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L’ouvrage s’écarte de l’approche institutionnelle classique : il se situe dans une perspective sociohistorique privilégiant les jeux d’acteurs en mouvement plutôt que les règles et structures. Il s’agit d’une approche de « sociologie évolutionnelle », et non d’une approche traditionnelle historique, juridique et politique, bien que l’on retrouve ces éléments dans les développements du livre. Il recouvre l’évolution des organisations mondiales et régionales et des nouveaux acteurs non gouvernementaux.

L’auteur examine d’abord la genèse des Organisations Internationales (oi), le processus de leur institutionnalisation sur trois types de ressources : juridiques, fonctionnelles et symboliques.

Il reprend l’historique classique des conférences européennes, du Concert européen, des unions administratives, de la Société des Nations (sdn) et de son système de sécurité collective. Il souligne les principales innovations de la sdn, la fonction publique internationale et l’assistance technique avec une participation accrue des acteurs privés dans la coopération multilatérale. Il décrit ensuite la création de l’Organisation Internationale du Travail (oit) et sa structure tripartite, puis la création de l’Organisation des Nations Unies (Onu), son « système », ses objectifs et ses structures, les agences spécialisées, les institutions financières. Il souligne l’importance et l’hétérogénéité de l’ensemble. L’auteur ne recherche pas la typologie idéale, mais se contente d’identifier les oi selon leur structure, leur dimension, leur compétence, leur autorité. L’organisation se transforme, son identité n’est jamais fixe. Il présente ensuite une liste d’organisations régionales, un ensemble hétérogène de « communautés internationales partielles ». Les oi ne constituent pas un « ensemble », elles répondent à des intérêts sectoriels et à des objectifs variables, sans système hiérarchique.

L’auteur résume ensuite les approches théoriques des oi, dont les approches libérales des fonctionnalistes (David Mitrany), des réalistes, le régime international, le constructivisme. Il analyse le « triangle de la fonctionnalité », la représentativité des oi, y compris celle des fonctionnaires internationaux, leur légitimité et leur efficacité, la prise de décision, la difficulté à mesurer leur performance, leurs communications, leurs méthodes de gestion. Il rappelle l’impact du Sud sur les oi après la décolonisation ainsi que leurs revendications. Par ailleurs, l’ouverture des oi aux ong et à l’entreprise est un autre élément d’évolution : leur rôle consultatif, opérationnel, les partenariats public-privé. Il signale le blocage des budgets réguliers par les pays riches et l’apport de contributions volontaires ainsi que le phénomène des « clubs », soit les groupes G7 et autres.

Concernant la sécurité internationale, Devin décrit le rôle du Conseil de sécurité et l’extension de ses domaines de compétence, les limites de son action, la doctrine Annan de la responsabilité de protéger (r2p) : selon lui, le Conseil de sécurité s’est indéniablement renforcé, mais ses réussites soulignent ses insuffisances. L’évolution, la croissance et les limites des opérations de maintien de la paix sont décrites. Les principaux acquis de l’action des Nations Unies dans ce domaine sont, d’une part, la reconnaissance qu’un conflit interne peut menacer la paix internationale et, d’autre part, la nécessité de défendre les populations civiles.

L’auteur estime que la régulation de la mondialisation est hiérarchisée, fragmentée et contestée. Il constate l’ascension du fmi et de la Banque mondiale et leurs problèmes – les droits de tirages spéciaux, les programmes d’ajustement structurel –, les crises touchant l’Organisation mondiale du commerce, la contestation des États du Sud et leur demande de réforme de ces institutions. La gouvernance mondiale de l’environnement illustre la fragmentation des institutions ou réseaux créés sans coordination. L’omc est citée comme un des terrains de dynamiques contentieuses, portées par les ong, le secteur privé, les gouvernements, et qui demandent des choix politiques.

L’auteur note le développement du droit international humanitaire (droits humains) depuis 1945, dont les principes et la mise en oeuvre font l’objet de contestation : pour les pays occidentaux, l’universalité des droits est menacée par un regain de relativisme culturel et de souverainisme, quant aux pays du Sud, ils rejettent une approche punitive des droits de l’homme et une pratique « deux poids, deux mesures » et donnent priorité au développement.

La conclusion rappelle que la croissance du nombre des oi ne doit pas cacher leurs transformations spectaculaires dans la durée : l’extension de leurs domaines de compétence, l’augmentation de leur production normative, la diversification de leurs capacités opérationnelles dans le cadre d’un vaste mouvement d’intégration internationale.

L’ouvrage comporte une bibliographie de 12 pages.

Le livre de Guillaume Devin offre une nouvelle vision du phénomène des organisations internationales, leurs constantes évolutions et leur rôle dans un long mouvement d’intégration internationale. C’est celui d’un spécialiste de science politique et de sociologie, le premier ouvrage de ce type en français. Les sujets étudiés le sont de façon approfondie concernant l’historique, le rôle, la structure et l’évolution des organisations, les relations Nord-Sud, et l’apparition de nouveaux acteurs – société civile, ong, secteur privé. L’ouvrage est clair, il bénéficie de nombreuses références bibliographiques et historiques.

Quelques remarques mineures peuvent être formulées sans porter atteinte à cet ouvrage de grande qualité. La présentation des groupes G (G7, G24, G77) comme « clubs » est discutable. L’expression « droits de l’homme » en français est évidemment tributaire des nombreuses conventions internationales qui l’utilisent : la tendance actuelle préfère le terme « droits humains ». Concernant le secteur privé, on pourrait ajouter la lutte par les puissantes multinationales contre la régulation internationale.