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Ce livre traite du déclin du débat démocratique qui accompagnerait la mondialisation et la montée du néolibéralisme. Ces deux phénomènes entraîneraient non seulement une moindre participation des citoyens aux affaires publiques, mais aussi une polarisation croissante des revenus, une plus grande insécurité pour la majorité, une réduction des services publics, un pouvoir croissant des corporations transnationales et une réduction des fonctions de l’État à une simple gouvernance asservie aux besoins de ces corporations.

Le premier chapitre tente d’établir ce qu’est la nouvelle société civile transnationale et les voies de son émergence, qui elle inclut et qui elle laisse de côté. Le deuxième souligne les mirages du développement économique lié à la mondialisation. Celle-ci serait voulue par certains États et d’abord par les États-Unis. Elle impliquerait le triomphe du néolibéralisme et une inégalité croissante entre citoyens et entre nations. Ses prétendus miracles marginaliseraient de plus en plus de nombreux perdants, mais on parlerait davantage des quelques gagnants de la mondialisation. Le troisième chapitre est consacré à l’insécurité et aux risques provoqués par celle-ci : risques écologiques, risques liés à la paupérisation, risques dus aux désordres sociaux et à l’insécurité qu’entraînent les bouleversements constants de la mondialisation. Ces bouleversements laisseraient la plupart des citoyens désemparés et isolés. Le quatrième chapitre montre comment la politique serait évacuée au profit de la seule gouvernance, celle que requièrent les grandes corporations, comment l’État serait soumis aux impératifs de ces dernières et tendrait lui-même à se conduire comme l’une d’elle. Il se soustrait à la responsabilité d’assurer la « sécurité sociale » en invoquant l’inévitabilité d’assainir les finances publiques ou de faire face à la concurrence internationale, de se plier aux exigences de l’Organisation mondiale du commerce (omc) ou d’accords internationaux.

Le cinquième chapitre tâche de répondre aux questions suivantes. Dans quelle mesure l’émergence d’une société civile transnationale remplace-t-elle la nation comme source d’identification et de sécurité pour les citoyens ? La démocratie serait-elle possible dans cette société ? Qu’est ce qu’une communauté politique et quelles sont les obligations qu’entraîne l’appartenance à une telle communauté ? Le chapitre suivant entame une discussion sur la nation, ses origines, la solidarité qu’elle entretient en dépit de la division entre classes. Le septième chapitre envisage ce que sont des communautés cosmopolites et ce que pourrait être une démocratie transnationale. Il revient sur l’opposition – déjà abordée précédemment – entre libéralisme et communautarisme, et entre la mondialisation et les replis communautaires qui seraient au moins en partie des réactions à la mondialisation. Ce chapitre affirme que si on peut parler d’une gouvernance mondiale, ce n’est certainement pas au sens d’un tout cohérent et unifié, mais seulement en tant qu’une pluralité de juridictions spécialisées.

Le huitième chapitre étudie la gouvernance qui s’institue à la remorque du commerce international et de l’omc, dans la perspective d’un néolibéralisme radical. La montée en puissance des corporations signifierait non seulement le déclin de la politique, mais aussi une commercialisation de tous les aspects de la vie. On pourrait parler d’une extension de l’économie mondiale qui subvertit les démocraties nationales. Le neuvième chapitre insiste sur l’usage idéologique qui est fait de la mondialisation : celle-ci est présentée comme inévitable et imposerait aux États dérégulation, privatisation et libéralisation. Le dernier chapitre parle d’un processus antipolitique : sous la poussée de la mondialisation et du néolibéralisme, la démocratie et la délibération des citoyens se réduiraient de plus en plus. Il parle également de déterritorialisation de la politique : les États nationaux perdent en importance, mais par ailleurs apparaissent des sphères publiques transnationales dans lesquelles se débattent de nouvelles questions politiques.

Ce livre s’adresse à un public qui s’intéresse à la philosophie politique. Il table sur des positions prises par Habermas, Arendt, Foucault, Lyotard et Kant, et les discute, mais il est souvent obscur et inutilement compliqué. Son argumentation semble emprunter des voies multiples et ne mener nulle part. Il évite tout argument relevant de l’économie ou de l’administration publique, alors qu’il traite de questions qui manifestement relèvent de telles disciplines. Il annonce des positions critiques vis-à-vis du néolibéralisme que je partagerais volontiers, mais il ne les prouve pas ou ne les étaye pas.

Pour être plus précis, je signalerai deux affirmations de l’auteur qui me paraissent peu ou non fondées. Il accuse l’omc d’imposer un agenda néolibéral et plus particulièrement des droits de propriété intellectuelle très discutables. C’est une accusation populaire et populiste, mais qui me semble mal ciblée. L’omc offre un lieu de négociation multilatérale qui permet aux pays les plus faibles de s’unir pour faire valoir leurs points de vue, ce qu’ils ne pourraient faire dans des relations bilatérales avec des pays puissants. Ce n’est pas l’omc qui est en cause, mais les pays qui y font prévaloir leurs intérêts et le feraient davantage dans des relations bilatérales. Ensuite, l’auteur nous dit que la mondialisation se présente comme inévitable pour mieux s’imposer, que c’est là un argument idéologique, un argument de propagande auquel on devrait résister. Certes, des États pourraient s’y soustraire. La Corée du Nord le fait, mais à quel prix ? La mondialisation ne s’impose pas comme une éruption volcanique ou un raz de marée, mais ce n’est pas une raison pour réduire les pressions en sa faveur et à une idéologie dont on pourrait faire fi.