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Introduction

Au vu de la croissance des services de reproduction assistée (RA), il apparait intéressant d’établir un dialogue entre le domaine de la RA et l’adoption d’enfants, dans la mesure où les deux possibilités constituent une alternative pour surmonter ou pour résoudre l’absence involontaire d’enfants, en centrant l’analyse sur la logique sous-jacente à chacun de ces deux domaines et sur les relations possibles qui peuvent être établies entre eux. Bien que le résultat effectif ou espéré à la fin de chacun de ces processus soit le même – à savoir le fait d’avoir un enfant –, il m’paraît important d’analyser les discours qui accompagnent chacun des deux domaines, dont notamment ceux concernant la dimension symbolique du patrimoine génétique, les possibilités de choix des caractéristiques génétiques, de l’expérience de la grossesse et la place essentielle de la filiation, en particulier de la consanguinité, dans la configuration de la famille.

L’objectif de cet article est d’analyser différents discours émis sur l’adoption d’enfants par les Brésiliens, à partir des entretiens avec des parents adoptants, volontaires des groupes de soutien pour l'adoption et de 25 dossiers de demande d'adoption qui ont reçu un avis favorable (Ramírez-Gálvez, 2007). Ces récits ont été confrontés avec les résultats d’une étude précédente portant sur la configuration et la consolidation de la RA au Brésil (Ramírez-Gálvez, 2003a).

Il est à noter que dans ces études l’adoption d'embryons et le don temporaire ou prêt de l'utérus ne sont pas spécifiquement abordés, étant donné que ces thèmes sont encore très peu étudiés au Brésil. Les discussions dans ce pays sont plutôt axées sur des questions relevant de l’éthique et du droit, sur le statut de l'embryon, son utilisation pour la recherche, etc. (Luna, 2002, 2007). Les considérations sur l'adoption d'embryons sont formulées à partir des articles de presse ainsi que des débats tenus lors de la 1re Journée de psychologie et de reproduction assistée, tenue à São Paulo, en 2001. Les thèmes discutés à l’occasion de cette rencontre concernaient entre autres la possibilité d’adoption d’embryons, récemment offerte dans les services de RA, après la constatation d'échec quant aux tentatives d’engendrer des embryons à partir des gènes de la femme faisant appel à ces services. Malgré l'absence de données ethnographiques spécifiques sur cette question, les considérations proposées dans cet article tâchent d’apporter, encore que de manière indirecte, leur contribution à l’analyse de la relation entre reproduction assistée et adoption d’enfants.

En résumé, il s’agit d’observer les déplacements possibles qui seraient en train de se produire grâce au nombre croissant et à la popularisation des « bébés-éprouvette » au Brésil et en particulier dans l’État de São Paulo.

À l’origine, le mot « déplacement » a été employé, au sens large, pour désigner le déplacement dans le temps ou la remise à plus tard du projet personnel d’adoption afin de donner la priorité aux technologies reproductives dans le parcours pour avoir un enfant. L’emploi de ce terme pour mettre en relation ces deux domaines s’inspire également des développements théoriques de Marilyn Strathern (1992). Pour cette auteure, les idées sont toujours énoncées dans des contextes déjà occupés par d’autres pensées et images, et le déplacement s’opère dans notre façon d’établir des connexions entre des domaines non considérés avant d’envisager les possibilités offertes par les technologies. Trouver une place pour de nouvelles idées devient alors un acte de déplacement (Strathern, 1992 : 6). C’est en ce sens qu’on analyse la signification attribuée à l’usage de la RA dans le processus d’adoption d’enfants et de préembryons, comme nous le verrons plus loin.

Consciente des limitations et des difficultés méthodologiques pour la réalisation de ce type d’analyse, ne serait-ce que par l’inexistence de littérature disponible sur ce thème, je me limiterai à traiter de manière exploratoire le domaine de l’adoption d’enfants dans le but de découvrir des chemins plus sûrs et possibles pour établir un tel dialogue.

La croissance et la consolidation de la reproduction assistée au Brésil

La reproduction assistée (RA), terme par lequel est désignée une série de procédures qui placent l’intervention médicotechnologique en tant que condition pour la survenue d’une gestation, se présente comme une forme largement diffusée pour résoudre l’absence involontaire d’enfants. La RA est un type d’intervention médicale relativement récente au Brésil, où elle a débuté dans les années 1980. Dès ses débuts, des professionnels et des cliniques offrant ces services ont eu recours à plusieurs stratégies médiatiques afin de promouvoir les progrès réalisés et démontrer le succès des techniques, tout en visant à « populariser le bébé-éprouvette ».

Des moyens de communication de toute nature favorisent la circulation de l’information auprès de la population en général, permettant d’établir un pont entre les découvertes du monde technicoscientifique et les usagers potentiels. Outre les articles publiés dans la presse écrite, cette thématique a été traitée, de manière centrale ou indirecte, dans divers feuilletons télévisés brésiliens et a fait l’objet de reportages dans les médias audiovisuels, notamment lors des dates commémoratives, telles la fête des Mères ou la fête des Pères. Il convient de souligner le rôle stratégique joué par la télévision dans la diffusion, la réitération ou l’institutionnalisation de nouveaux modèles de comportement et de nouvelles attitudes. En particulier, les feuilletons télévisés, très répandus dans le pays, illustrent bien comment certains de leurs thèmes, telle la RA, peuvent être interprétés par les téléspectateurs comme étant le signe de ce que pourrait être le Brésil moderne (Hamburger, 2001; Faria e Potter, 2002; Almeida, 2003).

Les médias jouent un rôle important dans la diffusion de la RA, montrée comme un bien de consommation moderne, sophistiqué et valorisé. Dans ce processus, la thématique se popularise et tend à privilégier les aspects de la RA qui s’associent le plus aux drames familiaux et aux valeurs traditionnelles qui lui sont liées. Les sentiments dramatiques liés à l'infertilité génèrent un impact considérable sur le public, et le contenu des programmes télévisés transcende la dimension purement informative. Ainsi que l’affirme Corrêa (2001), outre le rôle des médias, l’intérêt qu’une grande partie de la population accorde à la RA se nourrit de la mobilisation des valeurs liées à la reproduction, à la paternité et à la maternité.

Dans une étude précédente (Ramírez-Gálvez, 2003a) portant sur l’émergence et la consolidation de la RA au Brésil, il est apparu que, pendant la période où cette recherche a été menée (1994-2001), le nombre de cliniques offrant de tels services ne cessait pas de croître, notamment dans l’État de São Paulo, tout comme le nombre d’articles sur ce sujet, publiés dans les principaux journaux et revues de la presse généraliste du Brésil

D’après la Société brésilienne de reproduction assistée (2001), jusqu’à l’année 2000[2], il y avait 117 cliniques offrant des services de RA dans le pays : 47 % étaient implantées dans l’État de São Paulo, dont 54 % implantées dans la capitale. Lors du premier registre de la Société brésilienne de reproduction assistée, établi en 1992, ce même État comptait dix services de RA (Barbosa, 1999), et est passé à 23 en 1994 (Arilha, 1996).

Selon la Red Latinoamericana de Reproducción Asistida (s. d.), en 2000, le Brésil a contribué pour 46,6 % du total des cycles de RA pratiqués en Amérique latine, et pour 41,6 %, en 2009. Les données rapportées par ce réseau placent le Brésil dans une position de leadership en Amérique latine, suivi par l’Argentine (22,8 %, en 2000 et 25,7 %, en 2009) et par le Mexique (9,6 %, en 2000 et 12,1 %, en 2009). Même s’il y a eu diminution du nombre de cycles de RA, le nombre des cliniques au Brésil a augmenté : 38 centres médicaux en 2000, et 55 centres en 2009[3]. Une explication possible pour cette inversion du nombre des cycles est que les statistiques de 2009 n’ont pas inclus les données relatives au plus grand centre de reproduction assistée de l’Amérique latine, situé dans la ville de São Paulo. Ce centre venait d’être fermé par les autorités après que son propriétaire, Roger Abdelmassih, aujourd’hui en fuite, a été accusé de crime sexuel, manipulation frauduleuse d’ovules et évasion fiscale.

Au Brésil, il n'y a pas de loi régissant les technologies de reproduction conceptive. Plusieurs projets de loi sont discutés depuis quelques années au Sénat. Le RA est régi par les normes du Conseil fédéral de médecine (CFM). La première norme de 1992 a été modifiée en 2010 (Résolution no 1,957/2010 CFM). L’aspect nouveau de la version actuelle est la permission de l'utilisation de la RA pour tous ceux qui le souhaitent, ne se limitant pas aux personnes ni aux couples hétérosexuels, à condition toutefois de respecter les règles imposées par la résolution.

Le CFM prévoit que le don de gamètes et d'embryons doit être anonyme et interdit son utilisation commerciale. Le choix des donneurs doit se faire en s’assurant, autant que possible, que le donneur ait la plus grande ressemblance phénotypique et immunologique ainsi que la plus grande compatibilité avec la femme réceptrice. Dans le cas d’une grossesse de substitution (don temporaire ou prêt de l'utérus), elle est autorisée, sans caractère commercial, lorsque, du point de vue médical, la gestation chez la femme donneuse génétique s’avère impossible ou contre-indiquée. La donneuse temporaire d’utérus doit appartenir à la famille de la donneuse génétique, avoir des liens de parenté jusqu’au second degré. D'autres cas doivent passer par une évaluation du CFM.

Bien que la vente de gamètes et d'embryons soit interdite, des couples qui ont plus d'argent peuvent être envoyés à une clinique de RA à l'étranger et, par la suite, poursuivre le traitement au Brésil. Une méthode utilisée par certains services de RA pour contourner la pénurie d'oeufs est le « don partagé », par lequel les couples qui ont besoin d'une donation d’ovocytes paient le traitement d’autres couples, en échange d'une partie des ovules.

Les normes n’établissent pas de limite d'âge pour l'utilisation de ces technologies, laissant aux cliniques le soin de l’établir. Le CFM, quant à lui, n’établit que le nombre maximum d’ovocytes et d’embryons destinés à être transférés à la receveuse : a) pour les femmes agées de moins de 35 ans, jusqu'à 2 embryons; b) pour les femmes âgées de 36 à 39 ans, jusqu'à 3 embryons; c) pour les femmes âgées de 40 ans ou plus, jusqu'à 4 embryons, maximum.

La plupart des techniques RA sont offertes par les cliniques privées. Seuls 9 hôpitaux publics offrent ces traitements gratuitement et la liste d'attente est très longue dans la plupart des services publics. À part le fait d’avoir à attendre, les personnes concernées doivent prendre en charge certaines dépenses, par exemple, l’achat des médicaments.

Les techniques les plus utilisées sont la fécondation in vitro (FIV) et l’injection intracytoplasmique de spermatozoïde (intracytoplasmic sperm injection – ICSI). Chaque clinique définit ses paramètres pour l'utilisation de ces deux techniques. Certaines d’entre elles commencent par des techniques simples telles que l'insémination artificielle, évoluant progressivement vers les techniques plus complexes. D’autres commencent directement avec les techniques plus complexes, comme l'ICSI, en considérant que, bien que leurs coûts soient plus élevés, elles présentent plus de chance de réussite. Le coût varie considérablement, selon la méthode utilisée et peut aller de 120 € (rapport sexuel assisté) à 4,200 € (ICSI) (Globo.com, 2013).

L’adoption d’enfants : le contexte et le matériel de recherche

Dans les années 1980, le Brésil a été l'un des quatre principaux fournisseurs d'enfants pour l'adoption internationale. Cependant, cette réalité a changé dans les années 1990, à la suite d'accords internationaux, et surtout après le Statut des enfants et des adolescents (ECA), de 1990, une loi-cadre qui a rendu le processus d’adoption plus rigoureux au Brésil (Abreu, 2002; Vieira, 2004; Fonseca, 2006a; Cardarello, 2009). Entre autres questions, le ECA privilégie d’abord l’adoption par les parents consanguins, ensuite l’adoption par des Brésiliens et ne permet l'adoption internationale qu’à titre exceptionnel. Un autre changement apporté par la ECA a été l'accent mis sur les besoins des enfants disponibles pour l'adoption et qui doivent prévaloir sur les souhaits des adultes prétendant à l´adoption. Ces changements, appelés par certains de « nouvelle culture de l'adoption », entre autres choses, vont dans le sens d’encourager les « adoções necessárias » (adoptions nécessaires), c’est-à-dire, les adoptions des enfants moins recherchés par les adoptants et qui restent plus longtemps dans les foyers pour enfants : les enfants agés de plus de trois ans, les adolescents, les Noirs, les groupes de frères et soeurs et les enfants handicapés ou malades[4].

Plus récemment, en 2009, a été promulguée la Loi d’adoption nationale (loi numéro 12.010/09) qui vise à perfectionner la loi précédente et à garantir le droit à la vie familiale sous toutes ses formes. La nouvelle loi a pour but de rendre plus agile le processus d'adoption, de renforcer et de préserver l'intégrité de la famille d'origine afin d’éviter ou de réduire la prise en charge institutionnelle des enfants et des adolescents. La Loi a créé des mécanismes pour réévaluer tous les six mois la situation des enfants éloignés de la vie de famille et pour favoriser le développement de politiques d’État visant soit à réintégrer l’enfant et l’adolescent dans sa famille d'origine, soit à le placer dans une famille d'accueil (pour la garde, la tutelle ou l'adoption) ou encore dans des services d’accueil servant de référence pour les programmes de placement familial dans un délai maximum de deux ans. Selon Chaves (2013), la priorité de la Loi est « […] l'adoption par des personnes résidant dans le pays, en privilégiant par ailleurs ce que l’on appelle la famille élargie, afin de permettre à l’adopté de garder tant que possible des liens affectifs avec sa famille biologique ».

Plusieurs autres changements ont été introduits par la Loi, mais, compte tenu des objectifs proposés par cet article, il faut plutôt souligner le fait que celle-ci prévoit la mise en oeuvre par l'État de registres régionaux et nationaux d'adoption ainsi que le développement de programmes qui favorisent l'adoption des enfants âgés de plus de 3 ans, des adolescents, des groupes de frères et soeurs et des handicapés et qui constituent le plus gros contingent d’enfants et d’adolescents logés en maison d’accueil au Brésil.

Collecter des données sur l’adoption au Brésil, pendant la période où cette recherche a été menée (entre 2004 et 2007), s’est révélé une tâche ardue. En effet, à l’époque, le Cadastre national de l’adoption, en fonctionnement à l’heure actuelle, n’était qu’un projet. En attendant, il n’y avait aucun organe national centralisant de telles données. Or malgré l’existence du Cadastre national de l’adoption, il n’y a pas de données intégrées permettant d’établir à l’échelle nationale, d’un côté, le nombre et le profil des enfants adoptables et, de l’autre, le nombre et le profil des personnes ou des couples en attente d'adoption d’un enfant.

Les informations concernant l’État de São Paulo étaient centralisées par la Commission judiciaire de l’adoption internationale de l’État de São Paulo – la Cejai-SP, rattachée au Tribunal de justice de l’État de São Paulo (Cejai, 2005). Les données étaient ensuite transmises au greffe du Tribunal central. Les données présentées dans le tableau correspondent au nombre brut d’adoptions annuelles qui apparaissent sous la rubrique adoption dans le système judiciaire de l’État de São Paulo.

Tableau 1

Adoptions légales dans l’État de São Paulo (1994 à 2004)

Adoptions légales dans l’État de São Paulo (1994 à 2004)
Source : Corregedoria Geral de Justiça – Tribunal de Justiça do Estado de São Paulo

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Le nombre des adoptions légales dans l’État de São Paulo apparait en diminution constante. Les données collectées par l’Inspection générale des services judiciaires du Tribunal de justice de l’État de São Paulo montrent que de 7,165 adoptions nationales et internationales autorisées en 1994, on est passé à 3,555 en 2001, puis à 3,339 en 2004, ce qui représente une diminution de plus de 50 %. En 2002 et 2003, on constate une stabilisation du nombre d’adoptions, mais en 2004, la tendance à la diminution reprend.

Ces données doivent être lues avec prudence et doivent être pondérées en fonction du nombre de prétendants et d’enfants disponibles pour l’adoption. De plus, il est nécessaire de prendre en considération certains éléments, dont la chute de la fécondité au Brésil, une plus grande acceptation sociale des mères célibataires, un accès accru à l’avortement réalisé dans des conditions plus sûres, un meilleur accès aux méthodes contraceptives (Fonseca, 2006a) – autant de facteurs susceptibles de créer des conditions favorables à la diminution du nombre d’enfants adoptables. Il est également nécessaire de prendre en compte les changements introduits par l’ECA. En privilégiant la réinsertion familiale et, lorsque celle-ci n'est pas possible, en donnant priorité à l'adoption par des Brésiliens ou des personnes résidant au Brésil, la Loi entraîne un effet de distorsion sur le profil des enfants qui resteront disponibles pour l'adoption internationale. Dans ce cas, il s’agit de ceux qui restent plus longtemps dans les maisons d’accueil au Brésil, toujours les mêmes, à savoir les enfants de plus de trois ans, les adolescents, les groupes de frères et soeurs, les handicapés et les Noirs.

Analyser plus profondément la diminution progressive des adoptions légales à São Paulo exigerait d’entreprendre une recherche spécifique sur le sujet; toutefois, les données disponibles m’ont incitée à essayer de mettre en rapport l'adoption et l'expansion de la RA dans l'État de São Paulo.

L’analyse traitant de l’adoption nationale d’enfants est basée sur l’information obtenue à partir de 25 dossiers de demande d’adoption ayant reçu un jugement favorable par le Tribunal de Santo Amaro, situé dans la ville de São Paulo, dont les requérants attendaient pour adopter un enfant (19 inscrits en 2005, 5 en 2002 et 1 en 2001). Des observations ethnographiques ont également été effectuées, des rencontres, généralement mensuelles, des trois groupes d’appui à l’adoption – les GAA. Lors de ces rencontres, des entretiens informels ont été réalisés avec les volontaires de ces groupes et avec des couples en cours d’adoption qui participaient à ces rencontres. Des psychologues et des assistantes sociales – affectées aux juridictions de l’enfance et de la jeunesse de Campinas (ville de l’intérieur de l’état de São Paulo), au Tribunal de Santo Amaro et à la Commission judiciaire de l’adoption internationale de l’État de São Paulo – m’ont accordé des entretiens. Des entretiens approfondis ont également été effectués avec quatre couples qui avaient déjà adopté un ou deux enfants. Par ailleurs, dans l’intention de comprendre les réseaux, les connexions et la philosophie qui oriente les GAA, j’ai participé, en tant qu’observatrice, à la 10e Rencontre nationale des groupes d’appui à l’adoption (Enapa), tenue dans la ville de Goiânia, en 2005[5].

Les dossiers sont des pièces essentielles dans le processus d’adoption, car ils constituent le matériel d’évaluation qui aide le juge dans sa décision de recevoir ou de refuser une demande d’habilitation et, par conséquent, dans la définition de l’attribution d’un enfant. Les dossiers se composent de trois formulaires fournis par le pouvoir judiciaire ainsi que d’autres documents dans lesquels il est possible d’obtenir des informations socioéconomiques sur la personne ou sur le couple requérants, sur les motivations qui conduisirent à engager la demande d’adoption, sur les idées que le groupe famille a sur l'adoption ainsi que sur le profil de l’enfant désiré (âge, couleur de la peau, type de cheveux, sexe, état de santé et origine). En outre, les dossiers d’évaluation psychosociale du ou des requérants permettent de connaître les tentatives antérieures faites par les personnes et couples pour résoudre leurs difficultés d’avoir un enfant, déterminées, dans la plupart des cas, par l’impossibilité d’avoir un enfant biologique.

Parmi les 25 dossiers examinés, 4 correspondaient à des demandes déposées par des femmes seules, âgées de 42 à 49 ans, et disposant d’un revenu moyen ou faible. Trois d’entre elles avaient fait des études universitaires. Par ailleurs, deux avaient un diagnostic d’infertilité, mais aucune n’avait essayé la reproduction assistée. Dans leur cas, l’adoption est vécue comme un projet à long terme, mais difficilement réalisable au moment où il a été conçu, tant en raison de facteurs économiques que par le fait d’avoir planifié d’être mères célibataires et ne pouvant donc pas compter sur une structure familiale pour partager les soins aux enfants.

Les 21 dossiers restants correspondent à des demandes de couples hétérosexuels, la majorité d’entre eux ayant fait des études techniques ou universitaires et disposant de revenus variés. Parmi ces 21 couples, un seul, après 2 années de mariage, est passé directement par l’adoption pour avoir son premier enfant, sans pour autant avoir des problèmes de fertilité. Pour ce qui est des 20 cas restants, le choix de l’adoption a été motivé par l’impossibilité physiologique d’avoir un enfant même si, dans certains cas, un des membres du couple avait déjà un enfant né d’une relation antérieure.

Pour l’objectif de cet article, à savoir observer les déplacements possibles et les interconnexions entre les domaines de l’adoption et de la reproduction assistée, il est intéressant de souligner que le recours à des technologies reproductives – désignées dans la procédure comme insémination artificielle (IA) et fécondation in vitro (FIV) – a été évoqué par 10 des 20 couples candidats à l’adoption. Certains d’entre eux ont abandonné rapidement la possibilité d’une intervention médicale et technologique qu’ils considéraient trop chère et envahissante ou parce qu’ils estimaient que les chances de réussite n’étaient pas suffisantes. Cependant, d’autres couples, en particulier ceux bénéficiant d’une rente familiale plus importante, ont eu recours à ces procédures plusieurs fois sur un certain nombre d’années. L’analyse présentée se concentre justement sur ces cas. En raison du faible nombre de cas et du fait que l'information à leur sujet est limitée au contenu des dossiers, les considérations présentées par la suite ne sauront s’appliquer que pour ces cas.

Cependant, avant de présenter l'analyse de ces dossiers, quelques considérations seront faites à propos de l'adoption d'embryons (thème des débats lors de la 1re Journée de psychologie et reproduction assistée), une démarche qui semble émerger dans l'itinéraire de recherche d’un enfant et décidée avant que l’adoptant n’entame le processus d'adoption d’un enfant.

Les tensions et les approches avec la biologie de la reproduction

Malgré cette tendance, vérifiée dans les statistiques collectées pour cette recherche, psychologues et assistantes sociales de la Juridiction de l’enfance et de la jeunesse de Campinas estiment ne pas avoir perçu de diminution dans la demande d’adoption de la part des couples au cours des dernières années et aussi dans les adoptions en tant que telles (voir le tableau au-dessus). Interrogées au sujet d’une possible relation entre RA et adoption, elles considèrent qu’il s’agit de deux procédures totalement différentes. Selon elles, dans l’adoption, il s’agit de trouver une famille pour un enfant, tandis que dans la RA, il s’agit de procurer un enfant à un couple. Dans la perspective de ces professionnelles, cette inversion dans les termes de la demande pour l’adoption et pour la RA implique des priorités, des valeurs et des intérêts différents dans chacune des ces options.

Pour la recherche de familles adoptantes, le travail pris en charge par des psychologues et des assistantes sociales consiste à faire une évaluation des foyers capables d’offrir un espace sûr et adéquat pour la croissance et le développement des enfants, tout en assurant le suivi auprès des familles à propos de leur acceptation de l’enfant adopté, indépendamment de ses caractéristiques physiques ou mentales. Toutefois, les couples, dans leur majorité, demandent des nouveau-nés blancs, voire, au maximum, mulâtres. « L’enfant idéal » pour l’adoption, outre qu’il doit être un nouveau-né à la peau claire, est celui dont on connaît l’origine : issu d’une mère de « bonne famille, avec de bonnes valeurs morales, travailleuse et honnête, malgré sa pauvreté » (Costa, 1988 : 111).

Dans le domaine des technologies reproductives, on met à jour néanmoins le fait que, dans l’adoption, l’enfant est introduit dans la nouvelle famille des mois ou des années après sa naissance, privant le couple de participer à la gestation, aux soins prénataux et à l’accouchement, événements considérés comme étant les plus gratifiants de la vie reproductive. Ces aspects ont été débattus lors de la discussion autour du don d’ovules, à l’occasion de la 1re Journée de psychologie et reproduction assistée.

Les psychologues qui sont intervenus dans ce séminaire soulignaient que l’anxiété des receveuses d’ovules inséminés avec le sperme de leur partenaire pourrait se comparer à celle ressentie lors de l’adoption d’enfants. Les craintes quant aux caractéristiques physiques, émotionnelles, sociales et médicales de la donneuse d’ovule seraient récurrentes et généreraient des ambigüités qui s’ajoutent à celles liées à l’acceptation de l’enfant après la naissance. Cependant, dès que la grossesse a été réussie, il serait aussi fréquent que l’origine de l’ovule soit oubliée, sans que cela n’interfère par la suite dans la relation qui se noue avec l’enfant (Ramírez-Gálvez, 2003a). Ainsi, quand la fécondation ne peut pas se faire avec le matériel génétique du couple, on lui offre la possibilité du recours à un don de gamètes ou d’embryons, procédure permettant de faire un genre d’adoption dans une phase antérieure à la naissance. Cette procédure permet également de vivre tout le processus de gestation et d’accouchement et, par supposition, selon ce qui a été débattu lors de ce séminaire, d’avoir plus de choix concernant les caractéristiques souhaitées. Il n’existe pas, au Brésil, des données précises sur ce genre d’adoption ni, à notre connaissance, d’autres études traitant ce sujet.

Il est à noter qu’étant donné la rareté d’ovocytes disponibles les coûts de cette procédure seront bien plus élevés. Selon les informations de la presse (Globo.com, 2013), une procédure de RA par « don partagé » peut atteindre 5,300 €, car outre le coût de la FIV et des hormones, les bénéficiaires doivent également prendre en charge les frais du traitement de la donneuse d'ovocytes. Lorsque cette procédure de fertilisation par don d’oeufs se fait à l'étranger, souvent en Espagne ou aux États-Unis, le traitement peut atteindre 8,300 €. Rappelons que ce coût ne prend pas en compte les frais de voyage.

L’un des premiers enjeux qui attirent l’attention, lorsqu’on confronte adoption et reproduction assistée, est celui d’un choix d’une solution conforme à la nature, observée par certains spécialistes de RA. En effet, les couples ont plusieurs fois recours aux procédés de la RA avant de se décider pour l’adoption d’enfants. Selon certains de ces spécialistes, les couples veulent toujours essayer, jusqu’au dernier moment, d’avoir un enfant par voie biologique, plaçant cette question sur le plan des droits : les technologies reproductives seraient une option et les couples auraient le droit d’essayer d’avoir un enfant propre avant d’adopter l’enfant des autres (Ramírez-Gálvez, 2003b).

Avec le développement accéléré de la biotechnologie, la reproduction médicalement et technologiquement assistée s’accompagne d’un intérêt pour la qualité de l’embryon, soulevant une spirale d’interrogations technologiques et de manipulations en conséquence, à la recherche de la « perfection biologique », ancrée dans une extrême rationalisation de la procréation (Rotania, 1995).

Une hypothèse à explorer est celle selon laquelle la croissance et la consolidation de la RA au Brésil contribueraient à différer de plus en plus l’adoption d’enfants au bénéfice de l’emploi des technologies reproductives. Certes, l’adoption d’enfants continuerait à être posée comme une option, mais elle serait de plus en plus retardée et, d’autant plus chaque fois qu’une nouvelle technique est annoncée. Elle resterait donc une ressource pour ceux qui auraient essayé, sans succès, différentes techniques et à plusieurs occasions.

Les assistantes sociales et les psychologues interviewées à Campinas considèrent que lors de la recherche d’un enfant par l’intermédiaire de la RA, les professionnels répondent aux besoins et aux désirs du couple et non pas à ceux de l’enfant[6]. L’inversion de l’approche utilisée pour établir les différences entre l’adoption et la RA – donnant la priorité soit aux besoins de l’enfant destiné à l’adoption et pour lequel on cherche une famille d’accueil, soit au désir du couple infertile — est renforcée par les changements introduits par le Statut de l’enfant et de l’adolescent (ECA), qui a aussi apporté des changements dans ce que l’on appelle « la nouvelle culture de l’adoption ».

Dans l’adoption dite traditionnelle prévaudrait l’intérêt du couple adoptant qui cherche à se constituer une famille avec des enfants ou à augmenter sa descendance. Par contraste, la nouvelle culture de l’adoption, instaurée par l’ECA, porterait comme valeur absolue le bien-être de l’enfant, en instituant comme devoir de la famille, de la collectivité, de la société et de l’État de garantir les droits fondamentaux des enfants et des adolescents, dont, entre autres, le droit de vivre en famille et en communauté.

L’une des préoccupations de la 10e Enapa (déjà mentionnée) a été celle d’amener au coeur de la réflexion les « adoptions nécessaires », c’est-à-dire les adoptions d’enfants plus âgés, noirs et handicapés, nécessitant des soins spéciaux. Dans ces cas, la relation entre prétendants et enfants disponibles pour l’adoption est renversée : peu de prétendants et beaucoup d’enfants. Une telle situation, selon l’avis des organisateurs de cette rencontre, entraîne une diminution des chances que les droits à la vie familiale de ces enfants et ces adolescents soient respectés.

Dans la vision traditionnelle, où prédomine l’importance attribuée à la protection du patrimoine/héritage – non seulement du capital économique, mais aussi du capital génétique – et la valorisation des liens consanguins se détache le profil de l’enfant désiré : fille, blanche et nouveau-née, pour laquelle il y a beaucoup de prétendants et peu d’enfants correspondant à ces caractéristiques. Cette « nouvelle culture de l’adoption », selon Vieira, s’articule à un véritable projet social qui va au-delà du domaine du privé : « l’adoption, la famille et l’enfance gardent une importance publique, en sorte que la paix sociale dépend de la mise en oeuvre des politiques favorisant le renforcement des familles et le bien-être de l’enfance et de la jeunesse » (Vieira, 2004 : 94).

Le déplacement de l’adoption de la sphère privée vers la sphère publique, régulée par l’État, et, par ailleurs, le fait que l’adoption devienne un domaine d’intervention professionnalisé – qui demande études et réflexions, notamment de la part des psychologues, des assistantes sociales et des avocats – ont introduit des changements assez significatifs sur le terrain, contrastants dans la façon avec laquelle elle est observée. Des pratiques comme l’adoption illégale (Fonseca, 2006b) et la préservation du secret sur l’origine des enfants, si présentes et centrales parmi les classes moyennes, avant l’entrée en vigueur de l’ECA (Costa, 1988), sont fréquemment découragées entre les groupes d’appui à l’adoption, les organisations de la société civile qui offrent des orientations et des informations à propos du processus de l’adoption, mais qui n’ont pas pour autant les attributions des agences d’adoption. La révélation de l’origine de l’enfant et la campagne contre les adoptions illégales apparaissent avec insistance dans les travaux des GAA. L’accès facile au test ADN de paternité sont utilisés pour décourager le recours à l’adoption illégale, fréquente avant l'ECA, en mettant l’accent non seulement sur son caractère criminel, mais aussi sur les problèmes que cela engendre chez les parents adoptants, qui auraient à lutter contre le « fantasme de la mère » à la recherche de son enfant. Je reprendrai ce sujet plus loin.

Le domaine de l’adoption d’enfants s’est révélé un univers riche en interprétations, tant par rapport aux conceptions de la famillie, sur ce que signifie appartenir à une famille ou constituer une famille, qu’en ce qui concerne les valeurs mises en jeu dès qu’il s’agit du sang, de la transmission génétique et de ce qui est toléré ou non quand l’enfant est « un étranger ». Le processus d’adoption d’un enfant, auquel des psychologues, des assistantes sociales et les GAA apportent leur soutien, est réglé par des négociations qui supposent l’acceptation de la stérilité (dans la plupart des cas) et l’accueil d’un étranger dans une famille qui ne partage pas la même charge génétique et qui, en général, appartient à une autre classe sociale.

Dans ce processus, Costa (1988) constate une sorte de biologisation dans la relation avec les enfants adoptifs, comprise comme l’intentionnalité de remplir l’espace du biologique (celui des liens de sang), absent dans l’adoption. Cette biologisation se produirait à l’aide de plusieurs stratégies. L’une d’elles est l’équivalence accordée au temps de préparation à l’adoption et aux démarches bureaucratiques comme étant une période d’attente semblable au temps de gestation d’un enfant biologique. Une autre stratégie consiste à vouloir adopter des enfants nouveau-nés, car les plus âgés auraient un passé ayant laissé des marques qui ne sont pas celles des personnes adoptantes. Une troisième stratégie, et peut-être la plus fondamentale, consiste à choisir des enfants présentant un biotype similaire à celui des parents adoptifs. Adopter un enfant doté de traits semblables à ceux du père ou de la mère devient un idéal et un aspect crucial pour que l’adoption soit réussie.

Comme l’affirme Vieira (2004), les critères de choix qui entrent en jeu dans l’adoption d’un enfant ne doivent pas être négligés pour bien comprendre ce domaine. Parmi les candidates et les candidats à l’adoption inscrits au Tribunal de Santo Amaro, on peut identifier la tendance, rapportée par les professionnels de l’adoption et également signalée dans d’autres recherches, d’une préférence généralisée pour les filles. Cependant, dans les GAA, on pouvait entendre certains couples, qui allaient adopter pour la première fois, déclarer que le sexe de l’enfant leur était indifférent, car c’était leur premier enfant, laissant le soin d’une telle définition au hasard, de la même manière que s’il s’agissait d’une grossesse biologique, pour laquelle « on ne sait pas ce qui va venir ».

La plus grande préférence pour une fille dans l’adoption ne semble pourtant pas avoir la même intensité lorsqu’il s’agit de reproduction assistée. On ne dispose pas de données officielles quant au sexe désiré des bébés engendrés par ces techniques. Bien que le choix des sexes[7] soit interdit, ce qui est fréquemment évoqué dans la presse généraliste, c’est le droit des parents de choisir d’avoir un fils, droit fondé sur des questions culturelles ou religieuses. Dans les médias, cette possibilité est considérée comme étant l’un des attraits de la RA, puisqu’elle permettrait d’ajuster la composition des familles à un type idéal, comprenant une mère, un père, un garçon aîné et une fille. Le Dr Roger Abdelmassih, ex-propriétaire du plus grand centre de reproduction assistée d’Amérique latine, implanté à São Paulo, et jouissant d’une présence marquante dans les médias pendant la période étudiée, avait déclaré : « Si les moyens existent et s’il y a des personnes pour lesquelles, pour des questions culturelles, avoir un fils a une grande importance, cela ne devrait pas être empêché » (Besen, 1998-1999; ComCiência, 2001). Un de ces reportages rapporte divers cas de personnes n’ayant pas de problème de fertilité qui ont néanmoins décidé de recourir à la RA afin de pouvoir sélectionner le sexe de l’enfant parce qu’ils avaient eu plusieurs enfants du même sexe auparavant.

La recherche d’un enfant ayant un biotype semblable à celui des parents, tout comme la tendance à désirer des enfants de bas âge ou, de préférence, des nouveau-nés, peut être interprétée comme une façon de rapprocher l’adoption du développement « naturel » reproductif et qui, dans ce cas, n’en supprimerait qu’une seule étape, celle de la grossesse. S’il y a eu acceptation d’un enfant avec une charge génétique différente de celle des parents, on espère pouvoir neutraliser, modeler ou domestiquer, le plus tôt possible, les marques de la « nature ». Comme l’affirme Vieira (2004), la tendance à adopter un enfant du plus jeune âge possible peut être un artifice qui aide à contenir les craintes des parents quant aux marques génétiques des étrangers au groupe familial. Mais il convient aussi de considérer que le fait d’adopter des enfants en très bas âge ou des embryons peut avoir pour objectif « d’imprimer la marque du couple adoptant » – c’est-à-dire, de diminuer le temps d’exposition à une sociabilité présumée négative, soit par les conditions institutionnelles, soit par l’abandon, soit encore par les conditions de vie difficiles.

Quant aux craintes associées à l’adoption d’enfant, ce qui prédominait, dans les dossiers analysés au Tribunal de Santo Amaro, était la préoccupation autour des caractéristiques héritées du comportement à l’exemple de la violence et de l’usage de drogues. Cependant, de telles craintes semblent diminuer au fil du processus, durant lequel la recherche d’informations est fréquente auprès des groupes de soutien, dans la littérature spécialisée et dans d’autres sources d’information qui peuvent apporter une plus grande familiarité avec cette expérience. Le contact avec d’autres personnes ayant vécu une expérience d’adoption est également recherché. En effet, certains des dossiers analysés explicitent l’importance pour l’adoptant d’avoir connu de près, grâce à des amis ou à des familiers, des expériences évaluées positivement. Un des couples ayant reçu un diagnostic de stérilité sans cause apparente a ainsi opté directement pour l’adoption après avoir accompagné de près deux couples d’amis qui avaient adopté des nouveau-nés, « qui, par hasard, leur ressemblaient beaucoup ».

Outre la recherche d’un enfant présentant un biotype semblable, dans lequel se conjuguent les caractéristiques du couple, il y a également les attentes concernant sa personnalité. On espère qu’un enfant détienne toujours les conditions pour « remplir de joie » la maison, « être coquin, extraverti et intelligent », qu’il ait des ressemblances avec les personnes qui composent le foyer familial, à savoir le couple ou les enfants biologiques existants.

Les parcours pour avoir un enfant : de la RA à l’adoption

Parmi les articles publiés dans la presse généraliste sur la RA, on relève peu de mentions sur l’adoption d’enfants en tant que possibilité, tout aussi souhaitable, pour surmonter l’absence involontaire d’enfant. Les couples dont la stérilité n’aurait pas pu encore être vaincue par la technologie restent déterminés à attendre les résultats du développement technologique accéléré qui théoriquement serait en mesure de surmonter toutes les formes de stérilité. Si le problème n’est pas technique, mais plutôt financier, des options porteuses d’espoir existent également, telles que les plans de financement ou les offres d’un ensemble de services qui viseraient à « populariser le bébé-éprouvette ». Ainsi, pour les femmes ou les couples plus pauvres, des programmes sont proposés, par exemple celui du « don d’ovules partagé », déjà mentionné.

Comme l’indique Fonseca (1995), pour la classe moyenne au Brésil, le modèle de famille le plus courant est centré sur le type conjugal où les enfants, le noyau de cette unité, sont le résultat d’un projet parental à long terme. Dans ces cas, les gens s’impliquent de manière importante dans leur relation conjugale et investissent dans leurs enfants afin de construire une famille. Celle-ci ne paraît vraiment complète que si elle a plus d’un enfant, un modèle qui correspond à l’imaginaire de l’idéal de famille, composé par le couple et deux enfants, de préférence de sexe différent. Dans les cas où l’un des conjoints a eu des enfants d’un mariage antérieur, le désir d’adopter se manifeste aussi par une sensation d’incomplétude due à l’absence d’un projet parental partagé avec la ou le partenaire actuel.

Tel qu’il a été mentionné plus haut, parmi les 21 dossiers de couples, il n’y avait qu’une seule demande d’habilitation pour l’adoption non motivée par des problèmes de fertilité. Dans ce cas, l’adoption d’un enfant a toujours fait partie d’un projet, plus particulièrement lié à l’histoire de vie de la femme, qui elle-même avait des frères biologiques et des frères adoptifs. Dans d’autres cas, pour lesquels il y a eu un diagnostic d’infertilité et où des tentatives de RA sont restées infructueuses, les prétendants à l’adoption d’enfant l’ont mentionnée comme une possibilité qui avait été envisagée avant qu’ils ne soient au courant de leurs limitations physiologiques pour la fécondation.

L’usage des technologies reproductives de fécondation, telles l’insémination artificielle (IA) et la fécondation in vitro (FIV), a été rapporté dans 10 des 21 dossiers de couples demandeurs. Dans d’autres cas, les femmes ont raconté avoir eu recours à des méthodes plus simples, comme la prise d’hormones ou la psychothérapie, dans le but de tomber enceinte. Cependant, les couples qui disposaient d’un revenu familial plus important ont tenté des procédures plus sophistiquées à plusieurs reprises. C’est notamment le cas de Bruno[8] (36 ans) et Paula (34 ans), mariés depuis 9 ans, tous deux ayant fait des études universitaires, employés de banque et disposant d’un revenu familial élevé. Ils s’inscrivent pour une adoption après sept ans de tentatives infructueuses pour avoir un enfant en RA. Lorsqu’ils décident d’avoir un enfant après trois ans de mariage, ils apprennent que Bruno a une production insuffisante de spermatozoïdes. Trois IA avec des gamètes du couple[9] sont réalisées et, à la troisième tentative, la femme a une grossesse gémellaire ectopique, suite à laquelle ses chances de tomber enceinte diminuent, d’autant plus qu’elle perd également l’un de ses ovaires. Après cette épreuve, le couple s’accordera un temps de répit pour réfléchir sur d’autres voies possibles, car ce processus a été extrêmement éprouvant, tant d’un point de vue physique qu’émotionnel.

Avoir des enfants par l’adoption devient pour tous les deux une piste à considérer et à laisser mûrir même si leur décision d’adopter est prise à des moments différents. Bien que Paula se sent prête depuis longtemps, elle attend patiemment que son mari finisse par se décider. Pour lui, cette décision est plus difficile, car selon ses déclarations, il a connu plusieurs périodes de doutes et de soucis qu’il considère comme importantes, puisqu’elles contribuent à donner des bases plus solides pour sa prise de décision. Le couple est de race blanche et opte alors pour un enfant mulâtre. Ils sont indifférents pour ce qui concerne le sexe et le type de cheveux. Toutefois, ils ne souhaitent pas un enfant ayant des « traits négroïdes ».

Un autre cas est celui de Júlia et Pedro, de race blanche et ayant fait des études universitaires. Elle est âgée de 41 ans, et lui, de 50 ans, tous les deux viennent d’un milieu favorisé. Mariés depuis sept ans, ils décident d’adopter pour « compléter la famille », après avoir subi six IA sans parvenir à aucun résultat. Pendant la période des essais de conception à l’aide de technologies reproductives, Júlia s’intéresse surtout à la réussite du traitement qui lui permettrait de vivre la grossesse et l’accouchement d’un enfant et n’envisage pas la possibilité d’une adoption. Après un certain temps, les médecins écartent la possibilité d’une grossesse, ce qui mène le couple à considérer l’idée d’adoption. À l’heure actuelle, ils estiment que l’infertilité est une affaire réglée. Pedro a été le premier à parler d’adoption, car dans sa famille il y avait déjà deux cas d’adoption qu’il jugeait bien réussis. Pour Júlia, cependant, il fallait épuiser toutes les tentatives possibles de fertilisation pour qu’elle puisse accepter sa stérilité et s’engager sur la voie du « plan B », à savoir l’adoption d’un enfant. Selon l’avis psychosocial, « le désir d’adoption manifesté par le couple est guidé par la volonté d’édifier une famille ». Ils souhaitent avoir un bébé nouveau-né et de race blanche, « en bonne santé et, si possible, ressemblant au biotype du couple », en concordance avec la tendance observée au Brésil (déjà mentionnée) de chercher dans l’adoption à ce que l’enfant ressemble le plus possible aux parents.

João et Sonia, âgés de 40 et 35 ans respectivement, Blancs, de classe moyenne-haute, ont décidé d’adopter « pour former une famille et avoir le bonheur d’avoir un enfant ». Sonia ne souhaitait pas avoir d’enfants avant ses 30 ans, préférant attendre que tous deux terminent leurs études universitaires et réussissent à avoir une meilleure sécurité financière. Après avoir subi une opération chirurgicale pour traiter une endométriose, Sonia a suivi plusieurs traitements de fertilité entre 1999 et 2005, comme la prise d’hormones, trois IA et cinq FIV, en plus des vaccins pris pour combattre l’« incompatibilité génétique » du couple.

Le couple a finalement décidé d’adopter, tous deux encouragés par un cousin qui avait lui-même adopté un enfant, mais aussi parce qu’ils étaient épuisés par les différents traitements suivis durant ces six années. Ils souhaitent désormais adopter un enfant âgé de 0 à 12 mois, sans préférence de sexe ou de couleur de peau. Cependant, Sonia s’est montrée inquiète vis-à-vis des préjugés que pourrait subir un enfant de « couleur », y compris de la part de sa belle-soeur. Ils pensent toutefois être capables « de gérer sereinement les préjugés de la société et de la famille ».

Loin de généraliser ces profils, mais dans l’intention de n’étudier que les seules tendances ou déplacements possibles, on peut observer que dans la plupart des dossiers analysés, les couples décident d’adopter après avoir constaté l’impossibilité d’avoir un enfant biologique.

Certains de ces couples le font en raison des contraintes financières qui rendent impossible l’accès aux technologies reproductives ou encore parce que cette option ne fait pas partie de leur univers, comme dans le cas d’un couple spirite kardéciste — une doctrine religieuse qui admet l’idée de réincarnation. Pour d’autres personnes, l’adoption d’enfant n’est considérée qu’après la constatation de l’impossibilité technique de surmonter la stérilité. Quoiqu’il en soit, le besoin de faire le deuil de l’enfant biologique apparait constamment comme une condition nécessaire pour entamer le processus d’adoption. Cette option semble véritablement se matérialiser et se consolider seulement après avoir renoncé à avoir un enfant biologique.

La reproduction assistée en tant que rituel

Les processus décrits précédemment indiquent que les tentatives de recours aux procédés de reproduction assistée jouent un rôle significatif dans les parcours pour l’adoption d’enfant. Je considère que ces tentatives ont pour fonction symbolique le fait de savoir que toutes les possibilités d’avoir un enfant biologique sont épuisées avant de prendre la décision d’adopter. Même si, comme on le constate dans certains dossiers, l’adoption était déjà envisagée comme une option, avant même le constat d’infertilité, ce qui ressort des propos exprimés, c’est le besoin d’essayer d’épuiser toutes les possibilités d’avoir un enfant biologique comme une manière de faire mûrir et de consolider ce choix.

Cet aspect semble être positivement évalué dans le rapport des psychologues et des assistantes sociales qui le signalent comme un indicateur de la maturation du projet d’adoption. Dans le cas de João et Sonia, où il est fait état du recours à une chirurgie pour l’endométriose et d’un traitement hormonal pour favoriser l’ovulation, ainsi que de huit procédures de RA au total, en six ans, le rapport indique que « les requérants ont parcouru tous les chemins possibles pour engendrer biologiquement un enfant et sont aujourd’hui sereins et sûrs de leur choix pour exercer le maternage/paternage grâce à l’adoption ».

Selon Franklin (1997), l’infertilité semble être configurée comme un obstacle à une progression dite normale et naturelle de la réalisation de l’identité féminine et de la conjugalité. Pour cette auteure, les personnes souffrant d’infertilité opteraient pour des solutions technologiques, motivées non seulement par le désir d’avoir un enfant biologique, mais aussi parce qu’elles chercheraient une solution au problème de l’infertilité. Il ne s’agirait pas de « désespoir » dans le fait de chercher à avoir un enfant, mais d’une frustration envers ce qui est considéré comme étant une progression « normale et naturelle » de la conjugalité. Malgré la prise de conscience du faible taux de réussite des procédures de RA — renforcée, dans certains cas, par les échecs successifs — ceux qui ont déjà tout essayé gardent l’espoir que cela réussira un jour et sont prêts à recommencer.

Dans ces conditions, la RA aurait une fonction de rituel qui permettrait de sortir d’une situation limite, de s’échapper des limbes créés par l’infertilité, c’est-à-dire s’assumer soi-même comme quelqu’un qui n’a pas d’enfant, surtout d’enfant biologique. Concernant la fonction symbolique attribuée par Franklin aux procédés de RA, il serait possible de la penser selon les rites d’institution, formulés par Bourdieu (1996). De tels rites fonctionnent comme des mécanismes impératifs qui rendent naturels les processus sociaux ou qui établissent une « essence » conférée par la nomination, comme pourrait être considérée, dans ce cas, la maternité en tant qu’affirmation de la féminilité ou la procréation pour la constitution d’une « vraie » famille. Nous postulons que, étant donné le peu de chance de succès des techniques de RA, et ce, indépendamment de la technique employée, la tentative de procréation en soi pourrait être perçue comme une forme de réaffirmation ou de permanence au sein d’un ordre : celle de la constitution de la famille consanguine, validée par un agent dûment autorisé (le médecin spécialiste) qui réalise l’acte médical et technique selon les règles les plus conformes aux conventions sociales.

Pour Bourdieu (1996 : 105), « les actes de magie sociale […] réussissent dans le cas où l’institution […] constitue un acte d’institution dans un autre sens, à savoir, un acte garanti par tout le groupe ou par une institution reconnue ». La croyance de tous, préexistante au rituel, est la condition de son efficacité (Lévi-Strauss, 1970; Bourdieu, 1996). Mais dans ce cas, je ne pense pas à l’efficacité symbolique dans le sens où l’on considère la réussite ou le succès d’une ou d’autres techniques. En général, la réussite des techniques reste faible et, justement, là est la question : si le coût financier et émotionnel est élevé et le succès est si faible, comment expliquer la grande demande pour ces procédés, l’insistance à multiplier les essais et surtout la nécessité apparente de passer par cette expérience avant d’opter pour l’adoption, dans certains cas? Je suggère que l’efficacité symbolique se trouverait dans la constitution d’une nouvelle place faite à la RA : l’expérience nécessaire du renoncement à l’enfant biologique deviendrait ainsi une condition ou le signal que l’on est prêt pour l’adoption d’un enfant.

Cette question en soulève une autre : la nécessité d’interroger la place de la science et de la technologie comme éléments à investir dans une logique de croyance au progrès scientifique, étant donné que le faible taux de succès ne discrédite pas la technique. Bourdieu dit : « La force du jugement catégorique d’attribution réalisé par l’institution est si grande qu’il se montre capable de résister à tous les démentis pratiques » (ibid. : 103).

Cependant, si d’un côté, nous retrouvons un investissement dans l’ordre de la foi en l’univers technologique, nous observons par ailleurs la domination d’un autre type d’essentialisme qui semble planer sur l’univers de l’adoption. Certains témoignages des participants des GAA indiquent que les relations qui s’établissent par l’intermédiaire de l’adoption sont des rencontres prédestinées entre enfants et parents adoptifs, que les forces de l’univers auraient séparés à l’heure de la naissance. Pour eux, le travail des parents adoptants serait d’attendre le moment le plus sûr pour rencontrer leurs enfants, qui par un hasard du destin seraient nés dans des endroits distants. Bestard et Marre (2004) font l’analyse de la « prédestination » à partir de l’idée de rapport : on considère que la personne naît déjà « en rapport ». Il est à noter que cette question est peu analysée dans les études sur l’adoption.

« L'appel du sang », , semble aussi être un fantasme qui sous-tend l’univers de la reproduction assistée. Dans certains cas de la RA, des formes d’interdiction de la rencontre sont identifiées entre récepteurs et donneurs de gamètes, agissant à l’aide de différents dispositifs, dont, parmi eux, celui de l’anonymat. L’exigence de l’anonymat serait une stratégie face au danger symbolique représenté par la figure du donneur : « C’est comme si sa simple manifestation ou identification était capable de faire affleurer des rapports émotionnels intenses et dramatiques entre lui et l’enfant » (Salem, 1995 : 51). On observe, dans ce cas, une similitude entre la tendance à éviter la rencontre entre l’enfant adopté et sa mère biologique, car ce qui semble être en jeu, dans l’un et l’autre des cas, c’est la « force de la nature », le danger de l’attachement affectif supposé par le fait de partager le même sang ou la même substance.

Dans les discussions des GAA on peut observer que si, d’un côté, la rencontre prédestinée entre pères/mères et enfants adoptifs semble manifeste, de l’autre, la force du lien de sang crée le fantasme de la mère. Bien que les participants des GAA croient en la constitution des liens affectifs et parentaux dans l’adoption – aussi vrais que les liens de consanguinité —, la relation biologique consubstantielle entre mère et enfant semble être placée dans un lieu presque sacré. Remarquons que le lien « fantasmatique » se fait avec la mère. Dans ce champ se reproduit aussi la division entre l’évidence biologique du rapport de la mère avec son enfant et une paternité présumée comme une relation sociale, comme le conçoit Strathern (1992 : 26).

En synthèse, on peut observer différentes tensions et résolutions entre liens de parenté par consanguinité et liens de parenté par adoption. L’absence du lien de sang semble être compensée par un déterminisme qui se place sur un autre registre : celui du mystique, du miracle qui reste « hors de contrôle ». Autrement dit, les enfants prédestinés seraient nés, par un hasard du destin, dans des endroits distants par rapport à ceux normalement prévus pour ce faire.

Tandis que certains semblent aller à la rencontre de leur destin, lorsqu’ils reconnaissent ne pas pouvoir avoir d’enfants biologiques – ce qui ne les empêche pas de se mobiliser pour constituer une famille à l’aide de l’adoption –, d’autres semblent ne pas accepter la limite imposée par l’infertilité et tentent de « donner un petit coup de main à la nature » pour réaliser le désir naturalisé d’avoir une famille consanguine. Si, dans l’adoption, le miracle est attribué à une rencontre réussie qui, au travers du geste, cherche à remplacer le sang (Rotania, 1995), dans la reproduction assistée, c’est le miracle technologique qui permet la réalisation d’un geste mimétique avec la nature.

De l’adoption d’enfant à l’adoption d’embryons

L’une des questions qui retient notre attention, commune aux deux domaines, est celle de la tentative de rapprochement de l’adoption au modèle biologique de la reproduction. Malgré la tentative des groupes d’appui à l’adoption de s’opposer à une naturalisation de l’amour maternel/paternel, qui récupère l’idée d’un amour construit, susceptible de se développer sans un lien sanguin, on retrouve un appel au mimétisme avec ce déroulement naturel. Ceci se fait à travers « la biologisation de l’adoption », la recherche d’une ressemblance entre le biotype des parents et celui des enfants adoptés, avec lesquels, dans la plupart des cas, on prétend trouver une ressemblance.

Dans cette analyse sont formulées quelques hypothèses à propos du cas spécifique de l’adoption d’embryons, que je considère « bonnes à penser » les possibles relations à tracer entre les deux champs d’intérêt de cet article. Il faudrait se demander, en s’appuyant sur la phrase de Rotania, si, au travers de la gestation corporelle, on ne chercherait pas à « remplacer » la génétique. La technologie rendrait possible l’apparition de la figure de « l’adoptante-enceinte » [10] qui, bien qu’elle ne soit pas nécessaire à l’existence des embryons (pourvu qu’elle n’est pas pourvoyeuse du matériel génétique), devient la condition pour que ceux-ci se développent. Peut-être que sang et gènes, employés très souvent comme synonymes, apparaissent dans ce contexte comme des champs sémantiques différenciés. Citons ici le témoignage d’une femme « adoptante-enceinte » qui permet d’éclairer le sujet :

Ils se trouvaient à l’intérieur d’un tube à essai. On ne voyait que la petite goutte rose du sérum anticoagulant sur les petits embryons. Ils seraient en train de moisir dans un freezer si je ne les avais pas sortis de là. Je les ai nourris dans mon utérus pendant neuf mois. Ils n’existeraient pas sans mon corps.

Témoignage d’une femme réceptrice, âgée de 48 ans, cité dans Carelli, 2001

Il paraît que l’adoption des embryons permet des gradations concernant le type d’adoption à entreprendre lorsque la procréation avec son propre matériel génétique n’est pas possible. L’adoption d’enfants est une option, mais la technologie permet de radicaliser la préférence généralisée, surtout entre les couples, à avoir des enfants en bas âge, de préférence des nouveau-nés, et d’un biotype proche du leur. La possibilité d’adopter des embryons permet d’anticiper au maximum une telle tendance et ouvre l’espace à la réalisation de l’expérience corporelle de la maternité, tellement liée, et aujourd’hui réactivée, à l’accomplissement d’une pleine féminité.

La RA permet, moyennant le déplacement dans le temps, de réaliser de manière plus radicale les mêmes désirs que ceux reliés à l’adoption. Jusque récemment, ce terme était réservé et associé à l’adoption d’enfants. Aujourd’hui, faisant partie des répertoires des technologies de la vie, on peut aussi parler d’adoption d’embryons. Cela s’est présenté, de manière explicite, dans ce titre paru à la une d’un journal : « Environ 200 Brésiliens ont été adoptés sous forme d’embryons ces cinq dernières années » (Carelli, 2001).

L’adoption d’embryons est semblable à l’adoption d’enfant dans la mesure où le couple ou la femme réceptrice entreprennent cette adoption selon des modalités similaires à ceux d’une adoption d’enfant. Malgré tout, le moment où cette dernière a lieu peut être largement anticipé, permettant, par la technologie, d’attribuer le statut d’enfant ou de bébé à un préembryon, comme dans le témoignage précédemment cité.

La préoccupation au sujet de l’adoption des enfants des autres ne résiderait pas seulement dans la charge génétique, mais aussi dans les marques imprimées pendant la gestation et les premiers mois ou années de vie, pense-t-on de manière indélébile dans l’histoire et les caractéristiques physiques des enfants. La grande différence entre les préembryons « moisissant dans un freezer » et les enfants grandissant dans une maison d’accueil résiderait dans le processus, le temps et le contexte de la socialité[11]. Les adoptions réalisées le plus tôt possible, avant même la naissance, peuvent même créer ou simuler une condition de naturalité de la reproduction qui fait la grande différence entre l’adoption de préembryons et celle d’enfants. Dans l’adoption d’embryons, le couple participerait dès le début du processus et l’expérience corporelle de la grossesse, ce qui permettrait une connexion biologique spécifique et l’échange de substances. Cet échange, en dernière instance, serait une forme plus radicale de la préférence, parmi les personnes candidates à l’adoption, pour des enfants nouveau-nés et dotés d’un biotype similaire à celui des parents adoptifs. La chance d’avoir des enfants « avec le visage » des parents, facteur déterminant pour que l’adoption soit réussie, comme l’a montré Costa (1988), serait plus grande avec l’adoption d’embryons, dans la mesure où elle permet de diminuer le temps d’exposition ou de « sociabilité du foetus » dans un autre contexte, ce qui peut aussi mener à un imaginaire de naturalisation ou d’une autre forme de naturalisation.

Le discours de la nouvelle culture de l’adoption, promu pour stimuler et donner la priorité aux adoptions interraciales et tardives, devient un corpus idéologique peu corroboré par les sources consultées pour cette recherche, qui ont montré que la recherche d’un biotype semblable prime toujours. La ressemblance se configure comme un idéal à atteindre et, dans une certaine mesure, comme l’a indiqué Costa (1988), comme une condition pour que l’adoption soit réussie. C’est-à-dire que la proximité avec le modèle biologique se pose comme une situation idéale à atteindre ou à être mimée.

On attribue à la biotechnologie la capacité de réaliser le rêve reproductif. Cependant, dans le contexte de l’enthousiasme biotechnologique, l’adoption est vue comme une façon de soulager « un peu » la frustration de couples ou de personnes sans enfants, sans que cela les satisfasse complètement. Le statut attribué à chacune de ces formes de dépassement de l’infertilité semble être différent.

Plus que d’offrir des réponses fondées sur un champ qui reste à explorer, cet article a pour objectif de proposer des stratégies d’analyse, à travers lesquelles il soit possible d’établir des dialogues nous permettant de comprendre les aspects de notre société qui sont en jeu dans la façon de penser la descendance, la parenté et la constitution de la famille dans le contexte de la reproduction assistée.