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Depuis quelques années, les dynamiques migratoires du nouveau siècle font l’objet de nombreuses recherches et cet ouvrage s’inscrit clairement dans le courant actuel visant à cerner les mobilités migratoires de plus en plus complexes dans le monde de l’après-guerre froide. Le scénario d’une « migration sans frontières » (msf) pose donc un ensemble de questions stimulantes aux niveaux démographiques, juridiques, sociologiques et politiques.

Nouvelles provenances, nouveaux passages, nouvelles catégories de migrants témoignent bien de cette généralisation de la mobilité mais pas de manière équivoque pour tout individu. Pour le migrant clandestin, la circulation consiste en un parcours périlleux, risqué et semé d’embûches. En revanche, le migrant professionnel se déplace plus librement dans un espace favorisant ce type de mobilité économique. La distinction entre des mobilités dites désirables et indésirables devient un enjeu considérable sur le plan de la dignité humaine et des droits humains.

L’idée générale de l’ouvrage est que la liberté de déplacement doit être envisagée comme une possibilité pour l’être humain dans le monde de demain et non comme un privilège pour certains. Au fil de cet ouvrage, nous remarquons cette dimension positive qui consiste à laisser place à la fluidité des migrations, car chercher à l’enrayer aura plutôt de graves conséquences sur l’ordre international. Cette idée de rendre la mobilité plus attrayante et d’en faire une pratique plus cohérente sur le plan des politiques publiques a aussi pour objectif d’apaiser des opinions nationales inquiétées par les questions d’immigration et de sécurité.

Une première section théorique expose plusieurs caractéristiques de la mobilité. Du point de vue de l’éthique, la mobilité devient un enjeu incontournable du fait qu’elle expose les profondes inégalités entre les individus, les injustices que subissent certains migrants en cherchant à forcer des passages. Afin d’éviter des zones de marginalisation, une attention à la dignité humaine ne peut être négligée : la problématisation à partir des droits humains se pose donc dans le déni de mobilité pour certaines catégories d’individus. Une plus grande ouverture des frontières existe lorsqu’on évoque la fluidité des échanges et les bénéfices pour l’économie internationale. La mondialisation repose essentiellement sur cette ouverture, mais laisse planer le doute quant à la possibilité des personnes de bouger aussi librement que les biens. Plusieurs contributions de cet ouvrage démontrent les aspects positifs de la liberté de circulation sur l’économie mondiale. L’Union européenne se distingue des autres zones de libre-échange par l’importance qu’elle accorde au déplacement des personnes comme les travailleurs qualifiés et les étudiants. Han Entzinger fait un lien intéressant avec l’État-providence, souvent considéré comme le gardien d’une protection sociale pour les nationaux. Le paradoxe entre l’immigration et la protection sociale se limite à voir les méfaits de la mobilité pour l’État social au lieu d’y voir un atout supplémentaire. L’État social doit oeuvrer au renforcement de l’intégration des nouveaux arrivants : langue, emploi, culture. La question culturelle de la mobilité reste moins étudiée. Dans le contexte actuel de la diversification des populations nationales par l’immigration, elle prend une plus grande importance. La mobilité des individus pose donc de grands défis à la cohésion sociale et à la citoyenneté. Elle oblige à repenser les balises « nationales » du citoyen vers l’attribution de droits et devoirs aux individus de manière différente.

L’aspect pratico-pratique du scénario msf demande de repenser les rapports entre les États et de faire de l’immigration un enjeu de politique globale allant vers une gestion partagée des migrations et un développement des approches régionales. Comme l’explique Catherine Wihtol de Wenden, l’enjeu migratoire reste assez absent des grands débats planétaires à l’exception de sa conception sécuritaire. Le lieu de la frontière comme passage et symbole de la souveraineté étatique évoque le contrôle et le pouvoir de l’ordre étatique et non une gouvernance multilatérale.

Une seconde partie de l’ouvrage présente des études régionales de la liberté de circulation des personnes, l’Union européenne servant de référence, mais aussi des cas moins connus en Afrique de l’Ouest et australe, en Asie, en Amérique du Nord et en Amérique latine. Ces chapitres ont le mérite de bien exposer les particularités de chaque région, les enjeux et les défis des migrations transfrontalières. Le continent africain, avec sa longue histoire de mobilité humaine mais également la violence des conflits ethniques entre les États, souhaite faciliter la circulation des individus. Plusieurs organisations régionales de la région de l’Asie-Pacifique ont pris quelques initiatives. Dans cette zone, de façon générale, la circulation reste une affaire des élites et les États demeurent campés sur des positions protectionnistes et sélectives. On peut prendre le cas emblématique de l’Australie qui permet aux Néo-Zélandais de circuler le plus librement possible, mais bloque tout accès à des réfugiés du Bangladesh. Enfin, la situation dans l’hémisphère américain pouvait laisser augurer une ouverture à la circulation des personnes, mais les traités de libre-échange (mercosur et alena) visent surtout la circulation des marchandises. De plus, les États renforcent leurs frontières devant l’augmentation de l’immigration clandestine.

Une conclusion aurait apporté un peu plus à cet ouvrage. Le scénario msf est moralement défendable car il permet de penser les migrations comme un projet sociétal à long terme. Les politiques nationales, cependant, sont plutôt fixées dans le court terme avec des pratiques limitatives.