Corps de l’article

Depuis son indépendance en 1960, le Mali connaît un cycle de rébellions touarègues dont la nature et les objectifs varient en fonction des contextes spécifiques nationaux, régionaux et internationaux (Bourgeot 1994, 2013 ; Konaté 2013). De la rébellion de 1990-1995 à la dernière en date (janvier 2012), l’Algérie a toujours joué un rôle prépondérant dans les négociations de paix et de réconciliation entre Maliens. Fin observateur du conflit politique malien, Doulaye Konaté remarque que les rébellions touarègues suivent une chaîne opératoire dont les maillons constitutifs sont « rébellion - désertion - accord de paix - intégration - rébellion - désertion » (Konaté 2013 : 193-218). Ces maillons s’appuient sur des activités criminelles impunies (trafic de drogue, trafic d’êtres humains, etc.).

Les conflits politiques violents de 1991, 2006 et 2012 se sont soldés par des accords de paix issus de la médiation algérienne. Bien que la conclusion des accords de paix ait eu une incidence positive, la récurrence des conflits au nord du Mali met en évidence de sérieuses difficultés d’application des accords de paix. Ces difficultés soulèvent non seulement des interrogations sur l’approche méthodologique du médiateur, mais aussi sur ses objectifs stratégiques et les jeux d’autres acteurs. Les difficultés de mise en oeuvre des accords motivent également les réticences et les insatisfactions (Bencherif 2018) des belligérants devant la médiation algérienne.

L’analyse de la médiation algérienne dans le conflit armé au Mali exige de clarifier la notion de médiation. D’après Bercovitch, Anagnoson et Wille (1991), la médiation peut être définie comme « un processus de gestion des conflits dans lequel des adversaires recherchent l’assistance ou acceptent la proposition d’aide d’un individu, d’un groupe, d’un État ou d’une organisation, pour traiter leur conflit ou résoudre leurs différences sans avoir recours à la force physique ou invoquer l’autorité de la loi » (Faget 2008a : 314). De même, pour Guillaume Hofnung, la médiation peut être considérée comme un « processus de communication éthique reposant sur la responsabilité et l’autonomie des participants, dans lequel un tiers – impartial, sans pouvoir décisionnel ou consultatif, avec la seule autorité que lui reconnaissent les médiés – favorise par des entretiens confidentiels l’établissement, le rétablissement du lien social, la prévention ou le règlement de la situation en cause » (Mrad 2012 : 13).

Pour Jacques Faget, « le but de la médiation n’est pas de traiter le litige, les positions, les revendications, de trouver une solution au conflit. Au contraire, la médiation ne porte qu’un regard détaché sur ces prétentions. Ce qui l’intéresse c’est de travailler ce qui se cache derrière les prétentions juridiques plus ou moins bien objectivées des médiés. Ce travail suppose de faciliter l’expression directe des émotions, des sentiments, l’échange des représentations » (Faget 2017 : 121). Il témoigne que le rôle que les parties au conflit attendent du médiateur est de travailler sur le conflit, dont la nature est le plus souvent initialement obscure, insaisissable, voire irrationnelle. Ainsi, il estime que le médiateur doit plutôt aider les médiés à déconstruire leurs récits initiaux pour qu’ils puissent construire un récit alternatif commun. En d’autres termes, « le rôle du médiateur est donc de catalyser l’établissement d’un dialogue, d’une conversation entre des acteurs qui, sans sa présence, ne peut avoir lieu » (Faget 2017 : 122). Partant de ces définitions, le rôle du médiateur est d’aider les médiés « à exprimer leurs besoins et faciliter le dialogue tout en se tenant en dehors du fond de l’affaire » (Mrad 2012 : 12). Ainsi, le « médiateur aide les parties à élaborer elles-mêmes un accord » (Mrad 2012 : 14).

La diversité des approches théoriques de la médiation et de ses modèles – axés sur la recherche rapide de solutions (problem solving) ou fondés sur la construction de la communication pour réguler le conflit sur le long terme – montre que le choix de l’approche ou du modèle a une influence significative sur le processus de la médiation. Le texte de Faget, « État des travaux sur la médiation dans les conflits politiques violents » (2008b) en constitue une illustration éloquente. Il met en évidence différentes approches théoriques et différents modèles de médiations qui nous serviront de grilles d’analyse dans cette étude. En ce qui concerne la médiation d’Alger dans les conflits abordés dans cette recherche, les questions qui se posent sont : quelle est l’approche algérienne dans la médiation du conflit politique malien ? Cette approche de médiation fonctionne-t-elle ? Dans quelle catégorie de médiation déclinée par Jacques Faget s’insère-t-elle ?

Ces interrogations conduisent à formuler l’hypothèse que l’approche méthodologique du médiateur a une incidence significative sur la mise en oeuvre des accords de paix issus de la médiation algérienne ; mais on peut considérer aussi que les intérêts stratégiques déterminent l’approche du médiateur. Ainsi le but de cette étude est double : 1) analyser le rôle de l’Algérie dans la médiation des conflits inter-maliens ; 2) identifier et expliquer les voies principales par lesquelles l’Algérie a amené les parties à des accords de paix.

Cette réflexion s’appuie sur des recherches de terrain consacrées au conflit malien et se nourrit d’entretiens menés de septembre 2017 à septembre 2019 auprès de personnalités impliquées dans le processus de paix au Mali, dont les contributions permettent d’expliquer davantage le rôle de l’Algérie dans le processus de médiation. Nous avons interrogé essentiellement des Maliens fortement impliqués dans le processus de médiation. Dans cette étude, nous avons interrogé cinq hauts officiers de l’armée malienne, trois membres influents de la Plateforme[1], trois officiers du mlna, trois anciens ambassadeurs et six dirigeants politiques – dont trois de la mouvance présidentielle et trois de l’opposition. La crise algérienne de 2019 a fait qu’il nous a été difficile de nous rendre à Alger pour mener des entretiens avec des acteurs de la médiation algérienne. Cependant, nous avons échangé avec un ancien diplomate et membre de l’équipe de médiation algérienne. Nous avons relevé que certaines personnalités officielles algériennes impliquées dans la médiation ou le suivi de la mise en oeuvre des accords de paix sont réticentes à parler du processus en raison de l’exigence de confidentialité que leur impose le rôle de médiateur.

La plupart des acteurs et témoins interviewés ont exigé l’anonymat en raison du caractère sensible des données. De ce fait, nous avons retenu essentiellement les propos corroborés par les médias, les articles scientifiques et les documents officiels accessibles aux chercheurs.

I – L’Algérie, médiatrice attitrée du conflit malien de 1991 à 2006

Pour le gouvernement malien et les rebelles, l’Algérie a été, depuis les années 1990, le médiateur de prédilection dans le conflit du Nord. Cette préférence s’explique, selon certains dignitaires des gouvernements des années 1963 à 1991, par le fait que l’Algérie aurait une dette d’honneur vis-à-vis du Mali (le soutien malien à la guerre d’indépendance de l’Algérie), mais aussi parce qu’une déstabilisation du Mali pourrait se répercuter sur elle sur les plans politique et socioéconomique. Par ailleurs, un ancien ambassadeur du Mali en Algérie affirme que

[L]’Algérie a une ascendance sur les populations du Nord, beaucoup d’entre eux ont une partie de leur famille en Algérie ou ont la double nationalité. Aussi, tous leurs produits (carburant, aliments, médicaments, etc.), viennent de l’Algérie. Ainsi, une fermeture des frontières par le voisin algérien effraie les rebelles, les djihadistes, les trafiquants ainsi que les populations ordinaires du Nord du Mali.

Entretien, 2019

Des travaux de recherche attestent la quête de puissance hégémonique de l’Algérie au Maghreb et au Sahel (Chena 2011), en plus de sa détermination à lutter contre l’organisation terroriste Al-Qaïda au Maghreb islamique (aqmi), ce qui la pousse à s’investir dans la recherche d’une paix durable dans la région en privilégiant le dialogue politique (Lounnas 2013). D’autant qu’aqmi et ses affiliés « ont tissé des liens familiaux avec les tribus locales et se sont impliqués dans les trafics en tout genre de la région, leur permettant ainsi de déployer leur base arrière dans le nord-Mali » (Lounnas 2012 : 43).

Ainsi, d’un côté, sa politique extérieure fondée sur le respect de la souveraineté nationale des États, son attachement à la médiation comme moyen de règlement des différends et sa longue expérience de lutte contre le terrorisme font de l’Algérie un médiateur crédible aux yeux des gouvernements du Mali. D’un autre côté, son acceptation, en tant que médiateur, par les rebelles, est fondée sur sa connaissance profonde du conflit et les relations séculaires entre les tribus transfrontalières (les tribus nomades du Sahel) plutôt que sur son impartialité et sa neutralité. En effet, nos entretiens avec des personnes impliquées dans la médiation depuis 1990 jusqu’en 2015 mettent en évidence que l’Algérie est sollicitée par les belligérants maliens pour son influence ou son intérêt dans le conflit plutôt que pour son impartialité.

Pourtant, de nombreuses études empiriques montrent que la légitimité du médiateur réside dans son impartialité. Pour Ben Mrad Fathi, « l’impartialité se décline autour de l’indépendance du médiateur par rapport aux acteurs et aux conflits qui lui sont soumis » ; il soutient que « la neutralité peut se définir comme une attitude que les médiateurs adoptent pour éviter de prendre parti pour l’un des médiés sur les responsabilités du différend » (Ben Mrad 2006 : 59). Dans cet ordre d’idées, l’impartialité du médiateur est un critère de la plus haute importance pour la réussite de la médiation.

Toutefois, Zartman et Touval (1985) montrent que le succès de la médiation dépend davantage de la capacité du médiateur à manier la carotte et le bâton ou encore de son pouvoir matériel à soutenir la médiation. Pour ces auteurs, l’impartialité du médiateur est moins importante que son pouvoir d’influence pour la réussite de la médiation. Mieux encore, pour Siniver (2006), plus le médiateur peut mobiliser de ressources pour changer les attitudes des antagonistes, plus il est efficace.

Suivant cette approche, le médiateur peut avoir, selon Jacques Faget, « le pouvoir de récompense lorsqu’il est en capacité d’offrir aux belligérants des avantages en échange du changement de leur comportement, le pouvoir coercitif qui s’appuie sur des menaces de sanctions, le pouvoir expertal qui dérive de la connaissance et de l’expertise du médiateur en la matière, le pouvoir légitime basé sur l’autorité et le charisme du médiateur, le pouvoir relationnel qui repose sur les relations existantes entre le médiateur et les opposants, le pouvoir informationnel qui positionne le médiateur comme un porteur de message entre eux » (2008a : 320). Dans cette conception, l’impartialité du médiateur est reconnue par les parties en conflit lorsqu’il leur fournit des informations utiles et nécessaires, ou des moyens économiques et matériels pour la régulation du conflit. En d’autres termes, « l’impartialité n’est pas nécessairement un attribut du médiateur qui réussit […] la fourniture d’informations n’est pas seulement acceptable mais parfois nécessaire » (Faget 2008a : 319).

A – La médiation dans le conflit de 1990-1995

Sous la médiation algérienne, des premiers pourparlers ont eu lieu à Tamanrasset (Algérie) entre le gouvernement du Mali et les insurgés touaregs pour mettre fin aux hostilités de 1990-1991. Ces assises sont en réalité le couronnement de plusieurs mois de tractations pilotées par les autorités algériennes. Il y eut d’abord une première conférence réunissant les présidents malien, nigérien, algérien et libyen dans la ville algérienne de Djanet en septembre 1990 ; puis une réunion d’unification des groupes touaregs – le Front populaire de Libération de l’Azawad (fpla), l’Armée révolutionnaire de Libération de l’Azawad (arla) et le Front islamique arabe de l’Azawad (fiaa) – à Ghardaïa (toujours en Algérie) le 10 décembre 1990, dont l’issue sera la création des Mouvements et Fronts unifiés de l’Azawad (mfua).

Ce faisant, les négociations de Tamanrasset entre le gouvernement malien et les rebelles débouchent sur une signature d’accords désormais connus sous le nom des « accords de Tamanrasset ». Ces accords sont suivis de plusieurs concertations inter-maliennes, dont l’aboutissement sera l’adoption, le 11 avril 1992, d’un Accord-cadre de règlement des problèmes du Nord du Mali dénommé « Pacte national », dont l’un des dispositifs est relatif au « Statut particulier du Nord du Mali »[2]. Courant 1994 et 1995, des réunions ont régulièrement lieu en Algérie pour dégager les voies et moyens en vue de la mise en oeuvre du document.

B – Les négociations d’Alger de 2006

Cependant des difficultés et incompréhensions ressurgissent entre gouvernement malien et rebelles touaregs, et de nouveaux affrontements éclatent dans les régions du Nord en 2006. Cette nouvelle rébellion commence le 23 mai 2006 par une attaque simultanée des camps militaires de Kidal et de Ménaka. L’Algérie est de nouveau appelée à la rescousse pour mettre un terme au conflit puisque les rebelles avaient refusé l’implication des chefs tribaux du Nord ou encore l’influence de la Libye désireuse de jouer un rôle dans le conflit malien. Le médiateur obtient des rebelles qu’ils abandonnent leur revendication à l’autonomie et qu’ils se cantonnent dans l’Adrar Tigharghar, tout en leur interdisant de contacter d’autres organisations touarègues qui seraient actives dans d’autres pays, en l’occurrence la Libye et le Niger.

Au bout d’une « journée et demie »[3], le médiateur parvient à concilier les vues des parties au conflit. Ainsi, un nouvel accord de paix est conclu et signé à Alger le 4 juillet 2006. Mais le document est très critiqué à Bamako[4]. Le point le plus contesté des accords de 2006 concerne la « délocalisation des casernes militaires dans les zones urbaines conformément aux dispositions du Pacte national [,] la création en dehors des zones urbaines de Kidal d’unités spéciales de sécurité, rattachées au commandement de la zone militaire et composées essentiellement d’éléments issus des régions nomades »[5]. En substance, cet accord requiert que l’armée nationale se retire d’une grande partie du territoire national. Des sources militaires affirment que de nombreux officiers de l’armée en ont déduit que l’autorité de l’État ne s’exerçait plus sur les régions du Nord, au profit des unités spéciales composées uniquement d’anciens rebelles issus desdites régions. Cet accord mal aimé connaîtra des difficultés d’application. Les hostilités reprennent en mai 2007 entre forces gouvernementales et rebelles touaregs.

II – L’Algérie et la bataille politique pour le rôle de médiateur

Surnommée « médiateur attitré du conflit malien », l’Algérie est désormais concurrencée dans ce rôle par la Libye, puis par le Burkina Faso et le Maroc, même si elle a réussi à faire échouer les autres tentatives de médiation.

A – La tentative de médiation libyenne

En 2008, la Libye a initié une médiation entre le gouvernement malien et les rebelles à travers la Fondation internationale de charité et de développement et la Ligue sociale et populaire des tribus du Grand Sahara. L’approche libyenne était, certes, innovante en ce sens qu’elle mettait l’accent sur la « fraternité arabe » (Vettovaglia 2010) en mobilisant des « sages » et des personnalités arabes[6] pour résoudre des questions sahéliennes sans interventions extérieures. Mais au fond, selon un ancien consul général du Mali à Tamanrasset, Kadhafi cherchait plutôt à exhiber sa puissance pour accroître son influence dans le Sahel. En effet, l’objectif stratégique de la Libye dans cette médiation était de se positionner et/ou de préserver son influence (Vettovaglia 2010) en tant que puissance régionale au moyen de l’aide financière et de la promotion de la paix dans la zone sahélo-saharienne.

Du point de vue des rebelles maliens, la médiation libyenne est une opportunité sans précédent d’obtenir un soutien politique et financier. En revanche, dans la classe politique malienne, l’initiative du « Guide libyen » était perçue comme une menace en raison de son influence dans le milieu touareg. L’accord signé à l’issue de ce processus restera lettre morte.

B – La médiation burkinabé

Après l’éclatement du conflit de 2012, le président du Burkina Faso, Blaise Compaoré, a été désigné médiateur par les chefs d’État de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (cedeao) lors de la réunion tenue le 27 mars à Abidjan. La médiation burkinabé débute le 6 juin et, après onze jours d’intenses tractations, elle aboutit le 18 juin 2013 à la signature d’un accord préliminaire à l’élection présidentielle et aux pourparlers inclusifs de paix au Mali entre les autorités de transition et les sécessionnistes. Cette médiation a le « mérite d’avoir permis la tenue des élections présidentielles » (Touré 2019) et législatives de 2013 sur l’ensemble du territoire malien.

Cependant, une grande partie de la classe politique critique le manque d’impartialité du président Blaise Compaoré. Cette perception de la médiation burkinabé est éloquemment illustrée par Roch Marc Christian Kaboré, actuel président du Burkina Faso, qui explique que « l’ex-président Blaise Compaoré […] a joué un rôle de médiation au Mali, [ce] qui fait que, de façon constante, nous avons eu ces collusions avec les forces djihadistes au Mali » (Kaboré 2017). Issa N’Diaye[7] témoigne qu’il est un « médiateur-acteur et parrain des guerres en Afrique » (N’Diaye 2013). Par ailleurs, selon un ancien ministre et officier de haut rang de l’armée malienne, la rivalité historique entre le Mali et le Burkina Faso, en plus des relations personnelles conflictuelles entre Ibrahim Boubacar Keïta (ibk) et Blaise Compaoré, expliquent la réserve du gouvernement pour la médiation burkinabé. Cette brouille entre les autorités maliennes et le médiateur se traduit par une année de blocages.

Pour les proches du président ibk, le médiateur devait réunir les conditions organisationnelles favorables à la sérénité du processus, comme la légitimité et la crédibilité nécessaires pour établir une confiance mutuelle entre les parties au conflit. À ce sujet, le ministre des Affaires étrangères, Zahabi Ould Mohamed, explique que le Burkina Faso ne doit pas s’offusquer, car « on est médiateur quand on vous sollicite » (rfi 2014). Finalement, les pourparlers, entamés à Ouagadougou en juin 2013, se poursuivront à Alger, ce qui confirme le rôle incontournable de l’Algérie dans la régulation des rébellions au nord du Mali[8].

C – Les ambitions du Maroc pour le rôle de médiateur

Ce choix est à l’origine d’une « brouille diplomatique » (Traoré 2018) entre le Mali et le Maroc. En fait, la grande influence de l’Algérie dans la résolution du conflit malien se surimpose à la rivalité pour l’hégémonie en Afrique du Nord et au Sahara. Si le gouvernement se dit favorable à une médiation algérienne, la Coordination des mouvements de l’Azawad (cma) est plutôt séduite par l’idée d’une médiation marocaine. Selon un membre influent de la Plateforme, le mnla a porté son choix sur le Maroc par crainte de partialité de l’Algérie. Ainsi, c’est en connaissance de cause que Mahamadou Djéri Maïga, vice-président du mnla, a affirmé aux représentants onusiens que, « jusqu’à preuve du contraire, le médiateur est le Burkina Faso, mais nous voulons aussi que le roi du Maroc joue au facilitateur » (Haj 2014). Dans la foulée, Bilal Ag Chérif et Mossa Ag Attaher, respectivement secrétaire général et porte-parole du mnla, ont été reçus par le roi Mohammed vi le 31 janvier 2014 (Haj 2014).

D – La médiation internationale conduite par l’Algérie en 2014-2015

Force est de constater que la désignation de l’Algérie comme médiateur en 2014 est vivement contestée par une partie des mouvements du Nord (Boitiaux 2014), dont l’opposition politique. De leur point de vue, le choix de l’Algérie est inapproprié car, « à chaque fois, on accourt vers elle et c’est le même résultat : aucun […]. L’Algérie a le plus été impliquée dans la résolution de la crise malienne et n’a jamais pu trouver de solutions » (Cettour-Rose 2014). Pour certains dirigeants de l’opposition politique, c’est le médiateur désigné par la cedeao, en l’occurrence le Burkina Faso, qui aurait dû poursuivre la médiation.

Néanmoins, au lieu d’être médiateur unique comme dans les conflits précédents, Alger endossa le rôle de chef de file de l’équipe de médiation internationale au grand dam du Maroc et du Burkina Faso. Pour avoir le consentement et la participation des belligérants, des partis politiques de l’opposition et de la société civile, et aboutir à un accord mutuellement acceptable, l’équipe de médiation dirigée par l’Algérie était composée de la cedeao, l’Union africaine (ua), l’onu, l’Union européenne (ue), l’Organisation de la Coopération islamique (oci), le Burkina Faso, la Mauritanie, le Niger, le Nigeria et le Tchad. La complémentarité de ces acteurs et la diversité de leurs compétences[9] ont renforcé la confiance des belligérants dans le processus de médiation.

La recrudescence du conflit armé et sa propagation au Sahel qui mettent en péril la paix et la cohésion sociale dans la région expliquent le choix d’une « médiation intégrative » (Tenenbaum 2010) adopté par les médiés et la communauté internationale pour la pacification, la stabilité et le développement du Mali. En effet, l’équipe de médiation dispose d’un réel pouvoir de menacer les médiés de « représailles militaires »[10] s’ils ne viennent pas à la table des négociations pour signer l’accord de paix. En effet, la communauté internationale a invité le gouvernement et les indépendantistes touaregs au « dialogue politique national et à la réconciliation nationale »[11]. La puissance du collège de médiation s’est avérée déterminante pour enclencher le dialogue inter-malien pour la paix (Touré 2019).

La médiation internationale conduite par l’Algérie porte sur trois sujets : la décentralisation, le développement et la sécurité. Elle se déroule en cinq sessions sur une période de neuf mois et débute concrètement par des pourparlers exploratoires pour rapprocher les vues des mouvements indépendantistes. Ensuite, les parties au conflit adoptent, à Alger, une feuille de route pour les négociations et les poursuivent jusqu’à la signature de l’Accordpour la paix et la réconciliation au Mali. Issu du processus d’Alger en juin 2015.

Cette médiation intervient dans une « fenêtre d’opportunité »[12]. En effet, en 2013, est élu un nouveau président de la République, Ibrahim Boubacar Keïta (ibk), disposé à négocier avec les groupes armés. De plus, le déploiement de la force Barkhane et la Mission internationale de soutien au Mali (misma) de la cedeao, ainsi que la création de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (minusma) par la résolution 2100 du Conseil de sécurité du 25 avril 2013 ont rendu propice la médiation internationale. De même, la chute de Blaise Compaoré, influent dans le conflit malien par son soutien aux groupes armés touaregs, a permis l’instauration d’un dialogue permanent et la recherche d’un accord de paix. De plus, l’engagement de la communauté internationale à combattre sans merci les groupes terroristes[13] qui sont des alliés du Mouvement national de libération de l’Azawad (mnla) a affaibli militairement et politiquement celui-ci. Le mnla a saisi cette fenêtre d’opportunité pour négocier avec le gouvernement une médiation sur les causes profondes du conflit récurrent qui secoue le Mali.

Le président malien ibk, lors de sa visite en Algérie les 18 et 19 janvier 2014, sollicite une médiation algérienne[14]. C’est ainsi que l’Algérie engage des pourparlers exploratoires pour rapprocher les vues des mouvements du Nord du Mali afin de réunir les conditions nécessaires pour la négociation avec le gouvernement, le 5 juin 2014. Ces négociations aboutissent à un accord commun, la Déclaration d’Alger, entre le mlna, le Haut conseil pour l’unité de l’Azawad (hcua) et le Mouvement arabe de l’Azawad (maa), le 9 juin 2014. Dans le texte de l’accord, les trois mouvements réaffirment leur volonté d’oeuvrer à la consolidation de la dynamique d’apaisement en cours et de s’engager dans le dialogue inter-malien inclusif. De même, le maa, la Coordination pour le Peuple de l’Azawad (cpa) et la Coordination des Mouvements et Fronts patriotiques de Résistance (cm-fpr) signent également à Alger une Plateforme dans laquelle ils soulignent leur engagement en faveur d’un règlement pacifique du conflit et réaffirment leur position de principe sur « le plein respect de l’intégrité territoriale et de l’unité nationale du Mali »[15].

Après ces différentes négociations couronnées de succès auprès des mouvements des régions du Nord du Mali, une réunion de haut niveau de soutien au dialogue inter-malien pour le règlement de la crise se tient à Alger le 16 juillet 2014, avec la participation de l’Algérie, du Mali, du Niger, du Burkina Faso, du Tchad, de la Mauritanie, de l’ua, de la cedeao, de l’onu, de l’ue et de l’oci. Dans la foulée, le 24 juillet 2014, les participants au dialogue inter-malien signent un document relatif à la cessation des hostilités et une feuille de route pour les négociations dans le cadre du processus d’Alger. Les négociations se poursuivent le 1er septembre à Alger, puis de façon discontinue (19, 21 et 23 octobre 2014), dans la perspective d’aboutir à une solution globale et négociée. Le gouvernement malien et les représentants des groupes armés acceptent tous un document de négociation comportant des éléments d’un accord de paix soumis par l’équipe internationale de médiation. Le 20 novembre 2014, le gouvernement malien et les représentants des groupes politico-militaires du Nord poursuivent le dialogue à huis clos. Ensuite, l’équipe de médiation internationale tient des réunions séparées avec les mouvements du Nord et le gouvernement malien. La médiation algérienne aboutit à la signature d’un accord de paix et de réconciliation le 15 mai. La cma signe un peu plus tard, le 20 juin 2015, à Bamako, l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali. Issu du processus d’Alger.

III – Processus et enjeux stratégiques de la médiation algérienne

Nous mettons ici l’accent sur le processus des médiations algériennes dans le conflit maliens dans l’intention de démystifier les dynamiques à l’oeuvre. Ainsi, nous mettons en exergue la perception réciproque des parties au conflit (la médiation est vue comme un moyen d’exercice du pouvoir) et la façon dont le médiateur tente d’instaurer la confiance entre les parties pour rétablir des relations sociales légitimes, ou la façon dont il affirme sa domination et impose une issue au conflit.

A – Les acteurs du dialogue inter-malien

Toutes les sources s’accordent à dire que les médiés dans le conflit inter-malien sont le gouvernement et les indépendantistes touaregs. Ainsi les médiations des années 1990 et celles de 2006 ont-elles été menées par l’Algérie entre des groupes armés du Nord et le gouvernement. C’est lors des négociations du conflit de 2012 que d’autres acteurs influents de la société civile ont pris part aux pourparlers de paix.

D’après Moussa Mara, premier ministre d’avril 2014 à janvier 2015, la délégation gouvernementale conduite par Abdoulaye Diop, ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, était composée d’Ousmane Sy (ministre de la Décentralisation et de la Ville), Zahabi Ould Sidi Mohamed (ministre de la Réconciliation nationale), Hamadoun Touré (ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, d’un pôle d’experts (une trentaine), ainsi que des représentants de l’Assemblée nationale et de la société civile. Il témoigne que la cma et la Plateforme étaient également représentées par des délégations importantes.

Par ailleurs, tous nos interlocuteurs qui ont participé ou assisté aux négociations d’Alger sont unanimes à dire que la délégation algérienne dirigée par Ramtane Lamamra, ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, était composée de diplomates, de magistrats et de militaires. En outre, l’ancien député Mohamed Ould Mataly, très influent dans la communauté arabe, atteste avoir retrouvé de vieilles connaissances – des officiers de haut rang de l’armée algérienne – dans la délégation algérienne[16].

B – Processus des médiations algériennes dans le conflit inter-malien

À partir des données recueillies auprès des personnes ayant participé aux pourparlers de paix que nous avons interrogées, nous avons identifié quatre étapes majeures qui marquent le processus de médiation. En d’autres termes, chacune de ces médiations s’est déroulée en plusieurs étapes. Primo, le médiateur crée les conditions nécessaires au dialogue entre les belligérants. Il travaille sur la reconnaissance et la confiance entre les parties. À ce stade, le médiateur échange fréquemment avec le gouvernement malien, mais il tient aussi plusieurs rencontres séparées avec différents groupes armés ou souvent entre ces derniers pour accorder leurs vues sur les sujets de discussion. D’ailleurs, c’est lors de l’une de ces rencontres à Alger que la Plateforme a été créée, et c’est dans cet ordre d’idées que la cma a été constituée. On note que cette étape est la plus longue – elle dure quelques mois. Secundo, sous l’égide du médiateur, les mouvements adhérant aux principes de la médiation avec le gouvernement établissent une feuille de route ou un agenda pour la recherche de solutions admissibles pour les médiés. Tertio, les parties en conflit et le médiateur élaborent l’accord de paix. Quarto, sous les auspices du médiateur, les parties signent l’accord de paix issu du processus de médiation. Cette dernière étape est marquée par la fermeture de la médiation et la mise en place d’un comité de suivi de la mise en oeuvre de l’accord de paix. Chacune des parties en conflit ainsi que le médiateur sont représentés au sein de ce comité.

Les personnes interviewées ayant observé de près les négociations ou participé aux pourparlers à Alger attestent que le médiateur a apporté un soutien matériel aux belligérants. Ils reconnaissent tous que l’Algérie a pris en charge les frais d’hébergement de toutes les délégations maliennes qui participent aux négociations, notamment les représentants de la cma, de la Plateforme et du gouvernement. En outre, le médiateur « a payé des per diem de mille euros par jour à des délégations »[17]. Par ailleurs, des interviewés ayant participé aux négociations d’Alger (2014-2015) affirment que le médiateur a pris en charge les billets d’avion de certaines délégations.

En plus de son investissement dans le processus de médiation, la forte « intégration économique du Nord Mali à l’Algérie » (Bensassi et al. 2015 : 6) et les liens sociopolitiques forts entre les tribus transfrontalières confèrent à l’Algérie une forte influence sur les mouvements du Nord, dont la plupart des ténors possèdent la double nationalité, algérienne et malienne. À titre d’illustration, un ancien ministre et membre influent de la rébellion de 2006 assure que l’Algérie accorde souvent des « facilités » aux indépendantistes touaregs, bien que ces derniers soient souvent accusés de collusion avec les terroristes, d’où la sensibilité et toute la complexité de la médiation algérienne.

À l’analyse du processus, il ressort que la démarche du médiateur se déroule en différentes étapes ; il joue non seulement un rôle de facilitateur, mais il dirige aussi le processus en ce sens qu’il pousse souvent la partie réticente vers la solution. C’est dans ce contexte que Pierre Boilley explique que « manifestement, il y a eu une volonté affirmée de l’Algérie de “tenir” les négociations. Elle jouait là son propre jeu : arriver à la paix mais un peu à n’importe quel prix, tout en tordant le bras du pouvoir malien et des rebelles de la cma. Mais le plus frappant, dans cette paix, c’est la position de la communauté internationale qui est venue signer, comme à Canossa, cet accord de paix signé par une seule partie » (Boilley 2015).

Encore plus explicite, un ancien premier ministre disait que l’Algérie, dans les médiations des conflits maliens, cherche plutôt à « éteindre rapidement le feu […] au bout de trois jours, l’Algérie a réussi à amener les parties à un accord en 1991 à Tamanrasset, un jour et demi a suffi pour arriver à un accord en 2006, c’est seulement les négociations du dernier conflit qui ont pris beaucoup de temps (9 mois) »[18].

À bien des égards, ce processus s’apparente plus à une négociation assistée – processus dyadique de la médiation, processus triadique (Faget 2005). La négociation est « une confrontation de protagonistes étroitement ou fortement interdépendants, liés par un certain rapport de force, présentant un minimum de volonté d’aboutir à un arrangement en vue de réduire un écart, une divergence, afin de construire une solution acceptable au regard de leur objectif et de la marge de manoeuvre qu’ils s’étaient donnée » (Mrad 2012 : 15). En d’autres termes, la négociation est un « dialogue centré sur un problème à résoudre et visant un accord mutuellement acceptable » (Mrad 2012 : 16). En examinant le processus de la médiation, on constate que l’Algérie a joué un rôle de tiers intervenant dans le processus de régulation du conflit en orientant les protagonistes vers une solution rapide du conflit, plutôt qu’un rôle de médiateur qui travaille davantage sur le long terme, par la restauration de la communication entre les protagonistes dans un « processus gagnant-gagnant » (Faget 2010).

C – Enjeux stratégiques de la médiation algérienne

Pour l’Algérie, au-delà du « jeu de puissance » (Badie 2007a, 2007b), l’enjeu est d’éviter les troubles aux abords de ses frontières – ne serait-ce que par une paix bancale ou une « absence de guerre » (Werly 2002 : 483) – et d’éliminer le terrorisme ou empêcher les terroristes d’entrer sur son territoire. Nos interlocuteurs du gouvernement, de l’Administration d’État et de la Plateforme soutiennent que l’Algérie ne cherche pas à déstabiliser le Mali ou à lui nuire ; tout au contraire, elle veut un État fort et se méfie de la présence et de l’influence de la France dans les pays voisins.

La stratégie du gouvernement malien dans cette médiation consistait à contenir impérativement la rébellion par son ouverture au dialogue et à la négociation. Selon Moussa Mara, l’enjeu principal du gouvernement malien dans ce processus de médiation était de préserver l’unité nationale, l’intégrité territoriale, la souveraineté de l’État, ainsi que sa forme républicaine et son caractère laïc. Pour ce faire, le gouvernement a organisé les États généraux de la décentralisation (du 21 au 23 octobre 2013) et les assises du Nord pour mieux préparer les négociations de paix. D’après l’ancien premier ministre Moussa Mara, le gouvernement n’était pas parti en position de faiblesse aux négociations et, d’ailleurs, les propositions du gouvernement issues des assises citées précédemment « constituent 60 à 65 % du contenu de l’accord de paix de 2015 »[19].

Pour les mouvements du Nord, l’objectif avoué est d’obtenir l’indépendance des régions du Nord du Mali (l’Azawad), et l’imposition de la charia dans ces régions. Pourtant, les objectifs inavoués, notamment l’institutionnalisation du pouvoir politique, économique et social des groupes armés, expliquent davantage les dynamiques de fission des mouvements armés et la résurgence des conflits au Nord du Mali.

D – Analyse de la médiation algérienne

Rappelons qu’il s’agit globalement de médiations menées par le gouvernement algérien entre le gouvernement malien et les indépendantistes touaregs en l’absence des partis politiques, de la société civile et des communautés affectées par le conflit, exceptée la médiation de 2014-2015 à laquelle une partie de la société civile a pris part.

La démarche du médiateur algérien est essentiellement fondée sur la recherche d’un accord entre les belligérants, le plus vite possible, chose qu’il a d’ailleurs toujours réussi, en se focalisant sur les « zones de consensus et les questions solubles » et en écartant « les zones d’opposition qui rendent le consensus moins probable » (Faget 2010 : 109, 136). La forte dépendance envers l’Algérie, non seulement des groupes indépendantistes et djihadistes, mais aussi du gouvernement malien (outre la porosité des frontières algéro-maliennes [Rouppert 2014] et la lutte contre le terrorisme), a toujours permis à l’Algérie, selon des diplomates et des militaires, de faire peser son influence dans la médiation par la méthode de la carotte (sanctions positives) et du bâton (sanctions négatives).

On remarque que la médiation algérienne s’inscrit dans une vision réaliste des relations internationales. En ce sens, elle poursuit essentiellement une politique de puissance dans la région. En plus, sa médiation vise à atteindre rapidement des résultats, notamment la signature d’un accord de paix entre les belligérants. Elle ne s’intéresse pas suffisamment aux causes profondes du problème et aux besoins des parties au conflit. Sans occulter le fait que l’Algérie pourchasse depuis des décennies les groupes terroristes sur son territoire, plusieurs sources militaires et de nombreux anciens diplomates affirment qu’à travers ces médiations, elle cherche à externaliser le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (gspc) qui a succédé au Groupe islamiste armé (gia) comme principal mouvement terroriste sur son territoire. Le retrait de l’armée malienne des régions du Nord du Mali en vertu de l’Accord d’Alger de 2006 a accéléré l’occupation de ces zones par les djihadistes en tout genre et accentué la criminalité transnationale dans le Sahel. De même, d’après un haut officier de l’armée toujours en activité, l’Algérie est responsable de la prolifération des terroristes dans la bande sahélo-saharienne ; il affirme également que certains officiers algériens de haut rang sont fortement impliqués dans les trafics transnationaux illicites.

Cette approche de la médiation algérienne – médiation expéditive en vue de préserver la tranquillité à ses frontières – explique en grande partie la difficile mise en oeuvre des accords de paix négociés à Alger, alors que les « méthodes et les stratégies de sorties de conflits [devraient] permettre aux parties en conflit de trouver un terrain d’entente et d’éviter le recours à la violence » comme moyen de règlement de leur différend ; c’est en ce sens que la médiation devient le « mode privilégié de gestion et de résolution des conflits » (Petiteville et Placidi-Frot 2013) dans un monde multipolaire. Rappelons que « la tâche du médiateur consiste essentiellement à transformer une situation dangereusement compétitive (jeu à somme nulle) dominée par le principe gain total/perte totale en un exercice positif de coopération qui met en relief des horizons de gains partiels au profit des deux parties » (Allouche 1994 : 221), sans voiler la responsabilité première qui incombe aux parties en conflit d’appliquer les accords de paix qu’elles ont signés.

Plusieurs études empiriques (Richmond 1998 ; Beardsley, Quinn et al. 2006 ; Princen 2014) montrent qu’une médiation peut être instrumentalisée par les parties au conflit ou certaines d’entre elles. Dans cette hypothèse, des médiés peuvent utiliser la médiation comme un procédé dilatoire pour reconstituer leurs forces et relancer les hostilités. De même, certaines parties peuvent utiliser la médiation comme une opportunité de nouer de nouvelles alliances pour peser davantage sur l’issue du conflit. En plus, l’entrée dans la médiation peut être pour les belligérants un moyen d’obtenir la sympathie et le soutien de la communauté internationale. Succinctement, les parties ont la responsabilité du résultat de la médiation. Dans le cas présent, nous avons constaté que les rebelles n’ont jamais abandonné leur idée d’indépendance. Ils ont plutôt profité des médiations algériennes pour pousser le gouvernement à faire des concessions, à obtenir des alliances et des retombées politiques et financières. De toute évidence, le vrai fond politique du conflit, en l’occurrence l’indépendance des régions du Nord, n’a jamais été clairement le sujet de la médiation. Le développement des régions du nord du Mali, l’intégration des combattants rebelles ou des milices dans les forces armées républicaines, et les réformes de l’État (décentralisation ou régionalisation) constituent généralement les points du débat lors des pourparlers de paix. Le fait que la médiation ait soustrait des questions qui divisent profondément les Maliens hypothèque les résultats de ses efforts et maintient le pays dans le statut d’un « État failli » (Gourdin 2012 ; Haddad 2015).

Quoi qu’il en soit, la réussite d’une médiation dépend en grande partie de l’approche adoptée par le médiateur. En examinant les médiations algériennes dans le conflit malien, qui a connu plusieurs épisodes et des mutations, il ressort que l’Algérie a adopté l’approche de « médiation qui fait prévaloir le résultat objectif à court ou moyen terme (signature d’un traité, cessez-le-feu, arrangement, ouverture d’un dialogue, réduction des hostilités) sur le mode opératoire et ses conséquences subjectives à moyen ou long terme (qualité de la communication, changement d’attitude des populations, construction de projets communs) » (Faget 2008a : 320).

L’approche méthodologique de la médiation algérienne montre ses limites au regard de la résurgence du conflit armé après les médiations des années 1990 et 2006. Les énormes difficultés de mise en oeuvre de l’accord de paix de 2015 témoignent de la faiblesse des résultats à court et à moyen terme de cette médiation. Par conséquent, on peut dire que le modèle calqué sur le problem solving n’a pas donné de résultats satisfaisants sur le long terme, ni pour le gouvernement malien, ni pour les rebelles.

En revanche, ces médiations ont permis à l’Algérie d’étendre davantage son influence dans la zone sahélo-saharienne. Plus que jamais, les autorités maliennes ont conscience de l’influence de l’Algérie non seulement dans la régulation du conflit du Nord, mais aussi dans la lutte contre le terrorisme au Sahel. L’échec de la médiation libyenne et, plus récemment, burkinabé dans le conflit malien illustre bien la prééminence des intérêts stratégiques de l’Algérie et des grandes puissances qui lui apportent constamment leur soutien. Il ressort de nos entretiens que l’Algérie n’est pas favorable à la création d’un nouvel État touareg à ses frontières – elle affirme constamment son attachement à l’intégrité territoriale du Mali – mais elle soutient toute autre réforme de l’État malien, que ce soit la décentralisation poussée, l’autonomie, voire l’éclatement de l’État unitaire.

Conclusion

En analysant les médiations algériennes dans le conflit malien à partir de la grille d’analyse de Jacques Faget (les trois styles de médiateurs : le facilitateur, le formulateur et le manipulateur), il ressort que le médiateur algérien passe tantôt de la posture de facilitateur (quand il est question d’accorder les vues des mouvements du Nord) à celle de manipulateur pour faire signer hâtivement un accord de paix entre le gouvernement et les groupes armés. Cette posture de manipulateur s’explique par le fait que l’Algérie pouvait « non seulement formuler des propositions, mais aussi utiliser sa position et ses ressources de pouvoir, d’influence et de persuasion, donner des ultimatums » (Faget 2008a : 319). En effet, selon plusieurs sources du milieu politique et militaire ayant pris part aux négociations d’Alger en 1991 et 2006, le médiateur a joué un rôle important dans le processus d’élaboration des accords d’Alger et leur acceptation par les différentes parties signataires. Il a usé de son influence auprès des belligérants (le gouvernement malien aussi bien que les groupes rebelles) pour non seulement les amener à la table des négociations, mais aussi convaincre les parties réticentes de signer les accords de paix.

Pour la régulation du conflit politique violent au Mali, nous concluons, notamment à partir des entretiens réalisés, qu’il faut s’en tenir essentiellement à des modes d’intervention consensuels dont la médiation. À la place ou en complément du modèle algérien, la médiation pour le règlement du conflit complexe du Mali doit être fondée « non plus sur la contrainte, mais sur le consentement » (Faget 2008c : 79) et la participation des communautés et surtout de toutes les forces vives du Mali pour la reconstruction du vivre ensemble dans la vision d’un avenir mutuellement supportable pour toutes les communautés, y compris les minorités ethniques ou religieuses. Il s’agit bien d’une médiation transformative qui, en plus du processus politique, intègre l’approche ascendante, bottom up. Un tel processus de médiation doit être mené par des acteurs non étatiques qui peuvent dépolitiser le conflit et instaurer une communication saine pour parvenir à des solutions admissibles par tous.