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Dans la nombreuse littérature relative aux droits de l’homme, l’ou-vrage de R. Goy est le bienvenu. En effet, la plupart des auteurs s’inté-ressent davantage à cette question sous l’angle régional ou encore sous celui de la nature des droits. Comme le rappelle pertinemment l’auteur dans l’introduction, cela s’explique notamment en raison du fait que l’individu est le plus souvent absent du droit international, cette question relevant traditionnellement de la compétence nationale des États. Il rappelle également que le contentieux devant la cij est essentiellement de nature interétatique. Aussi lorsque la Cour statue, au fond préfère-t-elle plutôt se fonder sur un autre moyen (par exemple, la violation des immunités diplomatiques dans l’affaire du personnel diplomatique et consulaire de Téhéran).

Pourtant, s’ils n’apparaissent que discrètement dans l’index alphabétique du Recueil de la Cour, les droits de l’homme sont de plus en plus présents dans sa jurisprudence depuis 1945. L’auteur montre en effet que les droits de l’homme font l’objet d’une protection à la fois accrue et diversifiée.

Le régime de la protection est affirmé, dans la jurisprudence de la cij, par la reconnaissance de ces droits tant à travers le droit écrit que coutumier. La cij évoque en effet de plus en plus souvent des instruments systématiques universels (Charte des Nations Unies, Déclaration universelle des droits de l’homme) ou régionaux (Convention européenne des droits de l’homme de 1950, Déclaration interaméricaine des droits et devoirs de l’homme de 1948), mais aussi des instruments spécifiques à certains pays (traités de paix, mandats) ou à certains droits (Conventions de Genève de 1949, génocide…). Au-delà, et l’auteur regrette ici sa « prudence judiciaire » (p. 35), la Cour fait également appel aux principes coutumiers pour évoquer l’esclavage, la discrimination raciale et même le droit à la vie. Cette reconnaissance se double d’une garantie juridique à propos de laquelle le professeur Goy montre comment, au fil de sa jurisprudence, la cij fait reculer la compétence nationale des États en matière de droits de l’homme en consacrant notamment, à travers la notion de droits fondamentaux, le caractère erga omnes, indérogeable et irrévocable des droits de l’homme. Contrôle juridique, mais aussi contrôle international, à la fois souple et multiforme, et qui s’illustre par l’évocation, dans la jurisprudence, de questions telles que la protection des mandats. La jurisprudence se développe également à l’égard des mécanismes de saisine (directe ou indirecte) des juridictions internationales à propos desquels la Cour élabore progressivement une doctrine et précise des notions telles que la qualité et l’intérêt pour agir, l’accès au juge ou l’égalité des parties.

L’auteur montre ensuite comment cet accroissement de la protection se double de sa diversification à propos de droits spécifiques (droits politiques, civils, économiques, sociaux) ou globaux (égalité, non-discrimination raciale). La Cour s’appuie aussi sur divers instruments pour consacrer un ordre de libertés effectives que l’auteur identifie comme un ordre libéral en temps de paix (fondé sur l’État de droit) et un ordre humanitaire en temps de conflit (où un minimum de règles doit être respecté).

Comme le reconnaît R. Goy dans la conclusion, même si l’apport de la jurisprudence de la cij en matière de droits de l’homme « culmine » avec l’obiter dictum de l’arrêt de la Barcelona Traction (1970) et se poursuit avec quelques autres arrêts ou avis, et ne saurait par conséquent être sous-estimé, il « reste trop modeste ». Pour se développer pleinement, les droits de l’homme dépendent d’abord et avant tout de la volonté des États de les protéger et de les garantir. À charge ensuite pour la Cour de reconnaître et appliquer ces règles, écrites ou coutumières, et de dire éventuellement lesquelles d’entre elles font partie du jus cogens. Mais la Cour, souhaite l’auteur, pourrait également promouvoir ces droits, ce qui ouvrirait des voies nouvelles et bienvenues. Dernier mérite, et non des moindres, outre la riche documentation sur laquelle s’étaye l’ouvrage, il s’appuie aussi sur la lecture critique des opinions dissidentes des juges au travers desquelles sont essentiellement abordés les droits de l’homme.

On navigue ainsi avec plaisir entre les lignes d’un ouvrage, à la fois recueil commenté de jurisprudence et notes critiques de doctrine.