Corps de l’article

Le Québec est vu, particulièrement en Amérique du Nord, comme un « paradis » pour les familles (Albanese, 2011 ; Dandurand et Kempeneers, 2002 ; Rose, 2010). La politique familiale québécoise, très orientée sur la conciliation famille-travail (St-Amour et Bourque, 2013), s’appuie notamment sur deux mesures : le Régime québécois d’assurance parentale (RQAP) et le réseau public de services de garde. Ces mesures favoriseraient, d’une part, l’intégration et le maintien en emploi des parents, femmes et hommes, et, d’autre part, un meilleur partage des tâches entre conjoints. Ainsi, elle viserait une plus grande égalité entre les hommes et les femmes.

La politique familiale québécoise est mise en œuvre alors que le marché du travail se transforme depuis une quarantaine d’années. D’un côté, les secteurs d’emploi offrant les meilleures conditions sont touchés par une intensification du travail avec, par exemple, l’exigence d’horaires étendus (Bianchi, 2011 ; Cha, 2010 ; Cha et Weeden, 2014 ; Perrons et al., 2007). D’un autre côté, les personnes déjà marginalisées sur le marché du travail, comme les femmes, les jeunes, les personnes immigrantes ou peu scolarisées, vivent plutôt une précarisation de leurs emplois (Moulin, 2016 ; Noack et Vosko, 2011 ; Noiseux, 2011 ; Ulysse, 2006 ; Chaykowski, 2005). C’est ainsi que l’on observe une flexibilisation à la fois des horaires de travail (plus d’horaires atypiques), des statuts d’emploi (plus d’emplois à durée déterminée) et des régimes de travail (plus d’emplois à temps partiel) (Bouffartigue, 2005 ; 2018 ; Maruani, 2011 ; Moulin, 2016 ; Scherer, 2009). Cette flexibilité est à l’avantage des employeurs en ce qu’elle leur permet d’avoir une main-d’œuvre disponible au moment qui leur convient, mais rend plus difficile la vie des personnes employées. Ces dernières vivent une exacerbation de leurs difficultés à articuler travail et famille, d’autant plus qu’il s’agit souvent d’emplois faiblement rémunérés et offrant peu d’avantages sociaux (Leloup et al., 2016 ; Ulysse, 2014). De nombreuses familles québécoises composées d’un couple avec enfants – soit une sur cinq (ISQ, 2019a) – vivent ainsi en 2016 avec un revenu disponible inférieur à 45 000 $ par année. Ce taux grimpe à une famille sur trois (ISQ, 2019b) si l’on inclut seulement les revenus du marché[1] . En 2016, 82 420 familles formées d’un couple avec deux enfants étaient considérées comme à faible revenu[2] (ISQ, 2019c).

Un autre aspect des transformations survenues sur le marché du travail est l’intégration plus massive en emploi, depuis les années 1980, des femmes avec enfants. Toutefois, bien qu’aujourd’hui le taux d’emploi des Québécoises de 25 à 54 ans en couple et dont le plus jeune enfant a 12 ans ou moins soit de 83,5 % (une augmentation de plus de 15 points depuis 1997 (65,1 %) (CSF, 2018 : 14)), les femmes occupent plus souvent que les hommes des emplois à temps partiel. De fait, elles sont pratiquement deux fois plus nombreuses que les hommes à occuper ce type d’emploi (24,3 % comparativement à 13 %) (CSF, 2018 : 23). De plus, les femmes continuent à gagner des revenus inférieurs à ceux des hommes, notamment lorsqu’elles ont des personnes à leur charge. Selon le Conseil du statut de la femme, « en 2016, parmi les femmes ayant déclaré un revenu et des personnes à leur charge, 34,1 % gagnent un revenu total inférieur à 20 000 $, alors que cette proportion est de 25,1 % chez les hommes », tous niveaux de diplomation confondus (2018 : 30). Enfin, même si les femmes gagnent, dans toutes les catégories, des revenus inférieurs à ceux des hommes, des différences marquées sont observées pour les femmes ayant un faible niveau de scolarité. Cet écart s’explique notamment par la ségrégation professionnelle selon le genre. Rose (2016) affirme que de nombreux emplois de cols bleus offrent encore aux hommes une rémunération et des conditions de travail relativement bonnes, ce qui n’est pas le cas des emplois majoritairement féminins disponibles pour les femmes ayant un faible niveau de scolarité.

Dans ce contexte, comment les couples de parents de milieu socioéconomique modeste arrivent-ils à articuler travail et famille ? Comment utilisent-ils les mesures phares de la politique familiale québécoise que sont le RQAP et le réseau de services de garde à contribution réduite ? Cet article propose de mieux comprendre leur utilisation de ces mesures en partant du récit des personnes concernées, ce qui permettra de mettre en lumière certains enjeux que sous-tend cette partie de la politique familiale québécoise. L’analyse s’appuie sur 30 entretiens qualitatifs réalisés auprès de parents en couple hétérosexuel de milieu socioéconomique modeste, caractérisé par le niveau d’études (pas de diplôme universitaire) et le revenu combiné des deux conjoints (un revenu annuel d’environ 50 000 $ ou moins, ce qui inclut des couples ayant des revenus plus ou moins faibles). Les résultats indiquent que les types d’emploi occupés (faible rémunération et horaires atypiques) ainsi que la division sexuelle du travail jouent un rôle important dans les « choix » faits par ces parents quant à l’utilisation des mesures offertes. Nous montrerons ainsi que les rapports de genre, particulièrement dans un contexte de précarité financière, freinent l’atteinte des objectifs de la politique familiale en ce qui a trait à l’articulation famille-travail : les mesures telles que mises en œuvre actuellement, quoique généreuses, semblent laisser en plan certains parents. En ce sens, les femmes faiblement scolarisées peuvent plus difficilement bénéficier de la possibilité d’occuper un emploi à temps plein tout en ayant des enfants.

Nous présentons tout d’abord une courte description du réseau québécois de services de garde et du RQAP ainsi qu’une brève recension des écrits sur les arrangements de couples de parents en lien avec l’articulation famille-travail. Cette recension aborde l’utilisation des services de garde et des congés parentaux, ainsi que les trajectoires professionnelles des hommes et des femmes. Nous explicitons ensuite ce que nous entendons par division sexuelle du travail, concept qui sera mobilisé plus loin pour mieux comprendre les réalités observées dans le contexte particulier dans lequel vivent les personnes rencontrées. Après avoir présenté notre démarche méthodologique ainsi que l’échantillon sur lequel s’appuient nos analyses, nous présentons les récits des personnes rencontrées quant à leur utilisation du RQAP et du réseau des services de garde. Nous concluons en discutant ces résultats.

Les mesures disponibles, leur utilisation par les parents et le travail selon le genre

Les parents québécois disposent de services de garde à contribution réduite et de congés parentaux pour articuler leurs responsabilités familiales et leurs responsabilités professionnelles. Une littérature internationale expose l’utilisation que les parents peuvent faire de ces mesures selon leurs réalités. Enfin, le rapport des femmes au travail, rémunéré ou non, demeurant différent de celui des hommes, les trajectoires professionnelles des conjoints sont tout aussi différenciées.

Les services de garde et le Régime québécois d’assurance parentale

Le réseau québécois des services de garde et le Régime québécois d’assurance parentale (RQAP) sont les deux mesures phares de la politique familiale québécoise. Nous décrivons brièvement ici leurs caractéristiques actuelles.

Les services de garde

Le réseau québécois des services de garde s’est développé et formalisé à partir de la fin des années 1990 pour offrir des places aux enfants de moins de 5 ans. Il est composé de plusieurs types de service de garde. Certains sont subventionnés, comme les Centres de la petite enfance ou CPE (organismes à but non lucratif), la majorité des services de garde en milieu familial (au domicile de la personne responsable) et les garderies privées subventionnées (à but lucratif, mais qui doivent suivre certaines balises gouvernementales). Les autres garderies privées sont non subventionnées. La différence entre ces dernières et les garderies privées subventionnées tient essentiellement au fait que ne recevant pas de subvention directe du gouvernement québécois, les garderies privées non subventionnées demandent aux parents-utilisateurs une contribution plus élevée pour la garde de leur enfant.

Selon le site du ministère de la Famille (2019), le gouvernement québécois subventionne 235 000 places dans des services de garde en 2019. Il y aurait plus de 1 500 installations de Centres de la petite enfance, plus de 700 garderies subventionnées et près de 15 000 services de garde reconnus en milieu familial. Depuis le début du réseau de services de garde, le nombre de places à contribution réduite ne répond pas à la demande et plusieurs parents doivent se tourner vers d’autres options de garde pour leurs enfants. Peu importe le type de service de garde, les heures d’ouverture sont habituellement comprises entre 7 h et 18 h, du lundi au vendredi. Seuls de très rares milieux offrent un service en soirée, la nuit ou les fins de semaine. Le tarif pour une place en service de garde subventionné est, en 2020, de 8,35 $ par jour. Le tarif quotidien varie pour les places dans les garderies non subventionnées. Selon une enquête menée en 2013 par le ministère de la Famille, le tarif quotidien moyen était de 41,07 $ pour les poupons et de 36,69 $ pour les enfants âgés de 18 mois et plus[3] (Ministère de la Famille, 2014).

Des classes de maternelle à temps plein dès l’âge de 5 ans et des services de garde en milieu scolaire ont aussi été mis sur pied à partir de 1997. Relevant du ministère de l’Éducation, ces services de garde offrent des activités éducatives pour combler les moments avant le début des classes (généralement à partir de 7 h), sur l’heure du dîner (sans repas offert), et après la fin des classes (généralement jusqu’à 18 h). En 2020, la contribution parentale s’élève à 8,50 $ par jour.

Le Régime québécois d’assurance parentale

Le Québec a développé son propre congé parental, le RQAP, dans les années 2000 ; les prestations de maternité et de paternité relevaient jusque-là du gouvernement fédéral. Ainsi, en janvier 2006, les premiers parents[4] ont pu bénéficier de ce congé qui leur offre des prestations bonifiées en comparaison avec le régime fédéral, que ces parents occupent un emploi salarié ou qu’ils soient travailleurs autonomes. Le régime est offert à tous les parents qui ont gagné 2000 $ ou plus durant les 52 semaines précédentes (considérées comme la période de référence), peu importe le nombre d’heures travaillées. En 2018, le montant maximal assurable pour le calcul des prestations est fixé à 78 500 $. Avec le RQAP, les nouveaux parents ont le choix entre deux régimes. Le régime de base offre un remplacement du revenu allant de 55 % à 70 % pour une période de 50 semaines, alors que le régime particulier offre un remplacement du revenu plus élevé (75 %), mais pour une période plus courte (40 semaines). Chaque régime offre des semaines de congé exclusives à la mère et exclusives au père (respectivement 15 ou 18 semaines et trois ou cinq semaines, selon le régime choisi) et des semaines de congé dit « parental », soit des semaines qui peuvent être prises tant par la mère que par le père. Se voulant plus flexible, plus accessible et plus généreux que l’ancien régime du gouvernement fédéral (Tremblay et al., 2015), le RQAP est très populaire auprès des nouveaux parents. Les dernières statistiques disponibles montrent que le taux de participation au RQAP lors des naissances augmente depuis sa mise en place (de 81,2 % en 2006 à 87,9 % en 2016) (Conseil de gestion de l’assurance parentale, 2018 : 29).

L’utilisation des mesures facilitant la relation famille-travail

Occuper un emploi et avoir des enfants peut engendrer des difficultés pour les pères comme pour les mères. Cependant, la littérature indique que ce sont les femmes qui vivent le plus de difficultés à articuler les deux et que c’est sur elles que repose le fait de trouver des solutions aux problèmes qui surviennent. Néanmoins, les femmes occupant des emplois précaires aux horaires atypiques et imprévisibles vivent des difficultés particulières dans l’utilisation des services offerts aux parents de jeunes enfants (CSF, 2015 ; Ford, 2011 ; Gazso, 2007 ; Hennessy, 2009 ; Lefrançois et al., 2014 ; Roman, 2017).

Des difficultés dans les arrangements de garde d’enfants

Pour les parents qui ont un faible pouvoir de négociation face à leur employeur, trouver des solutions pour articuler famille et travail est ardu : il est difficile pour eux de demander et d’obtenir de meilleures dispositions de temps de travail (Mayer, 2013). Puisque leur temps de travail est souvent irrégulier, imprévisible et non négociable, leurs possibilités se réduisent à tenter un aménagement de leur temps familial et à trouver des modes de garde qui répondent à cette irrégularité et à cette imprévisibilité. L’étude de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) sur l’utilisation, les besoins et les préférences des familles en matière de services de garde (Gingras et al., 2011) indique qu’environ le tiers des familles ayant des enfants de moins de 5 ans comporte au moins un parent ayant un horaire non usuel ou un emploi atypique. Cette enquête nous apprend aussi que dans les familles où un parent ou les deux parents ont un horaire non usuel ou un statut atypique d’emploi, l’imprévu principal venant compliquer la garde des enfants est une demande de disponibilité impromptue au travail. Pour les parents ayant un horaire standard, c’est plutôt la maladie d’un enfant qui est la principale difficulté pour organiser la garde.

L’analyse des nombreuses entrevues réalisées par Dodson (2013) aux États-Unis auprès de femmes travaillant à bas salaire et de leurs familles lui permet d’avancer que les arrangements de garde des jeunes enfants sont centraux dans les « choix » faits sur le marché du travail. Clampet-Lundquist et ses collègues (2003) montrent aussi avec une enquête menée aux États-Unis que les femmes qui quittent l’aide sociale pour devenir employées ont souvent recours à la garde par un proche ou une connaissance, ne trouvant pas de service de garde formel qu’elles peuvent payer. Pour la France, Devetter (2008) rapporte que les aides informelles (surtout celle des grands-parents) sont très sollicitées lorsque « les horaires sont déstructurés, imprévisibles, ou sur des périodes où le recours aux organismes associatifs est impossible (soir, nuit), ou encore dans le cas des familles pour lesquelles les modes de garde externes sont trop onéreux » (Devetter, 2008 : 330-331). Plus récemment, Collet et ses collègues, dans une enquête qualitative aussi menée en France, montrent que bien des parents doivent jongler avec plusieurs contraintes pour organiser la garde de leurs enfants, « parmi lesquelles dominent les contraintes d’emplois du temps et de revenus liées à la position professionnelle des conjoints » (Collet et al., 2016 : 114).

Certains parents doivent compter sur plusieurs modes de garde différents pour arriver à combler leurs besoins lorsqu’ils occupent un emploi. Cette situation entraîne davantage de risques de vivre des problèmes de garde (Usdansky et Wolf, 2008). De plus, ce type d’arrangement ne garantit pas que tous les besoins de garde seront comblés (Dodson et Bravo, 2005).

Certes, ces différentes enquêtes ont été menées en France et aux États-Unis, où les politiques familiales de façon générale et les services de garde disponibles sont différents de ceux offerts au Québec. Toutefois, les contraintes d’horaire et le stress inhérents à la gymnastique nécessaire pour arriver à faire garder ses enfants peuvent se ressembler. Malgré l’existence des services de garde à contribution réduite au Québec, les horaires fixes de ces services ne sont quasiment d’aucune aide pour les familles où les parents travaillent selon des horaires atypiques. Mayer (2013) donne des exemples de femmes travaillant chez Wal-Mart et qui vivent de grandes difficultés en lien avec la garde de leurs enfants, en ce qui a trait tant aux horaires qu’aux coûts. Certaines des femmes participantes à son étude expliquent les difficultés à trouver des services de garde pour leurs enfants à cause de leurs horaires de travail débutant soit très tôt (à environ 6 h du matin) ou s’étalant jusqu’au soir (au-delà de 19 h). Mayer (2013) rapporte aussi le cas d’une participante qui a dû débourser la quasi-totalité de ses revenus d’emploi à un certain moment pour payer les frais de garde en soirée de son enfant.

Plusieurs auteurs de différents pays (Angleterre, États-Unis, France) font aussi état de couples qui utilisent les « horaires alternés » ou « horaires intercalés » (ou « split schedule » en anglais), où les deux parents ne travaillent pas selon les mêmes horaires (entre autres, Crompton, 2006 ; Presser, 2003 ; Boyer et Fagnani, 2008). Crompton (2006) affirme que cet arrangement du temps de travail de certains couples s’observe beaucoup plus dans les milieux moins favorisés. À l’instar de Boyer et Fagnani, on peut se demander si : « Ce qui pourrait apparaître comme la traduction d’un souci de partage plus égalitaire n’est-il qu’une manière pour les parents de s’ajuster aux contraintes d’organisation du travail et d’en tirer profit pour diminuer les frais de garde? » (Boyer et Fagnani, 2008 : 307). En effet, les raisons rapportées pour justifier cet aménagement sont de deux ordres : d’une part une imposition des employeurs, et d’autre part une volonté du couple de réduire les coûts liés au service de garde (Perrons et al., 2007).

L’utilisation des congés parentaux

Toutes les études disponibles montrent que les mères sont plus nombreuses que les pères à se prévaloir d’un congé à la naissance de leur enfant. Des recherches menées dans différents pays d’Europe et au Canada pointent vers un certain profil type d’hommes qui prennent un congé à la naissance de leur enfant (Elwert, 2012 ; Geislet et Kreyenfeld, 2011 ; McKay et al., 2013). Chatot (2017) résume ces caractéristiques en disant que ces pères « sont généralement diplômés de l’enseignement supérieur, appartiennent aux classes moyennes et supérieures, travaillent dans le secteur public ou dans de grandes entreprises et sont en couple avec des femmes qui ont un niveau de revenu similaire ou supérieur au leur » (Chatot, 2017 : 231)[5]. Cette chercheuse française explique aussi que les pères ne prenant pas de congé parental disent notamment que c’est un congé pour la mère, lié à la grossesse et à l’allaitement. Lorsqu’il est pris par le père, le congé serait donc perçu comme étant « une concession de son congé par la mère au père » (Chatot, 2017 : 233), entre autres au Québec (McKay et Doucet, 2010).

Au Québec, les dernières données disponibles sur l’utilisation du Régime québécois d’assurance parentale (RQAP) montrent que les femmes représentent en 2017 52,5 % des nouvelles personnes prestataires (Conseil de gestion de l’assurance parentale, 2017a). Ceci signifie que les pères sont presque aussi nombreux que les mères à utiliser au moins une part des prestations auxquelles ils ont droit. Toutefois, les pères ne représentent qu’une faible proportion des prestataires du congé parental, soit le congé qui peut être utilisé par l’un ou l’autre parent (soit environ 16 % en décembre 2017) (Conseil de gestion de l’assurance parentale, 2017b). Une enquête qualitative du Conseil du statut de la femme (CSF) publiée en 2015 présente des résultats en lien avec le partage du congé parental entre les parents, entre autres à propos des raisons évoquées par ceux-ci pour se prévaloir ou non des prestations du RQAP[6]. Les auteurs partagent les constats évoqués par Chatot (2017) sur les caractéristiques des pères qui prennent un congé parental. Une étude quantitative récente montre aussi que bien que les parents de tous les milieux partagent davantage un congé à la naissance de leur enfant au Québec depuis la mise en place du RQAP, ceux faisant partie des ménages à revenu moyen ou élevé sont trois fois plus nombreux à le faire que ceux ayant de faibles revenus (Margolis et al., 2019).

Le travail rémunéré des hommes et des femmes et les trajectoires professionnelles

Malgré le fait que les femmes ayant des enfants aient intégré massivement le marché du travail depuis environ 40 ans, Damaske (2011) rappelle que seul l’emploi féminin est perçu comme un « choix », contrairement à l’emploi masculin qui, allant de soi, n’est jamais remis en question ou perçu comme étant un « choix ». Étant toujours les responsables de la sphère domestique et notamment du travail de soin aux enfants qui y est réalisé, de nombreuses femmes diminuent ou cessent complètement leur activité professionnelle lorsqu’elles ont des enfants. Le taux élevé de femmes travaillant à temps partiel présenté plus haut, notamment, illustre cette réalité. De plus, des statistiques compilées récemment par le ministère de la Famille vont dans le même sens. Ces dernières montrent que les familles biparentales avec au moins un enfant mineur, où la mère n’a aucun revenu d’emploi (14 %) sont plus nombreuses que celles où ce sont les hommes (4 %) qui sont dans la même situation (Ministère de la Famille, 2017). Ces statistiques montrent aussi que dans ces mêmes familles, « un peu plus de quatre mères sur dix (43 %) sont sans revenu d’emploi ou gagnent moins de 20 000 $ » par année (Ministère de la Famille, 2017 : 5).

La présence d’enfant pousse ainsi les hommes vers l’activité professionnelle, alors que c’est le contraire pour les femmes (Gagnon, 2009). Si cette tendance est visible dans tous les milieux avec plus ou moins de force, les parents moins favorisés seraient encore plus enclins à suivre cette voie, notamment à cause des plus faibles possibilités d’épanouissement des femmes dans la vie professionnelle. Cette réalité est rapportée aux États-Unis (Stone, 2007) et en France avec des enquêtes quantitatives (Bernard et Giraud, 2018 ; Briard, 2017) et qualitative (Stettinger, 2018), de même qu’au Québec (Allard et Binet, 2001). Avec son enquête qualitative réalisée auprès de femmes de classes populaires en France, Stettinger (2018) explore cet éloignement de la vie professionnelle et explique qu’il ne signifie pas une « imprévoyance » mais plutôt une réponse rationnelle, guidée entre autres par les contraintes des modes de garde, d’horaires, etc.

Les femmes sont donc celles qui modifient leur trajectoire professionnelle, mais sont aussi les responsables du « fonctionnement » des différentes responsabilités et activités de la famille (Pailhé et Solaz, 2010). Bessin (2013) l’explique ainsi : « Leur inscription simultanée dans des espaces-temps différents, aux contraintes souvent contradictoires, fait peser sur les femmes la responsabilité de la synchronisation et de la gestion quotidienne des rythmes temporels de l’ensemble des proches » (Bessin, 2013 : 109-110). C’est cette simultanéité qui explique la charge mentale vécue particulièrement par les femmes. Haicault (1984) montre que la charge mentale est caractérisée par l’exploitation des femmes simultanément dans le travail rémunéré et celui qui ne l’est pas. Cette responsabilité féminine ne serait pas remise en cause au sein des couples. Malenfant et de Koninck (2005), à partir d’une recherche qualitative réalisée au Québec, mettent pour leur part en lumière que les femmes ne remettent pas en question le fait qu’elles sont souvent les uniques responsables de l’adaptation de « leurs conditions et projets professionnels à la vie familiale » (Malenfant et de Koninck, 2005 : 111). Pour les femmes, il s’agirait d’une « évidence » que Testenoire (2006) explique par leur façon de voir le travail : le travail rémunéré et le travail domestique sont pour les femmes intrinsèquement imbriqués. Cela guide les décisions prises tout au long de la vie des femmes et inhibe toutes discussions dans leur couple.

La division sexuelle du travail et l’articulation entre famille et travail

L’étude de l’articulation famille-travail demande qu’on utilise un bagage théorique qui met en lumière les dynamiques profondes entre la famille et le travail. La conceptualisation de la division sexuelle du travail telle que l’ont développée les féministes matérialistes permet cette prise en compte. Elle est définie ainsi : « [c]ette forme de division sociale du travail a deux principes organisateurs : le principe de séparation (il y a des travaux d’hommes et des travaux de femmes) et le principe hiérarchique (un travail d’homme “vaut” plus qu’un travail de femme) » (Kergoat, 2000 : 36). Selon cette définition, il y a le travail productif et rémunéré des hommes, réalisé à l’extérieur du foyer, et le travail reproductif et gratuit des femmes, fait au sein du foyer. De plus, contrairement à ce qu’avançait Parsons (1955) avec son idée de complémentarité des rôles au sein de la famille conjugale, ce concept dénaturalise la division des rôles entre hommes et femmes en montrant qu’ils ne sont le fruit ni d’une biologie différenciée ni d’une complémentarité efficace pour les sociétés, mais plutôt le résultat de rapports sociaux. Enfin, la division sexuelle du travail est transversale, configurant les rapports sociaux à la fois sur le marché du travail et au sein de la famille (Galerand et Kergoat, 2013).

Ainsi, la division sexuelle du travail est le concept qui lie le travail et la famille : en étant leur logique commune, elle exprime l’imbrication qui existe entre les deux (Barrère-Maurisson, 2003). Barrère-Maurisson montre aussi que la famille est le lieu où se partage le travail entre conjoints :

L’entretien de la cellule familiale est en effet constitué de tâches domestiques et exige, par ailleurs, des ressources provenant de l’exercice professionnel. C’est pourquoi nous disons que la « famille », en tant qu’entité, dans son rapport au « travail », c’est l’unité dans laquelle celui-ci se partage, le travail étant entendu comme l’ensemble du professionnel et du domestique nécessaires à la survie de l’unité. Ainsi, « la famille est le lieu du partage du travail (professionnel et domestique) entre homme et femme » [en italique dans le texte]. (1992 : 132)

Cette conceptualisation de l’articulation entre famille et travail basée sur la division sexuelle du travail entraîne une approche collective et non individuelle de l’étude des arrangements des couples : la façon dont les membres d’un couple hétérosexuel répartissent le travail entre eux n’échappe pas aux rapports de genre (Combes et Haicault, 1984), et est donc plus qu’une préférence personnelle.

De nombreuses contraintes matérielles jalonnent aussi les « choix » que font les membres des couples en ce qui a trait à l’organisation de leur vie professionnelle et familiale. Le contexte actuel de plusieurs parents devant jongler avec des horaires atypiques (menant parfois à la désynchronisation des horaires de travail entre conjoints (Lesnard, 2009)), et les contraintes financières inhérentes aux types d’emplois accessibles, peut exacerber les rapports de genre existants (Collet et al., 2016). L’articulation entre famille et travail, entre autres médiée par des mesures proposées par la politique familiale, peut ainsi se comprendre à l’aide de la division sexuelle du travail dans un contexte donné.

Démarche méthodologique et description de l’échantillon

Les résultats discutés dans cet article sont issus d’un projet de recherche qualitative qui visait à cerner les arrangements conjugaux de couples de parents à revenus modestes et n’ayant pas de diplôme universitaire en regard de leur division du travail et de leur gestion de l’argent, en s’attardant à leurs pratiques et aux significations que ces parents leur donnent. Une méthode qualitative par entretiens semi-dirigés de type compréhensif (Kaufmann, 2013) a été privilégiée afin de saisir la complexité et les nuances propres aux arrangements conjugaux. Cette méthode permettait aussi aux personnes rencontrées d’exprimer elles-mêmes le sens qu’elles donnent à leurs pratiques (Poupart, 1997).

Tous les entretiens étaient individuels. Dans certains cas, les deux membres d’un même couple ont été rencontrés, dans d’autres cas, un seul. Rencontrer les deux membres d’un même couple peut être utile pour mettre en perspective les points de vue exprimés (Finch et Mason, 1993 ; Heaphy et Einarsdottir, 2012). Cependant, cela n’a pas toujours été possible, entre autres parce que certains conjoints travaillaient de longues heures et n’avaient pas de temps à consacrer à la recherche. Des hommes et des femmes de couples différents ont donc aussi été rencontrés. Ces entretiens ont en outre permis de rencontrer des conjoints vivant des réalités plus tendues ou des désaccords qui auraient pu freiner la participation d’un des conjoints.

Critères de sélection, recrutement et échantillon

Plusieurs critères de sélection ont été identifiés afin, d’une part, d’obtenir des données sur une variété de situations et, d’autre part, de baliser cette diversité pour arriver à une certaine homogénéité permettant l’analyse des données. Tout d’abord, les personnes devaient vivre en couple hétérosexuel et avoir au moins un enfant de moins de 18 ans dans leur ménage. Deuxièmement, les deux conjoints ne devaient pas détenir de diplôme universitaire. Quoique la précarisation du travail touche aussi les personnes les plus diplômées, il demeure que ces dernières ont davantage accès à des emplois mieux rémunérés et à des horaires plus stables (Crespo, 2018 ; Moulin, 2016). Troisièmement, nous avons fixé à 50 000 $ par an ce que nous considérions comme un revenu « combiné[7] » modeste, puisqu’il s’agissait d’un revenu se situant légèrement au-dessus du seuil de faible revenu au Québec en 2013[8] pour un couple et deux enfants (dernier calcul disponible au début du recrutement). Enfin, les deux conjoints du couple devaient être nés au Canada. Ce dernier critère a quelques fois été mis de côté (dans trois cas), compte tenu des difficultés de recrutement[9] et du fait qu’une bonne part des entretiens a eu lieu dans la grande région de Montréal, où le nombre de familles immigrantes est élevé (Ministère de la Famille, 2016).

Au total, 17 femmes et 13 hommes ont été rencontrés, représentant 22 situations conjugales différentes. La très grande majorité des personnes rencontrées habitent sur l’île de Montréal (15 couples sur 22), dans neuf quartiers différents. Quelques couples habitent à l’extérieur de Montréal : deux en Mauricie, deux en Montérégie, un dans une ville des Basses-Laurentides et deux dans des villages de Lanaudière. La quasi-totalité des personnes rencontrées est locataires de son logement (20 couples sur 22) et près de la moitié des couples ne réside pas près d’autres membres de sa familles (10 couples sur 22). Les deux couples propriétaires n’habitent pas l’île de Montréal. L’âge des femmes varie de 25 à 48 ans et celui des hommes, de 25 à 53 ans. Les personnes rencontrées ont entre un et cinq enfants, dont l’âge varie de quelques mois à 22 ans. De façon générale, les femmes ont un niveau de scolarité un peu plus élevé que les hommes. Par exemple, cinq hommes n’ont aucun diplôme (contrairement à une femme dans tout l’échantillon), et quatre hommes ont un diplôme d’études collégiales (comparativement à 12 femmes). Quatre couples ont un revenu combiné annuel de moins de 20 000 $, neuf couples ont un revenu combiné annuel se situant entre 20 000 $ et 39 999 $, et sept ont un revenu combiné annuel se situant entre 40 000 $ et un peu plus de 50 0000 $. Dans six couples, les femmes ont un revenu plus élevé que celui de leur conjoint, dont une est l’unique pourvoyeuse de sa famille.

Les occupations principales des personnes rencontrées varient. Les femmes sont presque aussi nombreuses que les hommes à occuper un emploi (à temps plein ou à temps partiel, parfois sur appel) ou à avoir un travail autonome (13 femmes pour 14 hommes), et ce, avec diverses conditions de travail. Les postes occupés sont variés : intervenante de nuit dans un groupe communautaire, camionneur courte ou longue distance, technicien en télécommunication, gardien de sécurité, travailleur dans la construction, infirmière auxiliaire, commis de bureau, aide domestique, etc. Certaines personnes déclarent ne pas avoir de travail rémunéré, soit cinq femmes et quatre hommes. Trois couples sont bénéficiaires de l’aide de dernier recours. Deux femmes et deux hommes ont comme occupation principale les études. Enfin, certaines personnes ont aussi un travail informel, qu’elles font de façon plus ou moins fréquente ou intensive.

Déroulement des entretiens et analyse des données

Les entretiens, réalisés en 2015 et 2016, duraient en moyenne un peu plus d’une heure trente. En lien avec l’objectif de la recherche, différents thèmes étaient abordés au fil de l’entretien : la relation conjugale (débuts, perceptions de la relation), les enfants (naissance, changements induits par leur arrivée ou continuité, arrangements de garde, etc.), le travail (répartition du travail domestique, emploi présent ou passé, conditions de travail, horaires, changements d’emploi, etc.) et, finalement, l’argent (modes de gestion, mise en place des arrangements, etc.).

Nous avons transcrit chaque entretien en anonymisant les verbatims, et réalisé un premier découpage avec le logiciel QDAMiner (v4.1.27). En nous inspirant des « cycles de vie familiale » de Barrère-Maurisson (1984), nous avons brossé pour chacun des couples un tableau intégrant des moments-clés de la vie des couples (début de la relation, début de la cohabitation, mariage (s’il y avait lieu), naissance de l’enfant ou des enfants, congé parental) à leur trajectoire respective sur le marché du travail, la répartition du travail domestique et les arrangements de garde des enfants. Ces tableaux permettaient de voir rapidement les trajectoires des personnes et de mettre en lumière à la fois les similitudes et les différences entre conjoints et, plus généralement, entre hommes et femmes. Une analyse thématique des données a par la suite été effectuée à partir des catégories élaborées précédemment.

Dans les sections qui suivent, nous nous attardons particulièrement sur les résultats découlant de l’analyse des arrangements conjugaux liés au travail et aux enfants. Ces analyses rendent compte notamment des pratiques mises en place par les femmes et les hommes rencontrés, et de la façon dont elles et ils perçoivent le travail. Il s’agit d’une fenêtre sur les façons de faire des parents en couple hétérosexuel de milieu socioéconomique modeste quant à l’articulation entre famille et travail au Québec. Cette incursion permet de relever des freins à l’atteinte de certains objectifs de la politique familiale au Québec en ce qui concerne l’articulation entre les responsabilités professionnelles et les responsabilités familiales d’une catégorie de parents, mais aussi en ce qui a trait à l’égalité entre les hommes et les femmes.

Des arrangements conjugaux pour articuler famille et travail

Les récits des personnes rencontrées abordent leur utilisation (ou non) des deux programmes phares de la politique familiale québécoise, soit le Régime québécois d’assurance parentale (RQAP) et les services de garde à contribution réduite. Nous exposons ici la façon dont ces programmes ont été utilisés en précisant les raisons avancées pour le faire ou, dans certains cas, pour ne pas y avoir recours.

Prendre un congé à la naissance de son enfant, une question de genre… et de coût

Pouvoir rester à la maison avec son nouveau-né est un facteur favorisant l’articulation entre les responsabilités familiales et professionnelles. Au Québec, le Régime québécois d’assurance parentale (RQAP) vise à faciliter la vie des parents travailleurs, mais aussi à favoriser une meilleure répartition du travail domestique entre conjoints. En offrant aux pères des semaines qui leur sont exclusivement destinées, de même que la possibilité de partager plusieurs semaines entre les deux parents, ce régime, en théorie, met en place les conditions pour favoriser un meilleur investissement des pères dans la sphère familiale. Toutefois, choisir de se prévaloir d’un congé du RQAP à la naissance de son enfant est quelque chose qui semble aller de soi : qu’il soit de maternité, de paternité ou parental, ce congé n’est pas un sujet de discussion dans les couples rencontrés. Il demeure une différenciation claire entre l’utilisation du congé par les mères et celle faite par les pères. Les premières ont toutes utilisé des semaines de congé du RQAP si elles y avaient droit, contrairement aux seconds, pour qui le lien ne se faisait pas aussi directement.

Plusieurs raisons sont soulevées par les personnes participantes quant au fait de ne pas recevoir de prestations gouvernementales à la naissance d’un enfant. La question de l’admissibilité au congé du RQAP entre en ligne de compte, au-delà de celle du choix de prendre un congé à la naissance d’un enfant ou de ne pas le faire. La situation de plusieurs des parents rencontrés ne concordait pas avec les critères d’admissibilité du programme.

Tout d’abord, les prestations du RQAP étant des prestations de remplacement de revenus de travail, toutes les personnes qui n’ont pas cumulé 2000 $ en revenus d’emploi ou de travail autonome durant l’année de référence ne peuvent obtenir une compensation financière à la naissance de leur enfant. Dans notre étude, c’est le cas de plusieurs personnes : des couples bénéficiaires de l’aide sociale, des mères ayant quitté le marché du travail pour rester avec un ou des enfants nés précédemment, un père étudiant à temps plein qui n’occupe pas d’emploi en sus de ses études pour avoir plus de temps à consacrer à sa famille, et un père en recherche d’emploi depuis plusieurs mois.

Pour les pères admissibles qui ne se sont pas prévalus des semaines qui leur étaient réservées, la question financière est mise en cause. Sophie, mère à la maison de deux enfants et dont le conjoint travaille à temps plein, l’explique ainsi : « Bien, c’est parce que rendu là, il n’y avait plus de revenu qui rentrait. C’est sûr que ça, ça a aidé le choix. » Ainsi, étant les seuls pourvoyeurs financiers de leur famille, ces pères ne peuvent se permettre de voir leur salaire amputé, ne serait-ce que durant quelques semaines, considérant les revenus initiaux déjà faibles. Deux pères dont la conjointe n’occupe pas d’emploi rémunéré ont, quant à eux, utilisé le congé parental en plus du congé de paternité. Il s’agit de deux hommes qui ont des conditions de travail plus avantageuses que les autres hommes rencontrés : un est syndiqué, et tous deux sont employés d’assez grandes entreprises ; ils gagnent des salaires plus élevés que la moyenne. Cela n’empêche toutefois pas une femme, mère à la maison, d’expliquer que son couple se serre la ceinture en prévision du prochain congé parental que prendra son conjoint : « Parce que, aussi, on économise pour le congé parental. Parce que mon conjoint est juste payé 50 %. Donc, il faut qu’on soit capable d’amener l’autre 50 %. » (Éléna, 2 enfants, à la maison, conjoint employé à temps plein) Un autre père, Éric, met clairement de l’avant son désir d’être un modèle égalitaire pour son enfant. C’est ainsi qu’il a pris trois semaines du congé parental pour porter à deux mois sa présence à la maison après la naissance. Il est le seul à expliquer le partage du congé parental de cette manière.

Ces trois hommes qui ont bénéficié d’au moins quelques semaines du congé parental sont toutefois l’exception parmi les personnes participantes. Les autres hommes n’utilisent pas le congé parental, même s’il est prévu qu’il soit partageable entre les parents. Cette partie du congé demeure perçue comme étant le congé de la mère qui est donné ou transféré au père. Une mère raconte par exemple qu’elle s’est dite « inflexible » quant au partage du congé parental qu’elle voulait prendre en totalité. Une autre, mère à la maison, mentionne plutôt que comme elle avait « le droit de lui donner son congé », elle l’a fait. Cette perception du congé parental rejoint la littérature sur le sujet (voir notamment Chatot, 2017 ; CSF, 2015).

Ainsi, les récits des parents rencontrés mettent de l’avant la prégnance des représentations traditionnelles des rôles parentaux et leur imbrication avec les injonctions du marché du travail : l’assignation des mères au travail de soin aux jeunes enfants n’est pas remise en question, mais est aussi à mettre en parallèle avec les conditions de travail qui sont offertes à ces parents. Faiblement rémunérés et souvent incertains, ces emplois limitent les choix possibles pour ces couples. Le peu de pères se prévalant des prestations du RQAP ne peut donc pas s’expliquer uniquement par une vision traditionnelle de la famille : les conditions économiques pèsent lourd lorsqu’il est question de ce « choix » pour les couples.

Accéder à un mode de garde stable et abordable, une difficulté

Dans un contexte où une majorité de couples avec enfants sont formés de deux personnes en emploi, la question de la garde des enfants se pose avec acuité. Le réseau québécois des services de garde à contribution réduite a été mis sur pied notamment pour répondre aux besoins de ces parents. Dans notre étude, la majorité des couples (18 sur 22) utilisent ou ont utilisé une garde institutionnalisée pour au moins un de leurs enfants. Certains enfants fréquentent des milieux de garde en installation, mais seulement sept couples rencontrés sur 22 ont eu ou ont une place dans un Centre de la petite enfance (CPE) pour au moins un de leurs enfants. Pour ces personnes, il n’a pas été trop difficile d’accéder à une place. Deux parents envoient plutôt leurs enfants dans des garderies privées, n’ayant pas trouvé de place ailleurs, et les enfants d’autres parents occupent plutôt des places en milieu familial. Enfin, les enfants de certains parents à la maison fréquentent aussi, quelques heures par semaine, des haltes-garderies.

Plusieurs couples ont aussi recours à la garde par un proche (grand-mère, amie, membre de la fratrie) pour combler un besoin de garde. Toutefois, ce mode de garde demeure occasionnel : il permet de combler les besoins qui ne sont pas remplis par les autres types de garde, et ce, sur une base sporadique. Ce type de garde est souvent qualifié de « dernier recours ». Par exemple, Nathalie explique que si son conjoint n’est pas de retour à temps le vendredi après-midi, elle communique avec sa mère pour que celle-ci aille chercher ses enfants à la garderie pendant qu’elle-même termine son quart de travail :

Si je suis VRAIMENT mal prise, elle va venir ici chercher mon auto pour aller chercher les enfants à leurs garderies et les amener chez nous, les faire souper et les coucher. Parce que moi, j’arrive à la maison à neuf heures trente [21 h 30] le vendredi. Donc, le vendredi soir, si ça adonne que mon chum peut vraiment pas arriver à l’heure, bien, c’est elle qui va prendre la charge. (Nathalie, 2 enfants, travailleuse autonome, conjoint travailleur autonome.)

Toutefois, la mère de Nathalie travaille parfois sur des quarts de nuit et n’est donc pas toujours disponible. Par conséquent, c’est lorsque d’autres options ont été envisagées qu’elle sollicite son aide. Cette idée de « dernier recours » est aussi partagée par Maxime, qui raconte que sa belle-mère venait parfois garder leurs enfants pour faire la transition entre son quart de travail commençant à 16 h 30 et celui de sa conjointe se terminant vers 15 h 30, lorsque cette dernière était retenue au magasin.

Il est important de noter que la garde par une tierce personne, comme un membre de la famille élargie, n’est pas possible pour tous les couples. Plusieurs personnes ont dit n’avoir personne dans leur entourage pour combler ces besoins de garde de dernière minute : les membres de leur famille résidant trop loin de chez elles, n’étant pas disponibles pour garder leurs enfants (à cause de leur propre occupation ou à cause de leur état de santé) ou n’éprouvant tout simplement pas le désir de le faire.

Accéder à un mode de garde stable n’est donc pas facile pour tous les parents. Les personnes rencontrées ont mentionné deux facteurs principaux pour expliquer ces difficultés : les coûts des services de garde et les horaires de travail.

Les coûts des services de garde

Si, au Québec, plusieurs places en service de garde sont à contribution réduite, le nombre de places demeure insuffisant pour répondre aux besoins de tous les parents d’enfants en bas âge. C’est ainsi que des parents ne peuvent faire garder leur enfant à cause du coût trop élevé des places non subventionnées. Une mère raconte avoir fait des démarches, pour chacun de ses trois enfants, pour obtenir une place à contribution réduite, mais que l’appel tant attendu n’arrivait que lorsque l’enfant était sur le point de rentrer à l’école. Elle explique :

Disons qu’on a toujours couru pour faire garder nos enfants jusqu’à maintenant! [Rires.] On n’avait pas de garderie, il fallait attendre les 4 ans pour qu’ils puissent rentrer à l’école. Il nous reste 2 ans pour notre dernier. […] Il y a des garderies que j’ai pas les moyens de me permettre. C’est même pas envisageable. (Nadia, 3 enfants, employée à temps plein, conjoint employé à temps partiel.)

Cette mère et son conjoint ont alors mis en place un horaire alterné : ils essaient d’avoir des horaires qui ne se chevauchent pas afin qu’il y ait toujours au moins un des membres du couple présent pour s’occuper des enfants.

Outre les difficultés à faire garder son enfant quand les deux parents sont en emploi, les coûts de la garde institutionnalisée des enfants ont aussi des répercussions sur la place qu’occupent les femmes (ou sur leur absence) sur le marché du travail. De fait, trois mères nous ont expliqué que les frais de garde ont été un frein, ou le sont toujours, à un retour en emploi après une période à la maison à s’occuper des enfants à temps plein. Par exemple, Ariane explique qu’avec quatre enfants, même si ceux-ci fréquentent tous l’école primaire, les frais de garde sont trop dispendieux en comparaison du salaire qu’elle pourrait espérer obtenir en occupant un emploi qui serait vraisemblablement rémunéré au salaire minimum, étant donné qu’elle n’a pas de diplôme d’études secondaires. Cette mère à la maison calcule qu’il lui en coûterait trop cher de se trouver un emploi actuellement :

J’irai pas, aux allocations que j’ai présentement, mettre mes enfants en service de garde et travailler au salaire minimum. C’est moi qui vais le payer, le service de garde ; mon conjoint ne le payera pas. Ça fait que payer le service de garde pour 4 enfants, à 4 dollars, tu sais, pour le dîner au service de garde… Donc, globalement, la journée, c’est rendu peut-être à 10-11-12 dollars par jour par 4 enfants par jour. J’aurais même pas assez de mon salaire pour couvrir le service de garde. (Ariane, 4 enfants, à la maison, conjoint employé à temps plein.)

Ainsi, le coût encouru pour faire garder ses enfants peut engendrer des difficultés, même au Québec avec un réseau de places à contribution réduite. À cause de leurs faibles revenus, des parents doivent opter pour des arrangements de garde qui ne représentent pas nécessairement leur idéal : horaire alterné des parents, garde par la mère, etc.

Les heures d’ouverture des services de garde et les horaires atypiques

La question des heures d’ouverture des services de garde a été abordée par plusieurs mères. Il s’agit d’une question qui peut surgir lorsqu’elles se cherchent un emploi après la naissance de leur enfant, mais cela peut aussi être un enjeu réfléchi en amont de la naissance : des femmes changent d’emploi avant même l’arrivée de leur enfant, appréhendant les difficultés qu’elles auront à trouver un milieu de garde une fois le congé de maternité terminé.

C’est ainsi que Maria, travailleuse dans le domaine de la restauration, a suivi une courte formation durant son congé de maternité, sachant que son domaine ne lui permettrait pas d’avoir les mêmes avantages en emploi (comme une meilleure rémunération) si elle travaillait de jour plutôt qu’en soirée. Elle voulait se trouver un emploi qui lui permettrait d’avoir un horaire de travail de jour, ce qui correspond aux heures d’ouverture des milieux de garde.

Pendant mon congé de maternité, j’ai fait ma petite formation, parce que tu sais, en cuisine, c’est beaucoup des quarts de soir. Mon chum travaillait aussi le soir la plupart du temps, et on voyait pas trop comment on ferait pour avoir une place en garderie de soir, là. Moi, je finissais à 2 h du matin. En plus, c’est stressant travailler en cuisine. […] Puis j’avais envie d’être avec mon enfant aussi, là. Je me dis qu’on fait pas des enfants pour les donner aux autres. Q. Donc pour toi, c’était un moyen de rester avec lui? R. Oui. Oui parce que tu sais, veut veut pas, les quarts du midi en cuisine sont moins payants aussi, les salaires sont pas les mêmes. Donc, c’est un autre truc qui a pesé dans la balance. (Maria, 1 enfant, travailleuse autonome, conjoint employé à temps plein.)

Nathalie, mère de deux enfants et détenant un diplôme d’études secondaires, raconte pour sa part les difficultés qu’elle a eues à trouver un emploi qui lui permette d’articuler travail et famille, encore une fois, en ayant un horaire de jour, en semaine. Pour y arriver, elle a démarré une petite entreprise.

J’ai pensé à d’autres options, que j’ai écartées parce que ça, ça fonctionne pas! J’ai essayé d’aller porter des CV partout. Il n’y a personne qui veut engager quelqu’un de 8 à 5, les jours de semaine. Ça fonctionne pas! Q. Personne ne t’a rappelée? R. Oui, mais les horaires, ça fonctionnait pas. J’étais pas capable de me trouver un horaire parfait pour gérer ma vie de pratiquement mère monoparentale. (Nathalie, 2 enfants, travailleuse autonome, conjoint travailleur autonome.)

Le récit de Sophie pointe dans le même sens. Cette femme, désormais à la maison à temps plein, raconte les difficultés qu’elle a rencontrées à la naissance de son enfant, moment où elle travaillait à temps partiel de soir dans un bureau et où son conjoint était camionneur sur de courtes distances. Comme l’heure de retour de son conjoint en fin de journée était incertaine, ils devaient embaucher une gardienne pour une courte durée. Elle a fini par trouver que la gymnastique à faire pour qu’elle et son conjoint arrivent à se maintenir dans leurs emplois une fois devenus parents était si complexe qu’ils ont pris la décision qu’elle demeure à temps plein à la maison.

Donc, finalement, on payait une gardienne le soir pendant que moi, je travaillais. Après ça, j’ai fait comme : non, ça n’a pas d’allure! Je paye une gardienne pour garder mon fils parce que je sais pas à quelle heure mon chum va revenir. Donc, la gardienne était ici vers 15 h 30 et mon chum peut arriver à 17 h, à 19 h, à minuit! Il arrive quand il arrive. Ça n’avait pas de sens. J’ai dit : regarde, il faut faire un choix. C’est soit que je travaille à temps plein et on envoie les enfants à la garderie, ou j’arrête ça là et je me consacre à être maman à maison. On a fait le choix « maman à maison. » (Sophie, 2 enfants, à la maison, conjoint employé à temps plein.)

Pour Sophie et pour Nathalie, comme pour plusieurs autres femmes, l’emploi du conjoint implique de longues heures de travail quotidiennes ou hebdomadaires qui les obligent à être présentes le matin et en fin de journée. Compte tenu de leurs faibles revenus, des frais de garde et de la gymnastique d’horaire à mettre en place, l’option de rester à la maison ou de changer d’emploi s’avère souvent plus pratique pour plusieurs femmes. Dans les trois cas présentés ci-dessus, deux femmes sont devenues travailleuses autonomes (travail peu rémunéré dans leurs cas) et une autre s’est retirée complètement du marché du travail : tous des changements qui fragilisent leur autonomie économique.

En occupant des emplois aux horaires atypiques et peu rémunérés, ces parents n’arrivent pas à utiliser le réseau des services de garde à contribution réduite et doivent même, dans certains cas, majoritairement pour des femmes, diminuer leur temps de travail rémunéré ou renoncer à des emplois pour pouvoir s’occuper de leurs enfants. De plus, ce sont les femmes qui demeurent responsables des arrangements de garde : ce sont elles qui, dans la quasi-totalité des cas, organisent la garde de leurs enfants. Cette charge est alourdie par le fait que les enfants doivent être gardés à des moments non couverts par les services de garde traditionnels, et bien sûr par le manque de moyens financiers.

Une articulation famille-travail sous le signe de la division sexuelle du travail et de la précarité du marché du travail

Quoique les personnes rencontrées étaient d’âges variés, avaient plus ou moins d’enfants et avaient des occupations diverses (avec ou sans emploi, emplois dans différents secteurs), les logiques mises au jour à partir des analyses s’appliquaient à toutes. Il en ressort que les conséquences de la difficile articulation entre famille et travail pèsent lourd sur les femmes. Étant toujours responsables de la sphère domestique, les femmes voient leurs trajectoires professionnelles marquées par la maternité. C’est ainsi que les arrangements conjugaux étudiés mettent en lumière à quel point la naissance des enfants, et même l’anticipation de ces naissances, ont un effet direct sur la présence des femmes sur le marché du travail. Lorsqu’elles deviennent mères, très souvent, les femmes changent d’emploi, diminuent leur temps de travail rémunéré ou quittent totalement le marché du travail.

Les trajectoires professionnelles différenciées selon le genre, de même que les façons dont les personnes rencontrées tentent d’articuler famille et travail, montrent clairement les rapports de genre au cœur de la division sexuelle du travail et leur imbrication au contexte socioéconomique des personnes rencontrées. Les réalités observées se trouvent à la jonction entre les emplois aux horaires atypiques et peu payants, occupés majoritairement par des femmes ayant un faible niveau de scolarité, et la priorité donnée à l’emploi masculin, telle que la met en lumière la division sexuelle du travail. Par exemple, Sophie a quitté un emploi à temps partiel pour prendre soin de son enfant à temps plein même si son salaire horaire, plus élevé que celui de son conjoint, lui permettait de gagner un revenu un peu plus élevé que le sien. Une situation similaire est observée dans le couple de Maria. Cette dernière a changé d’emploi, ne voyant pas comment elle trouverait un mode de garde en soirée pour son enfant, alors que l’emploi en soirée de son conjoint n’a jamais été remis en question. Dans ces situations d’horaires atypiques, suivant les principes de la division sexuelle du travail, il est « normal », voire « naturel » que ce soit la femme qui ajuste sa trajectoire professionnelle aux contraintes engendrées par l’emploi du conjoint. Ainsi, si des conditions de travail peu avantageuses peuvent pousser des parents à s’éloigner, à plus ou moins long terme, du marché de l’emploi pour arriver à articuler travail et famille (Collet et al., 2016), ces contraintes matérielles à elles seules n’expliquent pas que ce soit les trajectoires professionnelles des mères qui bifurquent et non pas celles des pères. Les rapports de genre guident toujours les « choix » des conjoints, et ces « choix » se révèlent par des pratiques particulières selon les ressources disponibles.

Articuler famille et travail est difficile pour la majorité des parents rencontrés, et les mesures phares de la politique familiale québécoise ne leur sont pas facilement accessibles. Les arrangements de garde des enfants de même que l’utilisation du congé parental montrent les limites qu’imposent à la fois les conditions de travail et de rémunération, et la ségrégation professionnelle selon le genre. Des difficultés d’accès à un mode de garde stable sont mentionnées, comme les coûts de garde élevés, en raison notamment de l’accès limité à des places à contribution réduite. Ces difficultés engendrent le besoin pour les femmes de trouver un emploi qui corresponde aux heures d’ouverture des services de garde, et influent sur l’accès des femmes à l’emploi. Ainsi, comme en France ou aux États-Unis, par exemple (Allard et Binet, 2001 ; Bernard et Giraud, 2018 ; Briard, 2017 ; Stettinger, 2018 ; Stone, 2007), ce sont les mères québécoises les moins diplômées qui se retirent davantage du marché du travail à la naissance de leur(s) enfant(s). La question du congé parental témoigne aussi à la fois de la division sexuelle du travail entre conjoints et des contraintes financières de plusieurs couples qui, même si les prestations du RQAP en vigueur sont plus généreuses que celles du précédent programme, ne sont pas suffisantes étant donné le revenu initial déjà modeste, voire faible de ces couples. En outre, les femmes demeurent responsables du travail d’organisation de la garde des enfants et plus globalement de l’articulation entre les responsabilités professionnelles et les responsabilités familiales des deux conjoints. La charge mentale inhérente à la position des femmes dans la division sexuelle du travail est ici accentuée par leurs conditions matérielles.

C’est ainsi que l’on peut constater que, même si les rapports de genre au cœur de la division sexuelle du travail encadrent les arrangements de tous les couples, cette logique peut être exacerbée pour les personnes qui travaillent au bas de l’échelle[10] : ces dernières peuvent plus difficilement se prévaloir des programmes qui, s’ils ne peuvent prétendre mettre fin aux inégalités entre les femmes et les hommes ou offrir des solutions « miracles » aux défis de l’articulation famille-travail, permettent quand même de faciliter la vie de plusieurs parents. Les parents bénéficiant d’horaires qui correspondent aux heures d’ouverture des services de garde et ceux touchant des revenus suffisants pour avoir une marge de manœuvre qui permette une baisse temporaire de revenu à la naissance d’un enfant sont avantagés. Les arrangements des mères et des pères rencontrés pour articuler famille et travail sont donc le fruit non pas de choix individuels, mais bien de choix faits selon les contraintes du marché du travail et selon la logique de la division sexuelle du travail. Cette dernière est toujours une force importante, tant sur le marché du travail qu’au sein des couples.

Conclusion

En conclusion, il ressort de cette recherche empirique que malgré les intentions de favoriser une plus grande égalité entre les hommes et les femmes ainsi qu’une meilleure articulation entre travail et famille, la politique familiale québécoise, avec ses deux programmes phares, n’atteint pas totalement sa cible. Le RQAP et le réseau des services de garde à contribution réduite font assurément partie des facteurs positifs dans la vie professionnelle et familiale de nombreuses familles québécoises. En font foi les statistiques qui montrent la plus grande présence des pères auprès des enfants en bas âge, de même que le taux d’emploi des mères, qui n’a jamais été aussi élevé qu’aujourd’hui. Il n’en demeure pas moins que certains enjeux restent en suspens pour les parents occupant des emplois précaires ou faiblement rémunérés. Ces parents ne sont pas en mesure de profiter autant que d’autres des avantages qu’offrent les congés parentaux et les services de garde québécois.

La précarisation des conditions de travail touche tous les secteurs d’emploi, mais avec encore plus d’acuité les personnes déjà marginalisées sur le marché du travail, comme les femmes ou les personnes peu scolarisées. Ce sont aussi pour ces personnes que la politique familiale, en ce qu’elle vise la possibilité d’occuper un emploi en ayant de jeunes enfants, ne répond pas aux besoins. L’État québécois aurait probablement avantage à user de son pouvoir en ciblant plus directement les employeurs afin d’améliorer les conditions de travail des personnes travaillant au bas de l’échelle. Les nouvelles mesures incluses dans la Loi sur les normes du travail récemment réformée[11] sont certes une bonne nouvelle en ce sens, mais elles demeurent insuffisantes pour répondre à la fois aux besoins de plusieurs parents, particulièrement des mères, et pour atteindre les objectifs de la politique familiale québécoise.