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Introduction

Le Québec serait l’État qui, après le Japon, connaît le vieillissement démographique le plus rapide au monde (Conseil des aînés du Québec, 2009). En 2006, les personnes âgées de 65 ans et plus représentaient 14 % de la population. En 2020, elles représenteront 21 %, et en 2030, elles formeront plus du quart de la population, soit 27 % (Institut de la statistique du Québec, 2004, p. 3). Dans ce contexte changeant, de nombreuses questions de planification des services se posent, que ce soit en santé, en loisir, en transport ou en logement. Le présent article traite spécifiquement des effets que ce changement démographique provoque sur les conditions d’habitation des aînés, des défis que ce changement soulève et de la recherche de solutions. Cet article s’appuie sur les données du projet-pilote Villes amies des aînés au Québec (VADA-Qc) recueillies dans le cadre d’une vaste collecte de données effectuée dans sept villes du Québec.

Les villes amies des aînés au Québec

Le programme Villes-amies des aînés élaboré par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), lancé en 2007, est né du double constat du rythme de vieillissement soutenu des populations et de la croissance de l’urbanisation, et ce, autant dans les pays dits développés que dans ceux en voie de développement. Le Québec, inspiré par le Guide mondial des villes-amies des aînés (OMS, 2007) qui propose des façons d’adapter les milieux de vie aux besoins des aînés, joue un rôle très actif dans son développement et son implantation.

Depuis 2008, l’équipe de recherche du Centre de recherche sur le vieillissement du Centre de santé et de services sociaux – Institut universitaire de gériatrie de Sherbrooke (CSSS-IUGS) a été mandatée par le Secrétariat aux aînés du Québec pour bâtir un modèle de recherche-action, comprenant une démarche évaluative structurée afin d’implanter VADA-Qc dans sept projets-pilotes au Québec (cinq municipalités : Drummondville, Granby, Rimouski, Rivière-du-Loup, Sherbrooke; un arrondissement de la ville de Québec : Charlesbourg; une municipalité régionale de comté : Témiscamingue, regroupant 22 municipalités). Les sept milieux sont fort diversifiés, puisqu’ils comprennent des milieux urbains où l’on trouve une gamme de services structurés, des villes de taille moyenne avec des services plus limités et un milieu rural où l’organisation des services prend une forme très différente. Les milieux sont contrastés tant sur le plan social, économique que géographique. Cette diversification permet un large spectre d’actions qui favorisera, à échéance, le transfert des meilleurs acquis provenant des villes-pilotes à travers un réseau de milieux aux caractéristiques sociodémographiques semblables.

Collecte de données

L’expérience québécoise de VADA se veut une bonification du programme original de l’OMS, dans la mesure où sa démarche de recherche-action prévoit trois étapes : le diagnostic, le développement d’un plan d’action et la mise en oeuvre de ces dernières.

  • Phase du diagnostic. Constituée de trois éléments, cette phase permet aux villes d’obtenir un portrait clair de leur milieu : un portrait statistique sociodémographique, une recension des programmes et services offerts dans leur municipalité et une série de réunions de groupes de discussion, traitant des sept grands axes[1] du projet, afin d’évaluer les besoins des aînés. C’est donc un total de 49 focus groups, composés de 26 groupes d’aînés de 65 ans et plus, de 16 groupes de fournisseurs de services et de 7 groupes de proches aidants (N = 392 participants), qui ont été réalisés et dont les verbatims ont été analysés.

  • Phase d’élaboration des plans d’action. Après leur adoption par les conseils municipaux des sept villes participantes, une analyse comparative entre le contenu du diagnostic et le contenu des plans d’action a été effectuée à partir d’une grille d’analyse des sept grands axes du projet.

  • Phase de mise en oeuvre. Les suivis d’implantation des projets des villes sont effectués grâce à des observations participantes lors de visites annuelles des sites et de l’analyse de contenus variés : verbatims de groupes de discussion effectués avec les comités pilotages, journaux de bord des agents de projet et des comptes rendus des rencontres des comités de pilotage et des divers sous-comités.

Puisque ce projet est toujours en cours dans les sept villes participantes, cet article repose essentiellement sur des données tirées de la phase diagnostique. Sauf avis contraire, tous les extraits de verbatims proviennent de la collecte de données lors du diagnostic et, de façon plus particulière, des groupes de discussion réunissant des aînés.

Le projet VADA-Qc se distingue des autres démarches VADA au monde par son approche participative et écosystémique qui vise ultimement à doter les aînés d’outils d’accompagnement à différents niveaux d’action. En effet, préconisant une perspective ascendante (bottom-up), VADA-Qc fait la promotion de la participation des aînés à toutes les étapes du projet. Plus de la moitié de la consultation initiale de définition des besoins dans l’étape du diagnostic a été réalisée par et auprès d’eux. De plus, ils occupent aussi des sièges réservés au sein du comité de pilotage de chacun des sept projets-pilotes. Les aînés influencent donc directement non seulement l’analyse des besoins, mais aussi les choix stratégiques des actions inscrites au plan d’action de chaque projet-pilote. Par ailleurs, une approche participative de développement des communautés[2] incitera les acteurs intersectoriels du partenariat local à conjuguer leurs intérêts respectifs, au moment de la mise en oeuvre, en faveur de l’amélioration de la qualité de vie des aînés de leur communauté. Le potentiel du champ d’action des projets VADA-Qc est donc vaste.

La problématique de l’habitation chez les aînés

VADA-Qc et l’habitation

Les premiers constats mettent en lumière les difficultés et les inquiétudes que les aînés éprouvent relativement à leur domicile, qu’ils vivent en milieu rural ou urbain. Les aînés vivant à domicile (qu’ils soient propriétaires ou locataires) craignent de ne plus pouvoir entretenir leur logis et de devoir le quitter sans savoir où aller et surtout à quel coût. D’autres, vivant en résidence privée, voient fondre leurs réserves financières et s’interrogent sur ce qui adviendra quand elles seront épuisées. D’ailleurs, l’analyse des données relatives à l’habitation issues du projet VADA-Qc témoigne de l’importante difficulté du marché de l’habitation actuel à répondre aux besoins des aînés au Québec.

Changement de milieu de vie

Au Québec, en 2006, 667 215 ménages étaient des ménages d’aînés et 52,7 % des ménages composés de personnes de plus de 75 ans étaient propriétaires (ISQ, 2007). Il a été démontré que les aînés forment un groupe très ancré dans son milieu de vie, ce qui expliquerait son faible taux de déménagements. En effet, au Canada, seulement 20 % des ménages composés d’aînés ont changé de domicile entre 1997 et 2002, alors que c’est plus de 90 % des ménages de moins de 30 ans qui l'ont fait durant la même période (Société canadienne d’hypothèques et de logement, 2006).

Il n’en demeure pas moins que la nécessité d’un changement de domicile devient souvent bien réelle à cette étape de la vie. À ce sujet, les résultats d’analyse de VADA-Qc sont sans équivoque. Certains éléments de contexte amènent les aînés à envisager de quitter leur maison ou leur logis, malgré la présence de services de soutien à domicile :

À l’intérieur de la maison alors ça, ça été plus dur; c’est pour ça qu’on a été obligés de descendre son lit au rez-de-chaussée. Mais on a eu facilement et rapidement l’aide du CLSC. Et dans le logement, ils nous ont posé des barres de soutien dans la salle de bain, des supports après le mur. Pour descendre dans le garage il y avait une petite marche, il était encore capable de faire ça, mais en dernier, ça avait été validé de mettre une rampe pour handicapés parce qu’il n’était presque plus capable de marcher. […] Ils l’ont amené à l’hôpital, ça fait que ç’a arrêté là parce qu’après c’était le foyer. […] C’était plus gardable à la maison, j’aurais préféré bien sûr. À un moment donné [c’était] qu’on puisse avoir un petit ascenseur […] [mais] ça aurait trop brisé la maison.

Proche aidante ayant participé à un groupe de discussion

Cette décision peut être volontaire, ou bien imposée à la suite d’un événement de vie important, comme le décès du conjoint ou la survenue d’une maladie invalidante. Selon la SCHL (2006), 40 % des aînés de plus de 75 ans invoquent des motifs de déménagement associés à la santé. À cet égard, en 2005, plus du quart des aînés vivaient seuls et près des deux tiers des aînés de plus de 75 ans présentaient au moins une incapacité (SCHL, 2005). Par ailleurs, d’autres motifs de déménagement invoqués par les aînés sont liés aux conditions de logement, par exemple le désir de trouver un logement plus petit, moins cher ou de meilleure qualité (SCHL, 2006). Signalons à ce propos que 34,7 % des ménages d’aînés locataires et 10,9 % des ménages d’aînés propriétaires présentent des besoins impérieux de logement[3] (SCHL, 2003). Aussi, parmi les Québécois qui consacrent plus de 30 % de leurs revenus au logement, 38 % sont des aînés (ISQ, 2010).

Transformation de la structure familiale

Dans l’équation de l’habitation et du vieillissement, il faut considérer que dès 2021 un nombre élevé d’individus sans enfants parviendront à l’âge de 65 ans. Cette transformation de la structure familiale pourrait entraîner une diminution du soutien offert aux aînés. D’ailleurs, les projections démographiques font état d’une baisse constante du taux de soutien aux très âgés d’ici à 2050 (Herrmann et Robine, 2010). Cette réalité a été exprimée ainsi par une aînée du projet VADA-Qc : « Nous, lui il a 82 ans […] pis moi j’ai 80 ans. Il faut que je pense que si je tombe malade là, qu’est-ce qu’on fait? On n’a pas d’enfants ici nous. »

Ce type de configuration démographique est connu pour générer un recours plus fréquent au réseau formel, tels les services de soutien à domicile (Vézina et al., 2009). Or, on sait aussi que le réseau informel assume environ 75 % des tâches de soutien à domicile (Lafrenière et al., 2003, cité dans Vézina et al., 2009; Tousignant et al., 2007). Bien que cette cohorte d’aînés puisse compter globalement sur une meilleure éducation, un niveau de vie plus élevé et un mode de vie plus sain que leurs prédécesseurs, la diminution globale du nombre des premiers pourvoyeurs d’aide (conjoints et enfants) pourrait doubler la demande envers les services de soutien à domicile d’ici dix à quinze ans (Vézina et. al., 2009).

Services publics de plus en plus privés?

De plus en plus d’aînés désirent vieillir chez eux, comme le montre un récent sondage dans lequel au moins 85 % des répondants de plus de 55 ans ont répondu avoir l’intention de vivre dans leur maison actuelle le plus longtemps possible, même si leur état de santé change (SCHL, 2008). Des services de soutien devront donc être présents pour un nombre grandissant de cas. Malgré la politique québécoise « Chez soi : le premier choix » (Ministère de la Santé et des Services sociaux, 2003) qui affirme une volonté gouvernementale à cet égard, on constate encore en 2011[4] la difficulté pour les aînés de se maintenir à domicile, principalement à cause de lacunes dans l’offre de services publics. Tout intervenant qui a travaillé aux services de soutien à domicile peut témoigner du fait que l’accès aux services dépend essentiellement de la disponibilité de ces derniers – souvent limitée – et du soutien offert par le réseau informel de la personne âgée, sans toutefois prendre suffisamment en considération la protection de celle-ci. Parallèlement à cette situation, pour les aînés en perte d’autonomie modérée ou grave et leurs proches aidants, les issues possibles se rétrécissent, puisque l’accès en Centre d’hébergement de soins de longue durée (CHSLD) est aussi de plus en plus restrictif.

Devant ce manque de services, plusieurs aînés se tournent vers les résidences privées, qui font beaucoup de publicité dans les médias. Cependant, les aînés interrogés dans le cadre du projet VADA-Qc voient des résidences privées s’implanter en grand nombre dans leur communauté, mais constatent qu’elles ne leur sont pas financièrement accessibles :

Mais si, un moment donné, si je tombe malade, on n’est plus capables. C’est le gros problème. […] En tous cas, ça [résidences privées] part à 2000 $ en montant. Nous autres, on n’a pas de fonds de retraite, on n’a pas de ci, de ça. Il a travaillé toute sa vie, puis moi aussi, puis ça devient impossible

La SCHL (2009) indique qu’au Québec 70 % du marché des résidences pour personnes âgées est occupé par des logements dont le loyer mensuel se situe entre 900 $ et 1600 $ et que le loyer moyen pour une place standard est de 1333 $ par mois. Toutefois, si l’on cible exclusivement les loyers avec soins assidus[5], la moyenne mensuelle augmente à 2563 $; soit un écart important de 1230 $.

Par ailleurs, malgré un processus de certification récemment instauré[6], l’habitation pour les aînés autonomes ou en légère perte d’autonomie est reconnue comme un secteur dont le développement est essentiellement régi par les lois du marché et dont les formules d’appartements présentent des coûts élevés qui les rendent inaccessibles pour plusieurs. De plus, ce secteur n’est pas coiffé d’une politique parapluie qui pourrait relier entre eux les acteurs clés du domaine qui relèvent de réseaux différents (municipalités, MSSS, Société d’habitation du Québec). L’accès à ces ressources est donc l’apanage des mieux nantis, et l’insatisfaction du public à l’égard de la qualité des services offerts a été maintes fois rapportée dans les médias récemment.

De plus, malgré un marché privé peu réglementé dont le but premier est de faire du profit, on peut prévoir que l’intervention de l’État en matière de soutien à domicile et d’hébergement sera de plus en plus déplacée vers ce secteur. En effet, dès 2009, le ministère de la Santé et des Services sociaux indiquait un premier pas en ce sens et annonçait que le « développement des capacités d’accueil dans le secteur privé [viendrait] répondre à une partie de plus en plus importante des besoins des personnes bénéficiant encore d’un degré d’autonomie suffisant » (MSSS, 2009, p. 87). Un pas de plus était franchi en 2010, puisqu’un projet de règlement sur la certification des résidences privées, en cours de consultation actuellement, redéfinissant les contours des responsabilités de l’État et des résidences privées pour aînés, stipule que celles-ci pourraient recevoir des aînés en lourde perte d’autonomie, une clientèle traditionnellement orientée vers les CHSLD[7].

La tendance actuelle concrétise donc une prise en charge de moins en moins exclusive par le réseau public, ce qui crée inévitablement une pression en amont sur les proches aidants. Quelles en seront les conséquences pour les aînés d’aujourd’hui et de demain? Sans parler de désinstitutionnalisation au sens classique du terme, telle la fermeture massive de lits en santé mentale dans les années 1980 et 1990, l’accès de plus en plus restrictif aux services de soutien à domicile et d’hébergement en CHSLD indique qu’au lieu de couper dans nos services étatiques on en a simplement fermé la porte. Considérant le portrait démographique, l’état du système de santé et de services sociaux et la réglementation timide du marché privé, on observe un important déséquilibre en matière d’habitation pour les aînés. Une crise éminente n’est-elle pas en train de se profiler?

Marché de l’habitation

Dans le marché de l’habitation pour aînés, plusieurs possibilités et innovations sont apparues au cours des vingt dernières années, du point de vue des formules tant juridiques que financières (SCHL, 2001; Dansereau et Baril, 2006). Bien que l’habitation communautaire se soit développée, la place prépondérante reste acquise au marché à but lucratif. Ces deux secteurs d’habitation subissent également l’influence du vieillissement démographique.

Le marché des résidences privées à but lucratif

Les effets démographiques, conjugués à l’état actuel de l’offre des services publics, sont reconnus comme étant des facteurs ayant favorisé l’émergence et la domination actuelle du marché des résidences privées à but lucratif (Vaillancourt et Charpentier, 2005). Au Québec, en 2009, on comptait 88 201 logements dans les résidences privées pour aînés. De plus, près d’une personne âgée de 75 ans et plus sur cinq vivait dans ce type d’habitation. Aussi, au Québec, plus d’aînés que partout ailleurs au Canada décident d’emménager dans des résidences privées (SCHL, 2009). Toutefois, plusieurs études tendent à démontrer que les résidences privées, bien qu’elles ne devraient héberger que des aînés dits autonomes et semi-autonomes, accueillent parmi leurs résidents une clientèle en perte d’autonomie avec des atteintes cognitives graves et des incapacités fonctionnelles importantes (Bravo et al., 1998; Charpentier, 2002; Grenier, 2002).

L’habitation communautaire

Le secteur de l’habitation communautaire offre aux personnes aînées un autre choix que la résidence privée à but lucratif. Ce secteur de l’habitation regroupe les coopératives d’habitation (COOP-H) et les organismes sans but lucratif d’habitation (OSBL-H) (Bouchard et Hudon, 2008). Il se distingue du logement social en ce que celui-ci n’est pas de propriété publique, mais de propriété collective privée, et qu’il demeure administré par des acteurs issus de la société civile (Morin, Richard et Cuierrier, 2008). En 2007, 20 000 logements étaient destinés aux aînés autonomes ou en légère perte d’autonomie (Dumais, Ducharme et Vermette, 2008). N’ayant pas été conçues pour des aînés en perte d’autonomie, les habitations communautaires subissent actuellement une pression importante pour la réalisation de projets d’habitation adaptés à cette clientèle. Certaines ressources sont d'ailleurs pressenties pour accueillir des aînés en lourde perte d’autonomie, traditionnellement orientés vers les CHSLD (Dumais, Ducharme et Vermette, 2008). Aussi, avec la mise en place de la certification des résidences pour personnes âgées du ministère de la Santé et des Services sociaux, plusieurs ressources communautaires se sont munies de permis. Celles-ci en viennent à combiner leur statut d’habitation communautaire avec celui de résidences avec services, ainsi que le définit le MSSS (Dumais, Ducharme et Vermette, 2008).

En plus de l’influence du vieillissement, on remarque la méconnaissance chez les aînés de l’étendue de l’offre du marché de l’habitation. Les données VADA-Qc témoignent de cette méconnaissance, qui rétrécit l’horizon des choix possibles :

Moi où je demeure c’est bien pour le moment, mais j’anticipe l’avenir. Je me dis à un moment donné, moi aussi je ne peux plus marcher comme je veux. Si je dois déménager à un moment donné, je me pose toujours la question où je pourrais déménager.

Le logement communautaire n’est pas donc pas encore assez connu ni suffisamment déployé dans les régions du Québec pour être en mesure de faire partie du choix des aînés, et très peu parmi ceux-ci connaissent les possibilités autres que la résidence privée conventionnelle.

À la recherche de nouvelles formules d’habitation

L’analyse des données issues des groupes de discussion du projet VADA-Qc indique que les aînés désirent vivre dans des quartiers intergénérationnels, avoir accès à des services de proximité, évoluer dans un lieu qui leur procure un chez-soi[8], éviter d’être confinés en ghettos. Ils souhaitent en outre conserver les liens avec leur famille, leurs amis et la communauté :

Et puis moi, je n’irais pas dans une résidence, car je trouve que c’est ghettoïsé. Je n’aime pas ces systèmes-là. […] Moi je me dis si tu as un quartier de personnes âgées, les autres ça va faire un quartier de ci, un quartier de ça. […] Je veux vivre avec des gens plus jeunes, avec des gens mariés et ainsi de suite. Je veux vivre dans une société. Et une société, ce n’est pas juste le troisième âge!

De plus, les aînés souhaitent pouvoir emménager dans des ressources d’habitation abordables qui leur permettront de vieillir dans un environnement connu dans lequel ils pourront participer en tant que citoyens actifs. Toutefois, ils doivent actuellement composer avec des normes municipales – telles que l’interdiction de maisons bigénérationnelles dans certaines municipalités, des modes de taxation restrictifs ou des plans d’aménagement urbain orientés vers la voiture – qui ne se sont pas encore adaptées au vieillissement :

Bon, on va juste traverser pour aller faire nos commissions à pied parce que ça nous oblige, ça nous aide à nous oxygéner, mais après on revient pour traverser c’est effrayant. Et non seulement ça, le temps pour traverser monsieur. Moi, je suis encore alerte là, ça va bien là tu sais, mais je pars en courant et puis je traverse […] vous voulez aller à pied au mail ici, vous allez tourner comme ça, vous voulez traverser, les autos peuvent le faire, mais si vous êtes à pied, vous n’êtes pas mieux que morte.

Une crise de l’habitation comme espace d’innovation

Bien que certains auteurs considèrent que cette transformation de l’habitation fait en sorte que « tout se passe comme si on avait signé un traité de libre-échange entre le logement et l’hébergement... » (Dumais, Ducharme et Vermette, 2008, p. 211), il est aussi possible d’y voir une opportunité réelle de dynamiser ce secteur. L’évolution relativement récente qui contribue à un décloisonnement entre l’habitation et les services à la personne peut offrir suffisamment de marge de manoeuvre aux acteurs de ces deux secteurs pour renouveler les pratiques en la matière et ainsi favoriser l’émergence de nouvelles formules d’habitation, comme celles que propose le Danemark. Ces habitations, composées d’une série de modules autonomes reliés entre eux et possédant certaines aires communes, permettent de répondre aux besoins changeants de la clientèle. En effet, l’environnement physique et organisationnel de chaque habitation est adapté aux besoins d’une clientèle homogène, mais, lorsque la situation de santé d’un résident se modifie, celui-ci peut être déplacé dans un module voisin. Le personnel travaillant dans ce modèle d’habitation y est mobile, ce qui assure une continuité rassurante pour les personnes âgées, qui connaissent le personnel depuis longtemps et conservent alors les mêmes repères (Dubuc et al., 2009).

L’innovation dans ce domaine ne doit toutefois pas se contenter d’offrir des ressources en nombre approprié et de qualité convenable, une formule juridique participative ou un environnement bâti particulier pour permettre une réelle transformation de ce marché. Jusqu’à présent, un groupe d’acteurs important n’ont pas été inclus dans ces réflexions : les aînés eux-mêmes. Comment penser mener à bien une réflexion d’une telle envergure sans prendre en considération l’avis et l’expérience des aînés? En ce sens, leur véritable participation devient essentielle à la transformation du marché de l’habitation. Le dynamisme engendré par ce souci à l’endroit des aînés, combiné avec leur implication directe, a d’ailleurs été démontré dans des communautés dévitalisées au Québec et au Manitoba (Gladstone) qui ont réussi à relever considérablement une situation socioéconomique pourtant peu enviable. Par exemple, au Témiscamingue, trois entreprises d’économie sociale, chapeautées par la Table de concertation des personnes âgées du Témiscamingue, sont devenues les principaux employeurs de la région. L’entreprise de services à domicile ainsi que les OSBL-H Résidence Lucien-Gaudet et Résidence Marguerite d'Youville sont trois projets issus de la communauté qui offrent aux aînés à faible revenu des services domestiques et d’hébergement. Le Témiscamingue prouve qu’une approche communautaire participative peut être viable, en maintenant le cap sur le vieillissement comme levier économique et social (Vincent et Bourgeois, 2011).

Des formules d’habitation ancrées dans la communauté

En réponse au désir de participation sociale des aînés, il est pertinent de se demander quelles formules d’habitation favorisent le développement de l’autonomie, l’empowerment ou la participation sociale. Dansereau et Baril (2006) s’y sont intéressés. Les auteurs définissent l’empowerment comme « un processus de développement des compétences permettant la maîtrise de ses conditions de vie, tant sur le plan individuel que sur le plan collectif » et la participation comme « ne se [limitant] pas à l’exercice sur pouvoir, mais recouvrant toute forme d’engagement des résidents dans l’animation de leur milieu de vie » (Dansereau et Baril, 2006, p. 3). À la lumière de ces concepts, les auteurs retiennent des formules d’habitation orientées vers des organismes à but non lucratif, des coopératives ou des copropriétés et mettent ainsi en avant des formules issues de l’économie sociale ancrées dans la communauté.

Le désir de rester chez soi le plus longtemps possible exprimé par les aînés implique le désir de continuer à entretenir des liens dans le quartier et la communauté. Ce territoire vécu (Caillouette et al., 2009; Garon et al., 2011) devient lieu d’échanges, créateur de liens et d’ancrage identitaire, tout en servant de fondation au développement d’une communauté. Selon Morin et Baillergeau (2008), le lieu où l’on demeure, en plus d’être un espace domiciliaire, représente une possibilité de créer des liens sociaux avec ses voisins; il constitue une base pour les relations sociales et facilite les échanges ainsi que la construction et le maintien de réseaux sociaux.

Le lien avec la communauté ne doit donc pas être négligé si l’on veut que les habitations destinées aux aînés répondent à leurs besoins. À cet égard, Cannuscio, Block et Kawashi (2003) insistent sur le fait que les modèles les plus prometteurs dans l’habitation avec services (assisted-living facilities) sont ceux qui coexistent dans les quartiers où l’on trouve des écoles, des centres communautaires, des entreprises, des commerces et des parcs. Au lieu d’isoler les résidences pour personnes âgées, celles-ci deviennent le centre du quartier et contribuent au développement d’activités sociales. Dansereau et Baril (2006, p. viii) vont dans le même sens en soulignant que « les solutions les plus novatrices pour ce qui touche le maintien et le développement de l’autonomie des aînés débordent très souvent du cadre strict du projet d’habitation. [...] l’ouverture du milieu à l’intégration et à la participation des aînés est un facteur favorisant grandement l’innovation ».

Au Québec, certains projets novateurs d’habitation destinés aux aînés[9] témoignent de cette importance d’ancrer les ressources d’habitation dans les communautés. Ces initiatives, toutes issues de l’économie sociale, ont permis aux aînés de ces localités de continuer à participer à la vie communautaire et favorisé le développement d’emplois et de ressources pour de petites régions. Ainsi, comme il a été mentionné dans le cas du Témiscamingue, la mise en place de formules d’habitation qui soutiennent la participation des citoyens peut devenir un moteur de développement communautaire. En ce sens, plusieurs recherches tendent à démontrer le rôle de l’habitation dans la revitalisation des régions et l’impact économique et social favorable des projets issus de l’habitation communautaire (Mook et Quarter, 2006; Cuierrier, Frohn et Hudon, 2008; Cox et Schmuecker, 2010). De plus, parce que ces formules d’habitation entretiennent un lien étroit avec leur collectivité par l’entremise d’une gouvernance de proximité, elles s’inscrivent fortement dans les particularités et les besoins de la communauté (Arteau et Brassard, 2008).

La participation des aînés à l’élaboration de nouvelles formules d’habitation : à la recherche de modalités

Dans un contexte où les besoins des aînés en matière d’habitation sont multiples et variables, la participation des aînés au développement de solutions pour l’habitation devient donc toute désignée pour innover. Les communautés ne peuvent plus faire abstraction de la contribution des aînés. Les travaux de l’Alliance pour la recherche sur le logement des personnes âgées dans les provinces de l’Atlantique (ASHRA, 2008) indiquent que les aînés désirent être consultés et participer à la planification des projets d’habitation dans leur quartier afin que les constructions répondent réellement à leurs besoins. L'un des participants d’un groupe témoin d’aînés mentionne ce qui suit (ASHRA, 2008, p. 111) :

Quand ces immeubles d’habitation ou ces établissements de soins longue durée ou ces établissements de soins spéciaux sont construits, à l’avenir – et il va falloir en construire beaucoup n’est-ce pas? – vous savez, les suggestions de la communauté et les suggestions des gens qui vont les utiliser sont si importantes.

La SCHL (2008) souligne que pour contrecarrer les effets du vieillissement sur l’habitation les collectivités doivent encourager la participation des aînés et utiliser leurs compétences, puisque ces personnes peuvent devenir une force motrice dans le renouvellement des collectivités. Le désir des aînés de participer à l’élaboration des solutions qui répondront à leurs besoins, tout comme la nécessité pour nos communautés de le faire pour répondre aux pressions du vieillissement démographique sur le marché de l’habitation, ne peut plus être négligé.

La question du comment favoriser la participation des aînés au développement de nouvelles formules d’habitation reste toutefois encore à explorer. En ce sens, certains résultats de recherche préliminaires (Bigonnesse, 2011) indiquent que des mécanismes de participation formels, tels que la présence de comités de résidents dans les ressources d’habitation, la possibilité de siéger à des postes administratifs ou un fort partenariat avec les organismes de la communauté comme les écoles et les centres de formation aux adultes, favorisent grandement l’implication des aînés. Toutefois, l’efficience de ces mécanismes de participation peut être limitée par certaines lois sur la sécurité des résidents, par l’environnement géographique des ressources d’habitation et les valeurs organisationnelles de celles-ci. Le dynamisme et l’implication des administrateurs et des employés dans l’organisation et la communauté semblent aussi être déterminants pour la participation et l’intégration des aînés à la gestion des ressources d’habitation qui leur sont destinées. Bien que ces résultats demandent à être validés par d’autres données, on peut affirmer que la participation des aînés doit être soutenue à la fois par les acteurs de l’habitation eux-mêmes, mais aussi par les organisations de la communauté dont la mission ne se limite pas aux aînés.

De plus, un certain nombre d’initiatives proposent quelques pistes de solutions[10]. Au Québec, le milieu de l’habitation communautaire offre la possibilité de favoriser la participation citoyenne dans le développement de nouvelles ressources et permet de mettre en place des modèles d’habitations novateurs dans une réalité où les besoins individuels et collectifs sont multiples et variés. Ces modèles doivent être adaptables en fonction de la prochaine cohorte d’aînés. Cela étant dit, aucun mécanisme formel ne permet de favoriser la mise en place de groupes de citoyens aînés et de les accompagner dans une démarche d’habitation. Les initiatives déjà présentes sont très souvent le fruit d’acteurs clés du milieu, d’un petit groupe de leaders locaux ou d’organismes communautaires qui mènent à bien un projet. Il nous apparaît donc nécessaire que dans un avenir rapproché les acteurs dans le domaine de l’habitation destinée aux aînés travaillent à la mise en oeuvre de mécanismes formels et informels visant l’implication des aînés à plusieurs niveaux décisionnels de la société. Sans quoi il pourrait être difficile pour les communautés de faire face à l’effet du vieillissement.

Conclusion

Les problématiques soulevées par les aînés dans le cadre du projet VADA-Qc, puis validées par notre travail d’analyse de la littérature récente, font état de facteurs imbriqués dont les effets négatifs se multiplient. Puisqu’une augmentation importante du nombre d’aînés, conjuguée à une diminution du soutien informel offert, est prévue pour dans dix ans, les services de santé et les services sociaux vont vraisemblablement entraîner un surcroît en demandes de services. Si la capacité du réseau, notamment des personnes actives en soutien à domicile, devait rester équivalente à celle d’aujourd’hui, un goulot d’étranglement serait inévitable. De plus, l’inadéquation entre les besoins exprimés par les aînés et l’offre du marché de l’habitation, leur méconnaissance des différentes options et le nombre limité de solutions alternatives au marché privé risquent de conduire ces derniers à une véritable impasse face à leur choix de milieu de vie.

Force est de constater que les difficultés actuelles à répondre aux besoins des aînés, tant dans le domaine de l’habitation que dans celui de la santé et des services sociaux, incitent à repenser nos pratiques. Nous avons voulu contribuer à l’émergence de quelques orientations et pistes d’action. Pourquoi ne pas considérer le vieillissement de la population à la fois comme un catalyseur de changement et comme un moteur de développement des communautés nécessitant une action intersectorielle et concertée qui réunirait les municipalités, le milieu de la santé, des services sociaux et de l’habitation ainsi que le milieu communautaire?

Par ailleurs, cela entraînerait certaines exigences : la création des mécanismes formels de participation afin de permettre un dialogue entre les décideurs locaux et les aînés concernant les questions d’habitation; le développement des ressources offrant des services accessibles financièrement, flexibles, évolutifs et de qualité. Enfin, cela appellerait à l’élargissement de la question de l’habitation au-delà du cadre bâti en planifiant le développement des quartiers et des services de proximité tout en favorisant une mixité générationnelle. Ainsi, ce qui apparaissait comme une situation potentiellement catastrophique pourrait devenir une opportunité de développement.

En outre, cette nécessaire transformation ne peut se faire sans qu’on y inclue la pleine participation des premiers concernés : les aînés et les communautés. L’élaboration de nouvelles formules d’habitation doit aussi être flexible afin de répondre aux besoins des collectivités. En ce sens, un modèle unique est loin d’être ici une solution. Il faut explorer avec prudence le décloisonnement qui émerge actuellement entre l’habitation et les services de santé et les services sociaux, tout en considérant qu’il offre un nouvel espace d’innovation et un important potentiel de développement communautaire. La compréhension des conditions et mécanismes nécessaires à la création d’opportunités réelles de participation formelle et informelle des aînés à la création de nouvelles ressources d’habitation devra aussi être approfondie. Ce sont des pistes de publications ultérieures dans le contexte du projet VADA-Qc.