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Le système de commerce international offre, aux chercheurs et aux étudiants en relations internationales, un environnement de recherche stimulant et riche en information. Or, les enjeux actuels s’avèrent complexes et difficiles à cerner, particulièrement depuis la création de l’Organisation mondiale du commerce (omc), en raison notamment de l’insertion, dans les négociations sur la libéralisation du commerce international, de domaines de coopération qui traditionnellement relèvent des pouvoirs publics. C’est en partie pour dresser le portrait de cette complexité que Kerr a voulu regrouper, en un unique recueil, vingt éditoriaux publiés entre 2000 et 2009 dans le Estey Centre Journal of International Law and Trade Policy. Ces courts essais ont été rédigés dans l’objectif d’illustrer l’importance que revêt la connaissance de l’histoire institutionnelle des politiques commerciales dans l’étude du commerce international. Kerr remporte son pari sans équivoque en offrant un ouvrage dont la lecture est facilitée par un style d’écriture à la fois simple et direct, qui permet, même aux non-initiés, de bien appréhender la complexité des divers enjeux qui touchent le système de commerce international depuis une dizaine d’années, de l’accession de la Chine à l’omc en 2001 aux questions entourant le recours, de plus en plus fréquent, au bilatéralisme par les États-Unis. Tous ces éléments font de Conflict, Chaos and Confusion un ouvrage incontournable, autant pour les politiciens et les négociateurs que pour les étudiants et les chercheurs.

Le livre est divisé en quatre parties : l’auteur aborde, en guise d’introduction, une discussion sur les réalités institutionnelles liées au commerce international, suivie par la présentation de certains enjeux économiques, dont la question du dumping et des indicateurs géographiques, et celle des différents processus à l’oeuvre lors des négociations commerciales, particulièrement en ce qui a trait à l’influence des intérêts privés sur les préférences étatiques, et le rôle de la transparence dans les accords de commerce international. L’auteur conclut en partageant sa vision sur l’avenir du système commercial international. Kerr amorce sa réflexion en choisissant, comme premier chapitre, le texte éditorial qui inaugura le journal en 2000, un temps, précise-t-il, où régnait encore un certain optimisme au sein des États membres de l’omc à l’aube de la neuvième ronde de négociations sur la libéralisation du commerce (le cycle de Doha). Sans qu’il suive la séquence de publication des textes originaux – cette absence de justification pour expliquer le choix de la séquence des chapitres se révèle d’ailleurs être une des faiblesses de l’ouvrage –, l’auteur réussit à livrer un récit somme toute structuré qui rend compte de l’effritement graduel de cet optimisme, ce qui l’amène à se demander, en conclusion, si le temps est venu de repenser l’omc.

À ce titre, notons que, dès le premier chapitre, le lecteur distingue clairement la ligne directrice de l’ouvrage. Selon Kerr, le monde a changé substantiellement depuis la fin du dernier cycle de négociations de l’omc dans les années 1990 (le cycle de l’Uruguay). C’est à la fois en raison de la révolution des technologies de l’information, qui a engendré une implication accrue d’acteurs non étatiques dans les négociations, et à cause des modifications institutionnelles au sein même de l’omc, tant en ce qui concerne le nombre de membres (plus de 150 actuellement) que les nouveaux domaines de coopération faisant l’objet d’arrangements institutionnels, comme la santé, l’environnement, la propriété intellectuelle et les services. Pour l’auteur, ce « nouveau chaos mondial » nécessite des réponses novatrices de la part des États. En d’autres mots, sans prédire la déchéance de l’État comme entité politique privilégiée dans le système international, un relâchement encore plus important du principe révéré de la souveraineté étatique et une plus grande flexibilité institutionnelle s’avèrent nécessaires selon l’auteur, sans quoi le système commercial mondial pourrait s’effondrer.

Dans l’optique de proposer des solutions aux problèmes soulevés, Kerr amorce chacun de ses textes par un court historique de la question évoquée, qu’il illustre ensuite par des faits empiriques, avant de conclure par la solution proposée. À l’égard de l’accession de la Chine à l’omc par exemple, après avoir dressé un portrait des principales caractéristiques de l’économie chinoise et illustré les difficultés auxquelles ont dû faire face les négociateurs chinois lors des négociations d’accession, l’auteur conclut que la structure institutionnelle actuelle de l’omc se révèle dysfonctionnelle face aux problèmes engendrés par l’arrivée des pays émergents comme la Chine dans le « club » de l’omc.

Parmi les autres faiblesses de l’ouvrage, notons qu’un court texte pour introduire chacune des sections aurait été pertinent afin de permettre au lecteur d’apprécier le lien entre les différentes parties de l’ouvrage. Cette lacune fait en sorte qu’à la lecture du texte très technique sur l’harmonisation internationale, initialement publié en 2006 et basé sur des notions avancées d’économétrie, le lecteur comprend difficilement tant son insertion à cet endroit de l’ouvrage que le lien de ce chapitre avec ceux de la première partie. Il en va de même pour le dernier chapitre intitulé International Trade Education. Do We Need a New Model for the Global Market ? Publié en 2007, cet article se veut un éditorial dans sa forme la plus pure, relatant les opinions du rédacteur sur les lacunes présentes dans le système d’éducation postsecondaire en matière d’expertise sur les négociations commerciales internationales. Bien que cet ouvrage soit une collection d’éditoriaux publiés antérieurement, une introduction et une conclusion en bonne et due forme auraient été souhaitables. Néanmoins, cette lacune n’enlève rien au contenu, qui demeure des plus pertinents pour toute personne intéressée, de près ou de loin, au système de commerce international.