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Alors que les experts en économie et en politiques publiques débattent des mérites et des torts des mesures d’austérité, des politiques de régulation ainsi que de l’avenir de l’État et du marché, il est intéressant de revenir sur les événements qui ont causé une grande partie des problèmes actuels, à savoir la crise financière de 2007. Même s’il est sans doute encore trop tôt pour prendre la pleine mesure des effets de la crise et de la récession qui a suivi sur l’économie et sur l’ensemble de la société, il apparaît pertinent et nécessaire de s’interroger sur ses causes, sur le rôle et la responsabilité des spécialistes de la finance et de l’économie, de même que sur les différentes solutions à apporter ou à éviter.

C’est à cette réflexion que nous convient les auteurs de l’ouvrage collectif The First Great Recession of the 21st Century. Competing Explanations. Il s’agit d’un ensemble de quatorze textes produits par autant de spécialistes, pour la plupart des économistes ou des historiens de l’économie, à l’occasion du colloque international « The Recession of 2008. Do Economist ever Agree on Analysis and Prescription ? ». Ce colloque qui s’est tenu en janvier 2010 à Albacete, en Espagne, était organisé par l’Université de Castille-La Mancha ainsi que par la Société européenne d’histoire de la pensée économique.

L’ouvrage est divisé en trois parties. La première consiste en un examen du rôle que les économistes ont joué ou aurait pu jouer dans la prévention de la crise. En plus de s’interroger sur la responsabilité ou l’absence de responsabilité des économistes, cette partie étudie aussi les différentes théories économiques et leur capacité à interpréter la crise. La seconde partie, qui s’inscrit dans une perspective historique, analyse la crise sous l’angle de l’histoire économique et sous celui de l’histoire de la pensée économique. Le parti pris des auteurs : pour comprendre la crise, il faut aller au-delà des analyses purement quantitatives et formelles et s’intéresser aux diverses manières dont l’histoire peut éclairer notre compréhension des événements et phénomènes ayant entraîné la crise. Enfin, dans la troisième section, les causes et les effets de la crise sont observés sous l’angle de problématiques propres à certains pays, notamment les États-Unis, l’Espagne et la Lettonie.

Il est difficile, voire injuste, de réduire en une formule ou sous une seule étiquette des contributions provenant de penseurs de plusieurs horizons. Les textes ont néanmoins en commun le fait de s’opposer à l’économie classique, notamment au postulat de l’équilibre et de l’efficacité des marchés, à la conception de l’homme en tant qu’homo economicus, à l’individualisme méthodologique et à l’excès de formalisation mathématique. Les auteurs font aussi preuve pour la plupart d’un intérêt pour les études empiriques, pour l’histoire en général et l’histoire économique en particulier, et pour les théories d’inspiration keynésienne ou néo-institutionnaliste.

En plus de la théorie et de la méthode, la plupart des auteurs ont des interprétations similaires de la crise, autant de ses causes que de ses effets. Ils s’entendent pour identifier comme responsables de la crise à la fois le secteur financier, en raison de sa tendance à la spéculation, et les gouvernements qui ont rendu le crédit facile, ce qui s’est traduit par la formation de bulles immobilières un peu partout dans les pays occidentaux. Les auteurs considèrent aussi que les modèles de gestion du risque et d’appréhension de l’incertitude ne sont pas fiables et ne peuvent prévenir les crises. Les outils financiers et leur complexité, voire leur opacité, sont aussi mis au banc des accusés. Par conséquent, ils en arrivent à la conclusion que dans ce contexte économique l’apparition de bulles spéculatives et les crises financières qui découlent de leur éclatement sont inévitables.

Pour éviter ou du moins amoindrir l’impact de ces crises, les auteurs proposent que les gouvernements mettent en place des mesures de régulation, même s’ils sont à peu près tous d’accord pour affirmer qu’un excès ou une mauvaise régulation peut également nuire à la croissance. L’idée est d’augmenter la transparence du secteur financier et de responsabiliser ses acteurs sans brimer l’investissement. Afin de relancer l’économie, la plupart des auteurs s’entendent sur l’importance d’une distribution adéquate des revenus et sur la nécessité de l’épargne pour dynamiser la croissance. Il leur apparaît également indispensable de mettre en oeuvre des politiques de relance d’inspiration keynésienne. Enfin, une majorité d’entre eux estiment nécessaire d’ouvrir les sciences économiques à une plus grande pluralité de méthodes et de théories.

Il est dommage qu’un ouvrage prétendant offrir des analyses et des interprétations différentes de la crise défende dans la majorité des textes les mêmes idées et les mêmes conceptions économiques. L’ouverture à d’autres types de théories et d’explications, comme l’économie comportementale, aurait pu s’avérer un choix éditorial intéressant. Malgré tout, considérant la volonté des auteurs de présenter un autre discours que celui des économistes classiques ou libéraux, le livre tient ses promesses. Aussi, malgré ses quelques défauts, cet ouvrage s’avère un outil de réflexion précieux pour les économistes, les financiers, les historiens de la pensée économique, tout comme pour les responsables politiques qui doivent aujourd’hui faire face à la crise. L’ouvrage aura également le mérite d’en réconcilier plusieurs à la fois avec les économistes et avec l’économie : non seulement cette discipline dispose de tous les outils pour prévenir et diminuer l’effet des crises, mais les économistes contribuent à nous faire réfléchir sur notre époque et ses maux.