme basé sur l’approche « logement d’abord » présentaient un moins bon état de santé mentale et une consommation moins problématique de substances que ceux qui avaient eu accès aux services usuels seulement. Ces différences étaient toutefois présentes dès le début de l’étude, ce qui signifie que leur état est demeuré stable tout au long de l’étude.

Enfin, les effets du « logement d’abord » sur l’utilisation des services, en comparaison avec l’accès aux services usuels seulement, sont particulièrement hétérogènes (tableau 7). Les résultats concernant l’utilisation des services externes peuvent, en plus, porter à confusion puisqu’ils montrent une augmentation de l’utilisation de ce type de services (Gilmer et al., 2010 ; Mares & Rosenheck, 2011 ; Martinez & Burt, 2006 ; Sadowski et al., 2009 ; Tan de Bibiana, 2013). Ces résultats peuvent tout de même être interprétés positivement, puisque cette hausse est généralement associée à une baisse des hospitalisations (Sadowski et al., 2009).

Tableau 6

Résultats des études dans lesquelles l’approche « logement d’abord » est comparée à l’accès aux services usuels (Q1)

Résultats des études dans lesquelles l’approche « logement d’abord » est comparée à l’accès aux services usuels (Q1)

1 en faveur du groupe expérimental/de l’approche « logement d’abord » ; 2 en faveur du groupe témoin/des services usuels ; 3 dépendent des sous-groupes ; 4 dépendent des mesures

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Tableau 7

Résultats sur l’utilisation des services provenant des études dans lesquelles l’approche « logement d’abord » est comparée à l’accès aux services usuels (Q1)

Résultats sur l’utilisation des services provenant des études dans lesquelles l’approche « logement d’abord » est comparée à l’accès aux services usuels (Q1)

1 en faveur du groupe expérimental/accès aux services usuels

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Comparaison entre l’approche « logement d’abord » et les interventions psychosociales traditionnelles (Q2)

Dans deux des trois études qui ont comparé l’approche « logement d’abord » avec les interventions psychosociales traditionnelles, les personnes qui ont eu accès à un programme basé sur l’approche « logement d’abord » ont passé moins de temps en situation d’itinérance et plus de temps dans un logement que celles qui ont fait l’objet d’interventions psychosociales traditionnelles (tableau 8) (Montgomery et al., 2013 ; Padgett, Gulcur & Tsemberis, 2006). Ces résultats sont aussi rapportés dans les revues systématiques de Nelson et al. (2007) et Rog (2004). Clark et Rich (2003) montrent plutôt que ce sont précisément les personnes ayant des troubles mentaux graves et une forte consommation de substances qui ont bénéficié de l’approche « logement d’abord » sur le plan du logement, alors que celles ayant des troubles plus légers n’en ont pas davantage bénéficié (réf. « résultats mitigés » dans le tableau 8).

Les études qui ont mesuré la santé mentale et la consommation de substances ont plutôt montré que l’approche « logement d’abord » n’a pas davantage d’effets sur ces dimensions que les interventions psychosociales traditionnelles (Clark & Rich, 2003 ; Nelson et al., 2007 ; Padgett et al., 2006). Elle ne permettrait pas non plus de diminuer davantage les visites aux urgences hospitalières (Montgomery et al., 2013). Par contre, les personnes ayant eu accès au programme « logement d’abord » seraient moins souvent hospitalisées que celles ayant reçu des interventions psychosociales traditionnelles (Nelson et al., 2007 ; Padgett et al., 2006). Enfin, les résultats concernant les effets de ces interventions sur les traitements (en interne ou en externe) pour des problèmes liés aux substances ou aux troubles mentaux (Montgomery et al., 2013 ; Padgett et al., 2006) ou sur la qualité de vie et la satisfaction (Nelson et al., 2007 ; Padgett et al., 2006) sont contradictoires.

Tableau 8

Résultats des études dans lesquelles l’approche « logement d’abord » est comparée à des interventions psychosociales traditionnelles (Q2)

Résultats des études dans lesquelles l’approche « logement d’abord » est comparée à des interventions psychosociales traditionnelles (Q2)

1 en faveur du groupe expérimental/de l’approche « logement d’abord » ; 2 en faveur du groupe témoin/interventions psychosociales traditionnelles ; 3 dépendent du sous-groupe

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Comparaison entre l’approche « logement d’abord » couplée à une équipe mobile d’intervenants et l’approche « logement d’abord » couplée à une équipe fixe d’intervenants (Q3)

Les deux études qui ont comparé l’approche « logement d’abord » couplée à une équipe mobile d’intervenants avec l’approche « logement d’abord » couplée à une équipe fixe d’intervenants obtiennent des résultats en faveur de programmes avec des équipes fixes d’intervenants (tableau 9) (McHugo et al., 2004 ; Schutt, 2011). Les participants qui ont eu accès à ces programmes passaient plus de temps dans un logement et moins en situation d’itinérance, avaient une meilleure santé mentale à la fin des suivis des études, étaient plus satisfaits de leur situation et présentaient une meilleure qualité de vie que ceux qui étaient inscrits dans des programmes avec une équipe mobile d’intervenants. Les deux modalités semblent toutefois avoir eu des effets semblables sur la consommation de substances, l’utilisation des services, la participation à la vie dans la communauté et la victimisation. Les résultats des revues systématiques répertoriées sont toutefois différents de ceux des études que nous avons retenues.

Tableau 9

Résultats des études dans lesquelles l’approche « logement d’abord » avec une équipe fixe d’intervenants est comparée à l’approche « logement d’abord » avec une équipe mobile d’intervenants (Q3)

Résultats des études dans lesquelles l’approche « logement d’abord » avec une équipe fixe d’intervenants est comparée à l’approche « logement d’abord » avec une équipe mobile d’intervenants (Q3)

1 en faveur du groupe expérimental/de l’approche « logement d’abord » avec une équipe fixe d’intervenants

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Comparaison entre l’approche « logement d’abord » couplée à des interventions intensives et l’approche « logement d’abord » couplée à des interventions régulières (Q4)

D’après l’étude de Burt (2012), les participants du programme « logement d’abord » qui ont reçu des interventions plus intensives étaient plus nombreux à vivre dans un logement permanent et à occuper un emploi à la fin de l’étude que ceux qui ont reçu les services réguliers du programme. Ils avaient aussi passé un plus grand nombre de jours dans un logement et avaient trouvé leur premier emploi plus rapidement. Dans sa revue systématique, Rog (2004) indique toutefois que les effets sur le logement ne sont pas homogènes d’une étude à l’autre ; les résultats sont parfois en faveur d’une modalité et parfois en faveur de l’autre.

Discussion

Le logement et l’itinerance

Les études retenues dans le cadre de cette revue systématique nous ont permis de traiter de l’efficacité de l’approche « logement d’abord » au regard des conditions de vie des personnes en situation d’itinérance. Les résultats ont démontré que cette approche est plus efficace pour réduire l’itinérance et permettre aux personnes dans cette situation de passer du temps dans un logement que ne le sont les interventions psychosociales qui leur sont traditionnellement offertes et l’accès aux services usuels. La seule exception provient de l’étude de Clark et Rich (2003), lesquels montrent que ce sont les personnes qui ont des troubles mentaux graves et une consommation de substances élevée qui tirent le plus profit de l’approche « logement d’abord ». Les personnes qui ont des troubles concomitants légers ou modérés ne bénéficient pas davantage de l’une ou l’autre des interventions. Ces résultats sont concordants avec la prémisse selon laquelle l’approche « logement d’abord » a été créée dans le but de permettre aux personnes les plus difficiles à loger d’obtenir un logement et d’y rester (Tsemberis, 2010). Ces résultats sont rapportés dans les trois revues systématiques retenues (Larsen & Nordentoft, 2010 ; Nelson et al., 2007 ; Rog, 2004).

Lorsqu’elle est couplée à des équipes fixes d’intervenants, l’approche « logement d’abord » permet aux personnes de demeurer plus longtemps dans un logement que lorsqu’elle est couplée à des équipes mobiles d’intervenants. Les intervenants étant sur place dans les logements, ils interviendraient plus rapidement auprès d’usagers lorsque des problèmes particuliers surviennent (McHugo et al., 2004). Par conséquent, l’expulsion d’un logement serait moins fréquente (Patterson et al., 2008 ; Pauly et al., 2011 ; Schutt, 2011). Il demeure tout de même important de garder en tête que la perte d’un logement dans ces cas signifie en plus la perte des suivis psychosociaux et de la subvention qui était attribuée aux personnes (Schutt, 2011). Les conséquences liées à cette perte de logement peuvent donc être considérées comme étant plus problématiques. Par contre, les personnes qui ont perdu leur logement dans les programmes dans lesquels l’approche « logement d’abord » est couplée à des équipes fixes d’intervenant avaient davantage d’interactions sociales avec les autres, selon ce qu’ont rapporté les intervenants (Schutt, 2011), ce qui peut avoir comme bénéfice de recevoir davantage d’aide pour se trouver un nouveau logement ou pour se sortir de la rue par la suite. Nos résultats diffèrent toutefois de ceux obtenus par les auteurs des revues systématiques qui rapportent plutôt des résultats contradictoires (Larsen & Nordentoft, 2010 ; Nelson et al., 2007 ; Rog, 2004). Cependant, plusieurs des études qu’ils ont retenues étaient plus anciennes (jusqu’à 15 ans) et en plus, Nelson et al. (2007) rapportent les résultats d’une seule étude traitant de cette question.

Enfin, les programmes basés sur l’approche « logement d’abord » dans lesquels des interventions intensives sont offertes permettraient aux personnes de demeurer plus longtemps dans un logement que les programmes qui sont couplés à des interventions offertes de façon régulière ou au besoin. Ce résultat provient toutefois d’une seule étude (Burt, 2012). Il est tout de même prometteur, puisque les personnes qui ont eu accès au programme dans lequel des interventions intensives étaient offertes étaient en situation chronique d’itinérance et présentaient davantage de troubles mentaux au moment de leur recrutement que celles du groupe témoin. Le fait d’offrir un logement, à condition d’avoir les ressources humaines et financières pour répondre rapidement aux besoins des personnes qui y vivent, permettrait à celles-ci d’y demeurer plus longuement (Burt, 2012).

L’utilisation des services

L’approche « logement d’abord », en comparaison avec l’accès aux services usuels et les interventions psychosociales traditionnelles, s’est avérée efficace pour faire diminuer l’utilisation des services internes et augmenter celle des services externes par les usagers. Ces résultats sont toutefois mitigés d’une étude à l’autre, puisque certains auteurs ne parviennent pas à déceler de différences significatives entre les participants qui ont eu accès à l’approche « logement d’abord » et les autres participants. La taille des échantillons est généralement plus petite dans ces études, ce qui pourrait expliquer que leurs auteurs ne décèlent pas de différence significative entre les groupes quant à l’utilisation des services, et ce, d’autant plus si la proportion de participants qui utilisent les services est faible.

Les résultats concernant l’utilisation des services nous semblent donc prometteurs. La hausse de l’utilisation des services externes peut être interprétée comme l’une des conséquences positives de la diminution de l’utilisation des services internes : les problèmes des personnes qui participent aux programmes basés sur l’approche « logement d’abord » seraient pris en charge assez rapidement pour être traités de façon ponctuelle ou avant qu’ils ne nécessitent des séjours dans les services hospitaliers internes (Sadowski et al., 2009). La présence des équipes fixes ou mobiles d’intervenants a toutefois des effets similaires sur l’utilisation des services par les usagers.

La sante physique et mentale et la consommation de substances psychoactives

L’approche « logement d’abord » a des effets similaires à ceux de l’accès aux services usuels et aux interventions psychosociales traditionnelles sur la santé mentale, la santé physique et la consommation de substances. Aucun auteur n’a décelé de différence entre les personnes qui ont été « logées d’abord » et les autres. Ces résultats sont particulièrement importants, bien qu’ils ne semblent pas être en faveur de l’approche « logement d’abord ». Effectivement, ils démontrent que, bien que les personnes aient autant de problèmes de santé mentale et de problèmes de consommation de substances les unes que les autres, celles qui ont accès à l’approche « logement d’abord » parviennent malgré cela à demeurer dans un logement.

Parmi les programmes basés sur l’approche « logement d’abord », ceux dans lesquels les équipes d’intervenants sont fixes permettent toutefois d’améliorer davantage la santé mentale des usagers que ceux dans lesquels les équipes sont mobiles (McHugo et al., 2004 ; Schutt, 2011). Ces résultats, mis en parallèle avec ceux concernant l’utilisation des services, sont surprenants puisque les usagers des programmes bénéficiant d’une équipe fixe d’intervenants ont amélioré davantage leur santé mentale que ceux des programmes avec une équipe mobile d’intervenants, mais ils se trouvent aussi nombreux à être hospitalisés. On peut ainsi se questionner sur les raisons qui ont motivé ces hospitalisations. Il est possible que leur santé mentale s’améliore davantage, mais pas assez pour que cessent complètement les hospitalisations. On peut aussi considérer l’hypothèse selon laquelle des problèmes physiques sont à l’origine de ces hospitalisations. Effectivement, une fois logées, les personnes qui étaient en situation d’itinérance prennent conscience qu’elles sont en mauvaise santé physique (Padgett, 2007). Il est donc plausible que ces problèmes seront traités à la suite de leur arrivée dans un logement. Les auteurs des deux études dans lesquelles les équipes mobiles sont comparées aux équipes fixes n’ont toutefois pas mesuré la santé physique des participants (McHugo et al., 2004 ; Schutt, 2011).

Quant aux effets des deux différentes équipes d’intervenants (fixe et mobile) sur la consommation de substances, ils sont les mêmes. Les personnes ayant eu accès aux intervenants de l’équipe fixe ou de l’équipe mobile présentent donc une consommation similaire tout au long de l’étude. La consommation de substances était permise dans les deux types de programmes, ce qui peut expliquer que les usagers qui ont eu accès à l’une ou l’autre des équipes ont eu une consommation équivalente (McHugo et al., 2004 ; Schutt, 2011).

Les autres dimensions

L’efficacité de l’approche « logement d’abord » sur les autres dimensions varie d’une étude à l’autre : l’approche « logement d’abord », en comparaison avec l’accès aux services usuels et aux interventions psychosociales traditionnelles, peut parfois faire diminuer la criminalité et les périodes d’incarcération, améliorer la qualité de vie et augmenter la participation à la vie dans la communauté des personnes qui étaient en situation d’itinérance. La mixité des résultats obtenus pourrait s’expliquer par certaines caractéristiques des participants. Effectivement, Latimer et al. (2013) rapportent que les effets du « logement d’abord » sur la criminalité et la qualité de vie varient selon le niveau de besoins des personnes concernées. Le « logement d’abord », en comparaison avec l’accès aux services usuels, fait diminuer le nombre d’accusations criminelles des personnes qui ont des besoins élevés, mais pas de celles qui ont des besoins modérés (Latimer et al., 2013). Au contraire, la qualité de vie s’améliore davantage chez les personnes qui ont des besoins modérés et qui bénéficient du « logement d’abord », mais pas chez celles qui ont des besoins élevés (Latimer et al., 2013). Ces résultats suggèrent ainsi qu’une même intervention aura des effets différents selon la population à laquelle elle est offerte. Les modalités proposées aux usagers peuvent aussi avoir des effets différents : l’approche « logement d’abord » couplée à une équipe fixe d’intervenants permet d’améliorer davantage la qualité de vie des personnes que lorsqu’elle est couplée à une équipe mobile d’intervenants (McHugo et al., 2004 ; Schutt, 2011). Tel que mentionné précédemment, ce résultat peut refléter le fait que les intervenants sur place sont davantage disponibles que ceux qui sont sur la route et qu’ils ont la possibilité d’intervenir plus rapidement.

Concernant la participation à la vie dans la communauté, les mesures varient d’une étude à l’autre, ce qui pourrait expliquer que les auteurs obtiennent des résultats différents (Latimer et al., 2013 ; Mares & Rosenheck, 2011). De plus, les résultats selon lesquels il n’y a pas de différence entre les participants ayant eu accès au « logement d’abord » et ceux ayant eu accès aux services usuels quant au nombre d’activités auxquelles ils prennent part vont de pair avec les résultats d’auteurs qui s’intéressent à la sortie de la rue. L’ambivalence entre le « vouloir d’une nouvelle vie » et l’appartenance à une ancienne vie qui caractérise les personnes qui sortent de la rue se reflète dans la continuité de certaines habitudes de vie qu’elles avaient lorsqu’elles étaient dans la rue, comme de fréquenter les mêmes personnes ou les mêmes lieux (Colombo, 2003 ; Colombo, 2011). Cette continuité peut ainsi expliquer que les personnes qui ont accès au « logement d’abord » participent au même nombre d’activités, telles que visiter des amis ou aller au parc, que celles qui ont accès aux services usuels.

Enfin, dans l’étude de Burt (2012), les participants du groupe expérimental ont reçu des services spécialisés en emploi et ils ont ainsi travaillé davantage que ceux du groupe témoin. Ce résultat, bien que provenant d’une seule étude, nous fait penser que le fait de cibler une problématique particulière (ici l’emploi) et de la traiter directement permet d’obtenir des résultats précis (Burt, 2012).

Les lacunes générales sur le plan des preuves scientifiques

Certaines limites générales, autres que celles mentionnées précédemment, permettent de nuancer les résultats. D’abord, il importe de souligner que l’attrition élevée des participants dans certaines études (Clark & Rich, 2003 ; Hanratty, 2011 ; Mares & Rosenheck, 2011) pourrait avoir des répercussions sur leurs résultats. Par ailleurs, quelques critiques sont à formuler quant aux mesures utilisées par les auteurs. Les renseignements auto révélés portant sur la consommation de substances pourraient être en deçà de la réalité, même si l’abstinence n’était pas obligatoire dans les modèles que nous avons sélectionnés. Par exemple, dans l’étude de Pathways to Housing, moins de 20 % des participants ont rapporté avoir consommé de l’alcool ou des drogues au cours du mois précédant leur recrutement (Gulcur, Stefancic, Shinn, Tsemberis & Fischer, 2003) alors que, selon leur dossier médical respectif, ils étaient 90 % à présenter un trouble lié aux substances ou à en avoir eu un dans le passé (Padgett et al., 2006). Ce biais issu de la désirabilité sociale pourrait donc empêcher les auteurs de déterminer si certains changements sont survenus chez leurs participants. Quant aux mesures liées à l’utilisation des services, elles étaient très variées d’une étude à l’autre, ce qui nous a parfois empêchés de regrouper les résultats. Conséquemment, l’importance des constats qui en découlent a pu être diminuée.

De plus, l’utilisation de certaines mesures avec une population itinérante ayant des troubles mentaux ou liés aux substances nous paraît devoir être remise en question, bien que ces mesures proviennent d’outils validés. C’est notamment le cas des mesures liées à la qualité de vie, à la consommation de substances et à la santé mentale et physique. Notre remise en question prend sa source dans deux constats. D’un côté, les participants qui ont eu accès au logement mentionnent, dans les études qualitatives, qu’ils se sentent plus en sécurité, qu’ils se sentent mieux (Padgett, 2007) et qu’ils ont diminué leur consommation substances (Collins et al., 2012) depuis qu’ils ont accès à un logement. D’un autre côté, l’approche « logement d’abord » s’appuie sur une logique de réduction des méfaits, laquelle vise la réduction des conséquences négatives associées à certains comportements (ministère de la Santé et des Services sociaux, 1999). Or, les mesures utilisées dans les études répertoriées ne permettent pas d’évaluer si l’approche « logement d’abord » entraîne effectivement la réduction du nombre des méfaits, que ceux-ci soient liés à la consommation de substances, aux troubles mentaux ou à la vie dans la rue de façon générale.

Enfin, il importe de mentionner que les interventions offertes aux personnes dans les programmes basés sur l’approche « logement d’abord » sont multiples et que leur intensité varie parfois à l’intérieur d’un même programme (Hanratty, 2011 ; Mares & Rosenheck, 2011 ; Metraux et al., 2003 ; Tan de Bibiana, 2013). De plus, l’appellation des types d’intervention et leur signification varient d’une étude à l’autre (O’Connell, Kasprow & Rosenheck, 2012 ; Tan de Bibiana, 2013). Cette diversité rend particulièrement difficile la détermination d’un niveau d’intensité des interventions qui serait plus efficace qu’un autre dans les programmes « logement d’abord » (O’Campo et al., 2009).

Les forces et les limites de la revue systématique

Les choix qui ont été faits au moment de la sélection des études quant au type d’intervention à traiter démontrent les forces de la présente revue systématique. D’abord, nous avons choisi de sélectionner les études portant sur les programmes basés sur l’approche « logement d’abord » et se déclinant sous plusieurs formes afin qu’elles soient les plus représentatives possible des programmes existants. Nous avons aussi inclus des études basées sur des devis diversifiés. L’évaluation de programmes existants a ainsi pu être prise en considération. La recherche de documents dans diverses banques de données, notamment pour trouver des mémoires et des thèses, et dans la littérature grise scientifique nous a permis de diminuer les risques liés à un biais de publication (Higgins & Green, 2011). De même, les biais attribuables à la multiplication des publications et à la langue de publication ont été évités puisque les résultats ont été présentés par étude plutôt que par publication et que le seul document retenu qui n’était ni en français ni en anglais a été traduit (Larsen & Nordentoft, 2010).

Certaines limites sont aussi présentes dans cette revue systématique. Il importe d’abord de considérer, d’un point de vue critique, la généralisation des résultats obtenus à certaines populations. Bien que cette revue systématique cible les personnes en situation d’itinérance ayant des troubles mentaux ou des troubles liés aux substances, les échantillons des études retenues sont composés en partie de personnes manifestant ces troubles, mais pas en totalité. De plus, nos résultats sont principalement généralisables à la population itinérante américaine, caractérisée par la présence de nombreux anciens combattants et Afro-Américains, et aux milieux plus urbains puisque la majorité des études ont été réalisées dans de grandes villes aux États-Unis. Enfin, le nombre d’études pour répondre à certaines de nos questions de recherche étant limité, il nous est impossible d’identifier de façon claire la plus-value de certaines modalités comparativement à d’autres.

Conclusion

À la lumière des résultats de cette revue systématique, nous croyons que le Québec devrait favoriser l’implantation de programmes basés sur les principes de l’approche « logement d’abord ». En effet, les personnes à qui s’adresse cette approche sont considérées comme les plus difficiles à loger, mais elles parviennent à demeurer dans un logement, et ce, même si leurs troubles mentaux et leur consommation de substances ne s’améliorent pas davantage que ceux des personnes qui n’y ont pas accès. Par contre, le logement leur offre la sécurité et leur permet de se concentrer sur des besoins autres que leurs besoins primaires. Ces programmes devraient, de plus, offrir des modalités diversifiées (divers types de logement ; équipes d’intervenants mobiles et fixes ; diverses intensités d’intervention) afin de répondre aux besoins d’un ensemble de personnes en situation d’itinérance. Les données ne nous permettent toutefois pas de déterminer, pour l’instant, les meilleures modalités et composantes à intégrer dans un tel programme (intensité des interventions, types de logement, types d’équipe d’intervenants, etc.), puisque trop peu d’auteurs se sont intéressés à ces comparaisons.

Enfin, les personnes venant des communautés autochtones seraient surreprésentées dans la population itinérante au Canada (Gaetz et al., 2013 ; Pauly et al., 2012). Les études retenues ici proviennent principalement des États-Unis, là où les personnes afro-américaines et les anciens combattants caractérisent la population itinérante. Pour ces raisons, les résultats de la présente revue systématique devraient être contextualisés pour le Québec afin que les réalités urbaines et rurales soient prises en considération et que les services soient mieux adaptés. De plus, au Québec, il serait nécessaire d’évaluer la possibilité d’implanter l’approche « logement d’abord » au sein de certains programmes de logements sociaux déjà existants.