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Les choix de société actuels fondés sur un système néolibéral contribuent à déshumaniser les personnes et leurs communautés. Les dynamiques économiques et politiques qui y sont associées plongent en effet les populations dans l’incertitude et le chaos (Shiva, 2001 ; Boutinet, 2009). Un tel système, qui vise à les rendre plus performantes et compétitives dans une logique individualisante, participe à une crise sans précédent aux multiples facettes, d’ordre écologique, social, économique et éthique. Ainsi, comme le souligne Chancel (2017, p. 9-10), « la destruction de l’environnement (…) exacerbe les inégalités sociales (…) et renforce les injustices existantes ». Certains adultes expérimentent aussi une crise du sens sur le rôle de chacun dans cette société au regard du non-emploi et de la remise en question des certitudes et de l’imprévisibilité de leurs trajectoires (Boutinet, 2009). Dans ce contexte déstabilisant, une partie de la population adulte se retrouve marginalisée lorsqu’elle est incapable de soutenir « les phénomènes actuels d’accélération et de flexibilisation généralisées » (Rosa, 2014, p. 51).

Au regard de la réalité vécue par nombre d’adultes, les groupes d’éducation populaire du Québec se sont fixé comme mandat le rehaussement des compétences de base des adultes les plus faiblement scolarisés ; ils concourent ainsi à l’amélioration de leurs conditions de vie, mais également à lutter contre leur exclusion de la société en développant leurs compétences citoyennes. Bélanger et coll. (2014) observent que ces groupes d’éducation populaire offrent aussi des cadres de vie où les adultes peuvent s’épanouir. Comme le soulignent ces auteurs, les centres d’éducation populaire favorisent une réelle prise en charge des enjeux sociaux, éducatifs, culturels, économiques, voire environnementaux de la communauté locale. Ils peuvent concevoir des initiatives axées sur le développement d’un savoir-vivre ensemble à travers une éducation critique et citoyenne en vue d’une émancipation individuelle et collective. C’est dans ce cadre que les questions environnementales sont amenées auprès des adultes puisque ces derniers sont interpelés à titre de citoyens, de consommateurs, mais aussi de décideurs au sein de leurs milieux de vie (Clover, Follen et Hall, 2000 ; Walter, 2009). Ils se retrouvent au front d’un changement majeur au sein d’une société qui possède tous les ingrédients pour se détruire, mais aussi tous les ingrédients pour changer de cap et se reconstruire comme l’observe Bookchin (2003). Cet auteur ajoute qu’un peu de pensée utopique est nécessaire pour imaginer des voies alternatives et proposer des solutions créatives permettant de contrer la dégradation des conditions de vie et d’existence des personnes, telle que la constatent également les groupes d’éducation populaire québécois (Villemagne, Sauvé, Daniel et Joyal, 2016). En effet, comme le résume Gerber (2013), « les moyens d’existence de chacun dépendent de la même nature », de sorte que peu importe la classe sociale, le milieu de vie ou les valeurs, chacun est concerné par les enjeux environnementaux et a droit à un environnement sain.

Malgré tout, selon Walter (2009), les initiatives d’éducation se réduisent souvent à vouloir changer les comportements des adultes à travers l’adoption d’écogestes, c’est-à-dire à faire des recommandations sur ce qu’il faut faire ou ne pas faire (Meirieu, 2001), et à offrir des séances d’information ou de discussion peu engageantes personnellement et collectivement, autour de questions environnementales vives comme l’urgence climatique et la mobilisation citoyenne qui s’y rattache. Fortin-Debart et Girault (2009, p. 138) confirment que cette forme d’éducation relative à l’environnement, très peu participative, serait la plus répandue. Les collaborations que nous avons initiées avec des organismes d’éducation populaire du Québec répondent à cette volonté de développer des pratiques éducatives plus engageantes et participatives, croisant éducation relative à l’environnement et alphabétisation des adultes.

Cet article rend compte de l’une de ces pratiques dont nous ferons l’analyse au regard des défis et des enjeux que soulève un tel type d’initiative dans un contexte d’éducation populaire auprès d’adultes marqués par une expérience scolaire souvent négative (échecs, abandon, humiliation), ayant un faible niveau de scolarité et qui peinent au quotidien à répondre à leurs besoins de base. Après avoir résumé la démarche de recherche globale dans laquelle s’insèrent la conception et l’expérimentation de cette pratique, nous présenterons les principales caractéristiques de celle-ci en mettant en évidence trois types de défis et d’enjeux qu’elle soulève: ceux inhérents à l’exigence d’une pédagogie interdisciplinaire, ceux qui concernent la prise en compte des caractéristiques des participants et ceux qui ont trait au partenariat entre les organismes et les institutions concernées.

Une démarche de recherche de développement

Le développement de la pratique éducative dont nous partagerons ici les principales caractéristiques s’inscrit dans une démarche de recherche plus vaste dont la méthodologie s’est articulée en deux volets interreliés et complémentaires, soit un volet théorique et un volet empirique. Le volet théorique a consisté en la caractérisation des dimensions formelle, axiologique, praxéologique et explicative d’un modèle théorique associant l’alphabétisation et l’éducation relative à l’environnement des adultes (Maccia, 1966; Landry et Auger, 2007). Quant au volet empirique, nourri du volet théorique qu’il a permis d’enrichir en retour, il intégrait deux sous-volets. Le premier a consisté en un ensemble d’études de cas collaboratives (Gagnon, 2011) permettant l’analyse critique de pratiques développées à l’initiative de cinq groupes d’éducation populaire. Cette analyse, menée à la lumière du volet théorique de la recherche, a permis de suggérer des améliorations aux pratiques étudiées. Quant au deuxième sous-volet, il a consisté en une recherche de développement (Loiselle et Harvest, 2009) visant à concevoir et expérimenter cinq nouvelles pratiques éducatives en partenariat avec des formateurs et formatrices des groupes d’éducation populaire ; ces pratiques de nature interdisciplinaire ont pris appui sur le volet théorique de la recherche. Dans cet article, nous rapportons l’une de celles-ci, qui a été conçue, expérimentée et améliorée avec le Centre d’organisation mauricien de services et d’éducation populaire (COMSEP), dont la mission est de regrouper les gens en situation de pauvreté pour les aider à améliorer leurs conditions de vie en développant un ensemble de compétences favorisant l’exercice de leurs rôles sociaux.

Les premiers services offerts par le COMSEP remontent à trente-six ans. Ils étaient axés sur l’alphabétisation et l’éducation populaire. Avec le temps, le COMSEP a élargi ses services et son offre éducative par le biais d’activités d’aide à l’emploi, du développement d’entreprises d’économie sociale, par des ateliers culturels ou de loisirs, par des projets de développement local et de revitalisation de quartier, par la mise sur pied de services d’entraide à la communauté, etc. Le COMSEP compte actuellement dix-huit employé.e.s et rejoint une centaine d’adultes annuellement. Les participant.e.s à la recherche de développement que nous avons pilotée sont quatre formateurs et formatrices du COMSEP responsables du volet alphabétisation du projet et douze adultes qui fréquentent cet organisme. Au terme de l’expérimentation de la pratique collectivement développée, deux groupes de discussion ont été menés, l’un avec les douze adultes et l’autre avec les quatre formateurs et formatrices du COMSPEP. Ce sont ces groupes de discussion qui nous ont permis de soulever les différents enjeux et défis que nous rapportons ci-après.

Intégrer l’éducation relative à l’environnement au champ de l’alphabétisation des adultes : un défi d’interdisciplinarité

La pratique éducative que nous avons développée repose sur des visions particulières de l’éducation relative à l’environnement des adultes et de l’alphabétisation. Nous avons adopté une vision critique de l’éducation relative à l’environnement, inspirée des traditions humaniste et progressiste, telle que proposée par Clover (2006). Selon cette auteure, les processus d’apprentissage à l’œuvre devraient remettre en question les fondements idéologiques des problématiques environnementales et proposer aux adultes d’imaginer des avenues créatives de résolution de problèmes (Haugen, 2009 ; Walter, 2009). Fondée sur les expériences de vie des adultes, la culture locale et leur milieu de vie, l’éducation relative à l’environnement vise ainsi à induire des changements à la fois personnels, sociaux et environnementaux. Le développement d’un ensemble de compétences socio-environnementales apparait fondamental pour produire un changement dans le milieu de vie des personnes et des groupes sociaux (Sauvé et Orellana, 2008).

Quant à l’alphabétisation des adultes, force est de constater qu’il s’agit d’un champ à la fois riche et disparate (Fernandez, 2005 ; Bélisle et Bourdon, 2006) où plusieurs concepts se côtoient (alphabétisation, alphabétisme, littératie, etc.). Il nous semble surtout important d’insister ici sur « la pluralité des compétences littéraciques » (Street, 2005 ; Bélanger, 2007 ; Ouellet, 2007). Le courant des « New Literacy Studies » adopte ainsi une perspective ethnographique axée sur la valeur de signification au quotidien des apprentissages en alphabétisation et de leur usage dans un contexte culturel spécifique, et ce, en contraste avec une perspective expérimentale et individualiste centrée sur l’étude de savoirs disciplinaires stricto sensu (Street, 2005). L’alphabétisation correspond alors à une pratique sociale évolutive selon les milieux, qui tient compte des espaces d’apprentissage (apprentissage situé) et des liens qu’entretiennent les adultes avec leur communauté (Hannon, 2003 ; Papen, 2005). L’alphabétisation s’articule également dans un double mouvement éducatif : l’émancipation individuelle des personnes et la transformation collective des réalités sociopolitiques. L’alphabétisation vise le développement d’un pouvoir chez ces adultes : pouvoir de réaliser leurs aspirations et de participer aux changements sociaux, politiques, éthiques, culturels et autres qu’ils jugent pertinents et urgents (Freire, 1983 ; Beatriz, 2000 ; Finger et Asun, 2001).

« Interconnecter les champs de l’éducation relative à l’environnement et de l’alphabétisation des adultes suppose la mise en œuvre de processus d’apprentissage intégrateurs qui visent l’acquisition de savoirs structurés, transférables et actualisables dans l’action » (Fourez, Maingain et Dufour, 2002, p. 66). La mise en relation de l’éducation relative à l’environnement et de l’alphabétisation des adultes sur des questions socio-écologiques, dont la compréhension fait nécessairement appel à une approche interdisciplinaire, se matérialise tant sur le plan didactique que pédagogique. Ainsi, les objectifs de la pratique éducative que nous avons développée, ses objets d’étude, les concepts et les notions convoqués ainsi que les démarches d’apprentissage ont été choisis de manière à mettre les adultes en action dans une démarche de résolution de problèmes environnementaux dont les solutions doivent être collectivement imaginées et mises en œuvre. La démarche interdisciplinaire s’inspire ici de celle de l’ilot de rationalité (Fourez, Maingain et Dufour, 2002) : le recours aux savoirs de diverses disciplines permet de construire une réponse pour résoudre une problématique de départ.

C’est ainsi que le COMSEP a procédé à un appel à participation à un projet environnemental auprès des adultes en démarche d’alphabétisation au sein de leur organisme. La douzaine d’adultes impliqués a mis en évidence l’absence de tri sélectif à deux voies (matières résiduelles et recyclage) au sein même du COMSEP et des vingt organismes logés dans la même bâtisse. L’initiative aura tellement bien fonctionné qu’en plus d’un système de tri adéquat, un composteur collectif a été mis en place par le groupe de participants qui s’est attribué le nom d’escouade verte. Durant ce projet, les adultes ont découvert le lien entre la gestion des matières résiduelles et le changement climatique. Ils ont appris à solliciter par téléphone les organismes ciblés par leur projet. Ils ont lu et écrit des textes et conçu des affiches. Ils ont fait des mathématiques pour fabriquer avec des matériaux recyclés des boites de collecte des piles usagées. Et au final, ils ont dit ne pas avoir fait autre chose qu’un projet en environnement ! Ils ont pourtant appris sur une diversité de sujet, remobilisé ou déployé certaines compétences et parfois dépassé leurs angoisses sociales. Par ailleurs, une telle pratique coconstruite avec les personnes formatrices du COMSEP a permis à ceux-ci de s’approprier la démarche de conception d’une situation d’apprentissage interdisciplinaire. La planification de l’ensemble du scénario pédagogique et aussi ses ajustements au fur et à mesure des demandes des adultes ont été vus comme un atout pour le COMSEP.

Travailler avec des adultes en situation de précarité et faiblement scolarisés

Les motivations des adultes à fréquenter le COMSEP sont variées. Les participant.e.s au projet « escouade verte » fréquentaient cet organisme depuis plusieurs années pour rencontrer de nouvelles personnes et ainsi briser leur isolement. Leur engagement découle d’une participation volontaire et intéressée à ce projet qui, au final, s’est déroulé sur vingt-quatre semaines à raison de plusieurs heures par semaine. Parmi ces adultes, 67 % étaient des femmes contre 33 % d’hommes ; presque la moitié du groupe avait moins de trente-six ans tandis que l’autre moitié avait plus de cinquante-cinq ans. Un premier défi rencontré avec ces adultes a été celui de l’hétérogénéité du groupe : scolarité, âge, situation sociosanitaire et revenus.

Sur le plan académique, le groupe présentait des profils scolaires très disparates. Quelques adultes avaient terminé le primaire, tandis que plusieurs avaient arrêté leur scolarité durant le secondaire ; et enfin, d’autres avaient poursuivi des études en formation professionnelle, voire à l’université. Afin de les rejoindre tous, nous avons adopté deux stratégies pour la conception du matériel pédagogique, qui se sont avérées efficaces: 1) créer du matériel éducatif adapté aux plus faibles lecteur.trice.s : utilisation d’une écriture simple, attention portée au choix d’un vocabulaire accessible ; adoption d’une typographie lisible en soignant entre autres la grosseur des caractères ; 2) favoriser le travail avec les pairs lors de la rédaction de rapports ou lors de lectures à haute voix de textes plus difficiles, en valorisant les compétences des adultes plus avancés. Les adultes en situation de précarité utilisent toutes sortes de moyens pour répondre à leurs besoins. La débrouillardise est de mise. C’est pourquoi la différence d’âge entre les adultes a joué un rôle clé dans la dynamique du groupe à travers les échanges et les expériences de vie des personnes plus âgées vers les plus jeunes, qui elles-mêmes étaient plus expertes avec les technologies de l’information et de la communication. Encore là, le travail avec les pairs a été privilégié afin de bénéficier de l’expérience de chacun. Enfin, sur le plan sociosanitaire, des défis associés à des problèmes de santé mentale ont été rencontrés. Par exemple, la manipulation de la terre pouvait être un frein majeur pour certains lorsqu’il s’agissait de faire les semis. Pour surmonter ce défi, deux options ont été offertes aux adultes : 1) le travail en équipe permettant de demander de l’aide à un autre membre de celle-ci ; 2) un accès à des tâches diversifiées sans aucune obligation : par exemple, arroser les plantes, construire les bacs et communiquer avec les organismes impliqués, etc.

L’alphabétisation a été envisagée comme une pratique sociale située, avec une visée de développement personnel et collectif. Aussi, tout au long du projet, les adultes ont été amenés à se questionner sur leur compréhension des enjeux environnementaux et l’impact de leurs choix quant à la gestion des matières résiduelles dans le cadre du projet. Ils ont été appelés à contacter les organismes présents dans le bâtiment, à s’interroger sur les différents besoins nommés par ces organismes et à trouver des solutions pour y répondre en faisant appel à des stratégies variées : demande de fonds au conseil d’administration, recherche de partenaires pour subventionner des matériaux spéciaux, fabrication de bacs, etc. Cette démarche s’est avérée délicate, voire douloureuse pour certaines personnes, notamment quand il s’agissait de contacter les organismes. Effectuer une entrevue en personne ou par téléphone peut soulever de l’insécurité pour des adultes ayant peu de liens sociaux et étant introvertis. Dans ces moments, la collaboration entre les pairs a été très appréciée, voire essentielle.

Établir un partenariat Université – organisme communautaire

Selon Sauvé (2000), le partenariat de recherche dans le cadre de projets avec des organisations d’un milieu peut prendre diverses formes. L’auteure établit un « gradient de partenariat qui, dans sa forme élémentaire, correspond à une simple collaboration, mais qui peut aller jusqu’à l’établissement d’un partenariat de « développement mutuel et d’apprentissage ». Comme Zay (1994, dans Boutin et Le Cren, 1998, p. 112) l’ont constaté :

Être en situation de partenariat, c’est accepter de partager des connaissances et des savoirs, à la fois théoriques et pratiques dans une situation donnée. Ce partage, quoiqu’on en dise n’est pas forcément établi sur une base égalitaire. Il peut arriver et il arrive souvent, que les partenaires ne soient pas au même niveau de connaissance ou de saisie d’un problème donné. Disons tout de suite que le partenariat ne nie pas les différences et que, parfois même, il les accuse et les met en perspective.

Nous avons donc tenté de construire un tel partenariat par la reconnaissance des expertises de chacun.e, par la valorisation des savoirs d’expérience des formateurs et formatrices du COMSEP, et par l’explicitation de ce que l’équipe de recherche universitaire pouvait apporter à la pratique éducative que nous souhaitions coconstruire en équipe.

Pour le COMSEP, réaliser des actions cohérentes avec leurs valeurs environnementales soulevait de nombreux défis. En effet, malgré de nombreuses actions dites environnementales initiées par le passé (comme des activités de nettoyage de ruelles, l’usage de vaisselle réutilisable, l’organisation d’évènements verts) et des incitatifs à utiliser du matériel réutilisable (par exemple, dons de bouteilles d’eau réutilisables), peu d’adultes (inscrits dans l’organisme) ou d’organismes présents dans le bâtiment participaient « spontanément » à l’amélioration de la qualité de leur environnement. Comme le signale l’un des formateurs participant à la recherche, « il est difficile de mettre en action les adultes; ils se contentent de reproduire ce que l’on veut voir ou entendre, mais il ne semble pas y avoir une réelle prise de conscience pour poursuivre le geste à l’extérieur ».

L’équipe de formation du COMSEP a ainsi fourni un aperçu des enjeux et des besoins des adultes en matière d’alphabétisation et d’environnement ; elle a également identifié de manière claire les besoins sociosanitaires et les intérêts des adultes en vue de concevoir et d’expérimenter une pratique éducative pertinente et cohérente. L’équipe de recherche universitaire s’est chargée de planifier et d’élaborer le scénario interdisciplinaire (constitué d’ateliers) de la pratique éducative à partir des éléments fournis lors des échanges. L’équipe de formation a ensuite pris en charge la conception du matériel éducatif et a animé les ateliers de manière autonome. Toutefois, si le besoin se faisait sentir, le recours au soutien de l’équipe de recherche était possible. Par exemple, lorsqu’un atelier a été modifié en cours de route, l’animateur a fait appel à l’équipe de recherche pour repérer du contenu éducatif pertinent au regard des nouveaux défis rencontrés. Hormis cette adaptation, celle-ci a été très peu sollicitée lors de l’expérimentation de la pratique éducative. Enfin, les membres de l’équipe de formation ont souligné les apprentissages qu’ils ont eux-mêmes réalisés concernant les questions environnementales et l’impact de l’appropriation de ces dernières sur leurs choix de vie personnelle, et ce, au-delà de leur rôle professionnel.

Un enjeu a toutefois été soulevé par l’équipe de formation concernant les relations entre le milieu communautaire et le milieu universitaire. Ce dernier est souvent considéré comme trop éloigné des réalités des milieux, ce qui entraîne des appréhensions quant à la possibilité d’un réel partenariat. C’est ainsi qu’un travail étroit de collaboration a été entrepris afin de déconstruire les préjugés et d’être à l’écoute des besoins des un.e.s et des autres. L’ensemble de la démarche que nous avons menée a permis de valoriser l’expertise de chacun des partenaires. La connaissance approfondie des adultes de la part de l’équipe de formation et leur expérience des difficultés rencontrées par ces derniers a permis d’adapter le contenu des ateliers afin de rejoindre plus adéquatement les participant.e.s. Par ailleurs, l’apport d’un cadre structuré, soit la démarche de résolution de problème environnemental, de la part de l’équipe de recherche universitaire a été très apprécié et jugé transférable à d’autres projets du COMSEP.

Conclusion

Bien que de nombreux défis aient été soulevés lors de cette recherche, les retombées pérennes du projet mettent en lumière la réussite de celui-ci. Ces retombées correspondent à la transformation radicale des pratiques de gestion des matières résiduelles au sein de la bâtisse du COMSEP et à la mobilisation des adultes tout au long de la recherche malgré des situations déstabilisantes qui auraient pu conduire certains d’entre eux à se retirer du projet. En effet, bien que celui-ci ait été initialement envisagé sur une période de six semaines afin d’éviter un essoufflement des adultes sur la thématique, les participant.e.s ont finalement été impliqués sur une période de vingt-quatre semaines. De plus, le maintien de l’existence de l’escouade verte a été fait à leur demande. Ils ont voulu élargir la mission de celle-ci par la mise en place d’un composteur collectif et par le développement d’un projet d’agriculture urbaine sur le stationnement adjacent à la bâtisse. Ils ont ainsi effectué des démarches auprès de résident.e.s du quartier pour mettre en œuvre ce nouveau projet.

L’enjeu de l’expertise en ce qui a trait aux questions environnementales demeure. En effet, la recherche a mis en lumière le sentiment d’incompétence initialement ressenti par l’équipe de formation vis-à-vis des questions environnementales, considérant que seuls les spécialistes en environnement possèderaient l’expertise requise pour traiter de ces questions. Or il s’est avéré que l’accompagnement offert par l’équipe de recherche lors de l’expérimentation a été très peu mobilisé, montrant ainsi la capacité des formateurs et des formatrices à exploiter leurs ressources personnelles et à développer leurs connaissances pour aborder ces questions avec les adultes. Le processus éducatif apparait aussi, voire plus important, que les résultats. Ainsi, ce n’est plus l’expert.e en environnement qui vient donner de l’information ponctuellement. Ce sont les formateurs et les formatrices qui se sentent outillé.e.s et confiant.e.s pour aborder ces enjeux avec les adultes qui réalisent des apprentissages ancrés dans leur quotidien et leur contexte culturel spécifique.