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Introduction

Le cannabis est la substance illicite la plus consommée au Canada et dans le monde (Office des Nations unies contre la drogue et le crime, 2014). De fait, plus du tiers des Canadiens en aurait consommé au cours de leur vie. Parmi ceux-ci, 3,1 millions auraient consommé du cannabis dans la dernière année, dont une forte proportion de jeunes âgés de 15 à 24 ans (Statistique Canada, 2013). Au Québec, près du quart des élèves fréquentant l’école secondaire (tous niveaux confondus) en auraient fait usage entre 2012 et 2013 (Institut de la statistique du Québec, 2014).

Le cannabis est composé de plusieurs substances désignées en tant que cannabinoïdes (Maccarrone et al., 2015). Comme chaque cannabinoïde est chimiquement différent, leur action et leur affinité pour les récepteurs diffèrent, de même que leur effet pharmacologique. Les cannabinoïdes sont des messagers chimiques lipidiques agissant sur le système endocannabinoïde, un vaste système de signalisation chimique impliqué dans le fonctionnement cellulaire de plusieurs systèmes, dont le système nerveux central (Maccarrone et al., 2015 ; Montecucco et Di Marzo, 2012). Le système endocannabinoïde est par exemple impliqué dans la réponse au stress, les processus inflammatoires et le circuit de la récompense (Volkow, Hampson et Baler, 2016). Chez l’humain, le système endocannabinoïde est constitué de cannabinoïdes endogènes, des dérivés lipidiques produits sur demande (l’anandamide et le 2-arachidonoylglycérol), ainsi que des récepteurs endocannabinoïdes de type 1 (CB1) et de type 2 (CB2) (Morena, Patel, Bains et Hill, 2016 ; Pertwee, 2008). De nouveaux sites d’action pour les cannabinoïdes (tant endogènes qu’exogènes), dont le récepteur TRPV1 le GPR55[1], ont récemment été identifiés et pourraient constituer des voies de signalisation complémentaires aux récepteurs endocannabinoïdes traditionnels (Kirilly, Hunyady et Bagdy, 2013). Le THC et le cannabidiol (CBD), les deux principaux cannabinoïdes exogènes contenus dans le cannabis, ont la propriété de se lier aux récepteurs CB1 et CB2 (Burstein, 2014).

Les récepteurs CB1 et CB2 sont des récepteurs métabotropiques couplés à une protéine G. On retrouve une concentration particulièrement élevée de ces récepteurs au sein du système nerveux, les CB1 étant préférentiellement exprimés de façon centrale en opposition aux CB2, préférentiellement exprimés en périphérie (Atwood et Mackie, 2010). Les CB1 sont impliqués dans la synaptogénèse, la migration et la maturation neuronale, et ce, de l’âge foetal jusqu’à la fin de l’adolescence (Bossong et Niesink, 2010 ; Jutras-Aswad, DiNieri, Harkany et Hurd, 2009 ; Zhou, Falenta et Lalli, 2014). Déjà in utero, l’activation des CB1 jouerait un rôle important dans la motilité des neuroblastes, un processus qui garantirait ensuite la bonne migration neuronale (Zhou, Falenta et Lalli, 2014). Qui plus est, les récepteurs CB1 sont abondants dans le cortex préfrontal (chargé des fonctions exécutives), l’amygdale (impliquée dans la régulation des émotions et la réponse au stress), l’hippocampe (impliquée dans la mémoire) et le cervelet (impliqué dans la coordination motrice) (Goodman et Packard, 2015 ; James, James et Thwaites, 2013 ; Maccarrone et al., 2015). Les CB1 sont également présents dans le striatum et en particulier dans le noyau accumbens, une région cérébrale impliquée dans la motivation et le circuit de la récompense. En régulant la libération de divers neurotransmetteurs dans l’espace synaptique (sérotonine, norépinéphrine, dopamine, etc.) (Pertwee, 2008) et la fonction des neurones glutamatergiques et GABAergiques (Kano, Ohno-Shosaku, Hashimotodani, Uchigashima et Watanabe, 2009), le système endocannabinoïde joue donc un rôle clé dans l’activité de ces structures cérébrales.

Dans les dernières années, un certain nombre de phénomènes, qui seront abordés dans d’autres articles de ce numéro, ont contribué à une augmentation marquée de l’attention portée au cannabis. Notons d’abord que plusieurs États américains ont récemment adopté des changements aux lois encadrant l’usage thérapeutique et maintenant récréatif de la marijuana (Benmaamar, 2014), tandis qu’au Canada, l’utilisation thérapeutique du cannabis est encadrée par un programme fédéral depuis plusieurs années (Lucas, 2008). Par ailleurs, les années 2000 ont vu apparaître un nombre croissant de cannabinoïdes synthétiques (« K2 », « Épices », etc.), de même qu’une augmentation régulière de la « puissance » de la marijuana (Brents et Prather, 2014 ; Sevigny, Pacula et Heathon, 2014 ; Vardakou, Pistos et Spiliopoulou, 2010). On estime en effet que la concentration de THC a significativement augmenté entre les années 1970 et 2000 (Sevigny, 2013). Entre 2007 et 2011, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) rapporte que la teneur moyenne en THC du cannabis saisi aux États-Unis est passée de 8,7 % à 11,9 % (Office des Nations unies contre la drogue et le crime, 2014). Parallèlement à ces constats, la publication de données entourant les effets potentiellement thérapeutiques et délétères du cannabis a suscité un débat scientifique polarisé, et rarement nuancé. Des études soulignant à gros traits les effets délétères du cannabis et d’autres suggérant des vertus thérapeutiques parfois miraculeuses se sont succédées, laissant la population et les décideurs devant une littérature difficile à saisir. Nous sommes d’avis que cette vision dichotomique du cannabis est à l’origine d’une confusion importante quant aux effets réels et présumés de cette substance.

Compte tenu des nombreux bouleversements touchant le cannabis et de sa place dans la société, il nous apparaît pertinent de porter un regard critique sur la littérature touchant aux effets délétères du cannabis. Une attention particulière a été portée à la mise en relief des facteurs modulant la relation entre le cannabis et ses effets potentiellement néfastes. C’est avec la prémisse que les impacts d’une substance sont conditionnels à son contenu, le contexte où elle est utilisée et la personne qui la consomme, que nous avons abordé ce sujet, où le besoin de mise en perspective et de retenue nous apparaît particulièrement criant. Il ne s’agit donc pas d’une revue exhaustive des effets délétères du cannabis, mais bien d’une revue critique de la littérature. Les effets du cannabis sur la cognition, les psychoses et la toxicomanie seront décortiqués tour à tour, à titre d’exemple, afin d’exposer une méthode nuancée et rigoureuse d’aborder les effets néfastes du cannabis. Ainsi, pour chacune de ces problématiques, en plus de présenter les effets délétères de l’intoxication et ceux de la consommation chronique (sauf pour la toxicomanie, qui s’y prête moins), nous discuterons des facteurs qui peuvent prédire ou moduler le risque associé à la consommation de façon spécifique à chacun de ces domaines.

Association entre l’exposition au cannabis et le fonctionnement cognitif

Les changements cognitifs associés au cannabis sont parmi ses effets les mieux étudiés (Ranganathan et D’Souza, 2006). Le THC entraînerait une diminution de l’attention (attention divisée[2] et attention soutenue) et de la concentration quelques minutes suivant sa consommation (Ramaekers et al., 2006 ; Zuurman, Ippel, Moin et van Gerven, 2009). Le THC entraînerait également, lors de l’intoxication, une altération de la mémorisation (encodage, consolidation, rappel) et nuirait à l’apprentissage (Ranganathan et D’Souza, 2006). Ces effets cognitifs sur la mémoire et la concentration perdureraient au-delà de la période de quelques heures associée typiquement à l’intoxication. Une étude américaine aurait montré la présence de difficultés cognitives résiduelles 24 heures suivant la consommation, même à une concentration de THC beaucoup plus faible que celle rencontrée dans le cannabis utilisé dans les dernières années (2,57 % de THC) (Heishman, Huestis, Henningfield et Cone, 1990). L’intoxication au cannabis altèrerait, par ailleurs, les processus audiovisuels et le raisonnement visuospatial (Winton-Brown et al., 2011). Sur le plan des fonctions exécutives, une atteinte de la mémoire de travail, une désinhibition ainsi qu’une altération du processus décisionnel et de la planification ont toutes été décrites après l’utilisation de cannabis (Crean, Crane et Mason, 2011 ; Fernandez-Serrano, Perez-Garcia et Verdejo-Garcia, 2011). Cette atteinte des fonctions exécutives serait hypothétiquement en cause dans l’incidence accrue de traumatismes, d’accidents automobiles et de comportements à risque en cours d’intoxication (Cardoso et Malbergier, 2015 ; Eksborg et Rajs, 2008 ; Hartman et Huestis, 2013). Chez les utilisateurs réguliers de cannabis, des difficultés dans l’attention soutenue, la mémoire de travail et la mémoire verbale seraient notables, indépendamment de l’intoxication (Battisti et al., 2010 ; Fried, Watkinson et Gray, 2005 ; Takagi et al., 2011). Des changements dans la performance cognitive globale (QI), la vitesse de traitement de l’information, les capacités d’abstraction et le raisonnement visuel ont également été objectivés après plusieurs années de consommation (Fried et Watkinson, 2000 ; Fried, Watkinson et Gray, 2005 ; James, James et Thwaites, 2013 ; Meier et al., 2012). Ainsi, les atteintes cognitives rencontrées chez ces utilisateurs dépasseraient largement la fenêtre d’intoxication au cannabis. Cependant, l’abstinence au long cours permettrait une amélioration du profil cognitif des consommateurs chroniques. En effet, les méta-analyses conduites sur le sujet ont conclu que l’arrêt de la consommation pendant quatre semaines permettrait de renverser en grande majorité (voire en totalité) les déficits cognitifs associés au cannabis (Grant, Gonzalez, Carey, Natarajan et Wolfson, 2003 ; Schreiner et Dunn, 2012 ; Schulte et al., 2014). Au bout de trois mois d’abstinence, aucune différence cognitive statistiquement significative n’existait entre les anciens consommateurs et leurs contrôles (Schreiner et Dunn, 2012 ; Schulte et al., 2014). Une étude américaine chez des adolescents en désintoxication a, par exemple, observé une reprise de l’apprentissage verbal et de la mémoire de travail verbale après respectivement deux et trois semaines d’abstinence (Hanson et al., 2010).

Facteurs modulant l’association entre l’exposition au cannabis et les altérations cognitives

La dose consommée, le mode d’utilisation, l’abstinence pendant une longue période, la vulnérabilité génétique, l’âge d’exposition et la présence d’une maladie psychiatrique seraient autant de facteurs ayant un impact sur les effets délétères du cannabis sur la cognition.

D’abord, les atteintes cognitives semblent en partie dépendre de la dose consommée. À court terme, les effets cognitifs de la marijuana inhalée apparaissent à une concentration sérique entre 2 et 5 ng/ml et atteignent leur paroxysme à 30 ng/ml (Ramaekerset al., 2006). Au long cours, des déficits cognitifs surviennent chez les individus consommant plus de cinq joints par semaine pendant plus de deux ans (Cousijn et al., 2013 ; Fried, Watkinson et Gray, 2005 ; Schulte et al., 2014). Bien qu’il soit trop tôt pour identifier clairement un seuil d’exposition (en nombre de joints de cannabis, en grammes par semaine, etc.) entraînant des déficits cognitifs au long cours, il semble que la dose de cannabis et la durée d’utilisation influencent les déficits cognitifs vécus par les utilisateurs.

Le mode d’utilisation influence également cette relation. Une atteinte cognitive plus importante lors de l’intoxication serait notée chez les utilisateurs occasionnels que chez les consommateurs réguliers et expérimentés (Hart, van Gorp, Haney, Foltin et Fischman, 2001). En effet, plusieurs études donnent à penser que les consommateurs occasionnels présenteraient une plus grande altération des fonctions exécutives et neurocomportementales (Desrosiers, Ramaekers, Chauchard, Gorelick et Huestis, 2015 ; Ramaekers, Kauert, Theunissen, Toennes et Moeller, 2009). Une augmentation de l’impulsivité, une difficulté de résolution de problèmes et une plus grande prise de risque ont été notées chez les utilisateurs occasionnels (Desrosiers, Ramaekers, Chauchard, Gorelick et Huestis, 2015 ; Jutras-Aswad, Zang et Bruneau, 2010). Ceux-ci seraient plus sujets à être impliqués dans des accidents routiers (Desrosiers, Ramaekers, Chaunard, Gorelick et Huestis, 2015 ; Eksborg et Rajs, 2008). La consommation occasionnelle entraînerait donc une vulnérabilité accrue, ou une absence de tolérance, aux changements cognitifs en cours d’intoxication.

Certaines prédispositions génétiques pourraient aussi occasionner une sensibilité accrue aux effets neurocognitifs aigus du cannabis. La catéchol O-méthyltranférase (COMT) pourrait moduler les effets cognitifs du cannabis. Cette enzyme est impliquée dans la dégradation de la dopamine dans le cortex frontal, une zone cérébrale reconnue de longue date pour son implication dans les fonctions exécutives (Goldman, Weinberger, Malhotra et Goldberg, 2009 ; Dickinson et Elvevag, 2006). La COMT peut avoir différentes variantes, ou différents polymorphismes, qui influencent l’activité enzymatique et, du même coup, le niveau de dopamine dans le cortex frontal. Les individus porteurs d’un polymorphisme particulier, avec la présence d’un allèle valine sur la séquence génétique de l’enzyme catéchol O-méthyltransférase 158 (COMT 158 val/val), une variante associée à une plus grande dégradation de la dopamine, pourraient être plus à même d’éprouver des troubles cognitifs (atteintes mnésiques, de l’attention, etc.) suivant la prise de THC (Tunbridge, Dunn, Murray, Evans, Lister, Stumpenhorst, Harrison, Morrison et Freeman, 2015 ; Henquet, Rosa, Krabbendam, Papiol, Fananás, Drukker, Ramaekers et van Os., 2006 ; Verdejo-Garcia et al., 2013). Les individus porteurs d’un polymorphisme particulier d’un gène codant pour le transport de la sérotonine (5-HTTLPR s/s), pourraient être plus vulnérables aux effets du cannabis sur la prise de décision (Verdejo-Garcia et al., 2013). Pour l’instant, les preuves d’une influence génétique sur les effets cognitifs du cannabis demeurent cependant ténues.

Étant donné son influence capitale sur le développement neuronal, plusieurs observateurs se sont penchés sur l’influence de l’âge lors de l’exposition au cannabis. Deux études prospectives de cohortes ayant abordé cette problématique ont observé une association entre l’exposition anténatale et des changements cognitifs dans l’enfance (Day et Richardson, 1991 ; Fried et Makin, 1987). À six ans, les enfants exposés in utero au cannabis réussissaient effectivement moins bien que leurs pairs, notamment sur les mesures psychométriques de l’attention et du contrôle pulsionnel (Fried, Watkinson, et Gray, 1992). De plus, à 9 ans, les jeunes ayant subi cette exposition éprouvaient des difficultés dans les tâches faisant appel à la capacité d’abstraction, la vérification d’hypothèses et le raisonnement visuel (Fried, Watkinson et Gray, 1998 ; Goldschmidt, Richardson, Willford et Day, 2008). Il est toutefois important de mentionner que les données sur l’exposition anténatale au cannabis et le développement cognitif sont parfois inconstantes, en particulier pour la période néonatale et la petite enfance (Huizink, 2014). Une troisième grande étude (génération R) est maintenant en cours afin de répliquer les résultats obtenus par les deux autres groupes.

L’initiation précoce au cannabis et la consommation chronique prolongée pourraient également être associées à de plus grandes altérations cognitives. La consommation précoce (avant 15 à 18 ans, selon les études) serait ainsi liée à un plus important déclin cognitif au long cours (Ehrenreich et al., 1999 ; Meier et al., 2012 ; Pope et al., 2003). Meier et ses collègues (2012) ont retrouvé des déficits cognitifs persistants chez les individus ayant commencé à consommer du cannabis avant l’âge de 18 ans et qui, au terme de l’étude, étaient devenus des consommateurs occasionnels (une moyenne de 14 fois par année). Certains ont argumenté que la présence de facteurs confondants comme le statut socioéconomique (Rogeberg, 2013) ou les traits de personnalité (Daly, 2013) pourraient expliquer en partie cette relation, ce qui a toutefois été subséquemment réfuté par d’autres auteurs (Moffitt, Meier, Caspi et Poulton, 2013). Il est donc possible que 1) le cannabis, lorsqu’il est consommé au cours de phases critiques du neurodéveloppement, ait une toxicité particulière 2) que la consommation occasionnelle, bien que peu fréquente, empêche la correction des déficits cognitifs retrouvée généralement en contexte d’abstinence ou que 3) cette relation soit due à des facteurs confondants, comme une vulnérabilité biologique commune ou la plus longue durée d’exposition, puisqu’il a été démontré à quelques reprises que les consommateurs ayant usé du cannabis pendant une plus longue période étaient plus atteints cognitivement (Battisti et al., 2010 ; Crane, Schuster, Mermelstein et Gonzalez, 2015).

De façon surprenante, chez les individus souffrant de psychoses ou de maladie affective bipolaire, plusieurs études ont observé un meilleur fonctionnement cognitif chez les personnes atteintes de ces maladies consommant du cannabis (Potvin, Joyal, Pelletier et Stip, 2008 ; Rabin, Zakzanis et George, 2011 ; Yucel et al., 2012). Certains ont suggéré que les individus consommant de la drogue, vu la relative complexité pour l’obtention de la substance, souffraient d’un trouble mental moins sévère que celui de leurs pairs, tandis que d’autres argumentent que le déclenchement de psychoses chez des individus consommateurs, lesquels seraient moins atteints cognitivement, pourrait expliquer cette différence (Yucel et al., 2012). Cette dernière hypothèse semble relativement bien soutenue. D’une part, les individus ayant été des consommateurs de cannabis et atteints de psychoses démontrent, six mois après l’arrêt complet de la consommation, un profil d’activation cérébrale à l’IRM fonctionnelle lors de l’exécution des tâches directes et indirectes moins altéré comparativement aux individus psychotiques sans antécédent de consommation (Loberg et al., 2014). Une étude récente conduite par Rabin et ses collègues a aussi montré que, bien que les utilisateurs de cannabis souffrant de schizophrénie démontrent une meilleure vitesse de traitement de l’information que leurs pairs abstinents, il existe une corrélation négative importante entre la quantité cumulative de cannabis consommée et la cognition chez les personnes souffrant de schizophrénie et faisant usage du cannabis (Rabin, Zakzanis, Daskalakis et George, 2013). D’autre part, une étude contrôlée randomisée à double insu sur les effets aigus du cannabis dans les populations souffrant de schizophrénie démontre une atteinte cognitive plus importante suivant la consommation chez les individus schizophrènes que chez des contrôles de la population générale (De Souza et al., 2005). Ainsi, bien que les individus souffrant de maladies mentales sévères et consommant du cannabis ont un meilleur profil cognitif que les non-consommateurs, les données de la littérature donnent à penser qu’ils seraient à tout le moins aussi vulnérables que la population générale aux effets délétères du cannabis sur la cognition.

En somme, l’ampleur des effets du cannabis sur les sphères cognitives serait notamment liée à la dose consommée et au profil d’utilisation. Une consommation occasionnelle entraînerait une plus grande susceptibilité aux effets cognitifs à court terme, tandis qu’une consommation chronique occasionnerait des changements cognitifs au-delà de la période d’intoxication. La consommation chronique sur plusieurs années aurait un effet cumulatif et les adolescents pourraient être plus sensibles aux altérations cognitives associées au cannabis. Des facteurs génétiques pourraient également conférer une susceptibilité accrue aux déficits cognitifs associés à la consommation de cannabis. Quant aux individus atteints de psychoses et consommateurs de cannabis, ils performent mieux cognitivement que leurs semblables abstinents, mais ils seraient également sujets à des altérations cognitives qui s’améliorent avec l’arrêt de la consommation. Qui plus est, l’abstinence pendant trois mois renverserait la plupart des déficits chez les consommateurs chroniques, ce qui demeure toutefois plus incertain lors d’un début de consommation précoce à l’adolescence.

Association entre l’exposition au cannabis et le risque de psychose

Il y a près de trois décennies émergeait dans la littérature scientifique un débat quant au lien de causalité possible entre la consommation de cannabis et le développement d’une maladie psychotique (Burns, 2013 ; Moore et al., 2007 ; van Winkel et Kuepper, 2014). Une étude de cohorte populationnelle sur des jeunes hommes suédois conscrits, publiée en 1987, a lancé le débat en révélant que les grands consommateurs de cannabis avaient un risque de psychoses six fois plus important que celui de la population générale, et ce, indépendamment de certains facteurs de risque de maladie psychotique (Andreasson, Allebeck, Engstrom et Rydberg, 1987).

L’intoxication aiguë au cannabis a effectivement été associée à plusieurs types de symptômes psychotiques, dont les troubles dissociatifs et les symptômes psychotiques positifs (hallucinations auditives, tactiles et visuelles) (Cortes-Briones et al., 2015 ; van Heugten-Van der Kloet et al., 2015). Des délires paranoïaques induits par la substance se résorbant typiquement quelques heures suivant la consommation ont été décrits (Freeman et al., 2015), tout comme une augmentation des symptômes dits négatifs (De Souza et al., 2004). L’usage du cannabis a été associé à une augmentation de l’incidence des symptômes psychotiques de 40 à 200 % (Moore et al., 2007). La consommation au long cours (évaluée « à vie », « dans les six derniers mois », etc.) a quant à elle été associée à une plus grande proportion de psychoses de toute étiologie (dépressions et manies psychotiques, schizophrénie, etc.), de l’ordre de deux à trois fois celle de la population générale (Burns, 2013). Le cannabis favoriserait également le déclenchement de psychoses plus précocement, c’est-à-dire près de trois ans plus tôt que dans la population générale et il pourrait précipiter le déclenchement de la psychose (Large, Sharma, Compton, Slade et Nielssen, 2011 ; Myles, Newall, Nielssen et Large, 2012 ; Stone et al., 2014).

La relation entre la consommation de cannabis et le développement d’une maladie psychotique comme la schizophrénie est de toute évidence complexe et les données, imparfaites. En effet, bien que plusieurs études longitudinales se soient penchées sur la question (Arsenault et al., 2002 ; Ferdinand et al., 2005 ; Kuepper et al., 2011) les études demeurent plutôt hétérogènes en matière de mesure de consommation du cannabis (évaluée « à vie », « dans les six derniers mois ») et des issues mesurées (schizophrénie, maladie psychotique de toute étiologie).

Facteurs modulant l’association entre l’exposition au cannabis et la psychose

La teneur en THC du cannabis, la vulnérabilité génétique à la psychose, l’âge de la consommation, la présence d’une maladie psychotique, ainsi que certains facteurs de risque environnementaux moduleraient l’apparition et l’intensité des symptômes psychotiques associés au cannabis. En effet, des études conduites sur le cannabis suggèrent que l’utilisation de cannabis à forte teneur en THC et à faible teneur en cannabidiol entraînerait la psychose jusqu’à six fois plus fréquemment que dans la population générale, en particulier lors d’un usage quotidien lors du jeune âge (Di Forti et al., 2014 ; Di Forti et al., 2009). Ces résultats concordent avec ceux de la science fondamentale, selon lesquels le THC aurait des propriétés psychotiques et le cannabidiol (CBD), au contraire, des effets antipsychotiques (Iseger et Bossong, 2015). L’importance de la concentration de ces deux composantes (ratio THC : CBD) dans le cannabis epourrait donc moduler de façon déterminante l’apparition de psychoses chez les consommateurs de substances cannabinoïdes, comme le laissent penser certaines études ayant conclu que le cannabis plus riche en CBD aurait des propriétés psychotiques moindres (Schubart, Sommer, et al., 2011).

Certaines études ont mis en lumière des facteurs de vulnérabilité individuelle, tant pour l’apparition de symptômes psychotiques lors de l’intoxication, que pour le développement de schizophrénie au long cours. Un groupe de chercheurs a récemment pu démontrer que les individus éprouvant des symptômes psychotiques lors de la prise de THC avaient un mode d’activation cérébrale lors de l’exécution de certaines tâches (sous l’effet de 10 mg de THC) différant nettement de leurs pairs ayant consommé la même dose (Atakan et al., 2013). D’autres ont trouvé une incidence accrue de psychoses chez les individus porteurs de marqueurs génétiques particuliers (l’enzyme COMT val/val notamment). En 2005, un groupe britannique avait soulevé un fort intérêt dans le monde scientifique en trouvant une incidence de trouble schizophréniforme dix fois plus grande chez les porteurs du COMT 158 val/val ayant consommé du cannabis à l’adolescence que chez les consommateurs n’ayant pas ce marqueur génétique (Caspi et al., 2005). Avec le recul toutefois, l’incapacité de répliquer de façon consistante les résultats de cette première étude en a mené plusieurs à remettre en doute le rôle de cette enzyme dans le développement de psychoses (Duncan et Keller, 2011). Ce gène continue toutefois à être étudié, avec des résultats mixtes (De Sousa et al., 2013 ; Ermis et al., 2015). Le gène DRD2, codant pour le récepteur dopaminergique de type 2 a, par ailleurs, été lié dans plusieurs modèles à la fois à la dépendance au cannabis et au développement de maladies psychotiques (Agrawal et Lynskey, 2009). Une récente étude conduite auprès de 758 individus, dont 272 personnes atteintes d’une maladie psychotique, a révélé un risque trois fois plus important de maladie psychotique chez les porteurs de l’allèle T (DRD2 rs1076560, T) consommant du cannabis que chez les utilisateurs n’ayant pas ce marqueur génétique. Le risque grimpait à cinq fois lors de l’utilisation journalière chez les porteurs de l’allèle T (Colizzi et al., 2015).

Il y aurait, par ailleurs, une corrélation entre l’utilisation du cannabis avant l’âge de 15 ans et l’apparition de symptômes psychotiques à un âge significativement plus jeune, de même qu’une augmentation plus importante de psychoses de toute étiologie (Arseneault et al., 2002 ; Ferdinand et al., 2005 ; Schubartet al., 2011). Certains ont postulé que l’exposition aux cannabinoïdes lors de cette période nuirait à la maturation neuronale préfrontale, occasionnant ainsi un terrain propice à la psychose (Bossong et Niesink, 2010).

Chez les individus souffrant de schizophrénie, la consommation de cannabis aurait également comme conséquence d’aggraver le cours de la maladie (Manrique-Garcia et al., 2014 ; van der Meer et Velthorst, 2015). À court terme, l’intoxication a effectivement été associée à une recrudescence transitoire des symptômes psychotiques au sein de cette population, tandis que le statut d’utilisation chronique prolongée a, quant à lui, été lié à un moins bon fonctionnement global, des hospitalisations psychiatriques allongées et plus fréquentes (Manrique-Garcia et al., 2014 ; van der Meer et Velthorst, 2015). La consommation de cannabis serait donc associée à une aggravation de la maladie psychotique chez les personnes qui en souffrent.

Du point de vue environnemental, il semble y avoir consensus entourant le développement de la psychose, qui se ferait selon un modèle vulnérabilité stress. Ainsi, il semble établi que les prédispositions génétiques, lorsqu’elles sont combinées à des contrecoups environnementaux, provoquent la persistance de symptômes psychotiques subcliniques, lesquels progressent ensuite vers la psychose franche (van Os, Linscott, Myin-Germeys, Delespaul et Krabbendam, 2009). Ainsi, le cannabis pourrait agir à titre de déclencheur de maladie psychotique chez des individus présentant une vulnérabilité particulière à cet effet. Le rôle du cannabis dans le déclenchement de la psychose pourrait être encore plus complexe ; cette substance pouvant également agir de façon additive, voire peut-être synergique, avec d’autres stresseurs environnementaux pour déclencher la psychose (van Winkel et Kuepper, 2014 ; Wilkinson, Radhakrishnan et D’Souza, 2014). Deux études américaines ont par exemple observé un excès de cas de psychoses chez les adolescents consommateurs de cannabis ayant subi des traumatismes durant l’enfance par rapport à leurs pairs consommateurs n’ayant pas subi de tels stresseurs (Harley et al., 2010 ; Houston, Murphy, Adamson, Stringer et Shevlin, 2008).

Ainsi, le cannabis est associé à une augmentation du risque de psychoses et un début de maladie plus précoce chez les personnes présentant un profil de vulnérabilité pour cette maladie. La concentration des différents cannabinoïdes contenus dans le cannabis, la vulnérabilité génétique, l’utilisation de cannabis avant l’âge de 15 ans, ainsi que la présence de stresseurs environnementaux semblent agir à titre de modulateurs de l’effet psychotomimétique de cette substance.

Association entre l’exposition au cannabis et la toxicomanie

Trouble lié à l’usage du cannabis (TLU-Cannabis)

Aux États-Unis, la prévalence d’un trouble lié à l’usage du cannabis (TLU-Cannabis) se situerait autour de 5 % dans la population générale (Schuermeyer et al,, 2014 ; Stinson, Ruan, Pickering et Grant, 2006). Le TLU-Cannabis est une entité clinique du DSM-5 caractérisée par un usage persistant de cannabis, et ce, malgré qu’il occasionne une souffrance et une atteinte marquée du fonctionnement (Association américaine de psychiatrie, 2013).[3] Dans les études populationnelles, entre 6 et 10 % des utilisateurs de cannabis auraient un TLU-Cannabis (Lopez-Quintero et al., 2011). Bien que très hétérogène, ce trouble se déclarerait typiquement à l’adolescence (Blanco et al., 2008 ; Stinson, Ruan, Pickering et Grant, 2006). Une étude s’étant intéressée à sa persistance dans le temps a trouvé qu’après 3 ans, le tiers éprouvait des difficultés persistantes, tandis que les autres s’en étaient remis (Feingold, Fox, Rehm et Lev-Ran, 2015). Ainsi, le TLU-Cannabis est un problème relativement fréquent dont le cours semble hétérogène.

Troubles liés à l’utilisation d’autres substances

Les individus dépendants[4] au cannabis sont plus à risque de consommer d’autres substances psychotropes, dont l’alcool, les opiacés, la cocaïne, l’ecstasy et les médicaments d’ordonnance (Tzilos, Reddy, Caviness, Anderson et Stein, 2014). Dans une cohorte d’adolescents, Zaman et collègues ont, par exemple, rapporté une polyconsommation chez 41 % des individus dépendants au cannabis (Zaman, Malowney, Knight et Boyd, 2015). Inversement, l’utilisation d’autres substances psychotropes a été associée à un plus grand risque de dépendance au cannabis (Lopez-Quintero et al., 2011 ; Chen, O’Brien et Anthony, 2005). Longtemps mis à l’avant-plan pour expliquer la progression typique de drogues dites « douces » vers les drogues dites « dures », le cannabis a souvent été considéré comme une « drogue tremplin » (traduction libre de gateway drug) vers d’autres substances illicites (Richmond-Rakerd et al., 2015). Cependant, la grande variabilité du mode d’introduction au monde de la drogue en fonction des pays analysés donne à penser que cette notion de « drogue tremplin » aurait, à tout le moins en partie, une origine environnementale (accessibilité, normes sociales, etc.) (Degenhardt et al., 2010 ; Ter Bogt, Schmid, Gabhainn, Fotiou et Vollebergh, 2006). Qui plus est, l’existence de mécanismes étiologiques partagés, à la fois génétiques et environnementaux, pour l’ensemble des troubles liés à l’utilisation de substances expliquerait vraisemblablement la concomitance fréquente de ces troubles (O’Brien, Comment, Liang et Anthony, 2012 ; van Leeuwen et al., 2011).

Facteurs modulant les associations entre le cannabis et la toxicomanie

Le mode d’utilisation, la présence d’une prédisposition génétique, le sexe, le jeune âge d’initiation, certaines psychopathologies, ainsi que plusieurs facteurs environnementaux moduleraient le développement de TLU-cannabis et d’une polydépendance.

De façon exploratoire, une récente étude américaine sur des individus âgés de 18 à 25 ans a mis en lumière une relation linéaire entre l’usage de cannabis et celui de substances illicites (opiacés, cocaïne, inhalants, hypnotiques). L’augmentation en fréquence de la consommation de cannabis était effectivement corrélée avec une augmentation de la consommation de l’ensemble de ces substances (Tzilos et al., 2014). Ce type de relation a également été retrouvé par Patton et ses collègues dans une étude de cohorte prospective où l’association avec l’usage de drogues illicites était plus forte chez les utilisateurs hebdomadaires de cannabis lors de l’adolescence (Patton et al., 2007). Les utilisateurs de cannabis sur une base régulière pourraient donc être à plus haut risque de polytoxicomanie que les utilisateurs plus occasionnels.

Plusieurs éléments militent d’autre part pour une susceptibilité génétique commune aux différents types de dépendance. Une équipe de chercheurs a, par exemple, pu lier les chromosomes 3q21 et 9q34 au TLU-cannabis. Le chromosome 3q21 a également été lié au trouble d’usage de plusieurs autres substances et pourrait donc jouer un rôle dans le développement de ce type de pathologie (Hopfer et al., 2007). En outre, le TLU-cannabis serait en partie héréditaire (Agrawal et Lynskey, 2006 ; Ehlers et al., 2010 ; Minica et al., 2015). Une méta-analyse conduite sur 24 études portant sur la consommation problématique de cannabis chez des jumeaux a conclu que plus de 50 % de la consommation problématique de cannabis était due à des facteurs d’ordre génétique (Verweij et al., 2010). La présence d’un TLU-cannabis chez les parents a ainsi été liée à une incidence accrue de cette même problématique chez leurs descendants, de même qu’à celle d’un TLU-cannabis et d’un TLU-alcool concomitants, et ce, de façon plus marquée chez les jeunes filles que chez leurs pairs masculins (Kosty et al., 2015).

L’usage précoce de cannabis a également été associé à un usage problématique de cette substance. Les individus en ayant consommé avant l’âge de 18 ans auraient ainsi un risque de développer une dépendance au cannabis trois fois plus importante que les individus ayant commencé à consommer à l’âge adulte (Behrendt, Wittchen, Hofler, Lieb et Beesdo, 2009 ; Chen, Storr et Anthony, 2009).

La dépression majeure, la maladie bipolaire et certains troubles anxieux ont également été liés à une fréquence plus élevée de TLU-cannabis parmi les consommateurs (Butterworth, Slade et Degenhardt, 2014 ; Wittchen et al., 2007). Les traits de personnalité anxieuse ont été liés à la consommation concomitante de cannabis et de médicaments de prescription (Morley, Lynskey, Moran, Borschmann et Winstock, 2015) et l’anxiété pourrait être la psychopathologie la plus intimement liée au TLU-cannabis (Van Dam, Bedi et Earleywine, 2012). Certains auteurs ont récemment mis de l’avant l’atteinte du réseau frontopariétal, impliqué dans la mémoire de travail et le fonctionnement exécutif, et retrouvée dans la toxicomanie, l’anxiété et la dépression, pour expliquer la forte corrélation existant entre ces différentes entités (Cousijn, 2015). La présence d’une étiologie partagée pourrait donc expliquer la fréquente association entre ces troubles, quoique plusieurs autres hypothèses (facteurs environnementaux) puissent également être envisagées. Les personnes atteintes de psychoses sont également en surreprésentation parmi les personnes dépendantes au cannabis, avec environ 16 % des individus souffrant d’une maladie psychotique non affective ayant également un TLU-cannabis actif et 27,1 % présentant un TLU-cannabis au cours de leur vie (Koskinen, Lohonen, Koponen, Isohanni et Miettunen, 2010). Le mécanisme de cette association est toutefois incertain. L’atteinte des processus motivationnels chez les individus souffrant de troubles psychotiques a été proposée pour expliquer la fréquence élevée du TLU-cannabis au sein de cette population. Ainsi, une étude québécoise s’étant intéressée à cet aspect a découvert une corrélation entre la consommation de cannabis et une moins grande aptitude à la quête de stimuli positifs en contexte expérimental (Cassidy, Lepage et Malla, 2014). Un émoussement de la capacité à rechercher des stimuli plaisants chez les individus souffrant de schizophrénie pourrait entraîner pour ceux-ci une difficulté supplémentaire lorsque vient le temps de substituer une habitude menant à une récompense immédiate (par exemple l’utilisation de cannabis) par une habitude alternative.

D’autres ont pu démontrer l’influence de plusieurs facteurs environnementaux sur la toxicomanie. Par exemple, la présence de traumatismes au cours de l’enfance, tel que le fait d’avoir été abusé (durant l’enfance) ou d’avoir été victime d’intimidation (à l’âge de 13 ans), prédisait l’initiation à la consommation de cannabis (Blanco et al., 2014 ; Kelly et al., 2015). Le faible statut socio-économique, en particulier dans les pays riches, a également été lié plus fortement au risque de présenter une dépendance (Legleye, Beck, Khlat, Peretti-Watel et Chau, 2012 ; Mair, Freisthler, Ponicki et Gaidus, 2015). Dans une cohorte d’adolescents britanniques, par exemple, la pauvreté matérielle triplait l’incidence des risques d’avoir un TLU-cannabis (Heron et al., 2013).

Des données contradictoires ont été publiées par rapport à l’influence de la puissance du cannabis sur le développement d’un trouble d’utilisation. Une étude britannique, s’étant penchée sur les différentes variétés de cannabis et leurs effets, a révélé que la marijuana plus puissante (la « skunk », contenant environ 15 % de THC et peu de CBD) était associée à la dépendance au cannabis, contrairement aux variétés dont la concentration en THC était moins élevée (Freeman et Winstock, 2015). Cette étude a toutefois été critiquée pour d’importantes failles méthodologiques, notamment du point de vue de l’échantillonnage et de l’échelle employée pour mesurer le TLU-cannabis (van der Pol et al., 2013). Pour certains, cela remet en question l’association entre la dose et la teneur en THC du cannabis et le trouble d’utilisation (van der Pol et al., 2014). Ainsi, d’autres données seront nécessaires pour déterminer la nature de l’association entre la teneur en THC et le risque de développer un TLU, voire son existence même.

En résumé, une fréquence d’utilisation accrue du cannabis, le jeune âge d’initiation, la présence d’une vulnérabilité génétique, d’un trouble anxiodépressif et d’une maladie psychotique seraient tous associés à une incidence accrue de TLU-cannabis et de toxicomanie. D’autres facteurs comme la pauvreté matérielle, une histoire d’abus ou d’intimidation lors du jeune âge et la présence d’un trouble des conduites viendraient moduler le risque de développer cette problématique.

Conclusion

En somme, il semble primordial de souligner que l’association entre l’exposition au cannabis et les problèmes de santé est complexe et, dans plusieurs cas, fortement modulée par plusieurs facteurs touchant la substance, le consommateur et l’environnement. La composition (THC, ratio THC:CBD) de la substance elle-même, son mode d’utilisation, le type de population qui en fait usage et la présence de stresseurs environnementaux sont certainement des facteurs clés à prendre en considération lorsque nous tentons de comprendre cette association (Di Forti et al., 2014 ; van Winkel et Kuepper, 2014). La question ici ne nous semble pas de déterminer si le cannabis est « bon » ou « mauvais », mais plutôt de contribuer à évaluer, de façon rigoureuse, le risque que présente un type de consommation de cannabis donné dans une population ayant des caractéristiques particulières et vivant dans un environnement qui influence nécessairement les individus, et ce, de façon parfois fort complexe.

Plusieurs aspects de la littérature scientifique entourant le cannabis nous semblent devoir être mieux étayés. Par exemple, il semble important de faire preuve de prudence en interprétant les études populationnelles menées alors que le contenu du cannabis était fort différent de celui consommé maintenant, ou encore d’avoir une vue d’ensemble sur les effets délétères du cannabis, alors que nous disposons de si peu de données sur les nouveaux modes de consommation des cannabinoïdes et les autres constituants trouvés dans ces produits (Gilbert, Baram et Cavarocchi, 2013 ; Holland, Nelson, Ravikumar et Elwood, 1998). Étant donné l’influence probable de la teneur en THC et en CBD sur les effets délétères du cannabis, il semble aussi primordial que les taux de THC, de CBD et des autres constituants du cannabis soient plus systématiquement mesurés et pris en considération dans les études à venir, d’autant plus que des méthodes ont été développées afin de mesurer spécifiquement ces composantes. Il est également à noter que, plusieurs années après l’autorisation de son usage thérapeutique au Canada, relativement peu de données ont été publiées sur l’innocuité et les effets délétères de l’utilisation de cannabis à des fins thérapeutiques dans des échantillons cliniques. Or, ces échantillons pourraient présenter un profil différent quant aux effets associés à l’exposition au cannabis. Le registre créé à cet effet au Québec pourrait fournir de précieuses données pour répondre à cette question.

Il nous apparaît aussi crucial que le langage utilisé, tant par les scientifiques que par les autres intervenants, rende compte des différences entre les multiples produits contenant des cannabinoïdes. L’utilisation indifférenciée de termes faisant référence au cannabis thérapeutique, au cannabis utilisé à des fins récréatives et aux cannabinoïdes sous forme de médication à dosage contrôlé semble entretenir une confusion dans la population alors que ces concepts devraient pourtant être clairement distingués.

Le cannabis est une substance psychoactive qui, comme toute drogue, possède des effets thérapeutiques, mais aussi des effets délétères dans certains contextes. Bien qu’à l’heure actuelle la littérature scientifique sur le cannabis demeure incomplète, les données disponibles peuvent contribuer à bien informer la population et aider à prendre des décisions éclairées concernant l’usage de cette substance, tant en ce qui a trait à son statut légal qu’à son utilisation à des fins thérapeutiques. Certaines conditions semblent possiblement associées à un risque moindre de conséquences néfastes : début d’utilisation tardif, utilisation non régulière, absence d’utilisation dans des contextes où les facultés affaiblies peuvent compromettre la sécurité (ex. : la conduite automobile), présence de peu de facteurs de vulnérabilité sur le plan de la santé mentale, concentration limitée de THC. Il semble important que cette information soit confirmée et que les profils d’utilisation présumés sécuritaires soient l’objet d’études rigoureuses pour bien en évaluer les risques.

Bien sûr, nous sommes d’avis que d’autres aspects doivent aussi être pris en considération dans la réflexion entourant le statut légal du cannabis, que ce soit sur les plans éthique, social, culturel et législatif. Il n’en demeure pas moins que des politiques basées sur une analyse rigoureuse et nuancée des données scientifiques nous apparaissent avoir beaucoup plus de chances d’être bien adaptées aux besoins de la population, dans le respect de ses libertés, certes, mais aussi dans une perspective cohérente de santé publique.