Corps de l’article

Les trente dernières années ont été le théâtre d’un rapprochement progressif entre le programme de recherche de la sociologie historique et la discipline des Relations internationales (ri). De simple dialogue, cette relation s’est progressivement transformée en projet interdisciplinaire. Plus récemment, des propositions ont poussé ce projet encore plus loin, appelant à la formation d’une synthèse transdisciplinaire soutenue par une sociologie historique internationale (shi). L’une des voies les plus souvent explorées en ce sens est la théorie du développement inégal et combiné (dic), qui prétend résoudre la fracture épistémique entre sociologie et ri en proposant une théorie sociale de l’international[1].

La majorité des travaux qui s’inscrivent dans la mouvance large de la sociologie historique internationale ont été menés dans un contexte anglo-saxon, principalement en Grande-Bretagne où la discipline des Relations internationales n’a jamais rompu complètement avec la tradition historique. Le lectorat francophone connaît bien quelques ouvrages classiques (Skocpol 1979 ; Tilly 1992), mais ceux-ci ont exercé une plus grande influence sur la discipline de la politique comparée que sur celle des Relations internationales. S’il est possible de parler d’un virage sociologique des ri dans le contexte francophone, celui-ci fut surtout influencé par Pierre Bourdieu et Michel Foucault. En bref, très peu d’auteurs faisant partie de ce qui est reconnu comme la deuxième et la troisième vague de sociologie historique ont été traduits ou diffusés en français[2]. Nous souhaitons modestement contribuer à combler cette lacune en menant une réflexion originale autour du projet de la shi et en présentant l’un de ses courants principaux, le développement inégal et combiné.

L’ampleur du programme de recherche de la sociologie historique internationale en fait un projet dynamique, mais traversé par de nombreux obstacles et difficultés théoriques et méthodologiques : comment, par exemple, concevoir un cadre d’analyse assez large pour contenir les dimensions internes et externes du développement des États/sociétés dans le temps et dans l’espace ? Il est possible de situer ces défis à l’intérieur d’un débat plus large en sciences sociales, touchant à la relation entre agence et structure, théorie et histoire, positivisme et postpositivisme (Dufour 2015). C’est à travers cette problématique que nous examinerons de manière critique le projet transdisciplinaire de la shi. Notre objectif sera de déconstruire ce projet par une critique du développement inégal et combiné et de le reconstruire par une réactivation de la problématique initiale.

Notre porte d’entrée pour atteindre notre objectif sera l’étude des révolutions, phénomènes à la fois internationaux et locaux, comme point d’intersection et de réflexion interdisciplinaires. Notre argument se déclinera en trois étapes. Dans la première section, nous nous intéresserons à l’oeuvre d’un pionnier de la sociologie historique et de l’étude des révolutions : Fred Halliday. Cette discussion sera l’occasion d’introduire les bases du projet de la shi et d’exposer la généalogie de l’idée du dic et ses implications pour la théorisation de la dimension internationale des révolutions sociales. Dans la deuxième section, nous nous concentrerons sur une exploration critique du dic par l’examen des travaux de Kamran Matin sur la révolution iranienne. Nous analyserons comment les aspirations du dic ne répondent pas aux objectifs initiaux de la sociologie historique internationale, mais reproduisent une position structuraliste sous-estimant le rôle de l’agence dans l’histoire. C’est en prenant appui sur cette exploration critique que nous proposerons dans notre section finale, par l’ébauche d’une épistémologie historiciste inspirée de la théorie des relations sociales de propriété (trsp)[3], une réflexion sur la manière de repenser la relation interdisciplinaire entre sociologie historique et Relations internationales.

I – Fred Halliday : la shi, les révolutions et la généalogie du dic

L’oeuvre de Fred Halliday s’inscrit à l’intérieur de ce qui a été défini comme la deuxième vague de sociologie historique (Dufour et Lapointe 2010a, 2010b), dont la problématique se situe autour des relations historiques et contemporaines, entre le développement du capitalisme, des révolutions, de la guerre et des États dans un contexte international. Sur le plan théorique, ces préoccupations empiriques ont été considérées principalement à travers un dialogue entre positions marxistes et wébériennes « internationalisées ». À l’intérieur de ce projet, Halliday fut le promoteur d’une conception à double sens de la relation entre la discipline des ri et celles des sciences sociales, la sociologie en premier lieu (Colas et Lawson 2010 : 247).

A – Les objectifs de la shi : un nouveau paradigme interdisciplinaire

C’est à partir d’un appel initial à la sociologisation des ri que Fred Halliday entreprit une réflexion théorique et programmatique. Cette réflexion l’incita à se tourner progressivement vers la sociologie historique comme point de départ sur lequel fonder son nouveau programme de recherche. Ce choix peut s’expliquer par le potentiel apparent de la sociologie historique à dénaturaliser, historiciser et reconceptualiser les catégories fondamentales des ri (État, nation, guerre, pouvoir, international), alors dominées par le paradigme réaliste. Cette voie ouvrait la porte à l’analyse des processus macrosociaux de changement à long terme, s’opposant à la conception anarchique du système étatique comme lieu d’éternelle répétition (Teschke 2011 : 1089).

Toutefois, selon Halliday, la sociologie historique devait tenir compte du contexte international dans lequel ces processus se déroulaient. La majorité des travaux sociohistoriques sont marqués par un « nationalisme méthodologique » (Chernilo 2010) qui réduit leurs analyses à des récits unilinéaires du changement social contenus à l’intérieur d’unités discrètes et autoréférentielles : les États-nations. Considérant cette abstraction du contexte international, Halliday (2002) reformula le projet de la sociologie historique classique en termes de sociologie historique internationale. La motivation derrière ce projet ne fut pas simplement d’enrichir l’approche générale des ri, mais aussi d’effectuer un changement paradigmatique au moyen d’une synthèse multidisciplinaire qui associe la logique suprasociologique de la géopolitique réaliste à une sociologie historique des trajectoires différentielles de développement sur le plan intérieur.

Étant donné cette problématique, il n’est pas étonnant que l’étude des révolutions soit devenue un objet central du nouveau programme de recherche mis en oeuvre par Halliday (1999). Les révolutions sociales représentent à la fois des phénomènes internationaux, par leurs causes et leurs conséquences sur l’ordre international, et des phénomènes locaux, par leurs effets sur les structures sociales et politiques des régions touchées. Les révolutions ont tout de même été traitées différemment par les disciplines de la sociologie et des Relations internationales, ce qui en fait un exemple probant de la fracture épistémique qui sépare les deux disciplines (Panah 2002). Alors que les révolutions ont été un objet classique de la sociologie, l’évolution particulière de la discipline des ri ainsi que ses prétentions épistémologiques et ontologiques expliquent sa négligence des révolutions et de leurs acteurs.

Depuis leur naissance en tant que « science du conflit » orientée vers l’État et les relations de pouvoir, les ri ont ignoré les causes sociales des révolutions en confinant celles-ci à l’analyse intérieure, tendance qui fut renforcée par la montée du paradigme néoréaliste. La principale influence des révolutions sur la discipline fut l’étude du comportement externe des États révolutionnaires et leur influence déstabilisante sur l’ordre international, comme en témoignent les travaux de Stephen Walt (1996) et de Mark Katz (1997). L’école anglaise s’est également beaucoup intéressée aux comportements des États révolutionnaires et à leur socialisation à l’intérieur des règles et normes de la société internationale (Armstrong 1993 ; voir aussi Halliday 1994 : 94-123 et 1999 : 296-298). D’un point de vue constructiviste, Chan et Williams (1994) mettent l’accent sur les origines culturelles des révolutions et la nature du discours interculturel sur le plan international. En résumé, les ri se sont limitées aux dimensions idéologiques et culturelles des États révolutionnaires (comme elles se reflètent dans leur politique étrangère) et à leur potentiel déstabilisateur de l’ordre international, ce qui a pour tendance d’ignorer les origines sociopolitiques des processus révolutionnaires (Panah 2002 : 278).

B – Les bases théoriques de la shi : entre capitalisme (Marx) et géopolitique (Weber)

Si la sociologie historique est conventionnellement considérée comme un dialogue entre les héritages intellectuels de Marx et de Weber (Dufour 2015), l’oeuvre de Fred Halliday est un exemple probant de la relation tumultueuse entre les deux auteurs classiques. La poursuite de son projet de sociologie historique internationale fut d’abord médiatisée par son contact avec la théorie marxiste, d’où Halliday extrait sa catégorie maîtresse, le métarécit, au sein duquel s’inscrivent les relations internationales contemporaines : la modernité capitaliste. Malgré la lacune évidente des écrits théoriques de Marx sur la question internationale, Halliday s’intéressa aux retombées possibles de la théorie générale de Marx qui comportait, du moins à un stade embryonnaire, un potentiel de socialisation et d’historicisation des ri (Halliday 1994 : 59). C’est à la suite de cette rencontre avec le marxisme que Fred Halliday développera une conception de la politique mondiale en tant qu’« unité contradictoire » :

La conception matérialiste historique de l’unité globale a ceci de caractéristique qu’elle est basée sur une conception matérialiste du monde progressivement unifié par la diffusion d’un mode de production spécifique, le capitalisme, et menacée par son alternative. Cette unité n’en est pas une d’homogénéisation, mais de contradictions socioéconomiques et politiques basées sur la résistance des sociétés précapitalistes et, subséquemment, sur l’existence d’un secteur postcapitaliste du monde qui n’est plus soumis au capital, mais est plutôt, dans une certaine mesure, en conflit avec celui-ci.

Halliday 1994 : 76 ; notre traduction

Quelle est la place de l’État et des dynamiques interétatiques dans cette conception ? La contradiction centrale oppose des forces sociales et des systèmes sociaux (modes de production). Les États y jouent un rôle en tant qu’expression institutionnelle et instrument du pouvoir de classe, mais ils ne sont pas les seuls ni les principaux acteurs de ce conflit, étant eux-mêmes des objets sur lesquels agissent les forces sociales en question (Halliday 1994 : 77).

Devant cette élaboration ambiguë du rôle de l’État dans la tradition marxiste, oscillant entre les pôles structuralistes et instrumentalistes qui marquent le débat Poulantzas-Miliband (Aronowitz et Bratsis 2002), Halliday se tourne vers la sociologie historique néowébérienne comme moyen de répondre à la question suivante : pourquoi, si la sphère internationale est marquée par une économie mondiale où les intérêts de classe opèrent de manière transnationale, est-il nécessaire d’avoir des États ? (Halliday 1994 : 91). Avec des auteurs comme Skocpol, Giddens, Tilly et Mann, Halliday a trouvé non seulement une théorie replaçant la formation étatique à l’intérieur des rivalités militaires et stratégiques du système international, mais également une redéfinition de l’État en tant qu’ensemble d’institutions coercitives et administratives dont les fonctions centrales sont l’extraction fiscale et la mobilisation militaire. Ce changement de paradigme sensibilisa Halliday à de nouvelles distinctions – État/société civile, État/gouvernement, État/nation – permettant d’ouvrir la boîte noire associée à la conception territoriale-légale de l’État au sein de l’approche réaliste (Colas et Lawson 2010 : 248-249 ; Teschke 2011 : 1094).

L’influence la plus importante de la littérature néowébérienne sur les Relations internationales est la conception de la double agentivité de l’État : nationale et internationale. Cette conception repositionne l’État entre la pression de la compétition géopolitique et la pression des demandes sociales intérieures :

Les « structures » internationales et nationales sont […] (re)considérées autant comme des « sphères d’opportunités » que comme des « sphères de contraintes ». En ce sens, les sociétés nationales et internationales deviennent des réservoirs de ressources dans lesquels les États puisent afin d’augmenter leur pouvoir et leur intérêt au sein des deux sphères. Avant tout, l’État est une entité spatiale à deux visages, l’un tourné vers la sphère internationale et globale et l’autre vers la sphère intérieure. Cela permet à l’État de faire jouer les différentes sphères et sources de pouvoir dans le but de satisfaire ses multiples intérêts, ce qui entraîne par la suite des changements dans les sphères nationales et internationales.

Hobson 2000 : 210 ; notre traduction

C – Capitalisme, État et révolution

C’est à l’intérieur de ce cadre d’analyse que Halliday situe les révolutions qui représentaient selon lui, avec la guerre, les deux processus maîtres du 20e siècle (Lawson 2011 : 1068). Ces deux processus sont aussi importants l’un que l’autre chez Halliday, puisqu’ils représentent les deux principales formes par lesquelles les pressions géopolitiques se traduisent en pratiques historiques concrètes : dans le cas des révolutions, celles-ci constituent les points de pression et les crises par l’entremise desquelles les relations internationales sont liées aux changements sociopolitiques internes, et vice versa. Halliday situe les révolutions en tant que composante organique de son métarécit de l’expansion de la modernité capitaliste. Elles forment une partie constituante de la construction de l’ordre international moderne et représentent des occurrences nécessaires au cours de l’expansion mondiale de celui-ci et de ses reconstructions successives, entraînées par une conséquente internationalisation du conflit social. Les révolutions, mais également l’absence de révolutions, que ce soit à travers une modernisation autoritaire, un programme de réformes ou une contre-révolution, sont parmi les points de référence centraux dans l’histoire du monde moderne, moins une marque de ponctuation occasionnelle que la grammaire même de la modernité. C’est en ce sens que les révolutions devraient être considérées comme une préoccupation centrale, et non comme une anomalie refoulée à l’intérieur de la discipline des ri (Halliday 1994 : 124-146).

À partir de ces moments formateurs et réformateurs Halliday formula une périodisation alternative de l’ordre international moderne : celle-ci a débuté avec les réformes protestantes européennes du 16e siècle pour ensuite passer à la révolte des gueux et à la révolution anglaise au 17e siècle ; elle s’est recentrée aux 18e et 19e siècles sur les révolutions atlantiques (française, américaine, haïtienne), se terminant avec le court 20e siècle marqué par la montée et la chute de la révolution bolchévique et de ses mandataires du tiers-monde. Le rôle central que les révolutions jouent dans cette reconstruction historique de l’ordre international s’explique par leur double caractère : elles sont formées par le contexte international (affaiblissement d’un État face à ses rivaux, expansion de l’unité contradictoire de la modernité capitaliste, retrait du support des puissances régionales et d’hégémons globaux, circulation transnationale des idées), en même temps qu’elles exercent une influence formative sur celui-ci (Lawson 2011 : 1068-1069). Toutefois, cette influence est paradoxale, puisque les États révolutionnaires doivent nécessairement entrer en relation avec d’autres États et qu’ils participent en ce sens à la reproduction de l’ordre international, ce qui entraîne un abandon progressif des visées transformatrices (Lawson 2011 : 1071).

C’est au regard de cet héritage que Halliday peut être considéré comme l’architecte d’une approche intersociétale du changement social : les trajectoires de développement historique contiennent une dynamique interactive et relationnelle qui transcende leurs cadres nationaux. En ce sens, des phénomènes historiques comme les révolutions ne peuvent être entièrement compris qu’à travers un dialogue interdisciplinaire où les dimensions « internationales » et « intérieures » doivent être intégrées de manière dialectique.

D – Vers une synthèse : le développement inégal et combiné des révolutions

Est-il possible d’extraire de l’oeuvre de Halliday une synthèse théorique qui permettrait de réaliser les visées transdisciplinaires de la shi ? La réflexion de Halliday la plus poussée en ce sens se trouve dans son article « International Society as Homogeneity » (Halliday 1994). L’auteur tente dans ce texte de concilier la dimension interétatique des ri avec la dimension transnationale du capitalisme global chez Marx. À cette fin, il reconceptualise le développement international en tant que processus organique à travers lequel des pressions d’ajustements sociaux et constitutionnels sont transmises par le truchement de la compétition géopolitique, transformant et assimilant différentes sociétés par des guerres, des révolutions et des contre-révolutions, sans toutefois mettre en cause leur existence en tant qu’entités indépendantes. Ce processus conduirait ultimement à l’internationalisation de l’État libéral capitaliste.

Cependant, Halliday ajoute une qualification importante à l’élaboration de ce processus d’homogénéisation capitaliste : loin de créer une bourgeoisie transnationale unique ou d’entraîner la coopération des bourgeoisies sur la base de bénéfices économiques communs, cette homogénéisation s’opère de façon parallèle avec un antagonisme croissant entre les différentes bourgeoisies nationales (Halliday 1994 : 116). C’est l’inégalité du développement qui reproduit la différenciation politique à l’intérieur du métarécit capitaliste :

Le capitalisme unifie le monde à l’intérieur d’un marché mondial et d’un système de domination politique ; toutefois, les différentes sous-sections de ce système mondial demeurent distinctes. Dans plusieurs cas, les différences entre celles-ci sont accentuées par leur incorporation au sein d’un même système. C’est en raison de cette inégalité que les maillons faibles du système capitaliste ne se trouvent pas dans les pays les plus développés, mais dans ceux où les effets tardifs du capitalisme créent des contradictions d’autant plus aiguës que ces développements, ayant simultanément lieu ailleurs, n’ont pas été complétés.

Halliday 1974 : 17 ; notre traduction

C’est de cette manière que la théorie du dic va faire surface dans les travaux de Halliday. Elle réapparaîtra de façon intermittente, mais recevra son traitement le plus poussé dans l’opus magnum de Halliday, Revolution and World Politics : « L’idée, exprimée le plus clairement par Trotsky, du caractère inégal et combiné du développement capitaliste, selon laquelle ce développement unifie le monde, mais de manière dramatiquement inégale et décousue, est l’un des moyens les plus importants de comprendre la dimension internationale des révolutions » (Halliday 1999 : 5 ; notre traduction). C’est donc l’inégalité qui reproduit le conflit social à l’intérieur de l’« unité globale » du capitalisme, conflit dont les dimensions internes et externes se retrouvent simultanément dans l’éclatement des révolutions sociales.

On voit ici émerger les bases d’une synthèse délimitant les contours d’un « internationalisme méthodologique » qui ne succombe pas à la dynamique supranationale du capital, mais intègre une notion de causalité organique résultant en une multiplicité de trajectoires régionales (Teschke 2011 : 1101). Malgré le potentiel apparent de l’idée du développement inégal et combiné comme synthèse théorique de la shi, Halliday refusera d’emprunter cette voie. Il affirmera d’ailleurs dans une réflexion sur Revolution and World Politics :

Ce livre ne prétend pas produire une théorie des ri en général, ni des révolutions en particulier. C’est plutôt une contribution à l’interaction entre les ri et la sociologie historique, visant à la fois à examiner les révolutions dans ce contexte analytique et d’utiliser les révolutions afin d’adresser certaines questions, historiques et conceptuelles, au sein des ri […]. Je suis plus satisfait du cadre conceptuel large et suggestif des ri et de la sociologie historique, qui permet d’expliquer et de faire sens du changement historique, que du cadre abstrait, mais également banal, du néoréalisme.

Halliday 2001 : 696 ; notre traduction

L’absence d’une théorie de l’international et des révolutions pourrait être considérée comme un échec du programme de recherche de Halliday, mais cette situation semble plutôt s’expliquer par une critique et un rejet de la nature des théories en ri, c’est-à-dire l’abstraction de lois transhistoriques, dont l’archétype est le structuralisme positiviste de Kenneth Waltz. Cette position peut en dernière instance s’expliquer par la forte croyance de Halliday en la « ruse de l’histoire », une dimension ne pouvant être adaptée au niveau abstrait de la théorie structuraliste.

II – Le développement inégal et combiné comme synthèse transdisciplinaire ?

Qu’en serait-il d’une version plus développée de l’idée du dic en tant que schéma théorique permettant de résoudre la fracture épistémique entre explications sociologiques et internationales ? Justin Rosenberg (2012), ancien étudiant de Halliday à la London School of Economics, s’est donné pour tâche d’approfondir cette idée par la récupération et le développement de l’approche trotskiste. Rosenberg augmente la mise en ce qui a trait aux visées transdisciplinaires de la shi ; il vise la formulation d’une synthèse théorique incorporant ontologiquement l’international comme dimension constitutive du changement social.

Rosenberg s’appuie sur une citation tirée de l’Histoire de la révolution russe, qui pose l’inégalité du développement comme étant la loi la plus générale du processus historique (Trotsky 1967 : 15). C’est sur la base de cette nature différenciée du développement historique dans son ensemble que l’humanité se fragmente en différentes « sociétés », donnant naissance à une conception ontologique de l’international en tant que « dimension de la réalité sociale qui émerge spécifiquement de la coexistence en son sein de plus d’une société » (Rosenberg 2012 : 3). L’existence de l’inégalité en tant que condition universelle est rendue possible par le second élément de l’idée de Trotsky, soit la « loi du développement combiné, dans le sens du rapprochement de diverses étapes, de la combinaison de phases distinctes, de l’amalgame de formes archaïques avec les plus modernes » (Trotsky 1967 : 15). La « combinaison » devient l’expression concrète de l’« inégalité », le résultat de la dimension interactive du changement social participant à la recombinaison et à la génération de nouvelles formes sociales, reproduisant et renforçant son caractère inégal (Rosenberg 2012).

A – Les outils d’analyse du dic

Malgré ses origines comme explication de la révolution russe et les efforts subséquents de Halliday de populariser le concept, il est étonnant de voir que le dic n’a pratiquement pas été déployé pour rendre compte de la nature internationale des révolutions, particulièrement dans un cadre non occidental[4]. Nous nous tournons donc vers une exception à la règle que sont les travaux de Kamran Matin sur la révolution iranienne. La réflexion critique qui suit invite à une exploration plus poussée de la sociologie historique d’inspiration néomarxiste et propose l’étude de la dimension internationale des révolutions en tant qu’objet privilégié afin de reformuler la relation interdisciplinaire entre sociologie historique et ri.

C’est en prenant appui sur les travaux de Rosenberg, qui fut d’ailleurs son directeur de thèse, que Kamran Matin tente de résoudre l’énigme de la révolution iranienne dans son ouvrage Recasting Iranian Modernity. Devant les explications particularistes, microthéoriques ou narratives de la révolution, Matin s’est donné pour objectif de « désexceptionnaliser » l’expérience iranienne en tant qu’instance spécifique, mais organique, de la propriété internationale du changement historique (Matin 2013 : 3). À la formulation transhistorique du dic de Rosenberg, il ajoute un ensemble de concepts intermédiaires, empruntés à Trotsky, permettant d’opérationnaliser l’abstraction générale dans le contexte de la modernité capitaliste à l’intérieur duquel s’inscrit la trajectoire de développement de l’Iran : le « fouet des nécessités extérieures », le « privilège du sous-développement », la « substitution » et le « remaniement historique » (Matin 2013 : 17-18).

Les concepts du « fouet des nécessités extérieures » et du « privilège du sous-développement » sont intimement liés. Le premier représente un phénomène principalement moderne, par lequel le développement du capitalisme, par ses capacités institutionnelles et développementales supérieures, impose une pression géopolitique sur les sociétés précapitalistes. Sous cette pression, les sociétés « en retard » vont entreprendre des projets de modernisation économique et politique destinés à préserver leur souveraineté. C’est la possibilité pour les sociétés retardataires d’adopter des modèles de développement calqués sur les sociétés « avancées » et, ainsi, de « sauter des étapes intermédiaires » qui est résumée par le concept de « privilège du sous-développement » (Matin 2013 : 18).

Cependant, le développement ne peut s’opérer dans les sociétés retardataires de la même façon que dans les sociétés avancées. Dès lors, le concept de substitution entre en jeu : il implique le recours, par les sociétés sous-développées, à différents remplacements pour l’agence, les institutions, les instruments, les ressources matérielles et les méthodes associées aux processus antérieurs de développement de la modernité capitaliste. Ce processus de substitution comporte et génère des formes sociales combinées (le terme amalgame est également utilisé) qui sont nécessairement traversées par de multiples tensions, puisqu’elles sont considérées comme « inorganiques » ou « asynchrones ». Ce sont ces substitutions, combinaisons et amalgames qui créent de nouvelles trajectoires de développement, entretenant le caractère inégal de celui-ci. C’est ce que Trotsky définit de façon plus générale comme le « remaniement historique », c’est-à-dire le remaniement de différents moments historiques en comparaison avec les trajectoires antérieures de modernisation (Matin 2013 : 19).

B – Le dic à l’épreuve de l’histoire : la trajectoire de développement iranienne et la révolution

À partir de cette discussion théorique, Matin entreprit de recadrer la trajectoire de développement iranienne à l’intérieur du récit intersociétal et dynamique que représente le dic. Cette entreprise débuta par une reconceptualisation de la révolution constitutionnelle (1906-1911) en tant que « révolution du retard ». Celle-ci est considérée comme une réponse au « fouet des nécessités extérieures » engendrée par les défaites militaires de l’Empire kadjar sous-développé aux mains des puissances avancées britanniques et russes, qui menèrent à la signature de traités inégaux et à la pénétration économique de marchands étrangers. Les tentatives de modernisation défensive du régime impérial ayant échoué, ce dernier ne survécut que grâce à des concessions commerciales et financières et à la vente d’offices vénaux (Matin 2013 : 56-57). C’est dans ce contexte que la « révolution du retard », menée par les classes non capitalistes du bazar et des oulémas, se substitua à la révolution bourgeoise en superposant les institutions politiques de la démocratie libérale capitaliste à une structure socioéconomique précapitaliste. Cette combinaison particulière représenta la première expérience iranienne du dic (Matin 2013 : 146).

C’est par la suite en réponse aux tentatives de la gauche iranienne de trouver une solution non capitaliste après l’effondrement de la dynastie des Kadjars que Reza Chah établit la dynastie Pahlavi avec l’appui des Britanniques. L’Iran s’engagea dans un nouveau projet de modernisation défensive, comprenant l’introduction sélective, « par le haut », de formes politiques et bureaucratiques modernes inspirées de l’Europe et la création d’institutions nationales étatiques en l’absence d’une nation dans le sens d’une communauté abstraite d’individus associés à l’organisation sociale capitaliste. Ces réformes ne firent qu’attiser les tensions présentes à l’intérieur de l’« amalgame socioéconomique désynchronisé » hérité de la période constitutionnelle (Matin 2013 : 147). C’est dans ce même contexte de remaniement historique des moments sociaux et politiques du développement capitaliste que Matin inscrit l’épisode de nationalisation pétrolière du gouvernement Mossadegh, soulignant l’intensification du rôle de l’État qui se substitue à la société civile dans le processus de développement (Matin 2013 : 96-97).

Le coup d’État anglo-américain qui mit fin à la période Mossadegh ne fut pas la seule cause de la codétermination internationale du développement iranien. C’est en réponse aux pressions géopolitiques des États-Unis dans leur projet d’endiguement soviétique que le chah entreprit une série de réformes préventives dont l’objectif politique était la réduction du pouvoir des propriétaires terriens et du clergé chiite. Ainsi, dans une nouvelle tentative de résolution du sous-développement historique de l’Iran, l’agentivité des classes sociales qui était à l’origine du processus d’accumulation primitive fut remplacée par celle de la monarchie absolutiste (Matin 2013 : 148).

Toutefois, comme c’est le cas avec la majorité des solutions de remplacement, cette révolution par le haut fut marquée par des contradictions majeures. La voie de la démocratie libérale, en tant qu’expression politico-idéologique du développement capitaliste, fut supprimée par la substitution à la bourgeoisie d’un État absolutiste anachronique en tant qu’instaurateur des relations sociales capitalistes. Les relations entre individus formellement égaux associés à la société capitaliste furent médiatisées par l’État personnifié dans la figure du chah. L’expression idéologique et sociale de cet amalgame contradictoire fut la figure du citoyen-sujet en tant que représentant de la tension inscrite dans la combinaison de subjectivités précapitalistes et capitalistes (Matin 2013 : 119-120). C’est essentiellement par la formation de ce citoyen-sujet, qui représente le point culminant du processus de dic, que Matin explique l’éclatement de la révolution.

C – Désociologiser l’international : le dic et la tentation positiviste

L’approche du dic semble de plus en plus se forger une place à l’intérieur du débat anglo-américain en ri (Dufour et Lapointe 2010b). La séquence des publications témoigne de revendications grandissantes en ce qui a trait à la validité, à la portée historique et à la popularité de l’approche[5]. Toutefois, cette approche présente plusieurs problèmes susceptibles de pervertir le projet transdisciplinaire de la shi. La critique du dic nous permettra de considérer les tensions à l’intérieur du projet de la shi en général. C’est à partir de cette réflexion que nous tenterons de réaffirmer l’objectif initial d’historicisation et de sociologisation de l’international.

Déhistoriciser l’international : la nature transhistorique et les limites théoriques du dic

L’une des difficultés majeures du dic est son ambiguïté, cette théorie étant présentée à la fois comme une « abstraction générale » (Matin 2013 : 15), une « catégorie transhistorique » (ibid. : 17) et un « contexte causal universellement opérationnel » (ibid. : 16). Ce caractère équivoque soulève des doutes sur la dimension descriptive ou causale de l’idée du dic. Comme l’affirme Benno Teschke (2014 : 32), cette incertitude découle de l’indistinction entre le dic présenté comme une loi universelle, c’est-à-dire une collection de régularités empiriques observables (description), et le dic vu comme une théorie, c’est-à-dire un énoncé expliquant ces régularités (causalité) : « L’inégalité conditionne, et est conditionnée par, le processus développemental à l’intérieur et entre les sociétés en interaction » (Matin 2013 : 15 ; notre traduction).

Cet énoncé devient circulaire et tautologique et il confond l’explication avec ce qui doit être expliqué. Le dic se pose comme sa propre prémisse, évitant d’expliquer les origines historiques de l’« international » qui sont déduites comme le résultat naturel de l’inégalité du développement. Le moment où l’inégalité donne naissance à la multiplicité n’est cependant pas clair : cette indétermination est largement causée par l’incapacité de préciser sur quelle définition de l’unité d’analyse (société, État, organisation politique, tribus) on base la conception de la multiplicité et de l’international. Matin demeure vague sur ce point, se contentant de définir les relations internationales comme la coexistence interactive de toutes les formes de « cohérence sociale » à l’intérieur d’« unités mutuellement reconnues » (Matin 2013 : 3). Ce manque de clarté conceptuelle se reflète dans l’utilisation interchangeable des termes relations internationales, relations intersociétales, international et inégalité.

Matin prétend que le dic, dans son caractère transhistorique, permet d’expliquer les logiques interactives qui marquent différents types d’ordre géopolitique :

Sémantiquement et historiquement, l’inégalité incorpore naturellement la différence. Mais, surtout, elle comporte une conception de la différence qui n’est pas neutre par rapport au pouvoir, et à l’inégalité, de ses sujets de la différence. De plus, le pouvoir, en soi, est un concept et un phénomène intrinsèquement relationnels. Puisque l’inégalité entraîne les conditions à la fois de la différence et du pouvoir inégal, elle peut donc logiquement rendre compte des différentes formes de configuration de la multiplicité, y compris la hiérarchie conflictuelle (empire), l’anarchie conflictuelle (le système d’États modernes) et l’anarchie non antagonique (socialisme). Son universalité dans les trois cas contient donc une hétérogénéité active.

Matin 2013 : 15 ; notre traduction

Il est toutefois difficile de voir comment le dic, dans sa formulation en tant qu’abstraction générale, peut nous informer sur les formes historiques des relations géopolitiques. Selon Neil Smith (2006 : 184-193), les différents ordres géopolitiques historiques doivent être considérés à travers différentes grammaires conceptuelles, et une abstraction générale ne peut avoir d’implications théoriques s’il est impossible de théoriser de manière convaincante les dynamiques historiques génératives de ces ordres. En posant le dic comme « propriété universelle » et « loi générale » du développement historique, Matin évite de théoriser la nature spécifique des interactions intersociétales qu’il prétend mettre en scène :

Le fait que rien ne se développe de façon égale, utilisé en tant que justification philosophique pour une telle loi, réduit celle-ci à l’insignifiance. Associée à de telles prétentions, cette loi ne nous dit absolument rien de spécifique à propos du capitalisme, de l’impérialisme ou du moment présent de restructuration capitaliste. Historiquement, le développement inégal [et combiné] est devenu obscur précisément parce que, indépendamment de la polémique générée et soutenue, il n’avait pas d’utilité explicative réelle.

Smith 2006 : 182-183 ; notre traduction

Rosenberg reconnaît lui-même qu’à ce niveau d’abstraction le dic ne peut préciser les particularités d’un mode de production et qu’un effort d’opérationnalisation du concept est nécessaire (Callinicos et Rosenberg 2008 : 88). Toutefois, lorsque Matin mobilise les « concepts auxiliaires » permettant l’« opérationnalisation concrète » du dic (Matin 2013 :17), ceux-ci deviennent essentiellement des métaphores du concept d’inégalité : leurs relations particulières avec le capitalisme ne sont pas spécifiées, ce qui laisse leur potentiel explicatif sous-développé (Teschke 2014 : 33 ; Rioux 2014 : 20). Comme le démontre Ben Selwyn (2010 : 435-436), c’est la résolution spécifique des conflits sociaux qui détermine la directionalité causale du « fouet des nécessités extérieures » : ces effets vont-ils dans le sens des avantages ou des désavantages du sous-développement ? Comme nous le verrons plus en détail, dès que l’on déplace le noeud de l’explication vers les conflits sociopolitiques et l’agence, le dic et ses outils théoriques semblent de plus en plus indéterminés dans leur caractère transhistorique.

La formulation transhistorique et circulaire du dic chez Matin masque également la relation spécifique entre l’émergence du capitalisme et la mise en place d’un système d’États territoriaux souverains, question centrale des recherches de Halliday. Benno Teschke et Hannes Lacher (2007 : 569) soulignent que la base d’une théorie des ri portant sur la période capitaliste doit d’abord être une reconnaissance du caractère spatiotemporellement différencié et géopolitiquement médiatisé des trajectoires de développement étatiques et de l’émergence du capitalisme. Dans leurs travaux, Lacher (2006) et Teschke (2012) problématisent la relation entre souveraineté territoriale et capitalisme en montrant leurs origines distinctes au moyen d’une analyse sociohistorique de l’Europe féodale et absolutiste. Ainsi, la souveraineté territoriale absolutiste, dont la formation sur le continent résulte des conséquences à long terme d’un conflit social portant sur la domination et l’appropriation de la terre et des paysans par les classes précapitalistes, précède le développement du capitalisme en Grande-Bretagne. Cette désassociation de la logique territoriale de celle du capital a des conséquences importantes pour la conceptualisation des formes historiques des relations géopolitiques capitalistes, impliquant que le développement du capitalisme fut, dès la genèse de celui-ci, médiatisé par un système composé de plusieurs États (Teschke et Lacher 2007 : 570).

Déthéoriser l’international : le rôle de l’histoire et de l’agence dans le développement inégal et combiné

Même si Matin critique, dans son introduction, une conception du développement en termes d’étapes ou de stades (Matin 2013 : 2, 16), il est difficile de voir comment sa propre notion de développement s’en distingue. Cette situation devient encore plus problématique si l’on considère que la prémisse du dic, telle que formulée par Trotsky et reprise par Rosenberg, reconnaît la super-entité du développement humain en tant que sujet général du processus historique (Rosenberg 2012 : 34). Gurminder K. Bhambra (2011 : 9-10) souligne habilement la manière dont le dic se base sur une telle conception du développement[6] :

Alors que le concept de développement inégal et combiné paraît sensible aux questions de différence, de développement et de sous-développement dans un contexte mondial, cette sensibilité est fondée sur une supposition problématique : son cadre d’analyse tend vers une théorie du développement linéaire et par étapes. […] L’idée essentielle de cette théorie, qui fut récupérée et développée ultérieurement par la sociologie et le marxisme, était que les sociétés se développent par des étapes successives basées sur différents modes de subsistance. […] Le tournant vers le développement inégal et combiné peut ainsi être vu comme un retour au cosmopolitisme des théories antérieures de la société commerciale et de l’importance qu’elles accordent à la coexistence de différents modes de subsistance à l’intérieur d’un cadre universel (une totalité). […] À l’intérieur de ce schéma, le développement est ontologiquement posé comme le sujet de l’analyse. Il identifie l’évolution des structures sociales comme la base de sa méthode explicative. Dans ce contexte, l’inégalité devient une proposition téléologique.

Bhambra 2011 : 10 ; notre traduction

Quelle est la place des acteurs dans ce schéma ? Comme nous l’avons vu dans notre discussion de la révolution iranienne, au sein d’une telle conception du développement les processus de changement social sont subsumés à travers des « combinaisons » qui représentent la superposition de différents moments (ou étapes) asynchrones par rapport aux séquences précédentes de développement. Dans ce contexte où le changement social est déterminé par les contradictions et les tensions inscrites à l’intérieur d’« amalgames asymétriques » (Matin 2013 : 149), l’agentivité des acteurs devient le résultat de l’accumulation de déterminations intérieures et internationales, la promulgation d’impératifs structuraux en dehors du contrôle de l’activité humaine. Le développement devient un processus métahistorique, autogénératif et sans sujet (ou, en fait, il est son propre sujet) qui se joue au-dessus des acteurs sociaux, hors de leur portée (Teschke 2011 : 1102). C’est en ce sens que le citoyen-sujet que Matin (2013 : 114-119) pose comme principale cause de la révolution ne devient qu’un réceptacle passif de l’amalgame contradictoire résultant de la médiation par un État absolutiste « archaïque » de la relation « moderne » entre des individus égaux et politiquement libres. Autrement dit, la révolution est considérée comme le résultat de l’accumulation de contradictions non résolues : les acteurs évoqués servent finalement à mettre en scène ces contradictions, mais on ne leur reconnaît pas d’agentivité indépendante.

Pour être bien clair, nous dirons que l’ouvrage de Matin comporte une analyse historique riche qui est peuplée d’acteurs. Ce que nous critiquons est la rigidité du cadre d’analyse du dic, qui ne dispose pas d’outils théoriques pour comprendre l’agentivité de ces acteurs. Lorsque ces derniers ne sont pas soumis à la logique autoproductrice du dic, ils deviennent des résidus extrathéoriques, domaines de la contingence historique (Teschke 2014 : 35). Le problème est que Matin refuse de pénétrer épistémologiquement le débat en sociologie historique sur la tension entre théorie et histoire[7]. Par conséquent, ce dernier oscille de façon indiscriminée entre les deux pôles du spectre de la méthode historique : d’un côté, une utilisation de l’histoire qui est soumise à la théorie nomothétique et, de l’autre, l’histoire vue comme un ensemble de contingences non théorisables.

Au bout du compte, en poursuivant l’idée du dic en tant que synthèse théorique, Rosenberg et Matin font fi de la mise en garde de Halliday et, du même coup, retombent dans le piège positiviste qui ignore largement le débat engagé par le projet de la shi dans le sens d’une approche poststructuraliste des ri. Dans leur tentative de résoudre la fracture épistémique entre la sociologie et les Relations internationales, ils ont perdu de vue les questions cruciales soulevées par les pionniers de la sociologie historique internationale, ce qui entraîna un réalignement progressif avec les critères de production théorique du néoréalisme. Le défi qui se pose à la shi semble être que l’ampleur du projet y fait naître une tendance au retour vers une position structuraliste et positiviste.

III – Le projet de la shi réactivé : vers une épistémologie historiciste

Il est donc de mise de reconsidérer la prudence de Halliday en ce qui a trait aux dangers que comportent les théories positivistes. Cependant, il est maintenant évident que le fait de s’accrocher à la « ruse de l’histoire » ne peut fournir de solution au débat présenté plus haut : malgré une croyance ferme en l’agentivité des acteurs sociaux, Halliday n’a jamais conceptualisé l’agence de façon approfondie (Teschke 2011 : 1099). Nous avons vu jusqu’ici comment le projet de la shi est traversé par un ensemble de questions qui trouvent leurs sources dans un débat plus global sur les questions épistémologiques et méthodologiques en sciences humaines : la relation entre théorie et histoire, agence et structure, méthode positiviste et méthode postpositiviste. Notre but dans cette section est de réactiver le projet de la shi en l’ancrant à nouveau dans ces débats épistémologiques.

A – L’histoire comme critique : Marx et la méthode dialectique de construction des concepts

Il est intéressant de reconsidérer le contexte dans lequel Trotsky formula initialement l’idée du dic. Suivant Baruch Knei-Paz (1978 : 89), Trotsky conçut le terme « loi » uniquement comme « proposition générale ou observation à propos du développement historique », sans lui accorder le registre causal que lui donnent Rosenberg et Matin. Trotsky lui-même critiqua l’énonciation de « lois éternelles » comme « explications idéalistes du changement social » (Rees 1998 : 264). Cette critique de Trotsky prit sa source dans la méthode de Marx : « Ce ne fut pas l’objectif de Marx que de découvrir les “lois éternelles” de l’économie. Marx niait l’existence de telles lois. L’histoire du développement de la société humaine est l’histoire de la succession de différents systèmes économiques, chacun fonctionnant selon ses propres lois » (Trotsky 2006 : 3 ; notre traduction).

Il est de mise de rappeler brièvement les objectifs de la shi en termes de dénaturalisation et de reconceptualisation des catégories fondamentales des ri : ce projet implique l’historicisation des pratiques sociopolitiques situées, la spécification de concepts et d’ontologies historiquement concrètes et l’étude de subjectivités et de rationalités contextualisées (Teschke 2014 : 64). À partir de la citation précédente, nous approfondirons la méthode de formation conceptuelle chez Marx comme piste de réflexion épistémologique sur l’historicisation des catégories d’analyses à l’intérieur d’un projet renouvelé de la shi.

La définition du dic en tant qu’« abstraction générale » est extrapolée de la discussion de Marx (1972 : 137) sur la « production-en-général » comme catégorie transhistorique : « une abstraction rationnelle, dans la mesure où, soulignant et précisant bien les traits communs, elle nous évite la répétition ». Ainsi, le développement inégal et combiné est mis en oeuvre afin d’éclairer les éléments communs du processus historique : la multiplicité des organisations politiques/sociales et leur développement interactif et inégal dans le temps et dans l’espace (Matin 2013 : 17). Mais ce qui n’est pas inclus dans cette utilisation de l’abstraction générale est le fait que Marx développe cette idée uniquement dans le but d’en critiquer la valeur explicative et l’usage limité dans la compréhension de la « réalité historique » (Ashman 2009 : 40). Cette critique est basée sur sa nature transhistorique et sur son incapacité à rendre compte des différences, contribuant à la réification et à la mystification des concepts.

Revenons sur l’incapacité de Matin à définir clairement les fondements historiques de la multiplicité sociale qui forme son concept d’« international » (Matin 2013 : 3). Cette omission de la définition historique du concept entraîne le problème de la double déhistoricisation, relevé par Derek Sayer (1987 : 141) dans sa discussion de la critique marxienne de l’économie bourgeoise : le détachement d’un concept de ses racines dans une forme particulière de société va de pair avec l’universalisation des propriétés spécifiques de cette société sous le signe d’une pure abstraction conceptuelle.

À partir de cette critique, la méthode marxienne invite à un processus constant d’ajustement et de rétrécissement de la distance entre un phénomène historique et son concept. Marx définit ce processus comme un processus de concrétisation cognitive, allant de l’abstraction réelle (l’objet empirique) à l’idée concrète (le concept), qui réduit successivement la non-identité de l’objet d’enquête et du concept (Marx 1972 : 149). Suivant Teschke (2014 : 41-43), cette procédure peut être comprise comme une méthode dialectique de formation conceptuelle servant à historiciser et à socialiser les concepts en mettant à nu leurs origines à l’intérieur de relations sociales historiquement spécifiques. Cette méthode nous rappelle que les concepts sont des constructions heuristiques qui doivent constamment être mises en dialogue avec l’évidence et la contre-évidence historique. Elle déstabilise les concepts et leur application dans le temps et dans l’espace ; elle invite à leur dynamisation en tant que catégories processuelles et historiques.

B – L’agence comme méthode : la théorie des relations sociales de propriété

Comme nous l’avons vu dans notre discussion sur le dic, les approches critiques tendent à mettre l’accent sur la notion de pouvoir dans sa dimension structurelle. Avec cette notion du pouvoir enchâssé profondément dans les structures de la société, il devient difficile de voir comment les forces sociales peuvent y échapper : l’agence finit par être dissoute dans la reproduction des structures, ce qui explique la tendance des théories critiques à reproduire les problèmes liés au positivisme. Dans ce contexte, le rétablissement de l’agence devient un impératif méthodologique essentiel au développement d’une épistémologie historiciste et critique qui évite la réification des concepts (Knafo 2010 : 493-494).

L’approche marxiste face à la question de l’agence est souvent résumée par la citation célèbre : « Les hommes font leur propre histoire, mais ils ne la font pas arbitrairement, dans les conditions choisies par eux, mais dans des conditions directement données et héritées du passé » (Marx 1969 : 13). Suivant notre réflexion, la tradition critique a tendance à se concentrer sur la seconde partie de l’équation. Notre objectif dans cette section finale est de renverser cette situation. Nous n’aborderons pas directement la dialectique agent/structure, qui nous semble de plus en plus stérile et insoluble[8]. Nous mènerons plutôt une discussion méthodologique dont l’objectif est de placer les relations sociales et les humains qui les vivent comme le point de départ et le point d’arrivée de la démarche d’enquête.

Notre proposition se construit sur une critique de la notion de pouvoir figée à l’intérieur des structures. Cet accent mis sur la dimension restrictive des structures ne fait que dévoiler un côté de ce qui doit être considéré comme une relation sociale :

Ce qui apparaît comme le produit de contraintes structurelles est toujours le produit de l’agence, lorsque proprement resitué à l’intérieur d’une relation sociale qui prend en compte le pouvoir d’un autre acteur exploitant ces contraintes structurelles. Le débat agence/structure [en ri] est conséquemment mal défini, puisqu’il considère la question en termes de relation duelle entre structure et agent, alors qu’en fait nous sommes en présence d’une relation sociale entre agents qui est seulement médiatisée par les structures.

Knafo 2010 : 504 ; notre traduction

C’est sur la base de cette reconsidération de la problématique entre agence et structure que nous proposons une conception historiquement située et relationnelle de l’agence inspirée de l’approche de la trsp. Cette conception prend comme point de départ une abstraction générale, soit les relations sociales de propriété politiquement constituées. Cependant, contrairement au dic, cette abstraction n’a pas de prétention en tant que loi causale générale. Elle se présente comme un outil heuristique qui offre une portée particulière aux relations sociales – économiques, juridiques, culturelles et politiques[9] – liées à la propriété[10] en tant que prémisse facilitant l’historicisation des relations sociales et géopolitiques.

Ces relations définissent par la suite les possibilités et les limites de l’action individuelle, c’est-à-dire les règles de reproduction des acteurs. Nous entendons toutefois une interprétation souple du concept de règle : « Il ne s’agit pas de règles constitutives au statut déterminé et déterminant, mais plutôt de règles normatives et génératives, inscrites dans la grammaire des [relations sociales] de propriété » (Dufour et Rioux 2008 : 129). Comme nous le verrons plus loin, nous privilégions le concept de stratégies de reproduction, qui souligne l’agentivité des acteurs, alors que ceux-ci interprètent de différentes façons (selon une rationalité historiquement située) les impératifs structurels s’imposant à eux.

Cet ancrage historique de la rationalité sociale des acteurs ne constitue toutefois qu’une partie de l’équation. La notion de relations sociales de propriété – comparée à une formulation plus statique de droits de propriété – ouvre la porte à la relationnalité et à l’intersubjectivité des acteurs, alors que ceux-ci négocient, contestent et transforment la définition de la propriété dans des directions historiquement spécifiques. Suivant ce schéma de pensée, le concept structuraliste de mode de production est déconstruit en démontrant comment le pouvoir des « structures » est médiatisé à travers la contestation des relations sociales : les structures n’ont pas d’existence autonome, étant historiquement implémentées et instrumentalisées par des agents spécifiques en relation avec d’autres (Dufour 2007 : 589).

C’est à partir de cet aspect relationnel et conflictuel des relations sociales de propriété qu’il est possible de conceptualiser l’agentivité des acteurs : notre centre d’attention se déplace vers les stratégies de compétition et de reproduction des acteurs et vers les ressources sociales (institutions, traditions, idéologies) mobilisées. Plutôt que de réifier la notion de pouvoir en tant que monopole des structures, notre réflexion montre la relation entre agence et pouvoir : les luttes de pouvoir résultent de tentatives d’acteurs d’acquérir une forme d’agentivité sur des phénomènes sociaux qui échappent en partie à leur contrôle.

Prenons par exemple le marché qui, sous le capitalisme, se présente comme une contrainte structurelle imposée aux individus. Cette dépendance structurelle ne pose qu’une partie de l’équation et nous informe peu sur les façons dont les acteurs répondent à cet impératif (Knafo 2010 : 507). La seconde partie de l’équation redonne à l’agence son rôle dans le processus historique : elle se concentre sur les stratégies des acteurs, alors que ceux-ci mobilisent les règles et les institutions comme moyen d’imposer leur volonté aux autres acteurs (Knafo, Hughes et Wyn-Jones 2013). C’est la nature de ces stratégies qui définit la forme que prennent les impératifs structurels du marché à différents moments de l’histoire du capitalisme. Il est possible ici d’établir un parallèle avec la notion d’anarchie dans le contexte international : malgré la contrainte structurelle posée par la théorie néoréaliste, ce sont les stratégies des acteurs qui donnent forme aux différents ordres géopolitiques. La trsp fournit une démarche théorique afin de comprendre historiquement la rationalité des acteurs et comment ceux-ci « interprètent » leur environnement structurel.

La mise en oeuvre de ces stratégies de reproduction et de contestation, en participant à la renégociation et à la reformulation des « règles du jeu », représente la première source de créativité et d’innovation, donc de l’agentivité, des acteurs. La deuxième source d’agentivité relève de l’issue des luttes et des contestations : dans ce cas, il est important de considérer les conséquences non intentionnelles qui émergent de ces résultats. Ce divorce entre l’agence et l’intentionnalité est crucial pour une approche historiciste afin de s’éloigner d’une lecture fonctionnaliste qui interprète le changement social en termes de besoins systémiques ou d’intentionnalité des plus puissants. Cette réflexion pointe nécessairement vers un certain virage herméneutique en sociologie historique (Teschke 2014 : 37).

C – La trsp face au dic : le réancrage historique de l’agence

Comment cette approche historiciste peut-elle contrer le biais structuraliste inscrit à l’intérieur de théories critiques telles que le développement inégal et combiné ? Premièrement, il est important de reconnaître que le dic soulève une discussion fondamentale en ce qui a trait à la dimension géopolitique du changement social et à la nécessité de prendre en compte l’interaction de la multiplicité des trajectoires de développement. Toutefois, comme mentionné précédemment, le dic conduit à une formule tautologique dont l’inégalité devient à la fois explanans et explanandum. La trsp fournit, de son côté, un ancrage théorique à la notion d’inégalité par l’entremise d’une analyse comparative des trajectoires de développement prenant source dans les conflits générés par différents arrangements de relations sociales de propriété[11].

Deuxièmement, la trsp peut nous aider à mieux comprendre les réponses aux problèmes géopolitiques résultant de l’interaction des différentes trajectoires de développement. Revenant sur notre critique de Matin, nous constatons que sa tendance à représenter les acteurs comme le réceptacle passif des contradictions liées à l’aspect combiné du développement l’amène à déformer l’agence de l’État monarchique qu’il définit comme un État absolutiste « archaïque » (Matin 2013 : 119), symbole du retard du développement iranien. Selon notre réflexion, il faut contrer une telle réification de l’État en replaçant celui-ci à l’intérieur du contexte historique et des relations sociales dans lesquels il s’inscrit.

Le processus de formation étatique iranien fut influencé par la configuration particulière des relations sociales de propriété nées de l’effondrement du système impérial kadjar. Cette situation laissa le champ libre aux propriétaires terriens, qui purent alors renforcer leurs positions face aux paysans métayers, de sorte que, jumelée à la commercialisation de l’agriculture iranienne, cette période fut témoin d’un renforcement de la nature coercitive de l’agriculture ainsi que d’une accumulation et d’une concentration de la propriété terrienne (Araghi 1999 : 116-118).

C’est dans ce contexte qu’émergèrent Reza Chah et son projet d’État centralisateur basé sur la création d’une nouvelle armée (Turner 1980). Le processus de formation étatique est alors devenu le lieu d’une lutte entre une classe de propriétaires terriens quasi autonomes sociopolitiquement et un État centré sur Téhéran : le coeur de cette lutte fut le contrôle des surplus agricoles, ressources nécessaires au développement des capacités infrastructurelles de l’État. Malgré le recours à différentes stratégies afin de contourner la domination provinciale des propriétaires terriens, l’issue du conflit fut essentiellement un compromis dans lequel la famille royale fut intégrée à la classe des propriétaires terriens (Karshenas 1990 : 66). Les limites ainsi imposées au développement de l’État provoquèrent par la suite la crise géopolitique de la Seconde Guerre mondiale et l’invasion alliée.

Voilà comment l’intervention anglo-britannique de 1953 et la subséquente alliance entre le régime monarchique et la principale puissance capitaliste sont devenues un point tournant de ce récit. C’est sur la base de ce changement d’alliance, s’éloignant du pouvoir terrien et s’insérant à l’intérieur des relations géopolitiques de l’ordre capitaliste international (principalement par la réinsertion de l’industrie pétrolière au marché mondial), que le nouveau monarque, Mohammed Reza Chah, put contourner l’enracinement des pouvoirs provinciaux et développer les capacités autonomes de l’État.

À la suite de ces événements, et en partie sous la pression géopolitique des États-Unis, l’État imposa un vaste programme de réforme visant à étendre son contrôle sur la production agricole et industrielle par l’introduction de relations sociales capitalistes (Najmabadi 1987). Ainsi s’explique l’une des principales causes de la révolution iranienne, soit le retrait de l’État des relations sociales intérieures, qui a entraîné la formation d’une coalition antimonarchique menée par une petite bourgeoisie et un clergé frustrés par les politiques d’un État allié au capital étranger. Bien que sommaire, cette explication montre comment l’ancrage du développement iranien dans les luttes autour des relations sociales de propriété permet un récit alternatif de la révolution iranienne. Il est toutefois important de reconnaître les limites de ce récit : si la trsp peut nous aider à comprendre les origines sociales du pouvoir autonome du clergé chiite, il lui est impossible de rendre compte de la trajectoire idéologique suivie par la révolution.

Conclusion : la déconstruction de la catégorie de l’international et ses origines sociales

Revenons à l’interrogation centrale de cet article : quelles sont les conséquences de cette épistémologie historiciste et de cette démarche méthodologique pour le projet de la sociologie historique internationale et pour la relation interdisciplinaire entre sociologie et Relations internationales ? Tout comme il n’y a pas de production-en-général chez Marx, il ne doit pas y avoir d’international- en-général en ri, mais un ensemble particulier de relations sociales construisant différentes formes de géographies politiques historiquement spécifiques[12]. Cette déconstruction de la catégorie de l’international distingue l’approche présentée ici des approches postpositivistes des Relations internationales (Wendt 1992 ; Ruggie 1993 ; Buzan et Little 2000), lesquelles demeurent limitées par la projection anachronique de la notion traditionnelle de l’international en tant que sphère distincte de l’activité humaine, ce qui explique l’absence d’une réflexion approfondie sur les fondations sociales des ordres géopolitiques historiques[13].

Comme nous l’avons observé dans notre discussion sur la construction conceptuelle, l’international est une catégorie historique qui trouve son fondement dans la relation entre des États-nations territorialement définis. Cette catégorie d’analyse ne peut être projetée sur d’autres formes de géographie politique – tribale, féodale, impériale, fédérale (cités-États et polis) – qui ne sont pas fondées sur les prémisses d’une souveraineté territoriale fixe et exclusive. Si nous considérons plutôt la formation des théories et de concepts comme un processus de spécification historique ancré dans la contestation des relations sociales, nous pouvons voir comment les différentes formes de géographie politique, de relations géopolitiques et les différentes stratégies de territorialisation et de déterritorialisation sont construites comme le résultat de l’agentivité d’acteurs historiquement situés. Cette interaction entre relations sociales et ordre géopolitique représente une piste importante de réflexion en vue d’une reformulation de la relation interdisciplinaire en sociologie et en Relations internationales.