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Voici un ouvrage qui tombe à point. Quelques années après la catastrophe de Fukushima, un premier bilan s’imposait.

Cet ouvrage collectif, qui rassemble des contributions d’universitaires de l’Asie-Pacifique, de l’Europe et des États-Unis, s’intéresse à l’« effet Fukushima », c’est-à-dire aux conséquences de l’accident nucléaire sur le développement de la filière, sur la gestion des systèmes énergétiques et les politiques qui y sont liées. Afin d’aborder cette problématique, l’approche adoptée est novatrice. Elle peut être décrite comme étant à mi-chemin entre la géopolitique et le champ d’investigation des sciences, des technologies et des sociétés (sts).

De l’avis des directeurs de l’ouvrage, la recherche sur les conséquences des accidents nucléaires constitue un nouveau « terrain géopolitique ». L’« effet » dont il est question est observé par l’entremise des changements de trajectoires énergétiques, du traitement médiatique ou encore par l’augmentation des craintes quant aux risques.

Les études de cas couvrent des pays de trois continents : l’Europe, l’Asie et l’Amérique. Certains sont des pays nucléarisés ; d’autres, des pays émergents intéressés par le nucléaire ; d’autres, enfin, ne sont pas des pays nucléaires, mais pourraient le devenir. Leur point commun est qu’ils sont tous touchés par la catastrophe de Fukushima.

Une attention particulière est donnée, dans les différents exposés, aux histoires nationales, aux débats qui se font jour et aux réponses adoptées. Les thèmes couverts sont variés : leadership politique, sécurité énergétique, risques nucléaires, gestion des déchets radioactifs, développement de la filière, mouvements sociaux, représentations géopolitiques et rôle des médias.

La thèse défendue par les directeurs de l’ouvrage est que Fukushima correspond à un nouveau type d’accident nucléaire, à l’intersection du désastre naturel (tsunami) et de la catastrophe technologique (faille dans le système de sécurité). Autrement dit, s’il importe de trouver des raisons à la catastrophe, celles-ci se trouvent quelque part dans la combinaison des facteurs naturels et technologiques. La nature aurait trouvé une « faille » dans le système de sécurité japonais et, de ce fait, l’apparence de sécurité accompagnant l’énergie nucléaire se serait envolée, réduisant du même coup la marge de manoeuvre des administrations à travers le monde. En conséquence, il est probable que Fukushima marque le point de recul du nucléaire.

Selon les auteurs, la perte de confiance qui sévit actuellement interroge aussi la capacité des autorités à prendre en charge une nouvelle catastrophe. À plusieurs reprises, l’incapacité de l’opérateur Tepco à mener à bien des opérations de gestion des eaux radioactives ou encore des travaux de limitation des rejets dans le Pacifique a fait le tour du monde. À ces occasions, il est apparu que ni le gouvernement japonais ni la multinationale de l’énergie n’étaient préparés à un tel désastre. En serait-il autrement ailleurs ? Les auteurs apportent un éclairage nuancé, mais néanmoins critique à cette question décisive.

Cela dit, alors qu’il est devenu clair que l’activité humaine induit des changements climatiques, ce livre apporte surtout une contribution aux débats portant sur la place que doit occuper l’énergie nucléaire à l’ère de la transition. Il permet de mettre en perspective l’affirmation répandue selon laquelle l’énergie nucléaire représente une énergie de « salut ». Il est en effet souvent évoqué, lorsqu’il est question des sources d’énergie, que seul le nucléaire représente une énergie de substitution crédible et capable d’assurer la sécurité énergétique.

Jusqu’à Fukushima, selon les auteurs, le nucléaire regagnait en réputation. Tchernobyl était loin derrière, et l’urgence de limiter les émissions de CO2 semblait plaider en faveur de la reconduction des engagements ou de l’expansion des programmes existants. L’Allemagne et la Suède remettaient en question leur retrait, alors que les États-Unis, le Royaume-Uni et certains pays d’Asie autorisaient de nouveaux projets. Des organisations non gouvernementales (ong) significatives étaient même sur le point d’accepter l’extension de la filière devant l’incapacité des renouvelables à prendre le relais des énergies fossiles.

Or, après Fukushima, l’Allemagne, la Suisse, la Belgique et Taïwan ont tous accéléré leur sortie. L’accident s’est traduit par un changement d’orientation en Italie et en Israël. Même la France, grande dépendante du nucléaire, a décidé de se tourner un peu plus vers les renouvelables, alors que les autres pays acquis au nucléaire, comme les États-Unis et la Russie, ont renforcé la sécurité de leurs installations. Partout, l’effet s’est fait sentir.

Le lecteur gagnera particulièrement à lire l’avant-propos, l’introduction et la conclusion, qui donnent une vue d’ensemble de l’ouvrage, en plus des chapitres sur le Japon, la Chine et l’Allemagne, trois pays à l’avant-garde de la recherche et du développement en matière d’alternatives énergétiques. Toutefois, si un seul cas devait retenir l’attention, en raison de son potentiel d’influence géopolitique, nous conseillons le chapitre sur la Chine. Car, de tous les pays étudiés, seule la Chine semble véritablement posséder la capacité technologique, financière et politique de créer les conditions d’une économie moins dépendante des énergies fossiles. En somme, voici un livre de grande qualité et originalité, qui intéressera aussi bien les universitaires, les décideurs, les citoyens que les étudiants.