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À la fin des années 1970, les transformations systémiques qui ont lieu dans l’économie et les relations internationales amènent des politologues et des économistes à s’interroger sur la corrélation entre le politique et l’économique au niveau international. Presque tous s’entendent aujourd’hui pour dire que la discipline de l’économie politique internationale (epi) a quarante ans. Elle est née des travaux de Susan Strange, Robert Keohane, Joseph Nye, Stephen Krasner, Robert Gilpin et Peter Katzenstein, pour ne nommer que ses principaux initiateurs. Bien entendu, ces travaux trouvent leurs sources dans des ouvrages de relations internationales et d’économie politique. Des chercheurs, des revues savantes et des éditeurs se sont spécialisés en économie politique internationale. Le champ s’est développé rapidement.

Benjamin Cohen publie en 2007, dans les pages de la Review of International Political Economy (ripe), un article intitulé « The Transatlantic Divide. Why are American and British ipe so Different ? » qui stimule une réflexion sur l’état de la discipline dans la communauté des chercheurs d’epi. Benjamin Cohen y affirme qu’il n’existe pas une approche unique de l’epi, mais plutôt deux grandes écoles. Il s’agit selon lui de l’école américaine et de l’école britannique. La première est dominée par une approche positiviste, tandis que la seconde est souple et éclatée méthodologiquement. L’école britannique aborde de grands enjeux, alors que l’école américaine cherche à étudier des phénomènes qui se prêtent à la formulation et à la falsification d’hypothèses formelles, donc à des questions plus circonscrites. L’année suivante, en 2008, Benjamin Cohen revient à la charge en publiant le livre International Political Economy. An Intellectual History, qui porte essentiellement sur les deux écoles. En 2009, un numéro spécial de ripe propose une réflexion d’ensemble sur l’état de l’epi. Toutes ces publications introspectives ont soulevé un vif débat chez les chercheurs quant à la discipline, à ses réalisations et à ses grandes orientations ; ce qui nous conduit au présent ouvrage publié en 2009 sous la direction de Mark Blyth, politologue de Johns Hopkins.

À l’invitation de Mark Blyth, des chercheurs de partout dans le monde, dont Benjamin Cohen, présentent leur vision de l’économie politique internationale. L’ouvrage comporte dix-huit chapitres produits par vingt et un auteurs, parmi lesquels nous retrouvons Philip G. Cerny, Randal Germain, Ronen Palan, Jonathan Kirshner et Giovanni Arrighi. Les chapitres sont regroupés sous quatre parties visant chacune à explorer comment l’epi est conçue dans une région du monde et quelles sont les incidences sur la discipline dans son ensemble. La première partie porte sur l’Amérique du Nord, la seconde sur la Grande-Bretagne, la troisième sur l’Asie et la dernière sur les autres régions et pays, dont la France et l’Amérique latine. Cette quatrième partie comporte également un chapitre sur l’apport de la sociologie et un autre sur la contribution de l’histoire à l’epi. En somme, cet ouvrage est animé par l’objectif très ambitieux de fournir un portrait d’ensemble de la discipline. À la suite du constat de Benjamin Cohen portant sur le fossé intellectuel existant entre les États-Unis et la Grande-Bretagne, Mark Blyth cherche à contrer cet isolement en favorisant l’échange d’idées. Conscient que l’epi est étudiée à l’extérieur de ces deux pays, il vise avec le présent ouvrage à ouvrir le débat à l’ensemble du monde universitaire. Le livre réussit à créer une conversation entre des visions, des postulats et des approches très diversifiés.

Les chapitres sur l’Australie, l’Amérique latine et l’Asie comportent une mine d’informations sur la diversité théorique et méthodologique des travaux effectués ailleurs qu’en Grande-Bretagne et aux États-Unis. Le chapitre sur le Canada trace un portrait intéressant des travaux centrés sur les recherches de Robert Cox ainsi que du matérialisme historique, qui ont eu plus d’incidences sur l’économie politique internationale britannique que sur l’epi américaine. Les auteurs acceptent d’emblée qu’il existe plusieurs formes d’économie politique internationale. En fait, une grande place est accordée à la réflexion sur les principaux courants théoriques. Ainsi, le courant réaliste, le courant libéral et le courant marxiste sont abordés par la majorité des auteurs. Les réflexions théoriques que comporte chacun des chapitres sont bien menées et fournissent un bon aperçu de la richesse des travaux. Il aurait toutefois été utile de traiter plus explicitement des secteurs à l’étude, tels que la politique commerciale, la mondialisation, les institutions internationales, les questions de politique monétaire, les flux d’investissements et la gouvernance. Il convient néanmoins de reconnaître que Mark Blyth ne souhaitait pas produire un manuel d’epi, alors qu’il en existe déjà plusieurs.

Ce livre a une vocation universitaire. Il s’adresse aux étudiants de baccalauréat souhaitant découvrir l’epi, aux étudiants diplômés voulant se spécialiser dans ce domaine et, enfin, aux chercheurs désireux d’étoffer leurs réflexions sur ce champ complexe et fascinant. L’ouvrage atteint bien ses objectifs et brosse un tableau riche et coloré des différentes formes d’epi. On peut cependant reprocher à plusieurs auteurs des chapitres de ce livre de proposer une sociologie de la discipline. Les textes s’attardent beaucoup aux personnalités et, par moments, donnent au lecteur l’impression qu’il lit un who’s who de l’epi. Néanmoins, cette façon de faire permet de mieux comprendre la genèse des réflexions et des débats dans la discipline au niveau mondial. On peut se réjouir que ce livre révèle clairement la multiplicité et la diversité des traditions en epi. Bien que certains travaux tiennent le haut du pavé, il n’en demeure pas moins qu’une communauté mondiale de chercheurs travaille sur des questions centrales à partir de problématiques nombreuses et de méthodologies multiples. Cela devrait contribuer à inciter les chercheurs émergents à s’aventurer en dehors des sentiers battus. Évidemment, les débats épistémologiques vont se poursuivre et alimenter d’autres publications. Souhaitons que cet exercice de réflexion fasse progresser ce champ fascinant et complexe où de nombreux défis restent à relever.